| PÉNURIE, subst. fém. A. − État d'une personne qui manque de quelque chose. Par prudence dans sa pénurie, il ne pouvait dépenser ses matériaux qu'au fur et à mesure des besoins, et au moment où la nécessité se déclarait (Hugo, Travaill. mer, 1866, p.294).Je n'ai que mépris pour le mariage conçu comme un acte de garantie entre pauvres gens incapables chacun de se mesurer seul avec les «difficultés de l'existence»: des pénuries frissonnantes qui ont besoin de se réchauffer l'une à l'autre (Montherl., Démon bien, 1937, p.1237). − En partic. État d'une personne qui manque d'argent. Synon. dénuement, gêne, misère, pauvreté; anton. abondance, richesse.Vivre dans la pénurie. La pénurie, où par sa magnificence et sa libéralité s'étais mis le saint évêque, fut bien aggravée par le malheur des temps (A. France, Mir. St Nic., 1909, p.95).Il ne pouvait comprendre cette secrète angoisse d'Edmond, que la pénurie confinait à ses seules études, écartait de ces milieux brillants où il rêvait trouver des camaraderies puissantes, des aventures féminines, les origines d'une clientèle (Aragon, Beaux quart., 1936, p.246). B. − [Le plus souvent suivi d'un compl. déterminatif] Manque (total ou presque total) de quelque chose de nécessaire. Synon. carence, défaut, insuffisance, manque, rareté; anton. abondance. 1. [Le déterm. désigne un bien matériel] Pénurie, d'argent, de blé, de bois, de carburant, de charbon, d'eau, de matières premières, de monnaie, de pain, de pétrole, de produits alimentaires, de sucre, de viande; pénurie générale. À cause de la pénurie d'essence, les rares taxis que je rencontrais (...) ne prenaient même pas la peine de répondre à mes signes (Proust, Temps retr., 1922, p.809).Une guerre, fût-elle «mondiale», ne retarde pas la femme de montrer ce qu'elle peut obtenir de son corps, dont la forme semble ne dépendre ni de la pénurie des vivres, ni de celle des matières textiles, mais seulement d'un caprice cérébral (Colette, Belles sais., 1954, p.87): 1. En France, depuis l'armistice, l'appauvrissement général du marché a été croissant, l'outillage est frappé de vétusté, la production est altérée, les transports désorganisés, la pénurie des denrées alimentaires est un état permanent; au total, les moyens de consommation sont inférieurs aux besoins.
De Gaulle, Mém. guerre, 1956, p.576. − ÉCON. POL. Pénurie de devises. ,,Tendance persistante à un excédent commercial non couvert par des transferts spontanés`` (Romeuf t.1 1956). 2. [Le déterm. désigne une pers., un ensemble de pers.] Pénurie de main-d'oeuvre. Il y a pénurie de magistrats et au moment de la ruée, aucune autorité n'a prise sur ces foules cosmopolites assoiffées d'or (Cendrars,Or, 1925, p.154).Les Chinois en sont réduits à se croiser avec des négresses antillaises, des Russes, des Juives ou Méditerranéennes. Cette pénurie de femmes provoqua, à la fin du XIXesiècle, ces redoutables guerres de clans (Morand,New-York,1930, p.80).Toute l'armée se trouvait (...) éprouvée et affaiblie par les conséquences du service à court terme et par la pénurie de soldats de carrière; partout, les effectifs étaient insuffisants (Joffre, Mém., t.1, 1931, p.86). 3. [Le déterm. désigne une activité intellectuelle, un contenu de conscience, une qualité morale, physique ou intellectuelle] On est frappé et comme effrayé de la pénurie des ressources philosophiques de cette époque [le XIIesiècle] (Cousin, Fragm. philos., 1840, p.75).Il ne faut pas que la pénurie du langage nous porte à confondre des affections de nature diverse et foncièrement distinctes, quoiqu'elles s'unissent dans ces phénomènes complexes que nous nommons sensations et sentiments (Cournot,Fond. connaiss., 1851, p.278): 2. Pierre n'était pas incapable de générosité, d'enthousiasme et vénération, dont il eût volontiers fait du génie si seulement un peu de talent lui eût permis de le mettre en oeuvre. La pénurie de ses propres moyens ne pardonnait aucun succès à ses collègues.
Gide, Journal, 1943, p.229. Prononc. et Orth.: [penyʀi]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist.1. 1468 «pauvreté, misère, indigence» (Har. prononcée par Juv. des Ursins, ap. Duclos, Hist. de Louis XI, t.3, p.298); 2. 1752 «défaut d'approvisionnement d'un magasin de l'État» (Trév.); 3. 1770 fig. pénurie de langage (Raynal, Hist. phil., IX, 5 ds Littré); 4. 1798 «manque d'une chose nécessaire» (Ac.). Empr. au lat. penuria «manque de vivres, disette», «manque (en gén.)». Fréq. abs. littér.: 132. Bbg. Gohin 1903, p.291. |