| REPROCHER, verbe trans. A. − 1. Qqn reproche à qqn (qqc., de + inf., que + prop. à l'ind. ou au subj.). a) Signifier qu'on désapprouve, blâme ou regrette telle action ou telle attitude de celui à qui l'on s'adresse. Synon. faire grief à qqn de qqc. (v. grief2).Reprocher une erreur, un crime; reprocher ouvertement, à mots couverts, injustement. Tu me reproches sans cesse que je pose, que je suis théâtral, que j'ai de l'orgueil, que je me pavane de mes tristesses comme un matamore de ses cicatrices (Flaub., Corresp., 1846, p. 280).V. garrulité rem. s.v. garruler ex. de Brillat-Savarin: − (...) je sais bien que je ne suis pas impeccable, ajouta-t-il avec colère, mais je m'en fous: je suis comme je suis. − Qui te le reproche? dit Henri. Il dévisagea Lambert avec un peu de remords. Il lui avait reproché de céder à la facilité, mais Lambert avait bien des excuses: une dure enfance, Rose était morte quand il avait vingt ans, et ce n'est pas Nadine qui l'avait consolé.
Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 468. − [En tournure nég. pour atténuer une remarque que l'on pourrait prendre pour une critique] Je ne vous reproche rien; je ne vous le reproche pas. Tu n'en as pas été témoin, je ne te reproche rien (Hugo, Lettre fiancée, 1820-22, p. 13).À propos de ton béguin pour Chloé; je ne te le reproche pas, je trouve tes réactions très sympathiques (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 95). − [P. méton. du suj. ou du compl. introd. par à] Dois-je me taire? Me défendez-vous, mon Dieu, de crier dans le sein d'un ami? L'aimai-je trop? Elle me pressa sur son cœur comme si elle eût craint de me perdre: − Qui me résoudra ces doutes? Ma conscience ne me reproche rien (Balzac, Lys, 1836, p. 200). − [P. méton. du compl. d'obj.] On a eu raison de reprocher l'être suprême à ce calottin de Robespierre (Flaub., Corresp., 1879, p. 275).Ainsi que le marchand de marrons le lui remontra justement, on ne doit pas battre un enfant, ni lui reprocher son père, qu'il n'a pas choisi (A. France, Crainquebille, 1904, p. 47). ♦ Reprocher la nourriture (ou un terme équivalent) à qqn. Faire sentir à quelqu'un que son entretien représente une charge trop lourde. Reprocher (à qqn) le pain qu'il mange. Il faut me jurer que tu vas décider ta mère à nous marier. En voilà assez, de cette vie en l'air! Avec ça, maman me reproche toutes les bouchées que je mange (Zola, Germinal, 1885, p. 1237). b) Critiquer tel aspect d'une œuvre d'art ou de l'esprit. Je reproche à Manet son élégance, cet air d'homme du monde qu'il a en peignant, une espèce de négligé de bon ton et quelquefois un manque de sérieux (...), même dans le Balcon dont la beauté m'atteint directement (Green, Journal, 1932, p. 93).Marx a justement reproché à Hegel de fonder le droit, le pouvoir politique et la distribution économique sur les privilèges de la naissance et finalement sur l'hérédité physique (J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p. 290). − [P. méton. du compl. prép. introd. par à] Reprocher qqc. aux écrits de qqn. On incrimine aujourd'hui notre littérature; on lui reproche son raffinement et d'avoir travaillé à affaiblir plutôt qu'à galvaniser nos énergies (Gide, Journal, 1940, p. 27). 2. Qqn reproche à qqc. qqc./de + inf.Considérer tel caractère d'une chose comme un défaut, une imperfection. Ce que l'on reproche à la concurrence, ce sont les inconvénients qui résultent de sa nature, et non les fraudes dont elle est l'occasion ou le prétexte (Proudhon, Syst. contrad. écon., t. 1, 1846, p. 204).On reproche à l'alcool d'être volatil et à la glycérine de se mélanger très difficilement à l'eau (Chapelain, Techn. automob., 1956, p. 330). 3. DR. (avant 1958). Reprocher un témoin. Récuser un témoin; ,,reprocher un témoin dans une enquête pour cause de parenté, de services à gages, de certificat délivré dans le procès, etc.`` (Cap. 1936). B. − Empl. pronom. 1. réfl. Se reprocher qqc., de + inf., plus rarement que + prop.S'imputer à faute, se considérer comme responsable de quelque chose de fâcheux, de condamnable. Je me reproche que de funestes prévisions n'aient pas plus souvent troublé mes heures (...). (...) insouciant de l'avenir, je jouissais, presque sans inquiétude (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 256).En face de Hochedé, je me reproche tous mes petits renoncements, mes négligences, mes paresses, et par-dessus tout, s'il y a lieu, mes scepticismes. Ce n'est pas signe de vertu, mais de jalousie bien comprise (Saint-Exup., Pilote guerre, 1942, p. 356). − N'avoir rien à se reprocher. Avoir la conscience tranquille. − Sois donc franc! Tu te fiches de l'Internationale, tu brûles seulement d'être à notre tête, de faire le monsieur en correspondant avec le fameux Conseil du Nord! Un silence régna. Étienne, frémissant, reprit: − C'est bon... Je croyais n'avoir rien à me reprocher (Zola, Germinal, 1885, p. 1341). 2. réciproque. S'adresser mutuellement des reproches. De parole en parole, ils en arrivaient à se reprocher la noyade de Saint-Ouen; alors ils voyaient rouge, ils s'exaltaient jusqu'à la rage (Zola, Th. Raquin, 1867, p. 191). Prononc. et Orth.: [ʀ
əpʀ
ɔ
ʃe], (il) reproche [-pʀ
ɔ
ʃ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Verbe trans. 1. ca 1145 « rappeler à quelqu'un quelque chose de désagréable » (Wace, La Conception Nostre Dame, éd. W. R. Ashford, 290); 2. 1170 « blâmer quelqu'un en le rendant responsable d'une faute » (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 238); 3. 1339 reprocier un compte « contester » (Tabul. S. Joan. Laudun ds Du Cange, s.v. reprochare); 1538 reprocher tesmoings « refuser des témoins en alléguant des raisons » (Est.); 4. 1718 reprocher les morceaux à qqn « faire sentir à quelqu'un qu'il mange trop » (Ac.). B. Verbe réfl. 1671 (Bouhours, Les Entretiens d'Ariste et d'Eugène, p. 135 ds Quem. DDL t. 31). Du lat. pop. *repropiare « rapprocher; mettre sous les yeux », p. ext. « remontrer, objecter », dér. de prope « près, auprès de »; préf. re- à valeur intensive, sur le modèle du lat. appropiare (v. approcher). Fréq. abs. littér.: 4 185. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6 328, b) 4 778; xxes.: a) 6 133, b) 6 150. DÉR. 1. Reprochable, adj.Qui mérite des reproches. Synon. blâmable, condamnable.Un plaisir reprochable. Quand on a commis une chose reprochable, le ciel en punition vous en impose les témoins (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 449).J'ose dire que l'homme d'État a été, en Napoléon, moins reprochable que le général (Proudhon, Guerre et paix, 1861, p. 236).Dr. Témoin reprochable. Témoin dont la déposition pouvait être récusée (avant 1958). Aujourd'hui où le reproche a disparu, le témoin jadis reprochable peut toujours déposer (Roland-Boyer1983).− [ʀ
əpʀ
ɔ
ʃabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. − a) 2emoit. xiiies. [ms.] « qui mérite des reproches » (Riule S. Beneit, B.N. 24960, f o6 r ods Gdf. Compl.), b) 1600 dr. « récusable » (Fr. de Sales, Défense de la croix, I, 9 ds Hug.); de reprocher, suff. -able*. 2. Reprocheur, -euse, adj.Qui reproche. Je suis (...) triste et reprocheur comme un chien à qui son maître offre avec une insistance stupide un morceau de viande dont il ne veut pas, alors qu'il y a sur la table certaine crème à la vanille qui lui donnerait la parole, de joie (Montherl., Démon bien, 1937, p. 1335).[P. méton. du déterm.] Du lit de dentelles, une voix à la fois caressante et reprocheuse sortit. − « Voilà cinq nuits que je vous attends. » (Péladan, Vice supr., 1884, p. 164).− [ʀ
əpʀ
ɔ
ʃ
œ:ʀ], fém. [ø:z]. − 1resattest. xves. reproucheur (Gl. gall. lat., Richel. l. 7684 ds Gdf.), 1556 reprocheresse (Anc. Poésies VI, 185 ds Hug.); de reprocher, suff. -eur2*. |