| RETREMPER, verbe trans. A.− 1. Tremper, mouiller de nouveau. L'arrosoir, percé, coulait, et les pieds de Patissot recevaient plus d'eau que les fleurs (...). Et vingt fois de suite, il recommença, retrempa ses pieds (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p. 297).P. métaph. Un mémoire de l'accusé citant carrément les noms de deux ou trois grandes mondaines, ces noms toujours les mêmes, trempés et retrempés dans toutes les sales affaires (A. Daudet,Immortel, 1888, p. 284). − Empl. pronom., p. anal. Se replonger dans quelque chose. Des paysannes qui passent leur vie dans le fumier et la terre, qui ont toujours bien vécu comme ça et ne se laveraient que pour se retremper dans la crasse (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière], 1906, p. 147). 2. TECHNOL. Donner une nouvelle trempe. Retremper une lame d'acier (Lar. encyclop.). P. métaph. Cette glace que l'accent d'un sage jette sur l'incendie des sens, pour retremper le ressort d'une énergique résolution (Lamart.,Raphaël, 1849, p. 251). B. − Au fig. 1. a) Empl. trans. Retremper dans.Replacer dans un climat, un environnement, remettre en contact avec quelque chose. La délicatesse de goût est artificielle dans l'homme (...). Le mieux, pour la maintenir à la fois exquise et naturelle, c'est de la retremper de temps en temps (à la sourdine) dans la bonne grossièreté sensuelle (Sainte-Beuve,Poisons, 1869, p. 136).L'obscurité [au cinéma] se fit. Pierre comptait que de saines actualités allaient enfin les retremper dans un torrent de vitalité impétueuse, parmi les cris de la foule, les gestes sportifs, les charges de cavalerie (Morand,Homme pressé, 1941, p. 106). b) Empl. pronom. réfl. Se replonger dans un milieu, reprendre contact avec quelque chose. Jamais Kéroual n'avait raté l'arrivée ou le départ d'un bateau de France. Il montait à bord (...) pour manger et boire, fumer du bleu, bavarder, se retremper dans l'ambiance du pays (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p. 43).Le désir de lire de l'allemand, de me retremper dans la poésie allemande m'a fait relire le poème de Goethe sur la lune (Green,Journal, 1949, p. 305). 2. a) Empl. trans. Redonner de la force, de l'énergie, de la fermeté.
α) [Le suj. désigne ce qui provoque, favorise ce changement d'état] − [Le compl. d'obj. désigne une pers., une collectivité] La sauvagerie est nécessaire tous les quatre ou cinq cents ans, pour retremper le monde (Goncourt,Journal, 1855, p. 209).Huit jours plus tard, M. de Camors retourna (...) à Reuilly − Paris l'avait retrempé, ses nerfs s'étaient raffermis (Feuillet,Camors, 1867, p. 190). − [Le compl. d'obj. désigne un attribut phys. ou mor., une faculté, un trait partic.] Retremper l'âme, le cœur, le corps, l'esprit, les facultés, le courage. Mmede La Mole avait récompensé une assiduité de plus de vingt années en faisant préfet le pauvre baron (...). Ce grand événement avait retrempé le zèle de tous ces messieurs (Stendhal,Rouge et Noir, 1830, p. 252).Je reste somnolent et amorti toute la matinée. Promenade sur la jetée, par un soleil splendide. La brise, les couleurs, la lumière retrempent peu à peu mes nerfs (Amiel,Journal, 1866, p. 472).Part. passé adj. Je ne suis pas une de ces âmes fortes et retrempées qui peuvent s'engager par un serment dans une voie nouvelle (Sand,Corresp., t. 1, 1836, p. 341). ♦ Retremper la/les force(s), la vigueur. Faire renaître. Et César porte envie au pâtre obscur des monts Qui, de haillons vêtu, sent battre son cœur libre Et l'air du vaste ciel où son chant monte et vibre Retremper sa vigueur et gonfler ses poumons (Leconte de Lisle,Poèmes barb., 1878, p. 307).Le contact du monde, le plaisir de livrer une petite part d'elle-même à un auditoire, avaient toujours retrempé ses forces (Lacretelle,Hts ponts, t. 1, 1932, p. 138). − Absol. Allez donc un peu (...) au bord de la Méditerranée. L'azur détend et retrempe. Il y a des pays de jouvence, comme la baie de Naples (Flaub.,Corresp., 1867, p. 266). − En partic. [Le compl. d'obj. désigne une couleur] Raviver. Étendards dont le sang retrempait les couleurs! (Leconte de Lisle,Poèmes barb., 1878, p. 69).Part. passé adj. La sensation d'étrangeté, de fraîcheur, de couleurs retrempées, de monde neuf (...) est bien connue de ceux qui aiment la course en montagne (Thibaudet,Réflex. litt., 1936, p. 162).
β) [Le suj. désigne une pers.] − [Le compl. d'obj. désigne une pers. ou le plus souvent un attribut, un trait de la pers.] D. Juan: (...) nous aimons l'ombre en Espagne (...). Le Résident: Nouvelle preuve du besoin que vous avez d'un législateur qui vous retrempe (Mérimée,Théâtre Cl. Gazul, 1825, p. 33).Dans des lieux nouveaux où les sensations ne sont pas amorties par l'habitude, on retrempe, on ranime une douleur (Proust,Swann, 1913, p. 354). ♦ Retremper + compl. indiquant le moyen, le milieu qui favorise le changement.Retremper + gérondif.Le besoin qu'il éprouvait, ce soir, de retremper sa confiance en répétant, comme une litanie, ces déclarations réconfortantes, était visible et émouvant (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 393).Retremper... par.M. Sauvage, républicain, voulant retremper le caractère des Français par des lois draconiennes (Stendhal,L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 189).Retremper... à.Ils ont tous besoin, mon père, ainsi que moi, De retremper leur âme aux sources de la Foi (Vigny,Poèmes ant. et mod., 1837, p. 203).Quand elle vint à poser les doigts sur la serrure, ses forces subitement l'abandonnèrent (...). Elle se recueillit une minute, et, retrempant son courage au sentiment de la nécessité présente, elle entra (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 163).Retremper... dans.Voilà par conséquent un mois que je respire un air pur et que je retrempe dans l'atmosphère des prés et des bois ma tête et mes poumons (Verlaine,Corresp., t. 1, 1862, p. 3). − [Le compl. d'obj. désigne une production humaine] [Montesquieu] excelle à retremper ainsi les expressions et à leur redonner toute leur force primitive, ce qui permet à son style d'être court, fort, et d'avoir l'air simple (Sainte-Beuve,Caus. lundi, t. 7, 1852, p. 64).Le dessin a été retrempé à la source de l'antique [avec l'école de David] (Delacroix,Journal, 1857, p. 147). b) Empl. pronom. réfl. Reprendre des forces, de l'énergie.
α) [Le suj. désigne une pers., une collectivité, ou un attribut, un trait partic.] − Se retremper + compl. indiquant le moyen, le milieu favorable. ♦ Se retremper par, avec.Son âme, autrefois si molle et si peu virile, s'était retrempée en quelque sorte par la souffrance et le malheur (Thierry,Récits mérov., t. 2, 1840, p. 173).Bouvard, une fois chez lui, se retrempait avec la Mettrie, d'Holbach, etc. (Flaub., Bouvard, t. 2, 1880, p. 142). ♦ Se retremper à.Mes nerfs se sont retrempés à ce souffle marin, plein de sels pénétrants (Barb. d'Aurev.,Memor. 1, 1836, p. 52).J'ai été malade de la mort de mon pauvre Rollinat. Le corps est guéri, mais l'âme! Il me faudrait passer huit jours avec toi pour me retremper à de l'énergie tendre (Sand,Corresp., t. 5, 1867, p. 220). ♦ Se retremper dans.[Il] prit le paquebot pour s'aller retremper dans l'air purifiant de la terre natale (Blanche,Modèles, 1928, p. 231).De tout temps, le petit déjeuner en compagnie de ses enfants avait été pour elle, au début de la journée, une heure bénie, de trêve, de joie, où se retrempait son optimisme naturel (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p. 285). − Se retremper de + compl. indiquant ce qu'on retrouve.Se retremper de jeunesse. Ces plongeons perpétuels étaient nécessaires à son existence. Il s'y retrempait chaque fois d'un courage nouveau, d'une activité plus ardente (A. Daudet,Fromont jeune, 1874, p. 283). − Absol. Il faut, d'ailleurs, que je me retrempe un peu, car je m'encroûte ici. Nous irons au spectacle, au restaurant, nous ferons des folies! (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 129). − Empl. pronom. réfl. indir. Allant jusqu'au soir, de salon en salon, se retremper l'intelligence dans le commerce de ses semblables (Maupass.,Fort comme la mort, 1889, p. 79).
β) [Le suj. désigne une production humaine] Il ne savait pas encore (...) que plus les langues sont maniées, plus elles s'effacent, et que le français se retremperait à Servolex dans son génie, comme il s'était retrempé aux Charmettes dans l'ignorance de J.-J. Rousseau (Lamart.,Confid., 1849, p. 338).Cette nécessité pour le théâtre de se retremper aux sources d'une poésie éternellement passionnante (...), étant réalisée par le retour aux vieux mythes primitifs (Artaud,Théâtre et son double, 1938, p. 148).
γ) [Le suj. désigne le caractère de qqc.] Cette idée de la revoir revenait parée pour lui d'une nouveauté, d'une séduction, douée d'une virulence que l'habitude avait émoussées, mais qui s'étaient retrempées dans cette privation non de trois jours mais de quinze (Proust,Swann, 1913, p. 307). REM. Retrempe, subst. fém.a) Action de tremper l'acier à nouveau. P. métaph. Pourquoi ces murs et ces chaînes (...) ne leur donnent-ils pas aussi une nouvelle retrempe, une nouvelle ardeur pour défendre les droits du Peuple (Babeuf,Le Tribun du peuple, 10 déc. 1795, n o36, p. 222 ds Quem. DDL t. 11).b) Au fig. Force, vigueur nouvelle. Le croisement de retrempe est l'emploi passager d'un mâle de race donnée sur une autre race déterminée de façon à introduire dans la seconde un caractère particulier de la première (Wolkowitsch,Élev., 1966, p. 78). Prononc. et Orth.: [ʀ
ətʀ
ɑ
̃pe], (il) retrempe [-tʀ
ɑ
̃:p]. Att. ds Ac. dep. 1835. Étymol. et Hist. 1. a) 1172-90 retemprer (l'épée, l'acier) « durcir par une nouvelle trempe » (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 3663); b) fig. 1803 retremper son âme à la fontaine de vie (Chateaubr., Génie, t. 1, p. 431); 2. ca 1274 retremper (le vin) « adoucir de nouveau en y ajoutant de l'eau » (Adenet Le Roi, Berte, éd. A. Henry, 1362); 3. 1549 retremper (du linge) « tremper de nouveau dans l'eau » (Est.). Formé de re-* et de tremper*. Fréq. abs. littér.: 254. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 536, b) 554; xxes.: a) 247, b) 178. |