| REGRETTER, verbe trans. I. − Éprouver un sentiment plus ou moins pénible au sujet d'une action passée ou rêvée. A. − 1. Qqn regrette qqc.Éprouver de la peine, du déplaisir à la pensée ou au souvenir d'une perte, d'une absence d'un bien, ou au souvenir d'un mal. Synon. littér. pleurer; anton. espérer.Regretter le passé, son enfance, sa jeunesse, le temps passé, le temps perdu, une occasion manquée. Un de ces taudis qui, sitôt entré, vous font regretter la rue, quelle qu'elle soit, que l'on vient de quitter (Vercel,Cap. Conan, 1934, p. 124): 1. Hélas! naître pour vivre en désirant la mort!
Grandir en regrettant l'enfance où le cœur dort,
Vieillir en regrettant la jeunesse ravie,
Mourir en regrettant la vieillesse et la vie!
Hugo,Feuilles automne, 1831, p. 756. − Loc. verb., au fig., vieilli. Regretter les oignons d'Égypte. V. oignon B 2 c. − Empl. abs. Que voulez-vous, Monsieur, quand on a travaillé toute sa vie, il vient un moment où on s'aperçoit qu'on aurait pu faire autre chose, et, alors, on regrette, oh! oui, on regrette! (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Bois, 1886, p. 557). 2. Qqn regrette qqn a) Éprouver de la peine, être affligé de ne plus être en présence de ou en relation avec quelqu'un de vivant. Synon. pleurer (sur).Nous avons bien souvent pensé à vous après votre départ de Rome, nous vous avons bien des fois regretté dans nos soirées de l'hiver dernier (Delécluze,Journal, 1825, p. 243): 2. Il regrettait, dans son petit souvenir encore vague, il regrettait les petits camarades du sentier de hêtres, et les cajoleries de ses grands-parents, et les chansons de sa vieille grand'mère. Là-bas, tout le monde s'occupait de lui, tandis qu'ici il était presque toujours tout seul.
Loti,Mon frère Yves, 1883, p. 232. − Empl. pronom. réfl. Rendez-moi ma lettre. Depuis que je l'ai perdue, je ne suis plus moi-même, je me regrette et j'ai hâte de retourner à ma réalité (L. de Vilmorin,Lettre ds taxi, 1958, p. 98). b) Éprouver du chagrin d'être séparé d'une personne défunte. Être regretté des siens, de tous. Nous allions même souvent chez le menuisier pour lire l'épitaphe (...) « Ici, repose Joséphine (...) Malaudain (...) décédée à l'âge de soixante-deux ans, regrettée de sa famille (...) » (Maupass.,Contes et nouv., t. 2, Surprise, 1882, p. 15). − [P. méton. du subst.] Regretter l'absence, la disparition, la perte de qqn. Je regrettais la mort de cette fille comme on regrette la destruction totale d'une belle œuvre (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 11). B. − Qqn regrette qqc., qqn regrette de + inf. 1. a) Éprouver de la contrariété, du mécontentement envers soi-même d'avoir fait ou de n'avoir pas fait dans le passé quelque chose, une action dont le résultat a un aspect négatif. Synon. s'en vouloir de, se repentir de, se mordre* les doigts, les poings, les pouces de (au fig., fam.).Regretter une démarche, une imprudence; regretter amèrement, vivement, sincèrement qqc. Elle lui tendit la main. − Je vous remercie. Je savais bien que je n'aurais pas à regretter la confiance que j'avais mise en vous (A. France,Lys rouge, 1894, p. 348).Oh, j'ai tort de raconter tout ça... Je sens que je le regretterai... Mais je suis si fatigué ce soir... Je ne peux pas me retenir (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p. 715). − Regretter de + inf.Regretter d'avoir manqué une occasion. Je regrette presque de lui avoir dit ce que je pense: lui, au moins, il travaille et il croit (Goncourt,Ch. Demailly, 1860, p. 40). − [À la forme nég., pour exprimer une satisfaction] Ne rien regretter. Rien n'est charmant comme ces courses du matin au printemps, et je ne regrette pas de me lever de bonne heure pour me donner ce plaisir (E. de Guérin,Journal, 1835, p. 66).S'il abandonnait certaines de ses marottes d'écolier, il ne regrettait rien de ses actions et préférait son douloureux apprentissage au confortable reniement d'un Hogg (Maurois,Ariel, 1923, p. 207). b) Subir les conséquences néfastes de. Synon. s'en repentir, le payer cher*, s'en souvenir, payer les pots* cassés (fam.; v. pot1). − Expressions ♦ Vous le regretterez! [En phrase exclam., pour dissuader qqn d'accomplir un acte, le menacer d'une déception, de conséquences fâcheuses; en partic. comme menace de vengeance (synon. vous me le paierez cher*)] Antoine: (...) En attendant, si je me permets de vous donner un conseil, c'est de prendre ce que Mademoiselle Lili vous offre. Carlos: Jamais de la vie! Antoine: Vous avez tort: vous le regretterez! (Bourdet,Sexe faible, 1931, III, p. 419). ♦ Vous ne le regretterez pas(!), Vous n'aurez pas à le regretter, à regretter de + inf. [Pour exhorter qqn à faire qqc., le décider à accomplir une action enrichissante, bénéfique] Synon. vous ne serez pas déçu.Antoine, à Carlos qui remonte. [Après lui avoir passé la bague au doigt] Vous ne le regretterez pas, vous verrez, Monsieur Carlos (Bourdet,Sexe faible, 1931, p. 473). ♦ N'avoir rien à regretter, ne rien regretter. N'avoir rien perdu dans une entreprise, dans un achat; n'avoir rien à se reprocher: 3. Ne t'inquiète point pour mon corps. J'ai la jambe morte et le bras mort et me voici comme un vieil arbre. (...) − Tu ne regrettes rien, géomètre? − Que regretterais-je? J'ai le souvenir d'un bras valide et d'une jambe valide. Mais toute la vie est naissance. Et l'on s'adopte tel que l'on est.
Saint-Exup.,Citad., 1944, p. 782. ♦ Ne pas regretter (son argent, sa peine, son temps). Avoir le sentiment de ne pas avoir perdu. Suis resté au balcon et n'ai pas trop regretté mon temps à regarder jouer Andromaque, car MlleRachel a été fort bonne (Barb. d'Aurev.,Memor. 2, 1839, p. 399).On entre, mais on paie. Du reste, on ne regrette pas son argent. Cette abside, comme celles de Flandre, est un musée, et un musée varié (Hugo,Rhin, 1842, p. 368): 4. ... la fatigue de ces visites [d'appartements] fait que toutes les pièces se brouillent dans ma tête. Je ne regrette pas ma peine, cependant; il est toujours curieux de pénétrer dans des maisons qu'on ne connaît pas...
Green,Journal, 1937, p. 106. c) Désavouer, être mécontent d'une action, d'une conduite passées, moralement répréhensibles, ou que la conscience désapprouve. Synon. se repentir de, avoir des remords de.Regretter une faute, sa faute, son erreur, ses fautes, ses péchés, son geste, des paroles; regretter vivement, sincèrement qqc. Le jeune homme s'était approché, regrettant sa brutalité (Zola,M. Férat, 1868, p. 237).Si je t'ai dit tout à l'heure cette phrase, que je regrette puisqu'elle t'a fait de la peine, c'était par pure taquinerie, sans y attacher aucune importance (Romains,Hommes bonne vol., 1939, p. 136). 2. a) Désapprouver, considérer comme fâcheux, contrariant, un fait qui s'oppose à la réalisation d'une attente, d'un désir, d'un souhait, d'un projet, ou un événement néfaste qui aurait pu ne pas avoir lieu. Synon. être contrarié de, fâché de, mécontent de, déçu de; déplorer.Regretter la perte, la suppression, l'absence, le manque de qqc., une décision. Nous avons bien regretté le contretemps qui nous a privés de toi (Mallarmé,Corresp., 1866, p. 222).Je travaillerai pour que vous n'ayez pas à regretter mon élection [à l'Académie Goncourt] (Renard,Journal, 1907, p. 1141). − Regretter de + inf.Regretter d'être..., de ne pas être..., d'avoir..., de n'avoir pas... Le préfet (...) va poser une première pierre à Corte; je m'imagine que ce doit être une cérémonie bien imposante, et je regrette fort de n'y pas assister (Mérimée,Colomba, 1840, p. 108). − Regretter que + subj. (quand le suj. du verbe est différent).Regretter que qqn soit parti, absent. M. Méline encore a fort bien parlé de la loi. Je regrette seulement pour lui qu'il dépense tant d'efforts pour en maintenir la violation quand c'est un juif qui est en cause (Clemenceau,Iniquité, 1899, p. 220). ♦ Loc. Il est à regretter que. Synon. il est regrettable, fâcheux que, c'est dommage que.Brichot aurait pu constituer aisément la matière d'un fort volume. Il est à regretter qu'il n'en ait pas publié, car ces articles si nourris sont maintenant difficiles à retrouver (Proust,Temps retr., 1922, p. 792). b) En partic. Éprouver de la contrariété, de la peine à l'idée d'une action imaginaire, irréalisable, inexistante ou non réalisée dans le passé. L'homme qui s'exprime avec tristesse sur son isolement et semble regretter un bonheur rêvé et irréalisable, inspirera toujours une vive sympathie à une femme (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 1, 1859, p. 605).En proie aux affres de l'épuisement nerveux, cette pénible rançon des bienfaits du monde moderne, nous nous prenons à regretter les âges lointains de l'énergie sauvage ou de la foi profonde (Bourget,Essais psychol., 1883, p. 114). − Regretter de + inf. passé à la forme nég.Il semble que son traitement donne des résultats et j'ai constaté une amélioration relativement grande. Que j'ai de fois regretté de n'être pas médecin moi-même et de ne pouvoir l'être! (Valéry,Corresp.[avec Gide], 1901, p. 388). II. − Éprouver du déplaisir et exprimer des excuses, dans des formules de politesse. A. − 1. Exprimer à quelqu'un son déplaisir, formuler des excuses pour une action, une situation dont on endosse la responsabilité, ou pour annoncer un refus à une offre. Synon. s'excuser, demander pardon, présenter ses excuses (v. excuse), prier qqn de l'excuser*, être désolé de, fâché de, navré de, au désespoir de (littér.), au regret de.Je regrette de vous avoir fait attendre; je regrette de vous avoir manqué; je regrette de ne pas pouvoir vous recevoir, vous aider. Au milieu, une table éclairée par une lampe de roulis. C'était petit, mais propre. « Je regrette de n'avoir pas mieux à vous offrir » (Verne,Tour monde, 1873, p. 112).Je regrette de vous déranger de si bonne heure, Francine, dit-elle, et un jeudi encore! Il y a tant d'ouvrage! Nous aurons la lessive demain (Bernanos,Joie, 1929, p. 539). − [Dans une formule excusant une prétérition présentée comme obligée] Ceux qui me liront avec soin, tout en regrettant peut-être que les choses ne soient pas plus simples (Lebesgue,Intégr. et rech. fonctions primit., 1904, p. vi). 2. Formuler des excuses, exprimer du remords, du repentir pour un acte moralement répréhensible. Synon. être désolé, navré, peiné de, demander pardon pour.Regretter d'avoir été trop vif, de s'être emporté. Madame Fernande, je regrette de vous avoir injuriée, pardonnez-moi, j'ai mes nerfs (Bernanos,Joie, 1929, p. 619). B. − Souvent en empl. abs. 1. a) [Pour contredire qqn, le contester, s'opposer] Le Président: Toi, cesse de regarder cet oiseau, tu m'agaces! Agathe: Je regrette. C'est la seule chose au monde qui m'intéresse (Giraudoux,Électre, 1937, ii, 7, p. 184). b) [Pour introduire des raisons servant d'excuses] Synon. pardon, nos regrets, mille regrets, mille excuses.C'est ainsi? C'est une plaisanterie? Excusez-moi, je regrette, mais je vais dans cinq minutes au recrutement (Montherl.,Exil, 1929, i, 4, p. 41).Je regrette de vous irriter, mais je ne peux pas partir cette nuit (Bosco,Mas Théot., 1945, p. 255). 2. [Pour exprimer un refus, pour s'excuser de ne pouvoir répondre à une offre, à une demande] « Nous dînons ensemble, je suppose? » Le ton n'admettait guère de réplique, mais il y eut une espèce de retrait du jeune homme qui répondit, les yeux lointains: « Je regrette, je suis pris » (Aragon,Beaux quart., 1936, p. 200). − [Renforçant une nég.] Hélène: L'affaire du mont Ida... (...). Vous n'avez pas de nouveaux détails? Calchas: Non... je regrette... (Meilhac, Halévy,Belle Hélène, 1865, i, 5, p. 175). Prononc. et Orth.: [ʀ
əgʀete], [-gʀ
ε-], (il) regrette [-gʀ
εt]. Ac. 1694: regreter; dep. 1718: -gretter. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1050 « se livrer à des lamentations au sujet d'(un mort, etc.) » (Alexis, éd. Chr. Storey, 130: La bone medre s'em prist a dementer E sun ker filz suvent a regreter); b) α) ca 1200 « ressentir de façon plus ou moins pénible la perte ou l'absence de quelque chose ou de quelqu'un » (Bueve de Hantone, I, 725 ds T.-L.);
β) 1694 regreter son argent (Ac.); 2. a) 1534 regretter que « être mécontent de ce que » (Rabelais, Gargantua, éd. R. Calder et M. A. Screech, chap. 48, p. 276); b) 1563 estre à regretter « être regrettable » (B. Palissy, Recepte veritable ds
Œuvres, éd. A. France, p. 27); 3. a) 1668 regretter qqc. « donner quelque chose à regret » (La Fontaine, Fables, VI, 6 ds
Œuvres, éd. H. Régnier, t. 2, p. 20); b) α) 1718 « être mécontent d'(avoir fait ou de n'avoir pas fait) » (Ac.: je regrette de ne luy avoir pas donné ce conseil);
β) 1918 vous ne le regretterez pas (Proust, J. filles en fleurs, p. 577); 1920 tu le regretteras (Id., Guermantes 1, p. 180); 4. 1864 « se montrer fâché auprès de quelqu'un (d'une action, d'une situation dont on est responsable) » (Goncourt, R. Mauperin, p. 254). Étymol. discutée, v. FEW t. 16, p. 53b-54a et P. Skårup ds St. neophilol. t. 37, 1965, pp. 45-50 et t. 41, 1969, p. 25-30. On a voulu y voir une orig. lat. (la dernière hyp. étant celle de H. Meier ds Arch. St. n. Spr. t. 117, 1965-66, p. 266-269, qui propose un lat. *requĭrĭtāre, dér. à itératif double de quĕrι
̄
« se plaindre »), mais les étymons lat. présentant de graves difficultés, il vaut mieux accepter un étymon germ. pourvu du préf. re- prob. tiré p. anal. d'autres nombreux verbes de la vie affective et intellectuelle (repentir, remembrer, recorder, etc.). Wartburg propose l'a. scand. grāta « pleurer » (apparenté aux got. gretan « id. » et m. h. all. grāzen « id. ») dont le résultat regreter au lieu de regrater (forme rarement att., en a. fr.: ca 1180 « se livrer à des lamentations » Guillaume de Berneville, Gilles, 3562 ds T.-L.) fait difficulté; Wartburg l'explique comme acheter* en face de achater. Pour aboutir à regreter, Skårup propose de partir d'un a. b. frq. *greotan « pleurer » (d'apr. l'ags. gréotan « pleurer » et l'a. sax. griotan/greotan « id. »). Fréq. abs. littér.: 4 879. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6 741, b) 7 803; xxes.: a) 6 749, b) 6 754. DÉR. Regretteur, -euse, subst.,rare. Personne qui regrette quelque chose (supra I A 1). Regretteurs du temps passé. Bien qu'étant, avec la généralité des gens ordinaires, louangeur des temps passés et regretteur des premières années de ma vie, je n'ai pu m'empêcher, altesse, d'aujourd'hui envier en quelque sorte mon bonheur actuel (Verlaine,
Œuvres posth., t. 3, Prose, 1896, p. 109).− [ʀ
əgʀ
εtœ:ʀ], fém. [-ø:z]. − 1reattest. 1866 (Champfleury ds Figaro, 16 févr. d'apr. Littré); de regretter, suff. -eur2*. BBG. − Bréal (M.). Regret et regretter. B. Soc. Ling. 1903-1905, t. 13, pp. 147-148. − Klein (H.-W.). Regretter et déplorer. Classe de fr. 1954, t. 5, pp. 220-221. − Lyne (A. A.). A Lexicometric approach to the description of a language variety. Thèse, Sheffield, 1981, pp. 341-342. |