| RATIONNEL, -ELLE, adj. A. − 1. a) Qui appartient à la raison, relève de la raison. Activité rationnelle; attitude, motivation, pensée rationnelle; logique rationnelle. Quand on aborde le côté mystique des choses, on ne saurait trop user de toutes les armes de la raison (...). Distinguons bien d'abord les moyens rationnels des sentimentaux (Bremond,Poés. pure, 1926, p. 164).Marx n'a pas assez de railleries pour l'optimisme rationnel des bourgeois. Sa raison, nous le verrons, est différente (Camus,Homme rév., 1951, p. 241).V. option ex. de Gilson: 1. La magie était vaincue, du moment que la terre et le mouvement rectiligne obtenaient la même dignité ontologique et épistémologique que le ciel et le mouvement circulaire. Auparavant, les hommes ne pouvaient en effet espérer de parer aux situations émotives par des inventions et des conduites rationnelles; la raison tout entière s'aliénait alors dans le comportement de transposition, que nous nommions magie.
J. Vuillemin,Essai signif. mort, 1949, p. 224. − [P. oppos. à révélé, sensible, surnaturel] Connaissance rationnelle; évidence rationnelle. Où la révélation surnaturelle finit, la révélation rationnelle commence (Proudhon,Confess. révol., 1849, p. 68).Leur connaissance mystique, leur contemplation se distingue, et de la connaissance rationnelle et de la sensible (Bremond,Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 551). b) [P. oppos. à expérimental] Qui est fondé sur la raison, qui provient de la raison; qui procède par un raisonnement logique indépendant de l'expérience. Idée rationnelle; nécessité rationnelle; philosophie rationnelle. Mais il y a d'autres sciences [que les sciences naturelles] où l'homme joue un bien plus grand rôle; on les appelle sciences rationnelles, parce qu'elles sont l'œuvre de la raison humaine (Cousin,Hist. philos. mod., t. 1, 1846, p. 276).V. architectural ex. de Ricœur: 2. On persiste à poser le dilemme de l'empirisme pur et d'une raison qui trouverait en elle-même son propre contenu, qui à partir d'une vérité initiale (...) déroulerait une chaîne de propositions, cela grâce à sa seule spontanéité interne. Je crois qu'il faut absolument refuser cette alternative. Tout d'abord que faut-il penser de cette génération purement rationnelle? Je suis convaincu que lorsqu'on souhaite la possibilité d'une telle génération, on reste dominé par l'idée du mécanisme...
G. Marcel,Journal, 1914, p. 74. − Mécanique rationnelle. Mécanique reposant sur une méthode déductive, sur un raisonnement mathématique. L'hydrodynamique est la partie de la mécanique rationnelle qui traite du mouvement des fluides; l'application des principes de cette science à l'art de conduire les eaux et de les faire servir à mouvoir les machines, se nomme hydraulique (Poisson,Mécan., t. 2, 1811, p. 443).La mécanique rationnelle classique peut sembler éventuellement reposer sur quelques postulats mais elle est absolument insuffisante dans le monde corpusculaire où joue la mécanique ondulatoire créée par M. Louis de Broglie (Gds cour. pensée math., 1948, p. 466). 2. a) Conforme à la raison, à la logique, au bon sens. Choix rationnel; hypothèse rationnelle; organisation rationnelle; dire qqc. de rationnel. Shelley n'admirait pas les chevaliers errants: leur conduite n'était pas rationnelle (Maurois,Ariel, 1923, p. 69).La morale chrétienne exige de l'homme qu'il vive une vie parfaitement rationnelle (Gilson,Espr. philos. médiév., 1931, p. 212).[Descartes] va refaire toute la nature, et le voici qui, pour la rendre rationnelle, déploie une étonnante fécondité d'imagination (Valéry,Variété IV, 1938, p. 232).[En parlant d'une pers.] Qui raisonne avec justesse, agit méthodiquement. Jusque dans ses passions, il [Guizot] est et restera rationnel (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 1, 1861, p. 85): 3. ... puisque je le dois, je le peux; ce passage du tu dois au tu peux est même le nerf de toute l'éthique kantienne. Mais qu'est-ce qui m'affirme qu'il en est ainsi? Pour Kant c'est évidemment moi-même, en tant que je participe à la raison. Il y a là un fait absolu, quelque chose qui est lié à ma qualité d'être rationnel...
G. Marcel,Journal, 1919, p. 210. [P. méton.] Les défauts de l'éducation qu'il donnait étaient les défauts même de son esprit. Il était trop peu rationnel, trop peu scientifique (Renan,Souv. enf., 1883, p. 180).♦ Empl. subst. Personne qui raisonne avec justesse, se laisse guider par la raison. [La couleur] abominée par les rationnels, qui ne l'admettent que comme un enjolivement, elle fait les délices des sensibles et leur ouvre l'univers magique de la peinture (Huyghe,Dialog. avec visible, 1955, p. 206).Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le rationnel et l'irrationnel; le rationnel et le surnaturel. Le rationnel, en mathématiques comme ailleurs, se retrempe périodiquement dans l'empirique pour acquérir des forces qu'il ne saurait trouver en lui-même (Gds cour. pensée math., 1948, p. 194).[La classification] demeure toujours un des rares moyens dont dispose l'esprit pour traduire dans le langage du rationnel, le seul admis par la science, un réel essentiellement fugace et bien souvent illogique (Hist. sc., 1957, p. 1504). − P. méton. Commode, pratique, fonctionnel. Aménagement rationnel. Dès 1816, l'Italien Léopold Della Santa note dans un écrit les données nouvelles du programme des bibliothèques et (...) il fixe sa conception d'une division rationnelle du bâtiment en trois parties: magasin de livres, salle de lecture, locaux administratifs (Civilis. écr., 1939, p. 50-10). b) Qui est fondé sur une analyse, une méthode, des données scientifiques. Le jour où, instruit enfin, il [le paysan] se déciderait à une culture rationnelle et scientifique, la production doublerait (Zola,Terre, 1887, p. 151).L'abaissement des coûts pour des biens de production donnés ou avec l'aide de biens de production nouveaux est une fonction de toute économie rationnelle, en quelque système que ce soit (Perroux,Écon. XXes., 1964, p. 611). B. − MATHÉMATIQUES − Fraction rationnelle. Fraction comportant deux polynômes. Séries de fractions rationnelles. Le cas des fractions rationnelles à termes entrelacés dont les zéros et les pôles sont réels et entrecroisés a des propriétés voisines de celles de la fonction homographique (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 52). − Nombre rationnel. Nombre entier ou fractionnaire. Soit l'ensemble E des nombres rationnels. Cet ensemble forme un « corps »; c'est-à-dire que si l'on combine deux éléments de cet ensemble par addition, soustraction, multiplication, division, le résultat de l'opération est encore un élément de l'ensemble (sauf si le diviseur est zéro) (Gds cour. pensée math., 1948, p. 186). ♦ Entier rationnel. La notion de divisibilité était restée propre aux entiers rationnels jusqu'au milieu du XVIIIesiècle (Bourbaki,Hist. math.,1960, p. 117). Prononc. et Orth.: [ʀasjɔnεl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1remoit. du xiies. ratïonel « doué de raison (en parlant de l'âme) » (Psautier Oxford, p. 258, 30 ds T.-L.); b) 1546 rational « qui emploie le raisonnement (en parlant d'un homme) » (Rabelais, Tiers Livre, éd. M. A. Screech, ch. 13, p. 100, 45); 1555 medecine rationale (p. oppos. à médecine empirique) (Vadé, Les anciens et renommés auteurs de la méd., trad., p. 930); 1575 rationel « qui n'est pas empirique et travaille par le raisonnement (en parlant d'un médecin) » (Paré, Introduction à la chirurgie, chap. 3 ds
Œuvres, éd. J.-F. Malgaigne, t. 1, p. 31); 2. math. 1549 proportion rationnelle (J. Peletier, L'Arithmetique, f o60 v ods Quem. DDL t. 4); 1691 nombre rationnel (Ozanam, p. 25); 3. 1671 horison rationel (J. Rohault, Traité de phys., t. 2, p. 49); 4. a) 1691 « qui est déduit par le raisonnement et n'a rien d'empirique » (Ozanam); b) 1764 « que l'on ne conçoit que par l'entendement » (Bonnet, Contemplation nat., t. 1, p. 230); c) 1835 méthode rationnelle, procédé rationnel (Ac.); d) 1836 « conforme à la raison » (Musset, Lettres Dupuis Cotonet, p. 665). Empr. au lat.rationalis « doué de raison, où l'on emploie le raisonnement, fondé sur le raisonnement », dér. de ratio « raison ». Fréq. abs. littér.: 956. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 747, b) 1 190; xxes.: a) 968, b) 2 207. Bbg. Gohin 1903, p. 324. |