| PROVINCIAL, -ALE, -AUX, adj. et subst. I.− Adjectif A.− HIST. ROMAINE. [En parlant d'une chose] Qui appartient à une province. Rome était reliée à ses capitales provinciales par une trentaine de grandes voies (P. Rousseau, Hist. transp.,1961, p. 55). B.− [Corresp. à province B] 1. [En parlant d'une pers. ou d'un groupe de pers.] a) Qui est originaire de la province, qui y habite. Ce jeune poète provincial, avec ses habits pauvres, était arrivé à Paris avec une centaine de mille francs, destinés à monter une armée d'amis (Champfl.Avent. MlleMariette,1853, p. 179).La haine de la noblesse de cour et de la noblesse provinciale (Benda, Trahis. clercs,1927, p. 17). b) Souvent péj. Qui a les caractéristiques ou certaines caractéristiques (simplicité, rusticité, manque de finesse, etc.) appartenant ou supposées appartenir aux habitants de la province. Grosse personne restée provinciale après trente-cinq ans de séjour à Paris (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Hérit., 1884, p. 527).Dans une famille très fortement provinciale (Proust, Prisonn.,1922, p. 326). − Provincial dans, de + subst.Une femme grande, sèche (...), provinciale dans son parler (Balzac, Illus. perdues,1839, p. 181).C'est une femme jolie (...), nullement provinciale de mise ni d'allures (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 98). 2. [En parlant d'une chose] a) Relatif à une, à la province. On voit, dans nos dialectes provinciaux, l'épervier redoutable nommé tout crûment le voleur (Gourmont, Esthét. lang. fr.,1899, p. 188).[En Russie] l'influence orientale perce encore sous les formes de l'argenterie provinciale (Grandjean, Orfevr. XIXes.,1962, p. 72). SYNT. Expression provinciale; académies, administrations, écoles provinciales; provincial et communal, national; provincial et parisien; provincial et bourgeois. − En partic. [En parlant d'une institution] Relatif à une province en tant que division historique, administrative, politique. L'intendant d'Auch prétend qu'il peut s'opposer à la volonté de l'assemblée provinciale (Tocqueville, Anc. Rég. et Révol.,1856, p. 304).Les gouvernements fédéral et provinciaux se sont entendus pour reconnaître le principe de l'égalité des droits linguistiques entre Canadiens français et Canadiens anglais (Encyclop. univ.t. 31969, p. 848, s.v. Canada).Les élections législatives [en Belgique] se déroulent au suffrage universel direct (exception faite d'une fraction des sénateurs qui, depuis 1893, est élue par les conseils provinciaux) (GDEL, s.v. Belgique). ♦ États provinciaux. V. état II C 1 b. − Rare. [En parlant d'une durée] Qui se passe en province. Cinq années provinciales s'écoulent encore, et je ne pense guère à Paris (Colette, Mais. Cl.,1922, p. 80). b) Qui a certaines caractéristiques (calme, simplicité, rusticité, etc.) appartenant ou supposées appartenir à la province. Pas de fauteuil dans la chambre d'une femme, c'est bien provincial, n'est-ce pas, monsieur le baron? (Soulié, Mém. diable, t. 1, 1837, p. 68).Il nous demande pourquoi nous n'avons pas parlé des vertus de province, de la vie sociale provinciale (Goncourt, Journal,1863, p. 1264).J'ai donné à ma mère des joies profondes et bien provinciales en dévorant son raisin et ses provisions de confiture (Martin du G., Devenir,1909, p. 23). SYNT. Jardin, maison, rue provincial(e); aspect, bonhomie, élégance provincial(e); charme, odeur, silence, vie provincial(e); éducation provinciale; esprits provinciaux; avoir l'air provincial. − Empl. adv. : « Si j'étais en Allemagne, s'était-il dit, je parlerais allemand; à Nancy, je parle provincial ». Il lui eût semblé s'entendre jurer s'il leur eût dit d'une belle matinée : « C'est une belle matinée ». Il s'écriait en fronçant le sourcil et épanouissant le front, de l'air important d'un gros propriétaire : « Quel beau temps pour les foins! »
Stendhal, L. Leuwen,t. 2, 1836, p. 14. − En empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Il y a là dedans du provincial (Goncourt, Journal,1862, p. 1197).Ce monastère est au bout d'une ruelle d'un provincial paisible, le pavé serti de gazon (T'Serstevens, Itinér. esp.,1963, p. 279). ♦ Péj. Sentir son provincial. Avoir certaines caractéristiques appartenant ou supposées appartenir à la province, à ses habitants. Une aristocratie (...) honteuse de sentir son provincial (Barrès, Homme libre,1889, p. 107).Elle insinua que les Le Pesnel étaient miteux et ridicules, que Camille lui-même sentait son provincial (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1937, p. 35). C.− RELIG. CATH. 1. [En parlant d'une assemblée] Qui se déroule à l'échelon d'une province ecclésiastique. Ces mauvaises dispositions du plus puissant et du plus habile des suffragants de l'évêché de Tours n'empêchèrent point le synode provincial de s'assembler régulièrement et de faire justice (Thierry, Récits mérov.,t. 2, 1840, p. 296).V. concile ex. 1. 2. [En parlant d'une pers.] Qui est à la tête d'une province dans le cadre d'un ordre, d'une congrégation. Frère provincial; mère provinciale. Le général de la compagnie résidoit à Rome. Les pères provinciaux en Europe étoient obligés de correspondre avec lui une fois par mois (Chateaubr., Génie,t. 2, 1803, p. 529). II.− Substantif A.− HIST. ROMAINE. Personne originaire d'une province. Vétérans de Sylla ruinés, Italiens dépossédés, provinciaux obérés (...), tout cela voltigeait dans le Forum autour de Catilina (Michelet, Hist. romaine,t. 2, 1831, p. 226). B.− [Corresp. à province B] 1. Celui, celle qui est originaire de la province, qui y habite. Jeune provincial(e). La première Lettre à un Provincial, publiée le 23 janvier 1656 (Sainte-Beuve, Port-Royal,t. 2, 1842, p. 537).Elle s'éloigna en se dandinant sur ses talons et soupira : « Ce qu'ils sont tarte, tout de même, ces provinciaux! » (Aragon, Beaux quart.,1936, p. 225). 2. Souvent péj. Celui, celle qui a certaines caractéristiques appartenant ou supposées appartenir aux habitants de la province. Bon(ne) provincial(e); petit(e) provincial(e); pauvres provinciaux. Cette femme et le curé de Saint-Louis ont été odieusement ridicules (...). Je leur ai montré que je ne suis pas une provinciale (Duranty, Malh. H. Gérard,1860, p. 75).Il y avait au fond de cet homme un provincial, que ce voyage a tiré au grand jour (Green, Journal,1941, p. 131). C.− RELIG. CATH. Supérieur(e) d'une province dans le cadre d'un ordre, d'une congrégation. Cette maison ne dépend pas du provincial des Franciscains du Mexique (Voy. La Pérouse,t. 2, 1797, p. 279).La sœur Placide Calé, une Bretonne, Provinciale pour la Syrie, la Palestine et Chypre (Barrès, Cahiers,t. 11, 1914, p. 31). REM. 1. Provincialat, subst. masc.,relig. cath. Dignité, charge de provincial; exercice de cette charge. Ce religieux a joui longtemps du provincialat (Ac.1835, 1878). 2. Provincialement, adv.D'une manière provinciale; à la façon de la province, de ses habitants. Mmede Bouchand, trop grande, provincialement mise (Goncourt, Journal,1895, p. 792).Il a bien dit « chez nous », provincialement, tendrement (Colette, Vagab.,1910, p. 143). Prononc. et Orth. : [pʀ
ɔvε
̃sjal], plur. masc. [-o]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Domaine eccl. a) adj. ca 1240 menistre provincïal (St François, 1604 ds T.-L.); 1292, mai prieus provinchial de Franche [des Frères précheurs] (Lettres, Roisin, 325, ibid.); xives. conciles provinciaus (De droit et de justice, B.N. fr. 20048, fol. 41a ds Gdf. Compl.); b) subst. 1288 grant maistre et provincial [de l'ordre saint Dominique] (Jacquemart Gielée, Renart le Nouvel, éd. H. Roussel, 7269); 2. domaine admin. a) « appartenant, relatif à une province » fin xves. adj. ung homme provincial (Ancienn. des Juifs, Ars. 5082, fol. 175c ds Gdf. Compl.); 1520, 3 janv. prevot provincial des maréchaux de France [en Berry] ds Catal. des actes de François Ier, Paris, 1887, t. 1, no1293); 1576 Estatz provinciaulx [de Normandie] (Arch. Calvados, chapitre de Lisieux d'apr. G. Dupont-Ferrier ds R. hist., t. 160, 1929, p. 166, note 4); 1656 subst. (Pascal, Lettre escrite à un provincial par un de ses amis, Paris; Cioranescu 17e, 51915); b) p. oppos. à Paris, la capitale
α) 1633, 1ermai adj. (Guez de Balzac, Lettres, VI 34, A Borstel ds
Œuvres, Paris, Louis Billaine, 1665, t. 1, p. 232 : Je n'ai plus que des pensées provinciales et rustiques);
β) 1640, 20 déc. subst. (Id., ibid., XXI, 33, A Chapelain, t. 1, p. 838 : Je vous confesse que je suis le plus rustique Provincial qui soit d'icy à Paris), cf. les connotations péj. rapportées par Rich. 1680, Fur. 1690 et Vaug. Nouv. Rem. t. 2, 1692, pp. 306-308); 3. opposé à universel « d'un pays particulier » 1595 adj. (Montaigne, Essais, III, V, éd. P. Villey et V. L. Saulnier, p. 888). Empr. au lat. provincialis adj. « de province, des provinces », subst. « habitant d'une province [au sens lat. du terme] » dans la lang. class.; à basse époque, dans la lang. eccl. « qui administre une province ecclésiastique » (provincialis episcopus « chorévêque » 451 ds Blaise Lat. chrét.), « du pays » p. oppos. à peregrinus (ibid.), puis passé dans le vocab. admin. : comes provincialis « landgrave » (1122 ds Nierm.). Fréq. abs. littér. : 1 236. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 063, b) 2 024; xxes. : a) 1 498, b) 1 510. DÉR. 1. Provincialiser, verbe trans.a) Empl. trans. Faire (de quelqu'un) un habitant de la province. À la forme passive. Molière, Parisien si longtemps déraciné, provincialisé, quasi exilé pour les besoins de son métier (J. Lefranc, En margeds Le Temps, 2 août 1938).b) Empl. pronom.
α) [Le suj. désigne une pers.] Devenir provincial, prendre certaines caractéristiques propres aux habitants de la province. Plus Flaubert avance en âge, plus il se provincialise (...). On se trouve en tête-à-tête avec un être (...) si peu doté d'une originalité! (Goncourt, Journal,1873, p. 932).
β) [Le suj. désigne une langue] Se modifier de manière plutôt fâcheuse par l'adoption de provincialismes. La langue des grands écrivains de l'Angleterre s'est créolisée, provincialisée, barbarisée (...); on a été obligé de dresser des catalogues des expressions américaines (Chateaubr., Mém.,t. 1, 1848, p. 349).− [pʀ
ɔvε
̃sjalize]. − 1resattest. a) 1848 réfl. (d'une langue) (Id., ibid.), b) 1873 id. (d'une personne) (Goncourt, loc. cit.); de provincial, suff. -iser*; cf. le dér. déprovincialiser « faire disparaître le caractère provincial (d'une personne) » (av. 1778, Voltaire ds R. Hist. litt. Fr. t. 28, 1921, p. 128). 2. Provincialité, subst. fém.Caractère propre à une province, à la province, plus rarement à ses habitants; spécificité provinciale. Intelligente et fière, elle eut bientôt secoué ce reste de provincialité (Sand, Pauline,1841, p. 223).La Révolution française (...) a tué les provincialités au profit de la nationalité (Barb. d'Aurev., Memor. 4,1858, p. 94).− [pʀ
ɔvε
̃sjalite]. − 1reattest. 1639, 12 févr. « apparence, caractère provincial (d'une personne) » (Chapelain, A. M. de Balzac ds Lettres, éd. Ph. Tamizey de Larroque, t. 1, p. 385a); de provincial, suff. -ité*. |