| QUITTE, adj. A. − 1. (Qui est) libéré d'une obligation juridique, d'une dette pécuniaire. Tenir qqn quitte de ce qu'il doit, le reconnaître quitte de sa dette: 1. Le roi fit venir ensuite les prisonniers qu'il avait amenés, et les renvoya sur parole de le venir trouver, s'il avait la victoire, les tenant quittes de toute rançon si la bataille était perdue pour lui.
Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 70. − [Sans compl.] (Être) quitte; (reçu tant, payé tant, et) partant quitte. Le marché conclu et sa tâche accomplie, l'artisan qu'il serait et le client auquel il aurait affaire seraient quittes, comme on dit, c'est-à-dire libres vis-à-vis l'un de l'autre (Guéhenno, Jean-Jacques, 1950, p. 121). − Empl. subst., rare (ici p. métaph.). Voici (...) que la dette avait été payée, grâce à l'exécution [capitale] du Borgnot. Le sang avait eu son quitte de sang (Richepin, Cadet, 1890, p. 338). − [P. méton.; avec un inanimé, en parlant d'un héritage, d'une succession ou d'un bien, d'une propriété] En équité, si les effets de votre frère se négocient (...) sur la place à tant pour cent de perte (...) la succession de feu Grandet de Paris se trouve loyalement quitte (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 7). ♦ P. métaph. J'ai César Birotteau à achever (...) et après il me faudra faire le dernier ouvrage dû, Nucingen et Compagnie, pour la Presse. Là ma plume sera quitte et libre (Balzac, Lettres Étr., t. 1, 1837, p. 420). 2. P. anal. Libéré, exempté, exonéré (de charges, de taxes). (Être) quitte d'impôts; apport franc et quitte; quitte de frais. Cette somme (...) devait bientôt produire un revenu de douze mille francs par an, quittes de toute charge, à la mère et à la fille (Balzac, Cous. Bette, 1846, p. 331). 3. Loc. verb. inv. a) Vx. [Au jeu, dans les affaires, dans les comptes] Être, faire, se tenir quitte à quitte. Ne plus rien se devoir de part ni d'autre. Au fig. Se rendre la pareille. Une femme de cœur peut-elle respecter L'homme qui perd ainsi le respect de lui-même? (...) Avouez qu'il invite La femme à le trahir pour être quitte à quitte (Augier, Homme de bien, 1845, p. 83). − Fam. Quitte à quitte, et bons amis (Raymond1832). Rem. Rey-Chantr. Expr. 1979 note: ,,Quitte à quitte et bons amis, phrase convenue par laquelle on concluait un compte, un marché (cf. Les bons comptes font les bons amis); ironiquement, qualifiait une vengeance d'égale importance au tort causé``. b) JEUX. Jouer à quitte ou double, plus ordin., jouer quitte ou double. Jouer une dernière partie qui, si l'on gagne, rattrape toutes les pertes. (Dict. xixeet xxes.). − En partic. [Titre d'un jeu radiophonique où le concurrent peut à chaque épreuve perdre son gain ou le doubler] Le succès d'émissions comme « Quitte ou double », « la coupe interscolaire », « Vous avez vécu cela », prouve le contraire. Mais pour qu'il [l'auditeur] s'y intéresse, il faut s'adapter à lui et prendre un ton simple et familier (Weinand, Public. radioph., 1964, p. 27). ♦ Empl. subst. masc. Un quitte ou double (Pt Rob.). − P. anal. [À propos d'une pers. qui prend de gros risques dans les affaires] Jouer (sa fortune) (à) quitte ou double. Je me refuse le plaisir de jouer ma fortune à quitte ou double [à la Bourse], ce qui m'amuserait (Stendhal, L. Leuwen, t. 2, 1835, p. 403).Et puis, quand on a entamé le magot des clients, il y a la Bourse, où l'on joue quitte ou double... et où j'ai perdu! (Coppée, Idylle pendant siège, 1874, p. 19). − P. métaph. Le monde parlementaire [de l'affaire du Panama] sent qu'il n'est plus maître de rien, qu'on le joue décidément quelque part, à quitte ou double (Bernanos, Gde peur, 1931, p. 275). − Empl. abs. Allons, quitte ou double! Il roulait une seule pensée noire dans sa tête. (...) il allait et venait dans la salle, de l'évier au feu. Le Nanne l'entendit deux ou trois fois qui disait en levant la main vers les solives: « Ce sera quitte ou double » (Pourrat, Gaspard, 1922, p. 107). − Au fig. Le décor abstrait est le plus délicat à réaliser, à tel point qu'à mon sens seul le (...) responsable de tout le spectacle (...) saurait le réaliser, et encore jouerait-il à quitte ou double! (Lifar, Traité chorégr., 1952, p. 70). B. − [Notamment avec les verbes considérer, se croire, estimer] Libéré d'une obligation morale ou sociale. (Être) quitte envers qqn, avec sa conscience; se croire quitte en faisant qqc. Quand on commet une indiscrétion, l'on se croit quitte en recommandant à la personne d'être... plus discrète qu'on ne l'a été soi-même (Renard, Journal, 1890, p. 63).Hyacinthe (...) se tint quitte (...) de toutes les obligations auxquelles se soumet le vulgaire (A. France, Pt Pierre, 1918, p. 179).[Vous] vous croyez quittes avec une aumône (Sartre, Diable et Bon Dieu, 1951, ii, 5, 2, p. 153). − Empl. abs. Maintenant, je me sens quitte. Je reprends ma liberté! (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 483). ♦ [P. méton.] Voici le soir! Aie pitié de tout homme, Seigneur, à ce moment qu'ayant fini sa tâche, il se tient devant toi comme un enfant dont on examine les mains. Les miennes sont quittes! J'ai fini ma journée! (Claudel, Violaine, 1901, iv, p. 655). − Loc. verb. Tenir qqn quitte de. Dispenser quelqu'un de. Le bourgeois n'y vient [à une conférence] qu'avec le désir de juger. Il se refuse ou se retient. Applaudissements violents et courts. Les dames croient que leur présence les tient quittes du reste (Renard, Journal, 1902, p. 715). − P. métaph. Ce mort, s'il m'accusait, serait une âme fausse; Car n'étant pas de ceux qui creusèrent la fosse, Je suis quitte avec le cercueil (Hugo, Quatre vents esprit, 1881, p. 16). ♦ Au fig. Je doute quelle serait la plus préjudiciable à soi- même et aux autres, à l'humanité: une charité qui prendrait son parti de l'injustice, une justice qui se sentirait quitte d'aimer (Gide, Feuillets, 1937, p. 1291).V. charité ex. 12. C. − Délivré, débarrassé 1. Délivré, débarrassé d'une obligation désagréable ou pénible. (Être) quitte du service militaire, d'une besogne, d'une corvée, d'une visite. La politique (...) il en avait par-dessus la tête; on n'en est jamais quitte avec elle (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 391): 2. Par la résurrection, nous rentrons dans la vie absolue, la vie éternelle, à laquelle aspirait tout le mouvement de l'émotion. Quittes enfin de cette vie pour la mort (...) nous touchons à la vie totale, définitive...
J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p. 260. 2. En partic. Délivré, débarrassé d'une personne. Trois ou quatre cavaliers qui avaient été ses galants, ne souhaitaient rien tant que d'être quittes d'elle (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 67). 3. Loc. verb., fam. − Être quitte de (faire) qqc. Avoir fini de; ne plus avoir à (faire quelque chose), en être débarrassé. L'étude sur Gabriel Marcel destinée également à Legrix: de tout cet ensemble de travaux il serait bon d'être quitte avant le 1erjuillet (Du Bos, Journal, 1926, p. 25). − Être quitte de; en être quitte à bon compte, à bon marché, à bas prix. Jupien et sa nièce (...) avaient dû s'estimer heureux d'en être quittes à si bon marché (Proust, Prisonn., 1922, p. 196). − En être quitte pour. N'avoir à souffrir, à supporter que. ♦ [Suivi d'un subst.] En être quitte pour un blâme, pour la peur. Donc il allait se battre, et se battre au pistolet? Pourquoi n'avait-il pas choisi l'épée? Il en aurait été quitte pour une piqûre au bras ou à la main (Maupass., Bel-Ami, 1885, p. 160). ♦ [Suivi d'un inf.] Les animaux à longs poils sont soumis à la quarantaine du navire (...) les (...) oiseaux en sont quittes pour être lavés avec du vinaigre (Stendhal, Mém. touriste, t. 2, 1838, p. 404).Elle s'était laissé séduire par un jeune homme (...) qui (...) l'avait abandonnée, grosse d'un enfant. Il en avait été quitte pour se faire nommer dans un autre coin de Paris (Bourget, Tapin, Fille-mère, 1927, p. 161). 4. Loc. prép. inv. − Fam. Quitte à. Au risque de, à charge de, en se réservant de. Quitte à essuyer un affront; quitte à perdre sa place, à recevoir une gifle, à être grondé; quitte à vous déplaire, je vous dirai que...; quitte à y laisser sa dernière chemise. Le système d'examen né du protestantisme et qui s'appelle aujourd'hui libéralisme, quitte à prendre demain un autre nom, s'étend à toutes choses (Balzac, Curé vill., 1839, p. 76).Les gens de Germenay se marient entre eux. (...) ils s'entraident. Quand l'un d'eux est obligé d'abattre une bête mangeable, tous lui en achètent, quitte à jeter le morceau. C'est de la mutualité (Renard, Journal, 1903, p. 832). − Rare. Quitte pour. Même sens. Eh bien, vous dites que j'aurai la fièvre, quitte pour l'avoir (Ac.1835, 1878). Rem. 1. Quitte, épith. d'un subst. plur., est parfois accordé. Si nous voulons lui prouver que nous avons raison, il nous faut essuyer un torrent de basses injures, quittes, quand nous nous y dérobons, à nous entendre appeler sots et impertinents (Hugo, Corresp., 1816, p. 293). Ils imaginèrent quelque chose de tout à fait ingénieux: se lancer à la poursuite de leur argent! remettre, coûte que coûte, la main sur le fuyard, quittes à refaire, de jour, la course folle de la nuit! (Courteline, Train 8 h 47, 1888, 2epart., 9, p. 197). 2. Grev. Probl. t. 2 1962, note pp. 167-168: ,,Allons, paix à la syntaxe! comme disait le père Hugo. Elle nous laisse, en cette affaire, de belles latitudes: à notre choix, dans quitte à construit avec un infinitif, nous ferons quitte variable ou invariable. Toutefois, avec la majorité des bons écrivains, nous préférerons l'invariabilité.``. 3. Quitte adj. est toujours postposé. REM. Quittement, adv.,terme de palais, vieilli. Franchement et quittement. Sans charge ni hypothèque. On m'a vendu ce bien franchement et quittement (Littré). Prononc. et Orth.: [kit]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 « libéré d'une charge morale, d'une faute » (Roland, éd. J. Bédier, 1140); 2. déb. xiies. « exempté, libre, débarrassé de » (St Brendan, 1544 ds T.-L.); ca 1450 être quicte pour (Monstrelet, Chron., éd. L. Douët-D'Arcq, t. 1, p. 42); 1548 en être quitte pour (N. Du Fail, Baliverneries ou contes nouv. d'Eutrapel, éd. J. Assézat,
Œuvres facétieuses, t. 1, p. 305); 3. ca 1160-74 « sur lequel il n'y aura plus de droits, qui n'est plus dû » (Wace, Rou, éd. A.-J. Holden, III, 10720); 4. ca 1160-74 « libéré de sa dette » (Id., ibid., 10724); 5. 1461-62 jouer à quitte ou à double, ici au fig. « risquer le tout pour le tout » (Jean de Bueil, Le Jouvencel, I, XI, éd. L. Lecestre, t. 1, p. 201); 6. 1675 quitte à « au seul risque de » (Mmede Sévigné, Lettres, éd. R. Duchêne, t. 2, p. 186). Empr. au lat. jur.quietus (v. coi et quiet) prononcé au Moy. Âge quitus (Nierm.) par suite d'une accentuation hypercorrecte (réaction contre pariétem au lieu de paríetem) du lat. class. quiétus (ce dernier étant à l'orig. de coi*). Fréq. abs. littér.: 854. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 270, b) 1 222; xxes.: a) 1 229, b) 1 148. Bbg. Baist (G.). Quitte. Rom. Forsch. 1910/11, t. 29, p. 320. − Cledat (L.). Quitte à. In: [Mél. Wilmotte (M.)]. Paris, 1910, pp. 99-103. − Grundt (L.-O.). Ét. sur l'adj. invarié en fr. Bergen-Oslo-Tromsø, 1972, pp. 58-61; p. 72, 181. − Löfstedt (B.). Das Frz. quitte... Neuphilol. Mitt. 1979, t. 80, pp. 385-386. − Morel (M.-A.). Ét. sur les moy. gramm. et lex. propres à exprimer une concess. en fr. contemp. Thèse, Paris, 1980, t. 2, p. 831, 848, 860, 866. − Tobler (A.). Quitte à..., sauf à. In: [Mél Chabaneau (C.)]. Rom. Forsch. 1907, t. 23, pp. 463-467. |