| RACCROCHER, verbe I. − Empl. trans. A. − [L'obj. désigne une chose] 1. Suspendre, accrocher de nouveau (ce qui était décroché). Raccrocher une gravure, un tableau, un vêtement. Il va dans sa cellule chercher deux cailloux qu'il frappe l'un contre l'autre, enflamme une feuille sèche et allume la petite lampe qu'il raccroche à la muraille (Flaub., Tentation, 1849, p. 207): 1. La corde d'un des poids avait cassé, et le poids était tombé avec un bruit de canon, ébranlant tout. Philippe voulait le raccrocher, mais elle lui dit: − Tu le raccrocheras aussi bien demain!
Renard, Journal, 1899, p. 516. a) En partic.
α) Raccrocher le combiné, l'écouteur, le récepteur (du téléphone); empl. abs. raccrocher. Replacer l'écouteur sur l'appareil téléphonique pour interrompre la communication. Ce pauvre Paul, notre innocente plaisanterie d'hier soir l'a troublé, dit Anne, en raccrochant le récepteur (Radiguet, Bal, 1923, p. 70).P. méton. Interrompre une conversation téléphonique. Synon. couper.On m'a raccroché au nez; ne raccrochez pas. Qui est à l'appareil? Un bruit sec lui apprit qu'on avait raccroché (Maurois, Climats, 1928, p. 242).
β) Fam. [Le suj. désigne un sportif, p. ext. une pers. en activité] Raccrocher les gants, les pointes, le vélo...; empl. abs. raccrocher. Abandonner la compétition sportive, l'activité que l'on exerçait et que l'on ne peut ou ne veut plus pratiquer. Car Gabès n'est pas très éloigné du moment où il devra raccrocher les gants (Match, 6 nov. 1934, p. 14 ds Grubb Sports 1937, p. 59).Voir Sandry, Carrère, Dict. arg. mod., 1953, p. 207. b) Empl. pronom. Se raccrocher à qqc.S'agripper, se retenir de toutes ses forces à quelque chose. Ses pieds s'embarrassèrent dans un paquet de câbles. Il trébucha. Ses mains, au hasard, se raccrochèrent à une corde (Verne, Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p. 197).Ah! le joli bébé que je fais avec ma canne et ma main se raccrochant à tous les angles des objets (Verlaine,
Œuvres posth., t. 2, Souv. et prom., 1896, p. 172): 2. Elle lui donne un soufflet si bien appliqué, que, du choc, Marignan tombe à la renverse. Il cherche à se raccrocher au guéridon, l'entraîne avec lui. Les porcelaines qui étaient sur le guéridon tombent et se brisent.
Meilhac, Halévy, Cigale, 1877, II, 22, p. 106.
α) Loc. métaph. Se raccrocher aux branches. Comme il cherchait à se raccrocher depuis un instant à une autre branche intéressante d'entretien, il évita le brûlot sans l'avoir soupçonné (Duranty, Malh. H. Gérard, 1860, p. 223).Un jeune héros de Mauriac considérait ses amitiés et ses plaisirs comme des « branches » qui le soutenaient précairement au-dessus du néant: je lui empruntai ce mot. On avait le droit de se raccrocher à des branches, mais à condition de ne pas confondre le relatif avec l'absolu (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 228).
β) Au fig. Se raccrocher à l'avenir, à la vie. Je me raccroche à mes souvenirs comme d'autres à leurs espérances (Flaub., Corresp., 1853, p. 387).Je ne guéris pas encore sa tristesse, mais déjà, comme elle se raccroche à l'espoir! (Gide,Immor., 1902, p. 453): 3. Thomiste donc, mais thomiste honteux et continuant à fronder par des chicanes puériles la doctrine à laquelle il avait dû se raccrocher sous peine de rompre avec l'unité catholique.
Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 448. 2. Fam. Ressaisir, recouvrer (une chose qui semblait perdue); obtenir par hasard ou de manière inespérée. Raccrocher un emploi. Ne laissez pas les choses faites à demi, raccrochez-moi ces dix mille francs (Stendhal, L. Leuwen, t. 2, 1835, p. 421).J'ai eu le sentiment que Zola allait (...) dans ce roman (...) chercher à raccrocher de la vente au moyen de l'attendrissement des bonnes âmes (Goncourt, Journal, 1895, p. 886). 3. Au fig. [L'obj. désigne une réalité abstr.] Rattacher, relier (une chose à une autre). Les familles sont si anciennes, parties de si peu, avec tant de ramifications, que tel pauvre diable qui casse des cailloux sur les routes trouve moyen de raccrocher sa parenté aux plus grands personnages de l'île (A. Daudet, Nabab, 1877, p. 239).J'avais beau raccrocher désespérément ma pensée à la belle coudée caractéristique du Rialto, il m'apparaissait avec la médiocrité de l'évidence comme un pont (...) inférieur (Proust, Fugit., 1922, p. 653). − Empl. pronom. Le pullulement des petites disciplines jalouses de leur autonomie et se raccrochant désespérément, elles aussi, à une autarcie aussi vaine dans le domaine intellectuel, et aussi funeste, que dans le domaine économique (L. Febvre, Contre l'esprit de spécialité, [1933] ds Combats, 1953, p. 105). B. − [L'obj. désigne une pers.] Arrêter, retenir au passage. Fourmillante cité, cité pleine de rêves, Où le spectre en plein jour raccroche le passant! (Baudel., Fl. du Mal, 1859, p. 153).Sur le chemin de la Grotte, (...) [Pierre] fut blessé par l'acharnement des vendeuses de cierges (...) Le négoce, l'impudent négoce, raccrochait ainsi les pèlerins jusqu'aux abords de la Grotte (Zola, Lourdes, 1894, p. 267). − Se raccrocher à qqn.Il y a ici une vieille dame française (...) qui a presque entièrement perdu la mémoire. Elle se raccroche à ma sœur qu'elle appelle son bon ange (Green, Journal, 1945, p. 220). − En partic., vieilli. Racoler. J'ai fait quelques pas à pied avec l'espoir de quelques frôlements. Aucune femme ne m'a raccroché (Renard, Journal, 1897, p. 407).La poule me raccroche sur la Gran Via. Je ne sais pas ce qu'elle me dit, mais ça voulait dire qu'elle savait faire des trucs et des machins (Malraux, Espoir, 1937, p. 546). ♦ Empl. abs. Des putains qui raccrochent, en bonnet et en pélerine de soie noire sur une robe de coton (Goncourt, Journal, 1855, p. 192). II. − Empl. intrans., JEUX (billard). Faire un ou plusieurs raccrocs. Il joue [au billard], il perd; son adversaire [qui semblait si maladroit] raccroche toujours (Vidocq, Voleurs, t. 1, 1836, p. 115). Prononc. et Orth.: [ʀakʀ
ɔ
ʃe], (il) raccroche [ʀakʀ
ɔ
ʃ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1480-90 racrocher « fermer (une robe) à l'aide d'un crochet » (Monologue des perrucques, 171 ap. G. Coquillart,
Œuvres, éd. M. J. Freeman, p. 326); b) 1675 « accrocher de nouveau » (Widerhold, Nouv. dict. fr.-all. et all.-fr. d'apr. FEW t. 16, p. 403b); c) 1904 spéc. raccrocher (l'écouteur du téléphone) (H. Bataille, Maman Colibri, I, 2, p. 5); 1923 absol. « replacer le combiné, mettre fin à une communication téléphonique » (Flers, Caillavet, M. Brotonneau, p. 5); d) 1931 « abandonner une activité qu'on ne peut plus exercer » (L'Auto, 2 déc. ds Petiot); 2. a) α) av. 1660 « ressaisir, reprendre (ce qui a échappé) » (Scarron ds Rich. 1680); 1663 (Molière, L'Étourdi, II, 6 ds
Œuvres, éd. E. Despois, t. 1, p. 148);
β) 1895 « obtenir quelque chose par hasard ou de manière inespérée » (Goncourt, Journal, p. 886); b) 1663 pronom. « regagner un avantage perdu » (Molière, L'École des femmes, III, 4, t. 3, p. 223); 1694 se raccrocher à « id. » (Ac.: il s'est raccroché à la faveur); c) 1765 « se cramponner, s'agripper à quelque chose pour ne pas tomber, ne pas être entraîné » (Encyclop.); 1832 fig. (Raymond); 3. a) 1725 « racoler » (Grandval, Le Vice puni, 16); 1783 absol. « id. » (Restif de la Bret., Contemp. du commun, p. 81); b) 1836 « arrêter pour retenir (quelqu'un qui passe) » (Stendhal, H. Brulard, t. 1, p. 435); 4. 1829 intrans. « faire, par chance, un ou plusieurs coups heureux dans un jeu d'adresse » (Boiste). Dér. de accrocher*; préf. re-*. Fréq. abs. littér.: 364. Fréq. rel. littér.: xixes. : a) 103, b) 363; xxes.: a) 585, b) 910. DÉR. Raccrochement, subst. masc.Fait de se raccrocher à quelqu'un, à quelque chose. Massis (...) me tient pour responsable de la faillite de la génération qui me suit. Il ne voit le salut que dans le raccroche-ment à de vieux principes (Gide, Journal, 1931, p. 1083).− [ʀakʀ
ɔ
ʃmɑ
̃]. − 1reattest. 1931 id.; de raccrocher, suff. -ment1*. Bbg. Notes de lexicogr. critique. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1985, t. 23, p. 30. |