| REGARD, subst. masc. A. − 1. Action de regarder, mouvement des yeux qui se portent vers un objet, une personne, un spectacle pour voir, connaître, découvrir quelque chose. Qu'osait-il dire, à dix pas du tabernacle, devant cette foule mystérieuse, pleine de regards, d'une multitude de regards, d'yeux grands ouverts, avides, pareils à de noirs insectes immobiles, guettant leur proie? (Bernanos,M. Ouine,1943, p. 1487).L'œil est un organe de la vision, mais le regard est acte de prévision, et il est commandé par ce qui doit être vu, veut être vu, et les négations correspondantes (Valéry,Tel quel II,1943p. 317). − Loc. adv. ♦ Au premier* regard, à hauteur* de regard, à portée de regard. Jusqu'à perte de regard (rare). Jusqu'à n'être plus visible. Caravanes voyageuses dont elle suivait la fumée jusqu'à perte de regard (A. Daudet, Pte paroisse,1895, p. 295). − Loc. nom. Trou de regard. Ouverture permettant de surveiller (infra D). Il ne peut être donné de règle pour l'intervalle de temps à prévoir entre deux nettoyages d'enveloppe; seul, un examen des chemises par les trous de regard (...) peut donner d'utiles renseignements sur la règle de conduite à observer (Ambroise,Monteur mécan.,1949, p. 100). − [Dans des loc. verb. indiquant qu'une chose est visible ou non] Se découvrir, se dévoiler, se présenter au regard; exposer, livrer, cacher, dérober, dissimuler, soustraire qqc. au regard. Mon logement, situé cinq mètres au-dessus du niveau de la rue (...) échappe au regard des passants (Courteline,Article 330,1900, p. 280).Nous eûmes le loisir de contempler en silence le prodigieux spectacle qui s'offrait à notre regard (Benoit,Atlant.,1919, p. 81). − [Dans des empl. précisant le mouvement des yeux, les modalités ou le but de l'action] Fixité du regard. Pour une fixation donnée du regard, la perception n'est pas facultative. (...) quand je joue aux cartes dans mon compartiment, je vois bouger le train voisin, même si c'est en réalité le mien qui part (Merleau-Ponty,Phénoménol. perception, 1945, p. 324). ♦ Verbe + regard.Arrêter, attacher, fixer, poser, braquer, diriger, porter, promener son regard/ses regards sur qqc./qqn; couler son/un regard vers/le long de qqc.; plonger son regard dans qqc.; baisser, lever, tourner son regard sur/vers qqc./qqn; détourner son/ses regard(s); tenir son/ses regard(s) droit devant soi, à terre; darder, décocher, lancer un regard (+ déterm.) à/sur qqc./qqn. [Le] Turc, qui me plantait en plein visage le regard de ses yeux bleu foncé (Farrère,Homme qui assass., 1907, p. 3).La beauté de l'hôtesse (...) accrut mon admiration pour les murailles sur lesquelles elle promenait ses regards, pour les sièges sur lesquels elle reposait son corps de déesse (A. France,Vie fleur,1922, p. 458). ♦ Verbe + prép. + regard.Accompagner, suivre qqc du regard; chercher, fouiller, inspecter, parcourir qqc. du regard; embrasser qqc. du regard; couver, dévorer qqn/qqc. du regard; déshabiller qqn du regard. Il chercha la lettre de Johann Fischer, et la lui tendit après l'avoir lue en deux regards (Balzac,Cous. Bette,1846, p. 306).Il retournait au cours de Vincennes (...), buvant du regard les avenues sèches, comme si la force et la concentration de son désir allaient soutirer hors de l'atmosphère et forcer à être cette forme chérie (Montherl.,Célibataires,1934, p. 833). ♦ Regard + verbe.Le regard/les regards de qqn s'arrête(nt) sur, s'attache(nt) à, se fixe(nt) sur, coule(nt) le long de, plonge(nt) dans, tombe(nt) sur, se lève(nt) vers, se détourne(nt) de qqn/qqc.; le regard/les regards cherche(nt), contemple(nt), découvre(nt), distingue(nt), fixe(nt), fouille(nt), parcour(en)t qqc./qqn; le regard fouine, furette partout; le regard se dérobe, se détourne, fuit; le regard embrasse qqc., s'étend jusqu'à/sur qqc., porte loin; le regard rencontre qqc., bute sur qqc.; des regards se cherchent, se croisent, se rencontrent. Je suis habitué à vivre sous le regard de ma mère. Je suis habitué à ce regard qui m'enveloppe, me pénètre, glisse sur mon visage, erre dans mes cheveux, comme une main, comme un souffle (Duhamel,Confess. min.,1920, p. 150). ♦ Regard + adj. ou loc. adj.Regard appuyé, fixe, furtif, fuyant, insistant, mobile, prompt, rapide. D'un regard circulaire, elle embrassait l'horizon immense (Zola,Nana,1880, p. 1398). − [Dans des empl. faisant réf. aux facultés intellect., psychol.] Acuité, pénétration du regard. ♦ Regard + verbe.Son regard, plus tranchant que ses bistouris, vous descendait droit dans l'âme et désarticulait tout mensonge à travers les allégations et les pudeurs (Flaub.,MmeBovary, t. 2, 1857, p. 176).Je suis comme quelqu'un dont le regard n'apprécierait pas bien les distances (Gide,Si le grain, 1924, p. 360).En partic. [Dans des empl. marquant la subjectivité] L'objet paraissait aussitôt embelli, transformé par son toucher et par son regard [du marchand] (Maupass.,Contes et nouv., t. 1, Bar., 1887, p. 301).Une chose a mille formes; et la chose vivante passe d'une forme à l'autre sous le regard. La chose humaine surtout, qui change par le regard même (Alain,Beaux-arts,1920, p. 187). ♦ Regard + adj.Regard acéré, perçant, profond, vif, investigateur, scrutateur; regard borné. Ce regard clair et sûr que certaines femmes possèdent, et qui leur permet de lire quelquefois au fond du cœur de l'homme (Ponson du Terr.,Rocambole, t. 3, 1859, p. 410).Il y avait dans ce regard rapide et aigu une pénétration embusquée qui contrastait avec la grosse voix forte et rassurante (Gracq,Syrtes,1951, p. 21). − [Dans des empl. faisant réf. à la sensibilité de la pers.] Accrocher, agacer, affliger, attrister, blesser, étonner, fasciner, fatiguer, frapper, offenser, réjouir le regard; être doux au regard; délectation, enchantement du regard. Une blanche croûte salée, brûlante aux pieds, douloureuse aux regards, splendide d'éblouissements (Gide,Journal,1896, p. 82): 1. On vit, on pense, on souffre, on est ému, on aime par le regard. Celui qui sait sentir par l'œil éprouve, à contempler les choses et les êtres, la même jouissance aiguë, raffinée et profonde, que l'homme à l'oreille délicate et nerveuse dont la musique ravage le cœur.
Maupass.,Contes et nouv., t. 1, MmeParisse, 1886, p. 729. − [Dans des empl. faisant réf. à l'aspect, la fonction, la position des yeux, souvent synon. de yeux] Regard clair, doré, gris, (couleur) de violette; regard humide, mouillé, noyé (de larmes), brouillé de larmes; regard glauque, vitreux, voilé, injecté de sang; regard exorbité; regard clignotant, papillottant; rouler des regards. La jeune fille était couchée. Elle avait un regard fiévreux et les pommettes rouges (Martin du G.,Thib., Mort père, 1929, p. 1303).Le regard d'un marron sombre et velouté, piqué d'étincelles d'or, de Mirlababi (Arnoux, Crimes innoc.,1952, p. 252).Regard blanc. Yeux révulsés dont on ne voit pas l'iris. Ces fantômes dansaient (...). Toujours le sourire figé, le regard blanc des cadavres (Loti,Mon frère Yves,1883, p. 125).Au fig. Sans expression. Je vais je ne sais où, garçon, reprit-il en me jetant un dernier regard blanc et sans chaleur, mais je m'en vais d'ici! (Balzac,Gobseck,1830, p. 438).V. pâle A 3 b ex. de Balzac.Regard noir. Yeux noirs. Au fig. V. noir I B 1.Troubler les regards. Troubler la vue. Est-ce déjà l'agonie qui trouble mes regards? (Dumas père, Intrigue et amour,1847, v, 9etabl., 7, p. 305). ♦ Regard + déterm. indiquant la direction des yeux et au fig. une manière de regarder, un certain état d'esprit.[À propos d'une pers. qui regarde en face ou qui ne dissimule pas] Regard droit. Il entra calme, aisé, souriant, les yeux armés de ce regard direct dont il se couvrait comme d'une épée tendue chaque fois qu'il se trouvait en présence de visages nouveaux (Fromentin,Dominique,1863, p. 177).Toutes ces visions du coin de l'œil s'évanouissent au regard direct (Alain,Beaux-arts,1920, p. 334).V. droit2I C 1 b ex. de Green, franc3ex. 5, louchon A 2 ex. de La Varende.[À propos d'une pers. qui ne regarde pas en face, ouvertement, franchement] Regard de/en coin (v. coin2), de/en biais, en coulisse*, oblique*, torve*. Une photographie de ce temps, que je retrouve, me représente (...) l'air maladif et méchant, le regard biais (Gide,Si le grain,1924, p. 350).Il se sentait, avec plus de pointe que jamais, entouré d'un cercle de mépris, de haine, de regards en dessous (Montherl.,Célibataires,1934, p. 896).[À propos d'une pers. qui manifeste son hostilité] Ce genre de démonstration était naturellement fait pour horripiler l'officier. (...) il lança à la Guillaumette un regard de travers, féroce (Courteline,Train 8 h 47,1888, 1repart., v, p. 59). ♦ [À propos de l'éclat des yeux dû à l'intelligence, la bonté, la passion ou à une vive émotion, un état partic.] Regard ardent, brûlant, enflammé, étincelant (de colère), luisant (de convoitise, de fièvre...); regard allumé (par le vin); feu, flamme, lumière, rayonnement du regard. V. brillant1II A 2 a ex. de Balzac: 2. Quelques instants plus tard, Jacques rentrait dans sa chambre, la figure tuméfiée par les larmes, le regard en feu. Il s'avança vers la glace et se dévisagea férocement (...) comme s'il lui fallait l'image d'un être vivant à qui hurler sa haine, sa rancune.
Martin du G.,Thib., Cah. gr., 1922, p. 673. − P. méton. ♦ Personne qui regarde. Cette immense bâtisse (...) où il me semble que, derrière chaque fenêtre, un regard vous espionne! (Mirbeau,Journal femme ch.,1900, p. 70). ♦ Personne réduite à la seule fonction du regard, non engagée dans le monde, l'action. Ni l'auteur, tant qu'il écrit, ni le lecteur, tant qu'il lit, ne sont plus du monde; ils se sont mués en pur regard; ils considèrent l'homme du dehors (Sartre,Sit. II,1948, p. 171).La femme est à l'écart de leurs activités [des hommes]; elle ne prend pas part aux joutes et aux combats: toute sa situation la destine à jouer ce rôle de regard (Beauvoir,Deux. sexe, t. 1, 1949, p. 291). − P. métaph. [À propos de lumières] Regard des étoiles. Par le vitrail suisse L'aube jette son bleu regard (Gautier,Émaux,1863, p. 83).Les membres éployés, le regard écarlate, Ils [les trains] vont, actifs, brûlants, précis, illimités (Noailles,Éblouiss.,1907, p. 154).[À propos d'une pierre précieuse] Éclat. [Le joaillier] m'interrompit d'un signe, et d'un mot me déconcerta: − Non dit-il. Je trouve qu'elles [des pierres] manquent de regard (Colette,Fanal,1949, p. 231).[À propos d'une ouverture] Certain jour, en flânant sous le regard voilé des mille fenêtres de la place, je sentis tout soudain les yeux de l'amour sur moi (Milosz,Amour. init.,1910, p. 75). 2. Expression des yeux. Contraindre ses regards. L'homme est à chaque moment, et l'un dans l'autre, âme et chair, conscience et geste, acte et expression. Si le regard est la parole la plus aiguë de l'âme, tout le corps en est la voix confuse (Mounier,Traité caract.,1946, p. 116). a) [Les yeux révèlent un état d'esprit, un trait de caractère] Il me hait vraiment! Je l'ai lu dans son regard (Chênedollé,Journal,1832, p. 139).Il n'y avait pas de jalousie dans ce regard; non, il y avait autre chose: de l'étonnement, du soupçon et de la défiance, avec tout un arrière-fond de haine et de férocité (Farrère,Homme qui assass.,1907, p. 92).[À propos d'une statue, d'un portrait] Le regard, c'est plus que la moitié de l'expression pour ce statuaire [Houdon]. À travers les yeux, il déchiffrait l'âme (Rodin,Art,1911, p. 161).Le regard des portraits reflète les inquiétudes de leurs époques. Il brûle d'un feu sombre ou glacial (Cocteau,Crit. indir.,1932, p. 261). − Regard + adj. ou loc. adj.Elle eut un regard navré sur elle-même, dans la glace où elle se vit passer, avec sa pauvre petite robe de chez Madame Lafargue (Vogüé,Morts,1899, p. 406): 3. ... l'amaigrissement n'avait laissé d'expression qu'aux yeux: regard encore maladif, toujours un peu dur et volontaire, regard de femme déjà, énigmatique, et qui semblait avoir pour longtemps perdu sa jeunesse et sa sérénité.
Martin du G.,Thib., Cah. gr., 1922, p. 654. [À propos d'un animal] Rappelez-vous ce beau regard si doux, si tendre, si reconnaissant que tourne le chien de chasse vers son maître qui le caresse (Sandeau,Mllede La Seiglière,1848, p. 60).SYNT. Regard amical, amusé, amoureux, avide, attentif, bovin, candide, confiant, craintif, curieux, dédaigneux, ébloui, éperdu, étonné, fier, fourbe, franc, froid, gai, gourmand, hautain, honnête, impertinent, innocent, inquiet, ironique, mélancolique, pensif, railleur, rieur, sévère, songeur, sournois, surpris, timide, tranquille, triste; regard plein d'amour, d'admiration; regard (de) colère, de compassion, de dédain, de défi, de mépris, de pitié, de regret, de satisfaction, de terreur; regard sans colère, sans haine; v. aussi supra: regard noir, droit, en coin, de travers, brillant, brûlant. ♦ [Dans la loc. adj., le subst. désigne:] [une catégorie de pers.] Regard d'ange, d'assassin, de connaisseur, d'enfant, de brave homme, d'homme heureux, de victime, de voleur. Tournant vers lui un de ces regards « grande dame » qu'ont tous les yeux de femme quand ils le veulent, elle le toisa du bout des bottes jusqu'à la racine des cheveux (Goncourt,Man. Salomon,1867, p. 180).− Hubert, grogne Philippe, tu vas fatiguer Suzanne. Mais Suzanne secoue la tête: − Allons Philippe, ne montrez pas ce regard de noyé. Votre frère ne me fatigue pas (Duhamel,Suzanne,1941, p. 199).[un animal] Regard de basilic (v. basilic2ex. 4), de bête aux abois, de biche effarouchée, de chien battu/perdu, de fauve, de lion, de panthère, de reptile; regard de merlan frit. Tu ne connaissais pas ton oncle, pourquoi pleures-tu? lui dit son père en lui lançant un de ces regards de tigre affamé qu'il jetait sans doute à ses tas d'or (Balzac,E. Grandet,1834, p. 95).[un matériau, un objet] Regard de marbre, de statue. Qu'est-ce que c'est? l'arrêta net le colonel, brutal, dérangé, en jetant dessus ce revenant une espèce de regard en acier (Céline,Voyage,1932, p. 22). − Subst. + du/des regard(s).Douceur, dureté, fierté, hardiesse, innocence, inquiétude, malice, sécheresse, sérénité, tendresse du regard; jeu du regard. La caresse de son regard prêtait à son silence même un attrait pénétrant (Toepffer,Nouv. genev.,1839, p. 213).Elle ne pouvait empêcher le gémissement de ses regards, la sueur de son front, le sursaut convulsif, aussitôt réprimé, de ses membres (Proust,Guermantes 2,1921, p. 323). − Regard + verbe ou loc. verb.Le regard pétille de gaieté, exprime l'inquiétude, reflète le désir, trahit l'entêtement; adoucir, durcir, composer, déguiser son regard. Son regard vibrait de la joie mauvaise de son secret dévoilé (R. Bazin,Blé,1907, p. 112).Le capitaine recule doucement la bouteille, le regard de l'homme joue le désespoir (Saint-Exup.,Terre hommes,1939, p. 246). − [Dans des empl. marquant le manque d'expr. des yeux] Regard perdu, dépourvu de vie. M. Sariette roulait des yeux sans regards (...). Toutefois (...) il rassembla ses esprits et répondit... (A. France,Révolte anges,1914, p. 41).Le regard des races du nord est souvent aussi transparent que le ciel, et aussi vide (Green,Journal,1949, p. 288). b) [L'expression des yeux remplace, nuance, complète la parole] − Regard + verbe ou loc. verb. ou verbe + prép. + regard.Le regard interroge qqn, avoue, reproche qqc.; défendre de, inviter à faire qqc. du regard; interroger, implorer, supplier, remercier du regard; comprendre les regards. Pas un instant, Gallet ne douta qu'elle eût dit vrai. Dès les premiers mots, il l'avait crue, tant le regard en dit plus long que les lèvres (Bernanos,Soleil Satan,1926, p. 111).V. improuver, ex. de Balzac. − Regard + adj. ou loc. adj.Regard approbateur, réprobateur, implorant, suppliant, interrogateur, inquisiteur; regard de reproche, de remerciement, d'adieu. Cette fois Monsieur de Chessel (...) me jeta des regards complimenteurs (Balzac,Lys, 1836, p. 39).Il tourna vers elle un regard sans réponse, mais elle crut y lire le « oui » qu'il n'avait pas prononcé (Louÿs,Aphrodite,1896, p. 95).Échanger des regards d'intelligence, de connivence. Se comprendre, s'accorder sans parler. Mes souffrances me firent deviner celles de Madame de Mortsauf. Nous commençâmes à échanger des regards d'intelligence, mes larmes coulaient quelquefois quand elle retenait les siennes (Balzac,Lys, 1836, p. 72). c) [L'expression des yeux exerce ou vise à exercer un certain pouvoir sur autrui] ♦ Regard + verbe ou verbe (+ prép.) + regard.Le regard encourage, déconcerte, désarçonne, gêne, glace, intimide; le regard pèse sur qqn; pâlir, rougir sous un regard; fusiller, foudroyer qqn du regard. À vrai dire, on ne le punit pas énormément: on l'exclut, du regard on le rejette; il perçoit la réprobation et s'endurcit (Frapié,Maternelle,1904, p. 79): 4. Si je le gronde, il se tait: (...) son regard change de couleur et se fixe sur moi si durement que je n'ose pas continuer. Un regard irréductible... mais aussi un regard pur, solitaire... un regard qui m'en impose!
Martin du G.,Thib., Épil., 1940, p. 841. Soutenir le regard de qqn. Continuer à regarder quelqu'un, ne pas se laisser impressionner. Dites donc, (...) est-ce que vous vous fichez de moi? La petite soutint son regard avec une assurance tranquille, et le juge d'instruction estima aussitôt indispensable d'essuyer plus soigneusement que jamais le verre de son binocle (Bernanos,Crime,1935, p. 771).♦ Regard + adj. ou loc. adj.Regard glacial, impérieux. Forte comme un homme, dure de partout (...) un regard à faire baisser celui du Bœuf (Audiberti,Femmes Bœuf,1948, p. 115). ♦ Subst. + prép. + regard. Je me tus et baissai les yeux pour éviter la foudre de son regard (Balzac,Lys1844p. 1136). − [P. réf. au regard de Méduse qui pétrifiait] Cette vieille figure hargneuse et redoutable, cette tête de Méduse dont aucun d'eux n'avait jamais pu soutenir le regard, se métamorphosait, devenait simplement humaine (Mauriac,Nœud vip.,1932, p. 242). − [P. réf. au regard prêté à certains animaux] Hélas! je suis interdite, Devant votre affreux amour, Comme l'oiseau qui palpite Sous le regard du vautour! (Hugo,Esmer.,1836, iv, 1, p. 183).Finoël lança de côté une œillade envenimée qui fit éprouver à Gérard une sensation de malaise analogue à celle que cause, dit-on, le magnétique et froid regard du crotale (Theuriet,Mariage Gérard,1875, p. 106). − [P. réf. à certaines croyances selon lesquelles le regard peut avoir une influence maléfique] Jeter un sort par son regard (v. mauvais œil*). Ainsi, c'est un simple regard de l'ours qui a rendu folle cette pauvre femme et qui a valu à monsieur son fils ses instincts sanguinaires (Mérimée,Lettres à une inconnue, t. 2, 1868, p. 335).Madame Caumont contait (...) de terribles histoires de regards. Une femme enceinte (...) ayant rencontré un cul-de-jatte (...), accoucha d'un enfant sans jambes (A. France,Pt Pierre,1918, p. 6). B. − Au fig. 1. Action, manière de considérer, d'examiner quelque chose; faculté de se représenter, de juger quelque chose. Le président du conseil, dont les qualités mêmes gênaient le regard, n'apercevait pas que la légitimité se mourait faute de victoires après les triomphes de Napoléon (Chateaubr.,Congrès Vérone, t. 1, 1838, p. 100).Jean mesura d'un seul regard le désert de sa vie (Mauriac,Baiser Lépreux,1922, p. 151).Regard sur + subst.Le regard sur ma vie et mes années précédentes me montre le dessein de Dieu sur ma vocation (Dupanloup,Journal,1851-76, p. 110). ♦ Regard + déterm. évoquant une faculté.Regard de la conscience, de l'esprit, de la raison, de la réflexion; regard mental, réflexif. Il faut que chaque homme (...) dirige sur lui-même sa pensée et son action, les regards de son intelligence et la main de sa volonté (Joubert,Pensées,1824, p. 274): 5. La triade de l'art est constituée: au réel, à la plastique, s'ajoute l'âme, que l'art aura pour mission de suggérer, de mettre en communication avec le spectateur; le regard des yeux devra se doubler du « regard intérieur », lui céder.
Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p. 131. − [Dans des empl. évoquant la qualité, la nature de cette action, de cette faculté] Regard clair, net, neuf; regard favorable, impartial, indifférent, glacé, pessimiste; regard d'aigle; netteté du regard. [Boileau] n'a pas eu sur l'art poétique des vues assez neuves et assez déliées; et des regards assez étendus (Chênedollé,Journal,1833, p. 179).Là [en Afrique], il faut un regard ferme sur la vie, un regard pur, allant droit devant soi, un regard de toute franchise, de toute clarté (Psichari,Voy. centur.,1914, p. 23). ♦ Regard + déterm. évoquant un point de vue particulier.Regard historique. Ce qui fait la valeur unique de ce poème [de V. Hugo] (...) c'est que c'est peut-être la seule fois (...) que nous ayons un regard païen (et un regard juif) de l'incarnation (Péguy,V.-M., comte Hugo,1910, p. 731).Ce doute de Pascal, qui n'était qu'un regard de la foi (Massis,Jugements,1923, . 154).V. aberration ex. 4. − En partic. Attention. Appeler, arrêter, fixer, mériter le/les regard(s). [L'esprit] prête plus d'attention à ses actes qu'à la matière sur laquelle il agit. La science se borne à attirer notre regard sur cette matière (Bergson,Essai donn. imm.,1889, p. 74). − Regard de Dieu, du ciel. Attention que Dieu prête aux hommes, à leurs actes, grâce qu'il leur accorde. Ils ont reçu du ciel un regard favorable; Ils sont nés, ces mortels, sous une étoile aimable (Barbier,Ïambes,1840, p. 239).L'irréparable et l'irrémédiable, cette grande âme exigeante ne l'éludait pas. Elle portait ses croix les plus lourdes dans la solitude, sous le regard de Dieu (Mauriac,Mém. intér.,1959, p. 25). 2. Loc. nom. Droit de regard. Droit de surveiller, d'exercer un contrôle. L'on dirait étrangement que le critique a, de nos jours, renoncé son privilège, et quitté, sur les Lettres, tout droit de regard. Il avait un ordre à imposer. Non, il s'égare en révérences niaises (Paulhan,Fleurs Tarbes,1941, p. 10).P. plaisant. (sens concr.). Jean Péloueyre regardait sournoisement cet ange; le petit-fils de Cadette, lui la pouvait regarder en face: les beaux garçons, même du peuple, ont le droit de regard sur toutes les filles (Mauriac,Baiser Lépreux,1922, p. 157). 3. Loc. prép. Au regard de a) Selon le point de vue, le jugement de. Une fable, sans malice pour l'innocente enfance (...) paraît au regard du moraliste, grosse d'égoïsme et d'épicurienne volupté (Blondel,Action,1893, p. 237).Trop de religiosités puériles compromettent la vraie religion au regard des esprits forts (Mounier,Traité caract.,1946, p. 164). ♦ Au(x) regard(x) de Dieu. Je suis fautive aux regards de Dieu pour l'éternité (Jouve,Paulina,1925, p. 138). b) Par rapport à, si l'on se réfère à. En vain eût-on invoqué auprès d'elle la nullité de ce premier mariage au regard des lois françaises (G. Leroux, Parfum,1908, p. 13).Au regard de nos habitudes, Léonard paraît une sorte de monstre, un centaure ou une chimère, à cause de l'espèce ambiguë qu'il représente à des esprits trop exercés à diviser notre nature (Valéry,Variété III,1936, p. 175). c) En comparaison de. L'amour nie le droit, et compte comme néant ce qu'il reçoit au regard de ce qu'on lui refuse (Alain,Propos,1921, p. 283).Le meurtre de la vieille dame n'était pour elle, à ce moment, qu'une sorte d'accident presque négligeable, une péripétie sans grand intérêt au regard de ce qui l'avait suivi (Bernanos,Crime,1935, p. 869).V. jour II B 3 ex. de Barrès. C. − P. anal. [Corresp. à regarder D] Orientation. 1. GÉOL. Regard d'une faille. On appelle regard de la faille le côté du plan de la faille tourné vers le plan effondré (L. Moret, Précis de géol.,1958, p. 410). 2. Locutions a) Loc. adv. et adj. En regard. En face, en vis-à-vis. Quand je publierai un recueil de ces portraits, sur une page mon texte tel que je l'écrivis, et en regard le texte qu'ils refont, le public aura un livre très profitable (Barrès,Cahiers, t. 11, 1917, p. 216).L'enveloppe est sectionnée pour qu'on puisse la mettre en place et l'ajuster: on rejoint ensuite les bouts en regard par des attaches en fil de fer (Rousset,Trav. pts matér.,1928, p. 58). b) Loc. prép. En regard de
α) En face de, face à. Mon hôtel (...) était en regard du grenier qu'habita mon cousin de La Bouëtardais (Chateaubr.,Mém., t. 3, 1848, p. 101).Son nom figure aussi, en regard d'une somme de cent francs, dans la Libre parole, parmi les listes d'une souscription pour le colonel Henry (Mirbeau,Journal femme ch.,1900, p. 159).Au fig. Le bel équilibre de notre culture: équilibre dans la diversité. Toujours, en regard d'un Pascal, un Montaigne; et, de nos jours, en face d'un Claudel, un Valéry (Gide,Journal,1943, p. 191).
β) Synon. de à côté de, en comparaison de.Ali-Baba et ses trésors, est-ce que ça compte en regard d'un puits permanent? (Saint-Exup.,Terre hommes,1939, p. 228).Comme tout cela était dérisoire en regard des foules paysannes fuyant avec leurs ânes devant les villages en feu! (Malraux,Espoir,1937, p. 565). − Mettre qqc. en regard de. Comparer quelque chose à. M. Octave avait, on l'a peut-être remarqué, une tendance à mettre en regard de tout ce qu'on disait, pensait, ou faisait, ce que, lui, il disait ou avait dit, pensait ou avait pensé, faisait ou avait fait (Montherl.,Célibataires,1934, p. 776). D. − P. méton. Ce qui permet de voir. 1. GÉOL. Ouverture entre une cavité souterraine et la surface. Il peut y avoir effondrement du toit [d'une cavité karstique] (...) avec formation d'un regard, trou d'hommes (...); la caverne prend alors la forme d'une outre (Baulig1956, p. 62). 2. BÂT., TRAV. PUBL. Ouverture, puits ménagé(e) pour permettre la visite, l'entretien d'une conduite souterraine, d'un égout, d'un aqueduc, fermé ordinairement par une plaque ou parfois surmonté d'un petit édicule. Langibout était aimé pour la simplicité de sa vie (...) quotidiennement promenée sur ce trottoir de la rue d'Enfer, entre un regard des eaux d'Arcueil et la boutique d'un chaudronnier (Goncourt,Man. Salomon,1867, p. 40).Ils allongeaient déjà des mains énormes sur Colomban, quand il leur échappa soudain en tombant, par un regard ouvert, au fond d'un égout (A. France,Île ping.,1908, p. 271).En partic. Soupirail. Il finit par s'accroupir devant un des regards donnant sur les caves des halles (Zola,Ventre Paris,1873, p. 681). 3. TECHNOL. Ouverture pratiquée dans la paroi d'un appareil, d'une machine pour surveiller son fonctionnement ou permettre la visite et l'entretien de certains organes. Regard vitré. Dans les portes [du four] sont ménagés des regards pour l'examen de la flamme (Champly,Nouv. encyclop. prat., t. 15, 1927, p. 37). Prononc. et Orth.: [ʀ
əga:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin du xes. « action ou manière de diriger les yeux vers un objet afin de voir; expression des yeux de celui qui regarde » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 395); 2. a) 1remoit. du xiies. « attention que l'on prête à (quelqu'un ou quelque chose) » (Psautier Oxford, 72, 4 ds T.-L.); b) α) 1262 « inspection, visite » (Doc. ds Fagniez t. 1, p. 253: regars de vins);
β) 1464 « contrôle administratif » (doc. ds A. Thierry, Rec. des monuments inéd. du Tiers-Etat, t. 2, p. 287);
γ) 1932 dr. droit de regard « droit de surveillance que peut se réserver l'une des parties dans un contrat » (Lar. 20e); 1935 avoir droit de regard, un droit de regard sur une affaire quelconque (Ac.); c) 1300 a regard de (doc. ds Fr. J. Tanquerey, Rec. de Lettres anglo-fr., § 74, p. 73); 1377 au regard de « id. » (Gace de la Buigne, Desduis, 10085 ds T.-L.); 3. a) 1erquart du xiiies. ou regart de « en comparaison avec » (Reclus de Molliens, Carité, 70, 12 ds T.-L.); b) α) 1811 [éd.] en regard « en face, vis-à-vis » (Chateaubr., Itinér. Paris Jérus., t. 1, p. 135);
β) 1830 en regard de « en face » (Fourier, Nouv. monde industr., p. 33); 4. 1580 « ouverture pratiquée pour permettre le contrôle de ce qui se passe à l'intérieur (d'une fontaine) » (Bernard Palissy, Discours admirables, éd. A. France, p. 182). Déverbal de regarder*. Fréq. abs. littér.: 24 230. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 31 146, b) 32 000; xxes.: a) 32 180, b) 39 973. Bbg. Archit. 1972, p. 182. − Gohin 1903, p. 309. − Quem. DDL t. 10. |