| PROVOQUER, verbe trans. A.− Qqn provoque qqn 1. Exciter quelqu'un, le pousser, par un défi lancé ou par des outrances d'attitude ou de langage, à une action souvent violente et appelant elle-même une riposte. Synon. défier.Provoquer un adversaire. Voltaire, dont c'était le malin plaisir, essayait de provoquer Walpole, de l'amener, par pique et par agacerie, à une discussion en règle sur le mérite de Racine et de Shakspeare (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 14, 1859, p. 226).Il revint se planter devant elle, les mains nouées, cessant de ruser, la provoquant en face (Zola, E. Rougon,1876, p. 115).Vous avez tort de jouer avec le feu, Monsieur! Vous devriez savoir que mon fils n'a pas l'habitude de se laisser provoquer sans répondre! (Bourdet, Sexe faible,1931, i, p. 315).V. esclandre ex. de Céline. − [Avec un compl. prép. spécifiant le moyen] Provoquer qqn de la voix. Ce que MmeNecker ne pouvait contraindre, c'étaient les réponses de l'enfant aux personnages célèbres, tels que Grimm, Thomas, Raynal, Gibbon, Marmontel, qui se plaisaient à l'entourer, à la provoquer de questions, et qui ne la trouvaient jamais en défaut (Sainte-Beuve, Portr. femmes,1844, p. 65).Il provoque les artistes par son style, les puissances par son irrespect, les femmes par son cynisme et ses systèmes (Valéry, Variété II,1929, p. 124).Ici, il vaut mieux voir avant d'être vu. Il faut tout de même penser aux conséquences. − Tu y penses? répondis-je en m'amusant à la provoquer du regard (Gracq, Syrtes,1951, p. 224). ♦ [Le suj. désigne le moyen] Au passif. Pendant de longs siècles, (...) [l'Église chrétienne] a été en mouvement, en progrès, tantôt provoquée par les attaques d'une opposition extérieure, tantôt déterminée, dans son propre sein, par des besoins de réforme, de développement intérieur (Guizot, Hist. civilis.,leçon 5, 1828, p. 18). − [Avec un compl. prép. spécifiant l'attribut de la pers. qui fait l'objet de la provocation] Attaqué dans sa famille et dans ses sentiments religieux, le roi était provoqué plus gravement dans ce qui ne mettait pas en cause l'homme mais le gardien des grands intérêts de la France au dehors (Bainville, Hist. Fr.,t. 2, 1924, p. 63).Quelques louches individus, provoqués dans leurs instincts et attirés par leurs sympathies, s'avisèrent de prendre la défense de leurs collègues et tombèrent sur les philosophes à bras tant raccourcis qu'allongés (Queneau, Pierrot,1942, p. 17). − P. anal. [Le compl. d'obj. désigne un animal] Ces singes, vigoureux, doués d'une extrême agilité, pouvaient être redoutables, et mieux valait ne point les provoquer par une agression parfaitement inopportune (Verne, Île myst.,1874, p. 237).Esparraguera et Gutiérrez se jetèrent à la lettre sur le taureau pour le faire tourner, le provoquant avec des exclamations rauques (Montherl., Bestiaires,1926, p. 544). − Au fig. Provoquer le destin. Quel homme, à condition qu'il réfléchisse un peu, ne se dira pas, lorsqu'il s'approche d'une femme, qu'il met le doigt dans un engrenage de malheurs, ou tout au moins un engrenage de risques, et qu'il provoque le destin? (Montherl., J. filles,1936, p. 1012). 2. En partic. a) Provoquer qqn (dans un jeu, un sport).Lancer un défi à quelqu'un, l'inciter à se mesurer avec soi. Il eût pourtant bien souhaité de prendre quelque repos; mais le châtelain le provoqua aux échecs et ensuite au billard avec Bois-Doré, qui se fit battre (Sand, Beaux MM. Bois-Doré,t. 1, 1857, p. 43). b) Provoquer qqn (en duel, en combat singulier).Mettre quelqu'un en demeure de se battre contre soi. Valentin provoque Faust, se bat avec lui, et reçoit une blessure mortelle (Staël, Allemagne,t. 3, 1810, p. 107).Un jour Giovanni [Cellini] ayant été insulté par un autre jeune homme, le provoqua en duel. Il se rendirent à la porte de la ville, et se battirent à l'épée (Taine, Philos. art,t. 1, 1865, p. 184).Je dis que le comte ici présent complote la mort du roi. Et s'il le nie, je le provoque en combat singulier (Grousset, Croisades,1939, p. 142).V. duel1ex. 3. − P. anal., empl. pronom. réciproque. Nos mentons se provoquent une minute, puis obéissent à cette aimantation qu'ils partagent avec le fer doux (H. Bazin, Mort pt cheval,1949, p. 95). c) [Le suj. désigne gén. une femme] (Chercher à) exciter le désir d'un(e) éventuel(le) partenaire : 1. Quand l'accès est violent, il dégénère quelquefois en fureur utérine. Alors de jeunes filles ordinairement sages et honnêtes perdent toute raison, toute pudeur, et provoquent les hommes qui se trouvent auprès d'elles par les gestes les plus lascifs.
Geoffroy, Méd. prat.,1800, p. 492. 3. P. anal., rare. Qqc. provoque + subst. désignant un organe, une partie du corps.Synon. irriter.Il sait que son maître redoute plus encore que l'air vif du matin l'odeur de résine surchauffée qui provoque sa gorge malade, le jette dans d'effrayants accès de toux (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1528). B.− Qqn/qqc. provoque qqn à (vieilli).Inciter, pousser quelqu'un à. 1. + subst.Provoquer qqn au combat, au désordre, à la rébellion, à des discussions. Au moment où l'Angleterre nous provoquait à une lutte redoutable, nous étions engagés par Frédéric dans une guerre continentale (Bainville, Hist. Fr.,t. 1, 1924, p. 296).Il se demanda pourquoi l'aveu de la timidité sexuelle, qui provoque au désir les femmes dissolues, suscite le mépris des honnêtes femmes (Colette, Képi,1943, p. 181).Croyants ou incroyants, aucun livre ne nous provoque autant à la méditation que ce manuel noir timbré du monogramme de Jésus-Christ (Mauriac, Journal occup.,1945, p. 341). ♦ Empl. pronom. réfl. L'ode politique n'a aucun caractère dans Rousseau [J.-B.] (...). Le poëte a beau se démener, se commander l'enthousiasme, se provoquer au délire, il en est pour ses frais (Sainte-Beuve, Portr. littér.,t. 1, 1829, p. 139). − Empl. abs. Le stramonium, ou pomme épineuse, exhale une odeur forte et virulente, qui rend la tête lourde et pesante, et qui provoque au sommeil, si on la respire un peu de temps (Geoffroy, Méd. prat.,1800, p. 508).Marat avait mérité son sort en provoquant sans cesse au pillage et au meurtre (A. France, Dieux ont soif,1912, p. 97).L'approche de la puberté provoque, par ses déchirements, à l'insolence (Arnoux, Zulma,1960, p. 295). − [Le compl. d'obj. désigne un attribut de la pers.] Rare. Par cela seul que la spécification et la composition du travail entretiennent et fortifient l'intelligence, elles provoquent la pensée à l'innovation et au progrès (Proudhon, Créat. ordre,1843, p. 401). − P. anal. Rare. Le jardin (...) exhalait dans la nuit la grasse odeur des terres à fleurs, nourries, provoquées sans cesse à la fertilité (Colette, Chatte,1933, p. 6). 2. + inf.Ce n'était pas la peine de m'interrompre pour me provoquer à dire ce qui n'est point (Gozlan, Notaire,1836, p. 182).Bientôt, abandonnant toute méthode, j'en vins à causer avec elle (...) lentement, l'invitant et la provoquant à me questionner à loisir (Gide, Symph. pastor.,1919, p. 890).Plus je m'accuse et plus j'ai le droit de vous juger. Mieux je vous provoque à vous juger vous-même (Camus, Chute,1956, p. 1546). C.− Provoquer qqc. 1. a) Qqc./qqn provoque qqc.Faire naître, être à l'origine de, susciter. Synon. causer.Tout ce qui est conventionnel provoque une réaction en sens contraire : il est impossible qu'une mode soit durable (Renan, Avenir sc.,1890, p. 442).V. amener ex. 33, asocial ex. 2, commentaire ex. 3, dégoût ex. 5, évaporation A ex. de Stocker : 2. Les exigences nouvelles de notre civilisation nous font désormais un devoir (...) de chercher le moyen de provoquer l'effort intellectuel, de faire naître la volonté d'apprendre chez le plus grand nombre possible d'enfants.
L. Cros, Explosion scol.,1961, p. 93. SYNT. Provoquer un effet, une réaction; provoquer un événement, un phénomène; provoquer (de) l'admiration, l'attendrissement, l'émotion, l'émulation, l'enthousiasme, l'étonnement, l'exaltation, l'intérêt; provoquer (de) l'affolement, l'agitation, l'angoisse, l'indignation, l'irritation; provoquer du/le chagrin, le mécontentement, le mépris, le rire; provoquer la sympathie; provoquer (de) la colère, la curiosité, la jalousie, la pitié; provoquer une rencontre; provoquer un accident, un conflit, un drame, un éclat, un esclandre, un incident, un massacre, un scandale; provoquer une bagarre, une controverse, une crise, une démission, une dispute, une émeute, une guerre, une révolution; provoquer un choc, un court-circuit, une explosion, des dégâts; provoquer du/le chômage; provoquer l'effondrement, la hausse des prix; provoquer des dépenses; provoquer un débat, une discussion, une consultation, une enquête; provoquer une décision, une réponse; provoquer des aveux, des confidences, des explications; provoquer des commérages, des protestations, des réflexions, des remous, des représailles. − Absol. Le plus artiste sera d'écrire, par petits bonds, sur cent sujets qui surgiront à l'improviste (...) De la sorte, rien n'est forcé. Tout a le charme du non voulu, du naturel. On ne provoque pas : on attend (Renard, Journal,1887, p. 6). b) Dans le domaine de la biol., de la méd.Provoquer le sommeil; provoquer un arrêt du cœur, un malaise; provoquer une congestion, une douleur, une dysenterie, une embolie, une lésion, des nausées; provoquer une maladie; provoquer une épidémie. Tout corps étranger qui pénètre dans l'économie provoque une réaction des tissus qui cherchent à l'enrober dans une coque fibreuse (Garcin, Guide vétér.,1944, p. 13).La malaria, infection provoquée par un hématozoaire (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 1, 1961, p. 416).L'hyperparathyroïde peut être provoquée expérimentalement par administration de très fortes doses d'extraits parathyroïdiens (Quillet Méd.1965, p. 478).V. aspérité ex. 3, colibacille ex. de Macaigne. Rem. Amener, causer1, entraîner, occasionner peuvent dans certains cas permuter avec provoquer, cependant en biol. ou en méd., on emploiera plus volontiers provoquer. 2. Qqn provoque qqc.Prendre l'initiative de quelque chose; intenter une action; faire une demande (en justice). Provoquer une action. La flamme du foyer dévorait les papiers. En nous entendant venir, la comtesse les y avait lancés en croyant, à la lecture des premières dispositions que j'avais provoquées en faveur de ses enfants, anéantir un testament qui les privait de leur fortune (Balzac, Gobseck,1830, p. 435).L'annulation des délibérations [d'un conseil municipal] est prononcée par arrêté motivé du Préfet. Elle peut être provoquée d'office par le Sous-Préfet ou le Préfet dans un délai de quinze jours à partir du dépôt du procès-verbal de la délibération à la Sous-Préfecture ou à la Préfecture (Fonteneau, Cons. munic.,1965, p. 112).V. exception A 3 ex. du Code civil, interdiction ex. 2. − Provoquer une réunion, une session. Prendre l'initiative de convoquer une réunion, une session. Chaque semaine avait lieu la réunion provoquée par le colonel (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 15).[La commission départementale a] des attributions propres dont les principales sont la préparation des délibérations du conseil général, la possibilité de provoquer une session extraordinaire du conseil (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr.,1967, p. 269). REM. 1. Provoquant, -ante, part. prés. en empl. adj.Synon. de provocant.a) V. provocant A 2 a.Il y avait quelque chose de provoquant dans son visage bourru, dans sa voix violente, dans ses éclats de rire qui nous paraissaient parfois un peu fous (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 44).Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Une mode d'aventure et de liberté, errante et bénie, qui attrape le neuf, le piquant, le provoquant (Goncourt, Art XVIIIes.,1880, p. 3).b) V. provocant A 2 b.Puis vers la gauche, une boutique de produits d'Espagne où trône un énorme melon ovale, d'un jaune clair, provoquant, détonnant (Arnoux, Rêv. policier amat.,1945, p. 180).c) V. provocant B 2. Rire, sourire provoquant; pose provoquante; attraits, yeux provoquants.Elle avait les langueurs des filles de la Gaule (...) Sous l'habit provoquant d'un jeune cavalier (Banville, Odes funamb.,1859, p. 84).Elle lui coula un regard si naïvement provoquant qu'il fut déconcerté (Beauvoir, Mandarins,1954p. 53).V. amateur ex. 25.d) V. provocant C.Le fait est spontané, non combinatoire, et l'accent est un obstacle au lieu d'être la cause provoquante (Sauss.1916, p. 201). 2. Provoqué, -ée, part. passé en empl. adj.[Corresp. à provoquer C 1] Anton. de spontané.[Les] « pressentiments » [de Geoffroy Saint-Hilaire] étaient presque toujours soumis au contrôle de cette sorte d'observation provoquée qui est bien voisine de l'expérience (E. Perrier, Philos. zool. av. Darwin,1884, p. 139).Une génération surgissait, pour laquelle l'acte poétique, les états d'inconscience, d'extase naturelle ou provoquée (...) prenaient rang de révélations sur le réel et de fragments de la seule connaissance authentique (Béguin, Âme romant.,1939, p. x).Il s'agit là d'une de ces contagieuses tirailleries que l'émotion déclenche parfois dans des troupes énervées, à l'occasion de quelque incident fortuit ou provoqué (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 314).En partic. [En parlant d'une épreuve biol.] Vers 1908, Volhard, puis Fahr, ont mis au point diverses épreuves de concentration et de dilution provoquées des urines (Bariéty, Coury, Hist. méd.,1963, p. 697).V. hyperglycémie ex. de Bariéty et Coury, hyperpnée s.v. hyper- A 1. b β ex. de Quillet. Prononc. et Orth. : [pʀ
ɔvɔke], (il) provoque [-ɔk]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Mil. du xiies. « inciter, pousser quelqu'un par une sorte de défi ou d'appel » (Psautier Oxford, Cantique de Moïse, p. 243, 15 ds T.-L. : Si cume li aigles purvocanz a voler ses pulcins); b) mil. du xiies. empl. abs. provoquer qqn « l'inciter à la violence » (Psautier Cambridge, 5, 12, ibid.); ca 1170 trans. « inciter à (une violence) par une attitude agressive » (Rois, éd. E. R. Curtius, p. 209); 1779 provoquant (Beaumarchais, Observations [Gudin V, p. 5] ds Proschwitz Beaumarchais, p. 154); c) 1762 « exciter le désir de quelqu'un par son attitude (en parlant d'une femme) » (Rousseau, Emile ds
Œuvres compl., éd. B. Gagnebin et M. Raymond, t. 4, p. 693); 1776 provoquant (Restif de La Bret., Le Paysan perverti, t. 3, p. 57); 2. 2emoit. du xves. [ms.] « être volontairement ou non la cause de quelque chose » (Brunet Latin, Trésor, éd. P. Chabaille, p. 628 [ms. Genève, Bibl. publ., fr. 160]). Empr. au lat. provocare « appeler dehors, faire venir; appeler à, exciter à, défier; faire naître quelque chose », en dr. « en appeler, faire un appel ». Fréq. abs. littér. : 2 576. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 365, b) 2 356; xxes. : a) 2 557, b) 6 134. |