| RATION, subst. fém. A. − 1. ADMIN. MILIT. Quantité de denrées, vivres et boissons constituant l'alimentation quotidienne de chaque homme. Ration de viande; avoir double ration; distribuer les rations; recevoir, toucher sa ration. Le commandant avait fait prendre secrètement à ses soldats les cartouches et les rations de pain nécessaires à tout son monde (Balzac, Chouans, 1829, p. 10).Le 4 juin, la ration d'eau a été d'un quart. Un quart de litre, pour des hommes qui se sont battus et se battent dans la fumée des grenades, des Flammenwerfer, des gaz asphyxiants! (Bordeaux, Fort de Vaux, 1916, p. 246). ♦ Ration de combat, ration militaire, ou absol., ration. Colis contenant cette quantité de vivres. On peut espérer (...) que le printemps prochain verra revenir dans nos ports un nombre appréciable de navires qui ne seront plus chargés exclusivement de troupes, d'armes, de munitions et de rations militaires (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 421): 1. − Tu as eu faim pendant la guerre? − Tu parles! Remarque que pour ça, maman était formidable; elle se tapait des quatre-vingts kilomètres à vélo pour nous ramener un kilo de champignons ou un bout de charogne; mais ça n'empêchait pas. Le premier Américain qui m'a foutu sa caisse de rations dans les bras, j'étais folle.
Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 56. − En partic. [En parlant d'animaux] Portion journalière de vivres, fourrage. Ration d'avoine, de foin. Il aperçut un cavalier, un chasseur d'Afrique (...). Il était descendu de son cheval, et le cheval, hagard, tremblant sur les pieds, souffrait d'une telle faim, qu'il avait allongé le cou pour manger les planches d'un fourgon, qui stationnait contre le trottoir. Depuis deux jours, les chevaux n'avaient plus reçu de rations, ils se mouraient d'épuisement (Zola, Débâcle, 1892, p. 178). 2. P. ext. a) [Pendant un rationnement établi par les autorités] Portion, quantité d'aliments (ou d'une denrée) qui revient à une personne pour une période donnée. Ration de matières grasses, de savon, de tabac. Jamais encore n'a été pire la condition matérielle des Français. Pour presque tous, le ravitaillement est une tragédie de chaque jour. Du printemps de 1943 à celui de 1944, la ration officielle ne vaut pas mille calories (De Gaulle, Mém. guerre, 1956, p. 169): 2. À peine le ravitaillement arrivait-il dans la maison qu'on faisait les parts. On coupait comme dans beaucoup de familles le pain, le saindoux, le lard, tout ce qui pouvait se diviser, en autant de rations qu'il y avait de têtes. Chaque part était rigoureusement pesée sur la balance de la boutique, et chacun emportait la sienne pour vivre toute la semaine en un farouche égoïsme.
Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 50. b) Quantité d'aliments, de boissons, que consomme une personne, qui lui revient au cours d'un repas, d'une journée. Synon. part, portion.Servir une ration de soupe. Nous avons vu les réfectoires, où sont affichées au mur les rations de cantine (Goncourt, Journal, 1862, p. 1147).On venait de lui monter du chocolat et des brioches. Il mangea toute sa ration qui n'était pas médiocre (Duhamel, Passion J. Pasquier, 1945, p. 220): 3. Tout de suite après les premières lampées, il devint trop rouge: beau garçon campagnard auquel manquait seulement depuis des semaines, l'espace où brûler sa ration quotidienne de nourriture et d'alcool.
Mauriac, Th. Desqueyroux, 1927, p. 201. − P. métaph. La descente commençait, (...), les bobines tournaient, déroulaient les câbles, (...) il retrouvait le monstre avalant sa ration de chair humaine, les cages émergeant, replongeant, engouffrant des charges d'hommes, sans un arrêt, avec le coup de gosier facile d'un géant vorace (Zola, Germinal, 1885, p. 1583). c) Quantité de nourriture, de boisson distribuée par repas ou par jour à un animal. Donner double ration d'avoine. Le lendemain, à six heures, les chevaux (...) furent sellés; on leur fit boire la dernière ration d'eau (Verne, Enf. cap. Grant, t. 1, 1868, p. 164).Après la messe de minuit, en souvenir du bœuf et de l'âne de la crèche, on donne toujours une ration aux bêtes (Pourrat, Gaspard, 1931, p. 12). 3. Spécialement a) AGRIC. Quantité d'aliments normalement consommée par repas ou par jour par un animal et établie en fonction de l'espèce, l'âge, l'utilisation de l'animal. Ration de croissance, d'engraissement, de production; ration journalière d'une vache laitière; valeur nutritive d'une ration; préparer, distribuer des rations. L'éleveur peut (...) se transformer en un distributeur biquotidien de rations convenables de farines ou granulés et d'eau. Il n'a plus à cultiver, plus à se livrer à de longues préparations (Wolkowitsch, Élev., 1966, p. 112). b) PHYSIOL. Ration alimentaire. Quantité et nature des aliments nécessaires pour satisfaire les besoins énergétiques d'un organisme pendant vingt-quatre heures. Ration de travail, de croissance. Les besoins de la ration alimentaire animale sont triples: quantitatifs globaux, de juste équilibre entre les substances intégrées, qualitatifs (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 642).Le laboratoire moderne peut calculer approximativement la ration alimentaire optima d'un individu. C'est une des combinaisons d'aliments qui dégagent un nombre de calories correspondant à la dépense de l'organisme exprimée dans les mêmes unités (Perroux, Écon. XXes., 1964, p. 320). ♦ Ration d'entretien. Quantité d'aliments nécessaire pour compenser strictement les pertes énergétiques quotidiennes d'un organisme. Synon. minimum* vital.On nous enseignait au collège que la composition des substances alimentaires était connue, les exigences de notre organisme également, qu'on pouvait déduire de là ce qu'il faut et ce qui suffit comme ration d'entretien (Bergson, Deux sources, 1932, p. 321). B. − Au fig. Ce qui est donné, infligé à quelqu'un; quantité due ou exigée. Synon. dose, part, lot.Recevoir sa ration de coups, d'épreuves. Elle, qui veut sa ration d'amour journalière et qui, quoique voluptueuse comme mille chattes, n'est ni gracieuse, ni femme (Balzac, Corresp., 1833, p. 391).Depuis qu'il avait compris qu'on a toujours tort, quoi qu'on fasse, et surtout si on a cru bien faire, il avait le cœur drôlement léger. Il avalait comme du lait chaud sa ration quotidienne d'insultes (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 458). Prononc. et Orth.: [ʀasjɔ
̃], [ʀ
ɑ-]. Littré, DG: [-a-]; Passy 1914, Barbeau-Rodhe 1930 [-ɑ-]; Warn. 1968, Rob. 1985 [-ɑ-], [-a-]; Lar. Lang. fr.: [-a-]; Martinet-Walter 1973 [-a-], [-ɑ-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1290 « partie de la solde d'un militaire qui est mise en réserve en commun » (Jean Priorat, Chevalerie, éd. U. Robert, 3395); 2. 1376 racion « prébende ou bénéfice ecclésiastique » (Testament de Charles II, roi de Navarre ds Du Cange, s.v. rationarius); 3. a) 1643 « quantité de pain, de viande, de vin donnée chaque jour aux marins » (Fournier, Hydrographie, p. 12); b) 1810 agric. ration de fourrage (MmeDe Genlis, Maison rustique, t. 3, p. 137); c) 1822 fig. « tout ce que quelqu'un reçoit (par exemple de bonheur) » (Stendhal, Amour, p. 209). 1 empr. au lat. class. ratio « compte, somme ». 2 terme jur. du dr. eccl., empr. au lat. médiév. ratio dont le sens de « prébende ou bénéfice ecclesiastique » qui s'est développé (cf. l'attest. de 1378 relevée par Du Cange dans un doc. originaire de Marseille) est issu du lat. class. 3 dep. le xviies. désigne surtout la ration des marins ou des soldats. Cf. déjà lat. médiév. ratio « la portion calculée des choses et des vivres nécessaires qui tombe en partage aux soldats » att. vers 1300 dans une bulle du pape Boniface VIII à Jacques II d'Aragon (Du Cange) et le cat. racio « portion de vivres » att. dep. 1315 (Alc.-Moll.). Fréq. abs. littér.: 193. DÉR. Rationnaire, subst.Celui, celle qui reçoit une ration, qui a droit à une ration. Les marmites de la cantine sont prévues pour 50 à 100 rationnaires (Mathiot, Éduc. mén., 1957, p. 58).− [ʀasjɔnε:ʀ]. − 1reattest. 1777 subst. masc. « celui qui reçoit une ration » (P. V. Malouet, Coll. de mém. et corresp. officielles sur l'admin. des colonies, t. 2, p. 165); de ration, suff. -aire*. BBG. − Darm. Vie 1932, p. 142. |