| QUINTESSENCE, subst. fém. A. − 1. HIST. DE LA PHILOS. Cinquième élément qui s'ajoute chez certains philosophes anciens aux quatre premiers (la terre, le feu, l'air, l'eau définis par Empédocle) et qui en assure la cohésion. Posidonius, Cléanthe, la tiennent [l'âme] pour la chaleur, Hippocrate pour un esprit répandu dans tout l'être (...). Zénon pour la quintessence des quatre éléments, Héraclide de Pont pour la lumière (Chateaubr.,Mém., t. 1, 1848, p. 623). 2. P. anal. a) ALCHIM. Substance subtile, aboutissement de tout un processus d'opérations alchimiques, résultat de distillations successives. La quintessence, qu'on compare et avec audace à un cinquième élément, est, en tout cas, la partie secrète des corps, de la matière. De par son site et sa fonction, elle tient du sel. Or, le sel est en tout (Question de, janv. 1983, n o51, p. 41): 1. Ce sont le soleil et la lune de source mercurielle et origine sulfureuse qui, par le feu continuel, s'ornent d'habillements soyeux, pour vaincre étant unis, et puis changés en quintessence, toute chose métallique, solide, dure et forte.
Caron, Hutin,Alchimistes, 1959, p. 22. ♦ Abstracteur* de quintessence. Rem. V. également essence3A ex. de Villiers de L'Isle-Adam, var. quinte essence p. allus. à Rabelais, Pantagruel. b) P. ext. Extrait le plus concentré, partie la plus subtile d'une substance. Jetez dans le restant de la sauce (...) un peu de quintessence de jambon (Gdes heures cuis. fr., Grimod de La Reynière, 1838, p. 160).C'est lui [le temps] qui, dépouillant encore nos armagnacs séculaires de tout ce qui n'est pas leur quintessence, leur donne cette couleur, cette saveur et cette chair sans rivales (Pesquidoux,Chez nous, 1921, p. 55): 2. ... quel dommage qu'en passant par l'alambic la pensée humaine prenne le chemin contraire à celui de l'eau de roses, et qu'à la troisième ou quatrième épuration elle se dessèche, au lieu de s'exprimer en quintessence!
Mussetds Le Temps, 1831, p. 138. − P. métaph. On croirait déguster des paysages extraordinaires, des quintessences de terroirs compacts et d'étincellement (Arnoux,Calendr. Fl., 1946, p. 229). − PHARM. Synon. vieilli de teinture, élixir. (Dict. xixeet xxes.). B. − Au fig. [Le plus souvent suivi d'un compl. prép. de] 1. Forme la plus raffinée, la plus concentrée d'un être ou d'une chose. C'est la quintessence de ce que je déteste le plus, des gens comme elle et comme son père! (Bourget,Cosmopolis, 1893, p. 20).Nous avons créé cette espèce d'hommes [les Juifs] (...) qui témoigne de l'homme plus que toutes les autres (...) cette quintessence d'homme, disgrâciée, déracinée, originellement vouée à l'inauthenticité ou au martyre (Sartre,Réflex. quest. juive, 1946, p. 177).V. essence3ex. 1: 3. Le malheur seulement c'est que les jours de fêtes carillonnées où l'on serait heureux de voir la musique égale en beauté au cérémonial et à la pompe du rite, l'on est précisément condamné à n'entendre que de la quintessence de mauvais chant.
Huysmans,Oblat, t. 1, 1903, p. 71. − En partic. Ce qu'il y a d'essentiel, de plus important dans un ouvrage, dans une œuvre et que l'on présente sous une forme abrégée, résumée, condensée. Synon. essentiel (v. essentiel1B 2 c).Il lit, annote, compile, rédige et enserre dans son cerveau la quintessence de quelques mille volumes qui garnissent sa chambre tout alentour (Toepffer,Nouv. genev., 1839, p. 139).[Les Goncourt] viennent aujourd'hui nous donner le résumé, la quintessence et l'esprit de leurs recherches favorites (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t. 4, 1862, p. 2).En 1881, Ch. Bouchard faisait connaître dans ses mémorables leçons (...) la quintessence de son expérience et de ses réflexions (Le Gendreds Nouv. Traité Méd.fasc. 7 1924, p. 236). 2. Expression de ce qu'il y a de meilleur, de plus précieux dans quelque chose ou chez quelqu'un; manifestation de la perfection dans l'ordre de la qualité. L'amour pur, (...) l'amour platonique, la quintessence de l'amour (Dumas fils, Ami femmes, 1864, iii, 6, p. 137).Arnold [Swarzenegger] est la quintessence du parfait gentleman, courtois et spirituel (Libération, 6 févr. 1986, p. 29, col. 1): 4. − Nous autres, Arméniennes, nous raffolons des bijoux, vous savez: c'est la faute à nos pères et à nos maris, qui aiment beaucoup, beaucoup l'argent ... trop peut-être... cet amour-là déteint sur nous. Mais nous, femmes, sommes plus raffinées, et au lieu de chérir grossièrement les écus, nous chérissons leur quintessence: les pierreries.
Farrère,Homme qui assass., 1907, p. 168. 3. Forme subtile, épurée, abstraite, éthérée. Le néo-impressionniste sublime la sensation recueillie pour en éliminer les détails accessoires (...); il ne reste qu'une quintessence (Barlet, Lejay,Art de demain, 1897, p. 117).En ce temps, loin de comprendre que l'art ne respire que dans le particulier, je (...) tenais pour contingent tout contour précis, et ne rêvais que quintessence (Gide,Si le grain, 1924, p. 507). ♦ De quintessence.Mimique de gestes spirituels qui scandent, élaguent, fixent, écartent et subdivisent des sentiments, des états de l'âme, des idées métaphysiques. Ce théâtre de quintessence [le théâtre balinais] où les choses font d'étranges volte-face avant de rentrer dans l'abstraction (Artaud,Théâtre et son double, 1938, p. 80). − Caractère idéal, subtil de quelque chose. Un homme capable d'apprécier la délicatesse d'une phrase, le subtil d'une peinture, la quintessence d'une idée (Huysmans,À rebours, 1884, p. 285).Le mot concret étant le signe de l'idée abstraite, celle-ci, aussitôt signifiée, devient concrète, et voilà toute la quintessence perdue (A. France,Jard. Épicure, 1895, p. 274). 4. [Avec une valeur dépréc. et par recoupement de supra A 2] Abstracteur* de quintessence. ♦ De quintessence.Au total, bilan positif [d'un festival de cinéma] (...) malgré des discussions tournant facilement au verbiage ou à la rhétorique de quintessence (Les Lettres fr., 20 avr. 1967, p. 20, col. 4). − Subtilité excessive (dans l'expression). Tout cela fut dit [par Th. Gautier] avec netteté et décision, mais sans dictature, sans pédanterie, avec beaucoup de finesse, mais sans trop de quintessence (Baudel.,Art romant., Th. Gautier, 1859, p. 462). REM. Quintessentiel, -elle, adj. et subst. masc.,rare. a) Adj. [Corresp. à supra A 2 b] Synon. de raffiné, pur.P. métaph. Le mot de pensée, pour lui [Lambert] le produit quintessentiel de la volonté, désignait aussi le milieu où naissaient les idées auxquelles elle sert de substance (Balzac,L. Lambert, 1832, p. 89).b) Subst. masc. [Corresp. à supra B 2] Synon. de essentiel (v. essentiel1C 2 c).Notre hiérarchie de valeurs et notre vision plus précise des branches de la théorie et de la pratique, nous permettent de distinguer le quintessentiel de l'anecdotique (Les Lettres fr., 13 sept. 1967, p. 29, col. 2). Prononc. et Orth.: [kε
̃tesɑ
̃:s], [-tεs(s)ɑ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xiiies. philos. quinte essence (Mahieu Le Vilain, Metheores d'Aristote, p. 5, 21); d'où 2. 1534 « ce qu'il y a de meilleur, proprement partie la plus subtile d'une substance » (Rabelais, Pantagruel, éd. V. L. Saulnier, p. de titre). Empr. au lat. médiév.quinta essentia « quintessence » av. 1200 ds Latham (quintessentia, 1620, ibid.), de quinta fém. du lat. class. quintus, v. quint et de essentia, v. essence, trad. du gr. π
ε
́
μ
π
τ
η
ο
υ
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σ
ι
́
α désignant au vies. chez un commentateur d'Aristote l'éther, le plus subtil des cinq éléments de l'univers, formé de π
ε
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μ
π
τ
η, fém. de π
ε
́
μ
π
τ
ο
ς « cinquième » dér. de π
ε
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ν
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ε « cinq » et ο
υ
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σ
ι
́
α « essence, substance; élément des choses », fém. subst. de ω
́
ν part. prés. de ε
ι
̓
μ
ι
́ « être »; cf. au sens 1 l'a. fr. quint element 1284 [date ms.] (Brunet Latin, Trésor, éd. P. Chabaille, I, 104, p. 109). Fréq. abs. littér.: 96. |