| RESSENTIR, verbe trans. I. − Empl. trans. A. − Éprouver une sensation physique, en tant que telle, agréable ou désagréable. Ressentir du bien-être; ressentir un coup, (de) la douleur, la fatigue, le froid, un malaise. J'éprouve en même temps le mouvement que l'on ressent lorsqu'un vaisseau vire de bord (Chateaubr., Natchez, 1826, p. 230).Et Stephen respirait à longs traits; (...) il se sentait vivre avec délices; l'impression qu'il ressentait était celle, et plus suave encore, qu'on ressent au haut d'une montagne quand on hume à grands flots un air pur et dégagé (Karr, Sous tilleuls, 1832, p. 23). B. − Éprouver vivement dans son âme ou dans son esprit l'effet d'une cause extérieure. 1. Qqn ressent qqc.Ressentir un chagrin, un deuil, une émotion, une injustice, une peine, un plaisir, une satisfaction; ressentir du dépit, du remords, de la tristesse. Aussitôt, j'instruisis le Sicilien de l'insulte. Il la ressentit comme j'avais prévu qu'il la ressentirait et il envoya, pour en tirer vengeance, huit cents cavaliers (A. France, Clio, 1900, p. 117). 2. Qqn ressent qqn ou qqc.Ressentir un écrivain, un poète. Oui, avec vous et comme vous, je la vois et je la ressens jusqu'à la hantise, cette femme si belle, mais si étrangement perverse (Loti, Journal, 1878-81, p. 6).Ruskin vit Rouen la même année qu'Abbeville, mais il ne devait comprendre Rouen que beaucoup plus tard, tandis qu'il ressentit tout de suite Abbeville (Proust, Chron., 1922, p. 146). C. − 1. Avoir une vive conscience d'un état subjectif. Je ressentis devant elle ce désir de vivre qui renaît en nous chaque fois que nous prenons de nouveau conscience de la beauté et du bonheur (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p. 655): Le voyageur excédé de fatigues et mourant de soif au milieu des déserts, ne ressent pas une joie plus vive lorsqu'il rencontre un puits et quelques arbres touffus à l'ombre desquels il puisse se reposer...
Crèvecœur, Voyage, t. 3, 1801, p. 17. 2. Éprouver un sentiment favorable ou défavorable à l'égard de quelqu'un. Ressentir de l'admiration, de l'affection, de la jalousie, du mépris, de la pitié (pour qqn); ressentir de la fureur, de la haine, de l'humeur (contre qqn). Avant Talma l'on n'avoit guère aperçu dans cette pièce foiblement écrite la passion d'amitié que Manlius ressent pour Servilius (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 238).Ce qu'on ressent pour certaines femmes, ce n'est pas de l'amour, ce n'est pas de l'amitié non plus: c'est de la tendresse (Renard, Journal, 1899, p. 521). II. − Empl. pronom. A. − Se ressentir de qqc. 1. Vieilli. Se souvenir (d'une offense, d'une injure); en éprouver du ressentiment. Je me ressentirai de l'injure que vous m'avez faite (Ac.1798-1878). 2. Continuer à éprouver les effets d'un mal physique. Se ressentir d'une maladie, d'une opération. Dans son enfance, il était tombé d'un arbre et s'était cassé cette jambe; la fracture avait été si mal soignée que maintenant encore il s'en ressentait (Arland, Ordre, 1929, p. 28).Je me ressens encore de ce grand coup d'épée qu'il me fournit au travers du corps un matin de carnaval (Claudel, Soulier, 1929, 1rejournée, 5, p. 666). 3. Éprouver l'influence de, subir les suites de. a) Qqn se ressent de qqc.Il se ressent de la mauvaise éducation qu'on lui a donnée (Ac.).Je ne dois pas vous cacher que j'ai trouvé beaucoup de mal ici: la dissimulation est partout; je crains même que le jeune Henri ne se ressente bientôt des leçons qu'on lui donne (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 470).Elle se ressent de ses origines, et fait parfois usage d'un langage hardi (Toulet, Nane, 1905, p. 191). b) Qqc. se ressent de qqc.Ce pays a été ruiné par la guerre, il s'en ressentira longtemps (Ac.).Ces termes abstraits, cette subtilité européenne, produisent une sorte de sécheresse et d'indifférence, dont nos mœurs se ressentent beaucoup (Senancour, Rêveries, 1799, p. 228).L'hiver (...) exceptionnellement rigoureux (...) glace et enneige les routes, ralentit la circulation. Les ravitaillements s'en ressentent (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 138). B. − Pop., arg. S'en ressentir (pour).Avoir envie de. 1. [Suivi d'un subst.] V. amateur ex. 51. − En partic. ,,Aimer, avoir plaisir à. Il s'en ressent pour c'te môme`` (Lacassagne, Arg. « milieu », 1928, p. 179). 2. [Suivi de pour + inf.] S'en ressentir pour se battre. Dis donc, toi, gueule de raie ultra-plate, tu veux du galon? Si tu t'en ressens pour aller te faire écraser par les tanks, vas-y (Malraux, Espoir, 1937, p. 734). 3. Absol. Maintenant j'en ai marre... Ceux qui s'en ressentent, c'est pas moi qui prendrai leur place (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 308). REM. Ressenti, -ie, part. passé en empl. adj.,beaux-arts. Dont le contour ou le renflement est plus bombé ou plus fort qu'il ne doit l'être. Supposons deux hommes de même taille: si l'on revêt le premier de muscles très-développés et très-ressentis, on en fera un Hercule; si l'autre a des muscles délicats (...) on en pourra faire un Apollon (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin, 1876, p. 148). Prononc. et Orth.: [ʀ
əsɑ
̃ti:ʀ], (il) ressent [-sɑ
̃]. Barbeau-Rodhe 1930: se ressentir [sə
ʀsɑ
̃-], [sʀ
ə-]. Étymol. et Hist. A. 1. Recevoir d'une cause extérieure une impression agréable ou pénible a) fin xiies. « sentir chacun de son côté, éprouver [par sympathie] ce que sent autrui » (Béroul, Tristan, éd. E. Muret, 1650: Chascun d'eus soffre paine elgal Qar l'un por l'autre resent mal); b) 1268-78 ,,sentir l'effet pénible d'une cause extérieure`` (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 4420: ... Ou, s'il resent trop grief le fes [du couvent] Si s'en repent e puis s'en ist); 1580 (Montaigne, Essais, II, XII, éd. P. Villey et V. L. Saulnier, p. 580); c) 1562 réfl. soi resentir de « éprouver, faire l'expérience de [un avantage] » (Rabelais, 5eLivre, VII ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t. 3, p. 31); 2. a) déb. xiiies. réfl. soi resentir + attribut « se sentir à nouveau... [en reprenant ses esprits] » (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, éd. E. Walberg, 1922, append. II [Miracle de St Thomas], 69, p. 214: Il resent sei mëime tut sein e tut legier, Si apele e esveille cels kil durent veiller); b 1580 trans. « être conscient d'un état subjectif, éprouver un sentiment » (Montaigne, op. cit., I, XXXVIII, p. 235: Nous avons poursuivy... la vengeance d'une injure, et resenty un singulier contentement de la victoire); 1680 ressentir l'amour (Quinault, Proserpine ds Littré); c) 1580 réfl. « éprouver les effets d'un mal » (Montaigne, op. cit., II, XXXVII, p. 764); 3. a) 1558 réfl. se ressentir de « se souvenir [d'une chose] avec ressentiment » (Des Periers, Nouv. Récr., 13, éd. K. Kasprzyk, p. 70: Si tost qu'ilz furent en liberté, se ressentans du mauvais tour que leur avoit joué...); 1664 trans. ressentir l'injure (Racine, Thébaïde, I, 5); b) av. 1630 trans. « se souvenir avec reconnaissance » (D'Aubigné, Lettre [s.d.] ds
Œuvres, éd. E. Réaume et Fr. de Caussade, t. 1, p. 356: des esprits... qui ressantent ce qu'ils luy doivent à Dieu); 1633, 22 oct. ressentir [une faveur] (Voiture, Lettre 45 ds
Œuvres, Paris, J. Clousier, t. 1, 1734, p. 110); 4. 1554 « avoir le caractère de » en parlant d'un inanimé (Thevet, Cosmogr., I, 12 ds Hug.: La langue des anciens Maltois... ressentoit encore le vieil langage de Carthage); 1636 (Monet, p. 761b: Cet homme là me ressant son pédant à pleine gorge); 5. a) 1620, 9 mars « reconnaître, saisir, discerner » (D'Aubigné, Lettre ds
Œuvres, éd. citée, t. 1, p. 372); b) 1687 « percevoir un sentiment chez une personne » (Bossuet, Oraison funèbre de Louis de Bourbon ds
Œuvres, éd. B. Velat et Y. Champailler, p. 198: On ressentait dans ses paroles un regret sincère d'avoir été poussé si loin par ses malheurs). B. xiiies. trans. « avoir, prendre l'odeur de » (Isopet, I, XXXVII, 67 ds Isopets, éd. J. Bastin, t. 2, p. 267: ... les aux rescent le mortier). Dér. de sentir*; préf. re-*. Fréq. abs. littér.: 3 294. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 583, b) 3 174; xxes.: a) 4 119, b) 5 916. |