| RAISONNEMENT, subst. masc. I. − Au sing. Faculté de raisonner; exercice de cette faculté; manière de l'exercer. A. − 1. Faculté d'analyser le réel, de percevoir les relations entre les êtres, les rapports entre les objets, présents ou non, de comprendre les faits; exercice de cette faculté, activité de la raison discursive. Employer le raisonnement; faire appel, recourir au raisonnement; (un esprit) accessible, sourd au raisonnement; fournir matière à raisonnement. Des hommes robustes, courageux, fiers de leur indépendance, capables de raisonnement et de calcul (Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 456).Il la prit par la douceur, par le raisonnement, par les sentiments (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Boule de suif, 1880, p. 147).Nous n'identifierions pas les objets si nous ne faisions pas intervenir le raisonnement (Proust, Guermantes 2, 1921, p. 419). − [S'oppose à instinct, intuition, affectivité, émotion] Est-ce qu'on tue par raisonnement! On ne tue que sous l'impulsion du sang et des nerfs (Zola, Bête hum., 1890, p. 258).Vous (...), élevé par l'instruction et le raisonnement au-dessus du mouvement instinctif de la croyance (Martin du G., J. Barois, 1913, p. 259).V. intuition ex. 3. − [S'oppose à expérience, action, évidence, fait] Le raisonnement ne console point, ne calme point, ne ramène point; ce sont des faits qui touchent et qui persuadent (Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 459).Cette écharpe [du Saint Michel de Raphaël] a trois bouts, singularité piquante qui échappe d'abord à l'œil et dont le raisonnement seul se rend compte (Gautier, Guide Louvre, 1872, p. 31).Il est de l'essence du raisonnement de nous enfermer dans le cercle du donné. Mais l'action brise le cercle (Bergson, Évol. créatr., 1907, p. 193). − P. iron. [Pour exprimer la stérilité de l'excès dans l'analyse ou dans la discussion] Le cerveau brûlé par le raisonnement a soif de simplicité, comme le désert a soif d'eau pure (Renan, Souv. enf., 1883, p. viii). − [P. allus. littér. à Molière, Les Femmes savantes, ii, 7: Raisonner est l'emploi de toute ma maison, Et le raisonnement en bannit la raison] Peuple français (...) N'écoute pas les raisonneurs: on ne raisonne que trop en France, et le raisonnement en bannit la raison (J. de Maistre, Consid. sur Fr., 1796, p. 111). 2. Capacité de connaître, de juger, de convaincre; aptitude à comprendre, envisagée du point de vue de son développement plus ou moins grand selon les personnes; qualité d'une personne, disposition d'un esprit qui juge avec discernement, avec sagesse. Synon. intelligence, jugement, esprit critique (v. esprit 2eSection I D 1).La réflexion et le raisonnement sont visiblement lésés ou détruits dans la plupart des accès de manie (Pinel, Alién. ment., 1801, p. 24).Mignet a l'intelligence plus étendue que Thiers. Il a aussi plus de force de raisonnement (Delécluze, Journal, 1826, p. 308).Parmi les jeunes gens que sa renommée attirait chez lui, aucun ne l'avait étonné davantage par la précocité vraiment extraordinaire de l'érudition et du raisonnement (Bourget, Disciple, 1889, p. 28). − Loc. Avoir du raisonnement. Savoir raisonner, raisonner juste. Cet homme est sans excuse: il a de l'esprit, de la finesse, du raisonnement; il n'y a de bas en lui que ses passions (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 268).C'est elle qui me disait à trois ans, quand je lui parlais du bon Dieu qui est dans le ciel: « C'est donc comme les oiseaux; est-ce qu'il a un bec? » Elle avait déjà du raisonnement (Taine, Notes Paris, 1867, p. 82). B. − Notamment en log. et dans le lang. sc.Opération qui consiste à lier deux propositions pour en former une troisième (ou conclusion), au moyen de règles logiques. Lorsqu'on oppose les sciences d'observation aux sciences fondées sur le calcul et le raisonnement (Cournot, Fond. connaiss., 1851, p. 545).Ce cliché [radioscopique] fournit un simple élément d'appréciation qui se joindra à beaucoup d'autres sur lesquels s'appliquera le raisonnement du médecin et d'où il tirera son diagnostic (Proust, Guermantes 1, 1920, p. 242).V. éléatique ex. de Ozanam, inférence ex. de Lal. 1968 et de Lévi-Strauss, intelligence ex. 14: 1. ... ceux qui (...) ne sont point venus au marxisme par raisonnement, par théorie, mais par un douloureux besoin de justice et par cette chaleur de cœur qui rappelle souvent, à s'y méprendre, ce que le chrétien appelle: la charité; par amour.
Gide, Journal, Feuillets, 1937, p. 1291. SYNT. Conduire, mener un raisonnement; acquérir, établir, reconstituer qqc. par le raisonnement; qqc. s'appuie sur le raisonnement; mécanisme, règles, voies du raisonnement; artifice, faute, schéma, subtilité de raisonnement. − Raisonnement par + subst., raisonnement + adj. ♦ [Indiquant le type du raisonnement, la nature de sa démarche] Raisonnement par l'absurde*, par analogie*, par récurrence*; raisonnement déductif ou syllogistique (v. déductif ex.); raisonnement par induction (v. induction A 1 a et inductif A 1); raisonnement hypothético-déductif (rem. s.v. hypothétique, ex. de Piaget); raisonnement à priori (v. à priori B) ou a postériori (v. à postériori A). [Chez Cl. Bernard] Raisonnement expérimental. Processus de vérification des hypothèses par l'expérience. On a ainsi les éléments d'un raisonnement expérimental, parce qu'à côté des cas traités par la saignée, on a fait apparaître d'autres cas non saignés qui constituent une véritable contre-épreuve ou expérience contradictoire (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 227). ♦ [Indiquant le domaine d'application du raisonnement] Raisonnement historique, juridique. [La mécanique] projette sur les données de fait la lumière crue du raisonnement mathématique et tire de l'analyse de quoi perfectionner les concepts abstraits (Hist. gén. sc., t. 3, vol. 2, 1964, p. 186). − PSYCHOL. [Les opérations de la pensée logique sont envisagées sous un angle descriptif] Raisonnement enfantin ou primitif; raisonnement de l'adolescent; raisonnement affectif, passionnel. Le raisonnement intellectuel n'a qu'un but: connaître la vérité objective (...). Le raisonnement émotionnel est une adaptation aux croyances, aux désirs et aversions. Sa position est subjective (Th. Ribot, La Logique des sentiments, 1908, p. 59).La modalité de la pensée enfantine, le réalisme intellectuel et l'incapacité au raisonnement formel (J. Piaget, Le Jugement et le raisonnement chez l'enfant, 4eéd., 1956, p. 193). II. − Avec un indéf. ou au plur. Produit de cette faculté; résultat de l'action de raisonner. A. − Ensemble des arguments issus d'une réflexion, mis en œuvre dans une discussion, et qui ont pour but de convaincre quelqu'un ou de démontrer, de prouver quelque chose. Synon. argument(s), preuve(s), raison(s).On ne comprenait guère son désespoir, qu'on voulait calmer par des raisonnements (Murger, Scènes vie boh., 1851, p. 220).Il dut reprendre tout son raisonnement, pour se prouver son droit au meurtre, le droit des forts que gênent les faibles (Zola, Bête hum., 1890, p. 204).L'assentiment peut valablement survivre aux raisonnements qui l'ont provoqué (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 100): 2. Le défilé avait passé. Connaissant l'incroyance de Marie-Jeanne, Patrick l'avait vue avec stupeur esquisser, à l'approche du cercueil, le signe de la croix, par un de ces gestes où se décèle l'automatisme ancestral, déclenché par une émotion plus forte que tous les raisonnements.
Bourget, Actes suivent, 1926, p. 133. SYNT. a) α) Ébaucher, bâtir, étayer, démolir un raisonnement; faire, se faire, monter, tenir (tout) un raisonnement; orienter, poursuivre, reprendre, retourner, suivre un raisonnement; mener à bien, aller au bout d'un/de son raisonnement; perdre le fil d'un raisonnement.
β) Combattre, soutenir un raisonnement; se rendre, souscrire à un raisonnement; entrer dans le raisonnement de qqn; n'écouter aucun raisonnement. b) Un raisonnement se tient, tient debout, s'enlise, s'écroule; un raisonnement ne mène à rien, échoue. c) Raisonnement imparable, impeccable, implacable, inattaquable, irréfutable; raisonnement captieux, fallacieux, scabreux, spécieux; raisonnement astucieux, audacieux, ingénieux, simpliste, hasardeux, dangereux; raisonnement bancal, boiteux, fragile, tortueux; raisonnement bâtard, bizarre, idiot, puéril, stupide, superficiel. d) Au plur.
α) Dévider des raisonnements; nourrir ses raisonnements de qqc.; se livrer à des raisonnements interminables; user de tous les raisonnements (pour arriver à ses fins); épuiser tous les raisonnements (pour se rassurer); répondre à des raisonnements.
β) Accumulation de raisonnements; chaîne, cours, dédale, trame des raisonnements; raisonnements contradictoires, décousus, futiles, impuissants, inutiles, pompeux; de vieux raisonnements rebattus; de beaux raisonnements stériles. − Loc. et expr. ♦ Au sing. [Dans des propos rapportés au style dir., sert à exprimer le doute que l'on a sur la valeur de l'argumentation d'un interlocuteur] Ce n'est pas un raisonnement (Rob.). ♦ Au plur. (Faire) des raisonnements à perte d'haleine ou à perte de vue. ,,Faire des raisonnements vagues qui ne concluent à rien`` (Ac.). [Dans des propos rapportés au style dir., sert à exprimer l'irritation provoquée par les répliques, les objections répétées de l'interlocuteur] Point tant (ou pas tant) de raisonnements! (Ac.). Épargnez-nous vos raisonnements (Rob.). B. − Notamment en log. et dans le lang. sc. Suite logique de propositions aboutissant à une conclusion. Mettre en forme, construire un raisonnement; portée d'un raisonnement; raisonnement vrai, défectueux, concluant, absurde. Maxwell, dans son raisonnement sur les aimants, a calculé seulement le travail des forces magnétiques proprement dites (H. Poincaré, Électr. et opt., 1901, p. 398).[D'après Aristote] il est possible de réduire tout raisonnement correct à l'application systématique d'un petit nombre de règles immuables (Bourbaki, Hist. math., 1960, p. 13).V. conclusion ex. 8: 3. ... un raisonnement est toujours une série de jugemens qui s'enchaînent de manière que l'attribut du premier devient le sujet du second, et ainsi de suite ...
Destutt de Tr., Idéol. 3, 1805, p. 346. − Au plur. [S'oppose à sensations, émotions] Synon. de spéculations.Ses yeux exprimaient cette exaltation naïve devant la beauté de la nature, privilège des cœurs restés simples qui ne se retrouve pas quand on s'est desséché l'âme à force de raisonnements, de théories abstraites et de lectures (Bourget, Disciple, 1889, p. 126). REM. 1. Raisonnage, subst. masc.,au plur., péj., rare, synon. (supra II A).Elle est la vraie raison de tous ces vains raisonnages (Suarès, Voy. Condottière, t. 3, 1932, p. 267). 2. Raisonnaillerie, subst. fém.,au plur., péj., rare, synon. (supra II A).Enfantillages, folles raisonnailleries (Arnoux, Solde, 1958, p. 264). Prononc. et Orth.: [ʀ
εzɔnmɑ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1380 « faculté ou action de raisonner » (Roques t. 2, 10250, p. 347); 1672 péj. « manie de raisonner » (Molière, Femmes savantes, II, 7, vers 598); b) 1636 « suites de propositions enchaînées » (Monet); en partic. 1851 raisonnement déductif (Cournot, Fond. connaiss., p. 262); 1878 raisonnement expérimental (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., p. 210); 1907 raisonnement par analogie (Bergson, Évol. créatr., p. 256); 2. a) 1636 « argument, série de preuves produites pour établir la vérité de quelque chose ou convaincre quelqu'un » (Monet); 1782 des raisonnements à perte d'haleine (Laclos, Les Liaisons dangereuses, 2epart., LI ds
Œuvres compl., éd. L. Versini, p. 105); b) 1667 « argument, objection, excuse qu'on soulève pour ne pas obéir » (Racine, Andromaque, IV, 3, vers 1233). Dér. de raisonner1*; suff. -ment1*. Fréq. abs. littér.: 2 849. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5 875, b) 3 008; xxes.: a) 3 781, b) 3 216. |