| PRUD'HOMME, PRUDHOMME, subst. masc. I. A.− Vieilli 1. Homme dont la sagesse, la probité, l'expérience sont reconnues de tous; homme valeureux, loyal, vaillant. Entre ces deux belles figures de vieillards, entre ces sages prudhommes, j'étais comme un enfant revenu dans la maison de son père, encore tout ébloui du long voyage (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1909, p. 151).Sa parfaite dignité de vie [de Jean d'Ibelin, syre de Beyrouth], son sentiment de l'honneur, sa modération, sa clémence et son humanité, ses qualités de juriste (...) font de lui le type même du « prudhomme », c'est-à-dire du parfait chevalier selon la définition de saint Louis (Grousset, Croisades,1939, p. 343): 1. L'homme vivant naturellement en société, suit naturellement aussi un chef. Dans l'origine, ce chef est le père, le patriarche, l'ancien, c'est-à-dire le prud'homme, le sage, dont les fonctions, par conséquent, sont toutes de réflexion et d'intelligence.
Proudhon, Propriété,1840, p. 336. − En empl. adj. V. croyable ex. 1. 2. Homme compétent en certains domaines, agissant auprès des tribunaux en qualité d'expert. Le juge-de-paix, assisté de deux prudhommes, pourra juger sans appel les causes personnelles jusqu'à 50 livres (Le Moniteur,t. 2, 1789, p. 447): 2. Le porche [de maisons des villages du sud-ouest], clos de partout (...) servait de local municipal. On y débattait les intérêts de la commune. Prud'hommes, experts, jurés y hochaient la tête, y opinaient du bonnet, ou se perdaient de dimanche en dimanche dans le règlement des litiges apportés.
Pesquidoux, Livre raison,1928, p. 121. B.− DROIT 1. DR. DU TRAV. Conseil de prud'hommes, tribunal des prud'hommes. a) HIST. Assemblée composée majoritairement de fabricants d'une corporation, ayant une vocation conciliatrice et disciplinaire à l'intérieur de cette corporation. V. lyonnais B 1 ex. de Michelet. − En appos. Subst. + prud'homme.Membre de cette assemblée. M. Falconnet, rédacteur de L'Écho de la fabrique et tisseur prud'homme [à Lyon], a commencé à l'hôtel de ville un musée d'échantillons (Michelet, Journal,1843, p. 519). b) Mod. Assemblée composée paritairement de représentants des employeurs et des salariés, ayant des attributions essentiellement juridictionnelles, chargée notamment de régler, par voie de conciliation, les litiges d'ordre professionnel. Les tribunaux d'allure corporative comme les conseils de prud'hommes, les tribunaux de commerce, les juridictions paritaires en matière de baux ruraux (Vedel, Dr. constit.,1949, p. 161).V. également infra dér. ex. de Boubli : 3. Tandis que le droit répressif tend à rester diffus dans la société, le droit restitutif se crée des organes de plus en plus spéciaux : tribunaux consulaires, conseils de prud'hommes, tribunaux administratifs de toute sorte.
Durkheim, Divis. trav.,1893, p. 81. − P. ell. Aller, attaquer aux prud'hommes. Tu sais que cet animal-là ne nous a pas payé tout ce qu'il nous devait? Nous l'avons traîné aux prud'hommes (Anouilh, Sauv.,1938, iii, p. 242). − Le plus souvent en appos. Conseiller prud'homme; prud'homme employeur, patron, salarié. Membre de cette assemblée. La rivalité [entre socialistes et syndicats chrétiens] est franche et souvent violente. Quand le secrétaire du syndicat des employés est élu conseiller prud'homme de la Seine, en 1911, Gaston Tessier, son adjoint, écrit : « Nous avons commencé... etc. » (Reynaud, Syndic. en Fr.,1963, p. 76): 4. ... c'est parce qu'il existe syndicalement un consensus sur l'intérêt que présente, en raison des investissements passés et présents, l'institution prud'homale, que chaque militant ouvrier peut, en quelque sorte, consentir naturellement à devenir prud'homme, c'est-à-dire à siéger auprès d'employeurs et à œuvrer dans le sens de la réconciliation de classes, sans pour autant qu'il ait l'impression de trahir les siens...
P. Cam, Les Prud'hommes : juges ou arbitres?1981, p. 204. 2. DR. MAR. Prud'hommes (pêcheurs). Assemblée élue par la communauté des pêcheurs, chargée notamment de faire respecter les règlements en matière de pêche côtière et de régler les litiges entre pêcheurs. J'ai vu les prud'hommes-pêcheurs accabler d'amendes, pour de prétendues contraventions, les marins italiens qui venaient leur faire concurrence, en vertu d'anciens traités (Sorel, Réflex. violence,1908, p. 80). II.− Péj., vieilli. [P. allus. à Monsieur Prudhomme, personnage créé par H. Monnier, bourgeois médiocre et vaniteux qui aime faire des déclarations emphatiques, solennelles dont le contenu est niais et banal] Au risque de rabâcher et d'être un Prud'homme, je répète que votre jeune homme a tort (Flaub., Corresp.,1866, p. 250).S'il [l'historien] n'a aucun talent, il va nécessairement tomber dans une gravité grotesque et devenir le Prudhomme de l'histoire (Zola, Mes haines,1866, p. 183). − Loc. adv. À la Prudhomme. Tiens! tu m'agaces avec tes raisonnements à la Prudhomme!... Et c'est un peintre, un artiste qui parle ainsi! (Labiche, Mari lance sa femme,1864, i, 5, p. 374). − Empl. adj. Est-ce [une série de lectures que l'auteur vient de faire] assez médiocre, bourgeois, commun, est-ce assez Prudhomme? J'en suis tout affadi (Amiel, Journal,1866, p. 152). Prononc. et Orth. : [pʀydɔm]. Ac. dep. 1694 : prud'homme. Étymol. et Hist. I. 1. Ca 1100 subst. prozdome « homme vaillant, de valeur » (Roland, éd. J. Bédier, 26); 1176-81 adj. preudome « preux, vaillant » (Chrétien de Troyes, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 1684) − 1700, Pomey, encore empl. au xixes. dans un cont. hist. (v. supra); 2. a) 1260 preud'ome « homme expert et versé dans un métier, qu'on charge de certaines fonctions, comme d'attester en justice, d'estimer la valeur d'un objet... » (Étienne Boileau, Métiers, éd. Lespinasse et Bonnardot, I, 21, p. 7); b) 1671 prud'homme « homme expert et compétent dans certains domaines » (Pomey : le different est remis au jugement des prud'hommes); c) 1806 (Loi [du 18 mars] portant etablissement d'un Conseil de Prud'hommes à Lyon ds B. des lois, 4esérie, t. 4, p. 352). II. 1852 (H. Monnier, Grandeur et décadence de M. Joseph Prudhomme [titre d'une comédie]). I comp. de preux*, de la prép. de* et de homme* (du type li fel d'anemis, mon las de cors, v. Tobler t. 1, p. 135) avec développement partic. de la voy. init. Le développement sém. a suivi l'évol. hist., du sens de « homme vaillant, preux, type du parfait chevalier » à « homme de mérite, qui fait preuve de sentiments nobles » et « homme sage, avisé, d'expérience, reconnu compétent dans un domaine et pouvant être considéré comme un expert à ce titre », le mot étant de moins en moins senti comme relié à preux (ce qui explique également que preude a fonctionné comme adj. indépendant dans l'expr. preudes gens xvies. et aussi preudeshommes xves., v. Gdf.). C'est le recul de la connotation laud. du mot qui a permis le passage à II, la création de ce type de bourgeois sot, satisfait de soi et solennel, ayant débuté vers 1830, à travers des caricatures de scènes pop., et aboutissant à la comédie de H. Monnier. Fréq. abs. littér. : 45. DÉR. Prud'hom(m)al, -ale, -aux,(Prudhomal, Prudhommal) adj.,dr. du trav. a) Relatif ou propre au conseil de prud'hommes. Compétence, institution, juridiction, jurisprudence, justice, procédure prud'hommale; affaires, élections prud'hommales. Les activités de France-U.R.S.S. et le parti communiste n'ont rien à voir ici. C'est une affaire prud'hommale pareille à toutes les autres. Il s'agit uniquement de savoir si le licenciement est, aux termes de la loi et de la jurisprudence, abusif (Le Monde,6 janv. 1968, p. 7, col. 1-2).Tous les congrès prud'hommaux se plairont à émettre le vœu que des sanctions soient prises à l'égard des employeurs qui ne viennent pas aux séances de conciliation (P. Cam, Les Prud'hommes : juges ou arbitres?1981p. 34).V. également supra ex. 4.b) [En parlant d'une pers.] Qui est concerné par le conseil des prud'hommes. Conseiller, électeur prud'hommal. Un litige individuel né à l'occasion du contrat de travail entre employeur et salarié est de la compétence du Conseil de Prud'hommes; le juge des référés à saisir s'il y a urgence est le juge des référés prud'homal (B. Boubli, Les Prud'hommes,1984, p. 23).− [pʀydɔmal], plur. masc. [-o]. − 1reattest. 1907 (Nouv. Lar. ill. Suppl.); de prud'homme, suff. -al*. BBG. − Boysen (A. L.). Über den Begriff preu im Frz. Münster, 1941, p. 83. − Darm. 1877, p. 45. − Pellegrini (S.). Varieta romanze. Bari, 1977, pp. 289-298. − Venckeleer (Th.). Rollant li Proz. Lille-Paris, 1975, pp. 392-412. − Wigand (R.). Zur Bedeutungsgeschichte von prud'homme. Marburg, 1939, 103 p. |