| REGARDER, verbe trans. A. − Chercher à percevoir, à connaître par le sens de la vue. 1. Empl. trans. dir. a) Diriger, fixer les yeux sur quelque chose, sur quelqu'un, sur un spectacle. Synon. considérer, contempler, examiner, fixer, inspecter, observer, scruter, dévisager; (fam., pop. ou arg.) bigler, frimer, gaffer, lorgner, loucher, mater, mirer, reluquer, viser, zyeuter.Regarder des images, des photographies, un tableau, le paysage; regarder (un film, une émission à) la télévision. Elle regardait la ville, les quais et la foule à mouchoirs, parce qu'il faut bien regarder quelque chose quand on a les yeux ouverts (Duhamel, Suzanne, 1941, p. 302): 1. Sur les grands boulevards de Paris, Alban fermait les yeux, oui, fermait les yeux pour ne pas voir la canaille. Ici on les ouvrait grands, tant l'acte de regarder les passants était agréable.
Montherl., Bestiaires, 1926, p. 399. ♦ Expr. fam., pop. Un chien regarde bien un évêque (v. chien1). Regarder son nombril*. Regarder la feuille* à l'envers. Regarder le diable sur le poirier, regarder en Champagne si la Picardie brûle, avoir un œil qui regarde la Bastille et l'autre la Madeleine. Loucher. (Ds Bruant 1901, France 1907).
α) Regarder qqc./qqn + compl. prép. ou adv. − [Le compl. prép. ou l'adv. indique la manière de regarder] ♦ [Il évoque la qualité de l'attention] Regarder avec attention, avec insistance, attentivement, distraitement, fixement, intensément, d'un œil distrait. Le fermier vient prendre, au pré, des nouvelles de ses bœufs. Il les regarde longuement pour que, moi qui passe sur la route, je me dise: « En voilà un qui s'y connaît! » (Renard, Journal, 1901, p. 679).Regarder de tous ses yeux et aussi de tout son corps, de toute son âme. Il avait regardé ce profil si pur, de tous ses yeux, jusqu'à ce qu'ils fussent près de s'emplir de larmes (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 102).Une maraîchère de vingt ans (...) le regardait de tout son corps! (La Varende, Nez-de-cuir, 1936, p. 42).Regarder de près. En se plaçant tout près; avec une grande attention. Il ne songe qu'à coucher avec des femmes et il ne regarde pas son gibier de trop près (Duhamel, Confess. min., 1920, p. 162).Regarder à deux fois. Attentivement, longuement. Mademoiselle est parisienne, sans doute?... − En effet, Madame Gouin, j'arrive de Paris... − Ça se voit... Ça se voit, tout de suite... Il n'y a pas besoin de vous regarder à deux fois... (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 63). ♦ [Il évoque une manière d'être, un état d'esprit] Regarder avec dégoût, envie, douceur, haine, inquiétude, pitié, stupeur; regarder durement, méchamment, tendrement; regarder d'un air entendu, anxieux, malheureux, narquois, sournois. Monsieur de Trailles me regarda d'un air poliment insultant et se disposait à s'en aller (Balzac, Gobseck, 1830, p. 408).Alexis ne savait pas ce que c'était que le maquis. L'autre posa sa fourchette et regarda Alexis avec méfiance: ne pas savoir ce que c'est que le maquis!... D'où sort-il? (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 253).[Le compl. prép. comporte le mot
œil/yeux ou regard suivi d'un adj.] Regarder d'un œil étonné, indigné, mauvais, sévère; regarder avec des yeux féroces, hagards, méfiants, stupides, tristes. Nous rencontrons des scheiks richement montés et équipés (...) ils nous regardent de mauvais œil, et passent sans nous saluer (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 197).Le maître l'a regardé avec un regard pas habité, un regard gris, un regard plein de brume (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 181).Regarder avec de grands yeux, des yeux ronds. [Signe d'étonnement, de stupéfaction] « Hé! Adieu Barbassou », fit Tartarin en arrêtant sa mule. Au lieu de lui répondre, Barbassou le regarda un moment avec de grands yeux; puis le voilà parti à rire (...) « Qué turban, mon pauvre Monsieur Tartarin!... » (A. Daudet, Tartarin de T., 1872, p. 97).Je ne t'aime ni pour ta beauté (...) ni pour ta générosité (...) Qu'est-ce que j'aime donc en toi? Ne me regarde pas avec ces yeux ronds! (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 109).[Le suj. désigne les yeux] Avoir telle expression. Je te gêne donc? demande, penché encore vers elle, ce mari aux cheveux blancs dont les yeux regardent si jeune (Colette, Cl. s'en va, 1903, p. 36).Regarder en + subst.Regarder qqc. en amateur, en connaisseur. − Eh bien! j'ai eu une idée merveilleuse. Franz regarda Albert en homme qui n'avait pas grande confiance dans son imagination. − Mon cher, dit Albert, vous m'honorez là d'un regard qui mériterait bien que je vous demandasse réparation (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 483).[L'attribut se rapporte au compl. d'obj.] Je sais lire sur les visages, et vous m'avez regardé ce matin en homme qu'on voudrait voir pendu (About, Roi mont., 1857, p. 122). ♦ [Il évoque la direction du regard, une attitude physique qui prend le plus souvent une signification morale] Regarder en face, (droit) dans les yeux, dans le blanc des yeux, jusqu'au fond des yeux. [Pour montrer sa sincérité, pour juger de celle d'autrui] Il m'a regardé jusqu'au fond des yeux, jusqu'au fond de mon cœur, et il m'a dit: − Vous allez tout savoir, Sainclair (G. Leroux, Parfum, 1908, p. 14).Elle se tient devant lui et le regarde dans les yeux. Cela le gêne: il voudrait détourner la tête, mais il soutient le regard de Sandrine, et tâche de faire ses yeux limpides jusqu'au fond (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 230).Regarder de biais, de côté, obliquement, du coin de l'œil, à la dérobée. [Pour ne pas être remarqué, par dissimulation] Jeanne ne s'ennuyait point (...) toujours préoccupée de Paul que Julien regardait de côté, d'un œil inquiet et mécontent (Maupass., Une Vie, 1883, p. 150).− Viens te coucher, dit Scali de nouveau. Leclerc le regarda obliquement, les paupières plissées (...). − Tu penses que je suis noir, hein? Il le regardait toujours, et toujours en coin (Malraux, Espoir, 1937, p. 672).Regarder en dessous. Regarder sournoisement. Hamlet, avec son air de regarder toujours en dessous (Laforgue, Mor. légend., 1887, p. 36).Regarder de travers. Regarder avec hostilité, d'un air mécontent. Ce Paris à peu près sans étrangers, et où les étrangers sont regardés de travers comme en 1919 et 1920 (Larbaud, Journal, 1935, p. 352).Regarder de haut (en bas). Regarder d'une certaine hauteur; avec condescendance, avec mépris. Il était debout à côté du lit. Il la regardait de haut en bas (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 217).Elle eut une domestique (...), des vaches, des brebis, deux juments, des bijoux lourds et peu titrés, et le droit de regarder de haut ses anciennes compagnes les lingères, coureuses de journée (R. Bazin, Blé, 1907, p. 89).Regarder qqn sous le nez. Regarder en s'approchant de près, avec souvent une nuance de défi, de menace. M. Fosse remarqua: − Quand c'est le capitaine... Gaspard le regarda sous le nez. − Tu vas tout d'même pas comparer, lui, l'est poli; il sait vous dire les choses (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 26). − [Le compl. prép. indique le moyen de l'action] [Il désigne l'œil, les yeux dans certains cas particuliers, ou donne une information sur la pers.] Il regardait le président avec son seul œil, qui était le droit; on ne savait jamais très bien s'il vous regardait ou non (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 26).Le relieur la regardait de ses yeux enfoncés et vifs. Peut-être eut-il le sentiment de la gêne qui gagnait la jeune femme. Il détourna les yeux (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 73).[Il désigne un instrument] Regarder avec des jumelles, au télescope. On me faisait regarder dans un stéréoscope des vues photographiques (Goncourt, Journal, 1887, p. 732).Penché sur la carte d'état-major qu'il regardait au travers de sa grosse loupe, il faisait déjà son plan de campagne (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p. 129). − [Le compl. prép. indique l'endroit d'où l'on regarde, où l'on regarde] Regarder par la fenêtre. Des voyageurs, qui avaient regardé Paris du haut d'une tour, supputaient (...) le rayon de cet horizon totalement humain (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 190).Dans un train de nuit, je regarde au plafond la veilleuse violette (Sartre, Mots, 1964, p. 100). − [Il indique ce que l'on regarde dans une pers.] Regarder qqn aux lèvres, aux yeux. Comment! dit vivement le roi, vous regardez un prince au visage en lui parlant! − Sire, répliqua l'Isle-Adam, c'est la coutume en France que, quand un homme parle à un autre (...) il passe pour mauvais homme et peu honorable, s'il n'ose pas le regarder en face (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 318).Il prononça quelques phrases bucoliques sur la simplicité des mœurs campagnardes, tout en regardant MmeHaudouin au corsage (Aymé, Jument, 1933, p. 12).[Sans compl. d'obj.] Le génie, dans le cours de son inspection, ne parut pas s'inquiéter du visage, mais il regarda beaucoup aux mains (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 264).[Le compl. d'obj. désigne une partie de la pers. ou une caractéristique, le compl. second. (pronom) désigne la pers.] Elle ôta sa camisole pour montrer son dos et ses bras noirs de coups. Il lui regarda la peau (Zola, Nana, 1880, p. 1308).On n'a qu'à lui regarder l'épaisseur des mains. Il est encore une jeunesse. Ça se voit (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 138).
β) Regarder + complét. à l'inf. − [L'inf. est celui d'un verbe intrans. dont le suj. est exprimé] Regarder tomber la pluie; regarder travailler qqn. Elle regardait la pluie ruisseler contre les vitres, et les nuages courir au ciel (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 79).Loc. fig. Regarder voler les mouches. V. mouche I C 2. ♦ P. ell. Depuis six jours qu'il regardait jouer, il n'était pas encore parvenu à comprendre le jeu (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 24). − [L'inf. est celui d'un verbe trans. dont le compl. d'obj. est exprimé] Un pavillon qui ressemble à une mosquée et à une bonbonnière, c'est cela que j'allais regarder bâtir (Vigny, Serv. et grand. milit., 1835, p. 88).
γ) Empl. abs. Je n'aime plus décrire ce que je vois; ça me le gâte. J'aime mieux regarder seulement, sachant bien que rien n'est perdu et que toute vision se retrouve au moment qu'on a besoin d'elle (Gide, Journal, 1893, p. 37).
δ) Empl. pronom. − réfl. Tout à l'heure, me regardant dans la glace, je me suis trouvé le visage vraiment fatigué (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 22).Au fig. Pouvoir se regarder (dans la glace). [Lorsqu'on a la conscience pure] ; ne plus oser se regarder. [Lorsqu'on a honte de soi] Jeter deux cent mille francs dans un bénitier, les prêter à une dévote abandonnée de son mari (...) c'est une stupidité (...). Tu n'oserais plus, deux jours après, te regarder dans ton miroir! (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 298).Pop., fam. Il ne s'est pas regardé, tu ne t'es pas/vous ne vous êtes pas regardé. [Pour signifier qu'une pers. a trop bonne opinion d'elle-même, qu'elle a les défauts, les torts qu'elle reproche à d'autres] Je sentis une main peser sur mon épaule, je tournai la tête: la Russe me regardait, les yeux luisants, son visage approchait... Ah! non! Je me dégageai d'un brusque coup de coude, furieux de cet hommage révoltant. Elle ne s'était pas regardée! (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 232).V. idiot ex. 2. ♦ réfl. indir. Se regarder le nombril (v. nombril A loc. fam., fig.). Je me mis à répéter ce mot de débauche, sourdement, en me regardant les yeux, et tout à coup, je me vis sourire (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 64). − réciproque. Sans se regarder aux yeux, ils s'observaient à la dérobée, irrités et anxieux (Aymé, Jument, 1933, p. 180).L'expérience nous montre qu'aimer ce n'est point nous regarder l'un l'autre, mais regarder ensemble dans la même direction (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 252). − passif. Pourquoi écrire encore sur l'art? (...) N'a-t-on pas déjà trop commenté, trop expliqué ce qui devrait simplement se regarder, ce qui est créé pour être regardé (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 5). b) En partic.
α) Regarder qqc. − [Le compl. d'obj. désigne un objet, un instrument donnant certaines indications] Consulter. Regarder sa montre, la pendule, le thermomètre, le baromètre. Quelle heure est-il? Hugo, regardant son bracelet-montre. Minuit moins vingt (Sartre, Mains sales, 1948, 7etabl., p. 246). ♦ P. méton. Chercher à connaître, à se rendre compte de quelque chose d'après certaines indications, certains indices. Regarder l'heure (à sa montre), la température. Regardez la vitesse. Levant sa lampe, il éclaira un madrier des guides, qui filait ainsi qu'un rail sous un train lancé à toute vapeur (Zola, Germinal, 1885, p. 1159).On se levait tôt, on regardait le temps qu'il faisait (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 258). − Examiner avec soin. Le lendemain (...) MmeBlidot demanda au général s'il avait regardé ses effets et s'il avait tout retrouvé (Ségur, Auberge ange gard., 1863, p. 269).En partic. Fouiller. Tu penses comme on va te laisser entrer ici sans regarder tes poches. Tu pourrais balader des grenades ou n'importe quelle pétoire (Sartre, Mains sales, 3etabl., 1948, 2, p. 87). − Lire, prendre connaissance d'une manière plus ou moins approfondie (du contenu d'un texte, d'un document...). Synon. consulter.Regarder le journal, la page des spectacles, les faits divers, les petites annonces; regarder un annuaire; regarder la comptabilité. Albert (...) déchira l'enveloppe de deux ou trois journaux, regarda les spectacles, fit la grimace en reconnaissant que l'on jouait un opéra et non un ballet (Dumas père, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 567).Scali regarda le rapport: le pilote était sorti le premier, l'observateur − son interlocuteur − encore empêtré dans les débris de l'avion (Malraux, Espoir, 1937, p. 551). ♦ En partic. Lire attentivement (un texte) pour (l')analyser. Il serait intéressant de regarder les derniers chapitres du manuel de Lanson, à mesure que les contemporains de 1900 devenaient historiques (Larbaud, Journal, 1934, p. 338). − Prêter attention à quelque chose, s'intéresser, s'inquiéter. Il paraîtrait que ma copie porte la note suivante: « Style un peu étrange et nerveux », note 17 (sur 20). Ceci m'engage à regarder un peu l'oral (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1895, p. 241).Insensiblement, elle tomba dans un abattement profond. Elle ne regardait plus ses casseroles; elle oubliait de boire et de manger (A. France, Vie fleur, 1922, p. 313).
β) Regarder qqn − Prêter attention à quelqu'un, lui témoigner de l'intérêt. Elle se consumait, elle se mourait lentement, et par cela seul qu'elle se croyait moins regardée et favorisée, moins aimée (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 14, 1860, p. 414).C'était l'heure animée de la ville, l'heure élégante de la rue des Dominicains. Geneviève, très blonde, plus grande que moi, avec un teint éblouissant et des yeux superbes, était très regardée (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 336).Se faire regarder. Attirer l'attention, l'intérêt. Synon. se faire remarquer.Elle n'avait pas d'amant à cette époque. Il ne serait pas difficile de le devenir. Le tout était de montrer assez d'or pour se faire regarder (Dumas fils, Dame Cam., 1848, p. 251).Ne plus regarder personne. Ignorer les autres, rompre toutes relations. Jeanne? Je crois bien que je la connais, si même elle ne me connaît plus. (...) Depuis qu'elle est femme de chambre chez le docteur, elle ne regarde plus personne (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 99).[Le compl. d'obj. désigne une pers. du sexe opposé] Apprends ceci, Aïescha: je n'ai jamais regardé une femme au-dessus de dix-huit ans (Lenormand, Simoun, 1921, 10etabl., p. 109).Elle s'était mise à regarder les hommes, elle avait comme le feu à leur idée. Elle eut des rendez-vous avec dix jeunes gens de la ville (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 301).
γ) Regarder + prop. sub.Constater, se rendre compte. ♦ Regarder + interr. indir.Les pierres roulaient de nouveau. Il regarde si ce ne serait pas quelque chamois, quelque bête sauvage (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 101).Je sors le premier. Bon. J'en profite pour regarder comment se présente tout ce coin-ci (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 252). ♦ Rare. Regarder que.Veux-tu (...) lâcher ce cheval, tu vas te faire tuer!... − Qu'est-ce que tu regardais donc?... demanda M. de Damas. − Je regardais qu'il a un éparvin, monsieur (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 32).
δ) À l'impér. [Pour attirer l'attention, provoquer une réaction, un sentiment] ♦ Regarder + subst. ou pronom.Elle s'interrompit, pour montrer Gervaise, que la pente du trottoir faisait fortement boiter. − Regardez-la! S'il est permis!... Oh! la Banban! (Zola, Assommoir, 1877, p. 442).Pourquoi es-tu toujours mal habillé! J'étais honteux tout à l'heure devant eux. Regarde la robe que tu as! (Claudel, Échange, 1954, ii, p. 757).V. supra
α ex. de Zola.Regarde/regardez ça. Regardez ça, mon lieutenant, regardez ça! C'est ça qu'ils appellent des tranchées... (...) Mais regardez-moi cet abri, mon lieutenant! Jerphanion regardait, fort démoralisé lui-même (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 149). ♦ Regarder + interr. indir.Me tendant le livre très bien relié, il me dit: « Regardez quel est mon bréviaire... Et certes, je ne croyais pas vous rencontrer! » Le petit livre est une Madame Gervaisais de la petite édition Charpentier (Goncourt, Journal, 1887, p. 663).On enfonçait notre abatis dans la botte et on retirait de l'os, des bouts de chaussettes et des morceaux de pied. Mais regarde si elles en valaient l'coup! (Barbusse, Feu, 1916, p. 20). ♦ Absol. Un gilet blanc, monsieur, une cravate blanche brodée, votre beau pantalon noisette. Tenez, regardez vous-même. (...) toutes ces couleurs sont faites l'une pour l'autre (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 169). − Familier ♦ [Avec pron. explétif moi] Regardez-moi ça. Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d'orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives (...). C'est là un homme à craindre? (Musset, Lorenzaccio, 1834, i, 4, p. 106).V. supra ex. de Romains. ♦ Regarde/regardez voir. C'est encore à ce besoin de renforcement que répondent les expressions: monter en haut, dépêchez-vous vite, et les locutions plus populaires, regardez voir, voyez voir (Gourmont, Esthét. lang. fr., 1899, p. 160). Rem. Selon certains grammairiens, voir correspondrait à l'adv. voire: vraiment; pour d'autres voir est un inf. de but. c) [Regarder en oppos. explicite ou implicite avec voir; avec compl. ou en empl. abs.] − [Voir en tant que perception claire du monde extérieur est l'aboutissement de l'action de regarder] Pour la première fois je venais de la regarder comme on regarde quand on veut voir. Madeleine était charmante (Fromentin, Dominique, 1863, p. 83).Quand on me fait voir dans un paysage un détail que je n'ai pas su distinguer tout seul, il y a là quelqu'un qui a déjà vu, qui sait déjà où il faut se mettre et où il faut regarder pour voir (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 358). ♦ [L'action n'aboutit pas à une perception exacte de la réalité] Un homme médiocre (...) regarde sans voir (Rodin, Art, 1911, p. 35).Au fig. Ses pensées [de Locke] ne le mènent pas loin. Il aura beaucoup regardé, si l'on veut, mais peu vu. Toujours il s'arrête au premier aperçu (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 480). − [Regarder en tant qu'acte conscient et volontaire s'oppose à voir considéré comme acte passif, permettant simplement de noter la présence de qqc.] Quand elle est partie, nous ne saurions dire comment elle était habillée et (...) nous nous apercevons que nous ne l'avons même pas regardée? Comme la vue est un sens trompeur! (Proust, Sodome, 1922, p. 1127): 2. Pascal (...) réduisait [la peinture] à la vanité de poursuivre laborieusement la ressemblance de choses dont la vue d'elles-mêmes est sans intérêt, ce qui prouve qu'il ne savait pas regarder, c'est-à-dire oublier les noms des choses que l'on voit.
Valéry, Degas, 1936, p. 178. − [Regarder indique seulement qu'on dirige les yeux dans une certaine direction, vers un objet sans que celui-ci suscite l'intérêt ou soit même perçu] ♦ [Lorsque, par gêne, par timidité, on veut éviter le regard de son interlocuteur] Regarder ses pieds, ses sabots; regarder par terre. Thomas jeta les hauts cris − tuer une femme, une mère, une îlienne, quel homme assez dénaturé formerait un pareil dessein? Renfrogné, le fils Le Berre baissait la tête, et regardait le plancher entre ses pieds. Il ne disait plus rien (Queffélec, Recteur, 1944, p. 185). ♦ [Dans un mouvement inconscient] J'aperçus monsieur... Il n'avait pas changé de place... Tête basse, jambes molles, il regardait toujours le fumier, en se grattant la nuque (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 109).Regarder du vide/dans le vide. Penser du vague et regarder du vide! (Rodenbach, Règne sil., 1891, p. 188).Elle chercha le regard de Lisabel, mais Lisabel Provençal, les yeux ronds comme deux globes frottés clair, regardait dans le vide. Elle se balançait, sans penser à rien (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 207).Regarder (qqc., qqn) sans (la, le) voir. Je me remis machinalement à la fenêtre, fort désappointé, et regardant sans voir, comme lorsqu'on a une idée qui vous rend absent de vous-même (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 143).Elle regardait Noémie, sans la voir. Devant ses yeux, des visions passaient (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 608). d) P. métaph. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 188). − [Le suj. désigne une lumière, un objet lumineux] La lumière assez triste, venant du Nord, semblait retenue derrière les vitres et regardait l'intérieur de cette bibliothèque sans presque l'éclairer (Vilmorin, Julietta, 1951, p. 62).Le coup partit. Elle trébucha et s'abattit sur le dos (...). Au milieu du plafond, une ampoule électrique la regardait (Green, Malfaiteur, 1955, p. 260). 2. Regarder + compl. prép. ou loc. adv. a) Diriger son regard vers quelque chose, dans une certaine direction pour découvrir, constater quelque chose. − Regarder + compl. prép. ♦ [désignant un lieu, un objet] Regarder à.Regarder à l'horizon. Le général anglais Colville regarda à sa montre et constata qu'il était onze heures trente-cinq minutes (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 380).Regarder dans, sous, sur, vers, du côté de.Adèle est rentrée, j'ai entendu un pas d'homme avec le sien. Alors, j'ai voulu savoir, j'ai regardé dans l'escalier (Zola, Assommoir, 1877, p. 394).Rieux regarda machinalement vers les recoins et demanda à Grand si les rats avaient totalement disparu (Camus, Peste, 1947, p. 1231).P. métaph. Tout dort dans les maisons où regarde la lune (Samain, Chariot, 1900, p. 94). ♦ [désignant une ouverture, un obstacle] Regarder à/par la fenêtre, au travers de la vitre, par une fente de mur, par dessus le mur. Peut-être Françoise avait-elle choisi cet instant pour nous confondre, étant à écouter à la porte ou même à regarder par le trou de la serrure (Proust, Guermantes 2, 1921, p. 358). − Regarder + (loc.) adv. ♦ [indiquant, évoquant un lieu] Regarder au loin. Raboliot regardait à terre, partout où fauchait la lumière. C'était encore « sale » à leurs pieds, des bruyères chétives et mouillées. Mais, bientôt, le terrain s'affermit (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 251). ♦ [indiquant la direction du regard] Boris (...) regarda de droite et de gauche, et ne vit pas Ghéridanisol qui, caché derrière la porte, l'observait (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1237).À genoux sur le prie-Dieu, je me change en statue (...) je regarde droit devant moi, sans ciller, jusqu'à ce que les larmes roulent sur mes joues (Sartre, Mots, 1964, p. 18). − Regarder + prop. sub. locative.J'allais éperdument, les bras collés au corps, sans sentir les pierres qui roulaient sur mes talons, et sans regarder où je posais mes pieds (About, Roi mont., 1857, p. 205). b) En partic.
α) Porter son regard, chercher, fouiller à tel endroit pour trouver un objet ou une personne. Où est-elle d'abord, la carte de ce monsieur? (Silence). Cherche dans ce meuble, Judith (...). Et toi aussi, Blanche, fais quelque chose, regarde sur la cheminée (Becque, Corbeaux, 1882, iii, 3, p. 165). − (...) Êtes-vous bien sûr d'avoir regardé partout? Il sera dans quelque coin, à rêver. − Je l'ai cherché partout et je l'ai appelé (G. Leroux, Parfum, 1908, p. 9).
β) Y regarder (+ adv. ou loc. adv.).Examiner (attentivement ou non). Y regarder à deux fois; ne pas y regarder de près. Les rochers, en apparence groupés au hasard, avaient pourtant, en y regardant bien, une espèce de symétrie (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 161).Qu'est-ce qu'une montre à côté [des choses de l'esprit], ou un tourne-broche? Il suffit d'y regarder une bonne fois pour voir ce que c'est (Alain, Propos, 1921, p. 257). B. − Au fig. Considérer. 1. a) Empl. trans. dir.
α) Regarder qqc.Examiner quelque chose pour découvrir certaines caractéristiques, pour porter un jugement; porter son attention sur quelque chose. Je pensais à ma vie, je regardais ma vie. Non, on ne remonte pas un tel courant de boue (Mauriac, Nœud vip., 1932, p. 276): 3. Quand je regarde ce que l'on fait de la poésie, ce que l'on demande, ce que l'on répond à son sujet, l'idée que l'on en donne dans les études, (et un peu partout), mon esprit (...) s'étonne « à la limite de l'étonnement ».
Valéry, Variété III, 1936, p. 44. − Regarder qqc. + compl. prép. ou (loc.) adv. indiquant ♦ [un point de vue] Regarder par le petit bout, le gros bout de la lorgnette; regarder d'un point de vue social. Je ne peux plus penser ce que j'ai pensé de vous sans le regarder à travers une pensée de quelqu'un d'autre (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 254): 4. Lorsque nous nous retournons vers l'histoire (...) et la regardons de cette perspective des sommets que permet un regard un peu distant, les rencontres que nous avons faites nous apparaissent au moins aussi importantes que les milieux que nous avons traversés.
Mounier, Traité caract., 1946, p. 113. ♦ [la qualité de l'attention] Regarder de près, de loin, à la loupe, au microscope. En regardant les choses de plus près, nous voyons comment ces ouvriers si différents collaborent à une œuvre commune (H. Poincaré, Valeur sc., 1905, p. 6). ♦ [un sentiment, une attitude mor.] Regarder qqc. froidement, avec fermeté, de sang-froid. Un cœur plein de soleil qui te permet de regarder la mort sans faiblir (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 218).Ne croyons pas que le monde fut immédiatement convaincu des mérites du télégraphe Morse (...) l'on ne regardait pas d'un très bon œil cette irruption insolite d'un peintre dans les arcanes réservés aux savants (P. Rousseau, Hist. techn. et invent., 1967, p. 278).Regarder en face. V. face III C 2 c.Regarder les choses, le danger, le malheur, la mort, une vérité en face. Regarder en pitié (vieilli). Il n'y a que des esprits superficiels ou des cœurs faibles, qui, le christianisme étant admis, puissent prendre intérêt à la vie, à la science, à la poésie, aux choses de ce monde. Les mystiques regardent en pitié cette faiblesse, et ils ont raison (Renan, Avenir sc., 1890, p. 473). − Absol. Tous, je les vois sots surabondamment en des questions de bon sens, parce qu'ils ne veulent point regarder avant de prononcer (Alain, Propos, 1921, p. 204).[Avec compl. prép.] Sorellina a commencé par mes livres, puis elle a voulu regarder par mes yeux, aimer les mêmes auteurs et les mêmes choses que moi (Amiel, Journal, 1866, p. 310). ♦ Loc. adv. À bien regarder. Ferdinand poursuivait néanmoins son examen, calculant que cette consultation gratuite, mais qui valait cent sous tout de même (au fond, à bien regarder) payait presque à elle seule le repas que sa famille allait prendre chez son frère (Aymé, Jument, 1933, p. 134). − Empl. pronom. passif. Je me rappelle aussi la mort visiblement écrite sur ce visage contracté dont, par pudeur, il fallait détourner les regards... car même la mort des autres ne se regarde pas en face (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 109).
β) Regarder qqn (+ compl. prép. ou adv.).Considérer quelqu'un de telle façon. Regarder qqn en pitié. Au moment où je me croyais tout à fait méprisé et regardé par-dessus l'épaule, voilà une jolie lettre de ma seconde femme, qui m'assure qu'il n'en est rien (J. de Maistre, Corresp., 1806, p. 212).Il y avait beaucoup de monde à l'enterrement. Ragotte a dit: − Nous avons beau être pauvres, nous ne sommes pas mal regardés! (Renard,Nos frères farouches, 1910, p. 59). ♦ Expr. fam. Tu ne m'a pas regardé/vous ne m'avez pas regardé. [Pour signifier à qqn que ses actes, ses propos, ses demandes sont déplacés, offensants, qu'il a mal jugé] Toi, l'argent, allez donc, par la fenêtre! Hier soir dix francs, ce soir plus le sou. Non, mais tu ne m'as pas regardé. Pour qui tu me prends? Pour un micheton? (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 371). ♦ À l'impér. [Pour inviter à se rendre compte d'une particularité] Regarde, Joseph Quesnel... Quelle bizarre aventure, n'est-ce pas? Cet amour qui le prend, maintenant, quand sa vie est finie (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 287).La voix des dirigeants couvre celle des dirigés... Regarde, en France! Crois-tu qu'il y ait un combattant français sur vingt qui tienne à l'Alsace-Lorraine au point de consentir à prolonger la guerre d'un mois, pour la ravoir? (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 765). − Empl. pronom. réfl. S'examiner (de telle façon), s'analyser, se juger. Dans son Journal il [Benjamin Constant] se montre assez dur quand il se regarde, il manque assez de charité envers lui-même pour que nous le croyions lorsqu'il nous découvre les côtés nobles de sa nature (Mauriac, Mém. intér., 1959, p. 93). ♦ Se regarder + inf.Se regarder penser. Voici que ces quelques jours m'avaient assez troublée pour que je sois amenée à réfléchir, à me regarder vivre. Je passais par toutes les affres de l'introspection (Sagan, Bonjour tristesse, 1954, p. 83).En partic. S'imaginer (faire quelque chose). Sœur enseignante, elle ne pourrait jamais l'être, oh! non! mais sacristine? Elle, habituée aux durs travaux, se regarda avec complaisance repasser les fines dentelles des aubes, glacer la toile de la nappe d'autel (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 59). b) Regarder + compl. prép. ou loc. adv. ♦ Regarder dans son cœur, en soi. S'examiner, s'analyser. Il visita les plus obscurs recoins [de son cerveau], et, de ce qu'il trouva, fit un livre, le livre des Maximes (...). Le duc, en cela, avait suivi la maxime de Socrate, qui exhorte l'homme à regarder dans son cerveau (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p. 64).Nous ne faisons pas tout ce que nous avons voulu et (...) nous n'avons pas voulu tout ce que nous faisons même volontairement. Qui ne l'a pas remarqué n'a pas regardé une fois en soi (Blondel, Action, 1893, p. 178). ♦ Regarder chez le voisin. S'occuper de ce qui se passe chez les autres, juger leurs actes. De belles gens, vraiment, et qui faisaient honneur au diocèse! Qu'ils missent de l'ordre chez eux avant de regarder chez le voisin (Queffélec, Recteur, 1944, p. 80). − [Le compl. ou la loc. évoque un point de réf.] ♦ Se tourner vers le passé ou vers l'avenir. Regarder en arrière, devant soi. Il ne pouvait cependant effacer tout à fait les ombres du triste rêve dont son enfance avait été bercée. Il ne voulait pas regarder derrière lui; mais il savait bien que derrière lui, l'ombre était (Rolland, J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p. 1530).Tâche de gagner du temps, de vivre au jour le jour. Ne regarde pas au delà de la journée qui s'ouvre (Mauriac, Mal Aimés, 1945, ii, 1, p. 187). ♦ Envisager une situation, des choses différentes de la situation, des choses actuelles. Vous voilà tous deux prêts à m'abandonner, à exposer vos jours; et pourquoi? (...) parce qu'il vous faut des désirs ambitieux, parce que vous regardez au-dessus de votre état (Scribe, Bertrand, 1833, ii, 4, p. 157).Déjà on regarde plus loin que l'énergie atomique de fission et des études sont engagées pour l'utilisation de l'énergie atomique de fusion et de l'énergie solaire (Univers écon. et soc., 1960, p. 62-16). 2. Regarder qqc./qqn comme, en (rare).Considérer comme, en tant que, tenir pour. ♦ [+ adj.] Je demandais certaines choses qui ne m'étaient pas encore suffisamment garanties pour que je pusse regarder la chose comme faite (Gobineau, Corresp.[avec Tocqueville], 1855, p. 229).[Sans comme] Il n'est pas sûr que tous les électeurs des départements et territoires d'outre-mer, présumés aptes à désigner des représentants, puissent être également regardés assez mûrs pour juger directement des mérites d'une révision constitutionnelle (Vedel, Dr. constit., 1949, p. 355). ♦ [+ subst.] On regardait alors [dans l'Antiquité] les entrailles des animaux farcies de sang et de graisse comme un mets très-distingué (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 261).en + subst. sans déterm.Vous ne serez pas étonné que ma belle-sœur et moi eussions pris l'habitude de regarder en frère un des plus beaux cavaliers de Paris (Fiévée, Dot Suzette, 1798, p. 25). ♦ [+ part. prés.] Vous m'excusez si je regarde cette affaire comme étant quelque peu mon affaire personnelle (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 210). ♦ Regarder comme + adj. ou subst. + inf. introd. par de ou prop. introd. par que.Ce qui est bien plus funeste pour l'ordre social, c'est que nous regardons comme certain que la réfection solitaire renforce l'égoïsme, habitue l'individu à ne regarder que soi (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 287).Napoléon regardait comme un crime d'état de désobéir à ses volontés (Proudhon, Propriété, 1840, p. 153). − Empl. pronom. ♦ réfl. La princesse régnante, environnée d'honneurs, mais emprisonnée dans l'étiquette la plus surannée, se regardait comme la plus malheureuse des femmes (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 119).Vous en concluez que déjà je me regarde comme un célibataire (Senancour, Obermann, 1840, p. 203).[Sans comme] Cette bonne fille s'accusait des malheurs d'Aymar, et se regardait coupable des mauvais traitemens et des tempêtes que son amour pour elle lui faisait essuyer (Borel, Champavert, 1833, p. 141). ♦ réciproque. Ce concert d'enfants chantant ensemble les louanges de l'amour maternel les disposerait à se regarder mutuellement comme membres de la même famille (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 285). 3. Regarder à.Prendre en considération, tenir compte de, faire attention à. a) Regarder à + subst.Regarder aux actes, au langage. Quand ils avaient bu de l'eau-de-vie, il ne fallait pas les contrarier [les Cosaques]; car alors ils devenaient furieux et frappaient tout autour d'eux, sans regarder à l'âge ni au sexe (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 242).Ne regarder à rien. Ne faire attention à rien, n'exercer aucune surveillance. Madame ne regardait à rien, et il y avait un coulage énorme dans la maison (A. Daudet, Jack, t. 1, 1876, p. 24). − En partic.
α) Regarder à la dépense; regarder au prix, à l'argent. Ne pas vouloir dépenser trop d'argent, hésiter avant de dépenser. Je désire un appartement confortable pour y passer ma lune de miel (...). Je veux que ce soit très-bien; je ne regarde pas au prix (Labiche, Pt voy., 1868, 2, p. 139).Je ne regarde pas à l'argent lorsque mon honneur est en jeu. Voici un louis (Courteline, Vie de ménage, Extralucide, 1897, p. 248).Tout y disait [dans la chambre] la grande et solide aisance, l'homme qui ne cherche pas à éblouir mais ne regarde pas à la dépense quand il s'agit de quelque chose qui lui plaît (Montherl., Célibataires, 1934, p. 780). ♦ Regarder à + subst. précisant le montant, la nature de la dépense.Je ne sais d'où je vous enverrai cette lettre, car j'ai si peu d'argent que je regarde à un affranchissement qui coûte cent sous (Balzac, Lettres Étr., t. 1, 1838, p. 469).Il remuait les millions et regardait aux centimes (A. France, Vie fleur, 1922, p. 514). ♦ Y regarder. Déodat s'assit en face de trois verres de vin que l'Adélaïde avait remplis jusqu'à les faire déborder un peu, pour faire voir qu'elle n'y regardait pas, quand il fallait désaltérer les bons facteurs (Aymé, Jument, 1933, p. 293).
β) Regarder à sa peine. Ménager ses efforts. Il arrivait vers neuf heures, parfois plus tôt, car il ne regardait pas à sa peine (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 140). b) (Y) regarder à + inf.Hésiter à. [Ma femme] me donne vingt francs par semaine pour mes menus plaisirs (...) je suis dans la misère! c'est au point que je regarde à prendre un omnibus, même en haut! (Labiche, J'invite le colonel, 1860, i, 3, p. 337).Celui qui, pour un idéal, ne balance pas à donner sa vie, n'y regarde guère à exposer celle des autres avec la sienne (Curel, Nouv. idole, 1899, i, 6, p. 187).V. grimace ex. 2. c) Y regarder + adv. ou loc. adv. − Y regarder à deux fois. Réfléchir (avant de faire quelque chose). Un homme y regarde à deux fois avant d'épouser une jeune fille qui n'a rien (Becque, Corbeaux, 1882, ii, 5, p. 122). − Y regarder de près, y bien regarder. Examiner avec attention. L'on verra, si l'on y regarde bien, que cette liberté de la vie n'est que le pouvoir de suivre l'ordre de choses qui nous convient le plus (Senancour, Rêveries, 1799, p. 196).On montre encore, à ceux qui n'y regardent pas de trop près, la maison qu'occupait le général anglais Talbot, lors de la prise de Pontoise par Charles VII (Jouy, Hermite, t. 4, 1813, p. 28). − À y bien/mieux regarder. Enfant nerveux et maladif [Coppée], il a dû connaître de bonne heure les souffrances délicates, les sensations déjà artistiques. À y bien regarder, sa virtuosité n'est qu'une des formes de cette sensibilité subtile (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 92).Il refusa absolument de manger avant d'avoir remis sur sa tête son chapeau (...). Ces façons nous parurent un peu rustiques. À y mieux regarder, elles étaient fort nobles, au contraire. Au XVIIesiècle un homme de qualité ne se serait pas mis à table tête nue (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 133). C. − Qqc. regarde qqn/qqc.Concerner. 1. Avoir rapport à, avoir pour objet quelqu'un ou quelque chose. Elle a parlé vaguement d'une histoire de deux cent mille francs qui regarde Adeline (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 366).Nos méditations ordinaires doivent regarder nos devoirs. Elles doivent tendre à en pénétrer l'étendue, à connaître les moyens de les pratiquer (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 546). − Loc. prép. En/pour ce qui regarde. En ce qui concerne, quant à. Quel est le peuple qui a le plus fait pour propager une sensibilité sans contrôle en ce qui regarde les animaux? Le peuple anglais, le plus égoïste d'Europe (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 445).Pour ce qui regarde sa vie à l'école, elle est aussi incapable de nous raconter ses journées qu'un soldat est incapable de raconter une bataille (Larbaud, Journal, 1934, p. 291). − Rare, empl. trans. indir. J'ai donc cru pouvoir le reprendre [le mot « poétique »] dans un sens qui regarde à l'étymologie, sans oser cependant le prononcer « Poïétique » (Valéry, Introd. poét., 1938, p. 12). 2. Être du ressort, de la compétence de quelqu'un, d'une institution. Le cabinet noir n'était pas encore aboli (...). On m'envoyait ce qui regardait mon département: je n'y vis que quelques dépêches du corps diplomatique (Chateaubr., Mém., t. 3, 1848, p. 206).V. finance ex. 5: 5. Et qui diable aurait tué ce gamin, d'abord? Supposons que ce soit un maraudeur, un chemineau, la route est à tout le monde, pas vrai? En ce cas, on pourrait dire que l'affaire ne regarde pas la commune.
Bernanos, M. Ouine, 1943, p. 1401. − Être l'affaire de quelqu'un. [Marque qu'une pers. peut s'occuper de qqc., intervenir dans qqc., à bon droit] Ma fille, votre vie privée ne nous regarde pas. Seulement, il y a des limites, des limites à ne pas dépasser (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 43).Varlin, (...) à Petypon: Mêlez-vous de ce qui vous regarde, puisqu'on vous le dit! Petypon, à part (...). C'est trop fort! Il s'agit de mon existence; et ça regarde tout le monde excepté moi! (Feydeau, Dame Maxim's, 1914, iii, 17, p. 70). D. − P. méton. 1. Qqc. regarde qqc.Faire face à, être tourné vers; avoir vue sur. À l'extrémité des Alpes tarentines, Venise regarde l'Orient; elle fait le lien de l'Italie avec l'Asie (Quinet, All. et Ital., 1836, p. 220).Les hautes fenêtres [de la bibliothèque] regardent une jolie place bordée de petites maisons (Green,Journal,1940,p. 45).[+ compl. prép.] Le pavillon, regardant le jardin par une de ses façades, et la route par l'autre (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 239). ♦ Qqn regarde qqc.Être face à. Contre le mur qui est à droite, quand on regarde le fond, il y a une bibliothèque vitrée (Romains, Hommes bonne vol., 1932, p. 100). 2. Regarder vers.Être tourné vers. Qu'est-ce donc que cette Europe? C'est une sorte de cap du vieux continent, un appendice occidental de l'Asie. Elle regarde naturellement vers l'Ouest (Valéry, Variété IV, 1938, p. 38).P. métaph. La vocation de caractérologue, tout en restant sur cette crête ambiguë qui sépare la science de l'intuition, regarde plutôt vers la vocation de romancier que vers celle de naturaliste (Mounier, Traité caract., 1946, p. 42). 3. Empl. pronom. réciproque. Être face à face. Du côté où les Vosges et la Forêt-Noire, chaînes jumelles, se regardent, des fractures ou failles découpent leurs bords (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 186). REM. 1. Regardable, adj.Qui peut être regardé, dont on peut supporter la vue. Alors, vision noire! À travers l'insondable, À travers l'inconnu qui n'est pas regardable (...) Satan apparaissait dans toute sa souffrance (Hugo, Fin Satan, 1885, p. 918).Papa en rentrant du bureau, apprenant les choses, a piqué une colère, une si folle alors qu'il était plus du tout regardable! Il roulait des yeux si horribles vers l'étalage de la rombière qu'on avait peur qu'il l'étrangle (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 83). 2. Regardé, -ée, adj. et subst.a) Adj. Qui est regardé; qui est examiné, analysé. Ce « naturel » que Baudelaire a tant haï et tant regretté, il n'existe pas du tout chez lui; tout est truqué, parce que tout est inspecté, la moindre humeur, le plus faible désir naissent regardés, déchiffrés (Sartre, Baudelaire, 1947, p. 27).b) Subst. Personne ou chose qui est regardée. La vérité! C'est elle, âme errante du monde, Avec son évidence où nul rayon ne ment (...) Elle, de tous les yeux le seul que rien n'endorme, Elle, la regardée et la voyante énorme (Hugo, Légende, t. 5, 1877, p. 936).Les écoles gréco-byzantines ou russes enseignaient l'art de porter dans le regard toute l'intensité des portraits pour tenter de provoquer un dialogue mystique entre le regardant et le regardé (Le Point, 4 déc. 1978, p. 61, col. 2). 3. Regardement, subst. masc.Action de regarder. Au cirque. Les enfants (...) les yeux grands ouverts et clignant de temps en temps de la fatigue de regarder; deux ombres dans le front, au-dessus des sourcils, pour la contraction de l'attention et du regardement (Goncourt,Journal,1865,p. 219).Rheims 1969 note: ,,ne double pas regard car il comporte une nuance de volonté beaucoup plus forte``. 4. Regarder, subst. masc.Action de regarder; regard. Et d'un doux regarder si je dis les réseaux, C'est un zéphire enfant qui toujours par ma bouche Fait chanter mes roseaux (Moréas, Sylves, 1896, p. 172).Il y a cinq sens parce qu'il y a (...) cinq modalités d'attention sensorielle, le « regarder », l'« écouter », le « palper », le « flairer » et le « goûter » (Piéron, Sensation, 1945, p. 40). 5. Regardeur, -euse, subst.Personne qui regarde, qui observe, qui examine. Je suis un grand regardeur de toutes choses, rien de plus, mais je crois avoir raison; toute chose contient une pensée; je tâche d'extraire la pensée de la chose (Hugo, Rhin, 1842, p. 381).Vous vous laissez influencer par des messieurs, sociologues comme ils disent (...). Ces regardeurs d'ouvriers n'ont jamais approché du feu que pour se chauffer le ventre. De vous voir avancer au four les fait pleurnicher: le métier qui tue (Hamp, Champagne, 1909, p. 106). 6. Regardoir, subst. masc.,hapax. Endroit d'où l'on peut regarder. Une terrasse plantée de charmes surplombe la route, et au bout de la terrasse, un regardoir (quel nom délicieux donné à la curiosité!) (Green, Journal, 1934, p. 222). Prononc. et Orth.: [ʀ
əgaʀde], (il) regarde [-gaʀd]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Trans. A. 1. a) ca 1100 « chercher à voir (quelqu'un ou quelque chose) en dirigeant sa vue » (Roland, éd. J. Bédier, 1978); ca 1100 absol. « id. » (ibid., 1162: Vers Sarrazins reguardet fierement); b) ca 1260 « observer » (Menestrel Reims, 100 ds T.-L.); 2. 1188 « prendre en considération » (Aimon de Varennes, Florimont, 7879, ibid.); 3. fin xiies. « concerner » (Sermons S. Bernard, 82, 34, ibid.); 4. 1329 absol. rewarder en « être orienté vers » (doc. Tournai ds Gdf. Compl.). B. Trans. indir. 1remoit. du xiies. reguarder a (quelque chose) « porter toute son attention à, tenir grand compte de (quelque chose) » (Cambridge Psautier, éd. Fr. Michel, LXXIII, 20). II. Pronom. 1. ca 1120 « porter son regard en arrière, autour de soi » (S. Brendan, éd. I. Short et Br. Merrilees, 1204: reguardent soi); 2. 1480 réfl. « contempler sa propre image dans un miroir » (Guillaume Coquillart, Droitz nouveaulx, 1043 ds
Œuvres, éd. M. J. Freeman, p. 183); 3. 1690 réciproque « se fixer du regard, s'observer l'un l'autre » et au fig. « être l'un en face de l'autre » (Fur.); 4. 1665 passif « être regardé » (La Rochefoucauld, Réflexions ou sentences et maximes morales, 26, éd. D. Secretan, p. 17). Dér. de garder* au sens de « regarder », préf. re-*. Le préf. re- indique à la fois un mouvement en arrière (cf. le sens II 1 et ds les Gloses de Reichenau, éd. H. W. Klein et A. Labhardt, 1396: respectant: reuuardant) et une réitération; v. DEAF, s.v. garder, col. 217. Fréq. abs. littér.: 44 697. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 44 385, b) 68 239; xxes.: a) 75 386, b) 70 314. Bbg. Darm. Vie 1932, p. 53. − Klein (F.-J.). Lexematische Untersuchungen zum französischen Verbalwortschatz... Genève, 1981, pp. 86-155. − Quem. DDL t. 11 (s.v. regarder en arrière), 19 (s.v. regarder de près), 22 (s.v. regarder quelqu'un avec des yeux truculents). |