| PÉTRIR, verbe trans. A. − Malaxer, manier fortement et en tous sens, à la main ou mécaniquement, de la farine avec de l'eau afin d'en faire une pâte. Le pain s'obtient en pétrissant la farine avec son poids d'eau et en faisant subir à ce mélange l'action de la levure de bière, qu'on lui adjoint en nature ou à l'état de levain (Macaigne, Précis hyg., 1911, p.248). − [Le compl. d'obj. dir. désigne le produit obtenu] De bonne heure le lendemain la ménagère pétrit sa pâte de farine détrempée à chaud et salée, la bat, la tourne, la foule à pleins bras (Menon, Lecotté, Vill. Fr., 2, 1954, p.53): 1. Elle dut (...) travailler dans les fermes, pétrir le pain, du beau pain de blé, jaune, ferme, bien levé, bien doré, si beau qu'après l'avoir cuit elle ne le reconnaissait plus quand elle le voyait sur la table des fermiers, ne pouvait s'imaginer avoir de ses mains pétri, cuit, réussi d'aussi magnifiques gâteaux!
Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.382. − Empl. abs. Il regardait dans la petite cuisine toute sombre, éclairée par un vitrail de plomb, la bonne vieille qui pétrissait, tandis que David lui tirait les clefs de la poche (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p.68). − Empl. pronom. réfl. indir. L'homme, ouvrier de sa vie sachant se pétrir le pain quotidien (Murger, Scènes vie boh., 1851, p.8). − Empl. pronom. passif. V. huche ex. de Menon, Lecotté. B. − P. anal. Modeler, façonner, généralement à la main, une matière malléable. Pétrir l'argile, la glaise. L'une de ces mains profitait du moment où on ne la voyait pas, pour pétrir une boulette de pain et la déposer brunie sur le rebord de l'assiette (Malègue, Augustin, t.2, 1933, p.73).Lorsque j'ai fondé un visage il faut qu'il dure. Quand j'ai pétri un visage de terre, je le passe au four pour le durcir et qu'il soit permanent pendant une durée suffisante (Saint-Exup., Citad., 1944, p.812). ♦ Empl. pronom. passif. [Les roches argileuses] sont plastiques, c'est-à-dire qu'elles peuvent facilement se pétrir dans les doigts (Bourde, Trav. publ., 1928, p.88).Ce limon est d'ailleurs le plus facile des matériaux; il se pétrit sans effort; il se durcit rapidement (Brunhes, Géogr. hum., 1942, p.54). − P. anal. Lui pétrissant les biceps et lui martelant les omoplates, ils faisaient sonner sous leurs poings ses muscles élastiques (Moselly, Terres lorr., 1907, p.260).Il saisit pourtant cette épaule, il en sentit l'épaisseur sans mourir d'effroi, il la serra pour la briser, il la pétrit dans ses doigts avec une fureur soudaine (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p.181).Ils marchaient à petits pas, Robert au milieu, la tête basse, comme s'il avait eu les menottes. Derrière son dos, ses grosses mains rouges pétrissaient un chapeau mou d'un gris sale et délavé (Mauriac, Noeud vip., 1932, p.219). ♦ Empl. pronom. réfl. indir. Il finit sa phrase en se pétrissant le nez, qui, sous ses doigts pris d'un mouvement sensuel, devient comme un morceau de caoutchouc (Goncourt, Journal, 1889, p.999). C. − Au fig. Façonner, modeler. Pétrir l'intelligence de qqn. Elle était habituée à pétrir à sa guise les pensées assez molles des jeunes gens qu'elle connaissait (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p.427).On cultive chez les enfants les facultés de l'enthousiasme. On les travaille pour qu'ils ne soient pas des mufles. On pétrit leur âme, on la façonne, on y dépose la flamme qui a le mieux réussi chez leurs pères (Barrès, Cahiers, t.10, 1913, p.179): 2. La défaite, certes, s'exprime par des faillites individuelles. Mais une civilisation pétrit les hommes. Si celle dont je me réclame est menacée par la défaillance des individus, j'ai le droit de me demander pourquoi elle ne les a pas pétris autres.
Saint-Exup., Pilote guerre, 1942, p.369. − Littér. Pétrir qqn de qqc.Créer, façonner quelqu'un à partir d'une certaine matière. Presque tous nos personnages sont créés de notre substance et nous connaissons exactement (...) de quelle côte nous avons tiré cette Ève, de quel limon nous avons pétri cet Adam (Mauriac, Journal 2, 1937, p.164). Prononc. et Orth.: [petʀi:ʀ], (il) pétrit [petʀi]. Ac. 1694, 1718: pestrir; 1740: pêtrir; dep. 1762: pétrir. Littré: ,,Du temps de Ménage, on prononçait pêtrir, écrit souvent paistrir``. Pour Fér. Crit. t.3 1788, v. pétrin. Étymol. et Hist.a) 1176-81 pestrir «presser, remuer fortement et en tous les sens avec les mains (une substance pâteuse)» (Chr. de Troyes, Chevalier Lyon, éd. W. Förster, 2849); ca 1240 pestrir le mortier (Mort Aymeri de Narbonne, 1701 ds T.-L.); b) 1erquart xiiies. «créer, façonner quelqu'un d'une certaine manière» (Reclus de Molliens, Miserere, 13, 12, ibid.); 1584 hommes poistris de limonneuse terre (Ronsard, Elégie ds OEuvres, éd. P. Laumonier, t.15, p.128, 143, var.); c) 1611 pestri d'eau froide «efféminé et sot, sans caractère, ni vivacité», pestri de folle farine «léger, étourdi, écervelé» (Cotgr.); 1648 pétri de bile (Retz, Mém., éd. A. Feillet, t.2, p.21). Du b. lat. pistrire «pétrir», dér. de pistrix «celle qui pétrit», sur le modèle de nutrix «nourrice»/ nutrire «nourrir», cf. a. fr. pestrer (xiiies. ds Gdf.). Fréq. abs. littér.: 364. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 377, b) 459; xxes.: a) 586, b) 625. DÉR. Pétrissable, adj.a) Qui peut être pétri. La terre argileuse, pétrissable, susceptible d'absorber dans sa pâte des ingrédients qui la consolident, séchée au soleil ou cuite au feu, est la matière de maniement facile qui se prête à de multiples usages (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p.150).Le masticateur construit en 1818-1820 permet de transformer le caoutchouc en une matière pétrissable et donc la fabrication d'objets en caoutchouc: l'industrie du caoutchouc était née (Industr. fr. caoutch., 1965, p.6).b) Au fig. Qui peut être façonné. Il faut s'occuper à façonner pour le bien l'âme des enfants quand elle est encore pétrissable (Ac.).− [petʀisabl̥]. − 1resattest. 1749 paitrissable «qu'on peut pétrir (en parlant d'une matière)» (Buffon, Hist. nat., t.1, p.263), b) fig. 1878 «qui peut être façonné (en parlant d'une âme)» (Ac.); de pétrir, suff. -able*. BBG. −Gir. 1834, p.73. |