| PROSTITUER, verbe trans. I.− Empl. trans. A.− 1. Déshonorer, déprécier quelque chose par l'usage indigne ou intéressé que l'on en fait. Prostituer son nom, son image, son talent, sa plume. La modestie obligée du lecteur, les applaudissements obligés des spectateurs, tout cela me glace; et j'ai juré de brûler mes œuvres plutôt que de les prostituer d'une manière aussi ridicule (Leclercq, Prov. dram.,Manie prov., 1835, 6, p. 33).Je ne me tiendrai pour apostat que le jour (...) où je prostituerais ma vie à des choses inférieures, et où je deviendrais le compagnon des joyeux de la terre (Renan, Avenir sc.,1890, p. 491).V. acclamer ex. 10 : 1. Nous ne savons que trop ce que deviennent dans la violence des débats (...) ces valeurs idéales, toutes ces créatures supérieures de la parole abstraite et de la pensée la plus détachée, − l'Ordre, la Raison, la Justice (...) − quand enfin ces augustes verbes, prostitués aux entreprises des factions, sont vociférés sur la voie publique, ignoblement hurlés et écartelés par les crieurs...
Valéry, Variété IV,1938, p. 167. 2. Dégrader, abaisser quelque chose par un usage déplacé, détourné ou dévoyé. Jamais le talent qu'il [l'architecte] possède ne doit être prostitué à une idée fausse, ridicule, ou contraire aux véritables intérêts de son client (Viollet-Le-Duc, Archit.,1872, p. 255).On ne peut continuer à prostituer l'idée de théâtre qui ne vaut que par une liaison magique, atroce, avec la réalité et avec le danger (Artaud, Théâtre et son double,1938, p. 106): 2. Le taureau fixa sur lui son regard; ils croisèrent leurs regards. Dire que dans cet instant il y eut quelque chose de solennel, ce n'est pas prostituer cet adjectif; et Alban se perdait dans le visage bovin.
Montherl., Bestiaires,1926, p. 496. B.− Obliger ou inciter une personne à satisfaire l'appétit sexuel d'une autre pour des motifs d'intérêt, par goût de la débauche ou dans le cadre de pratiques rituelles; en partic., livrer une personne à la prostitution publique. [La raison naturelle] qui nous prescrit à nous de veiller sur les mœurs de nos enfans, et qui permettoit aux Grecs, à ces Grecs si polis et si ingénieux, de prostituer leurs filles dans les temples (Bonald, Législ. primit.,t. 1, 1802, p. 146).Je suis celui que vous avez vendu, livré, déshonoré; je suis celui dont vous avez prostitué la fiancée (Dumas père, Monte-Cristo,t. 2, 1846, p. 752).L'Algemeie Dagblad [journal hollandais] cite (...) le cas du propriétaire d'un bureau de rencontre, traîné il y a quelques temps devant les tribunaux. Il prostituait ses enfants et payait ces derniers de jouets en retour (Libération,10 sept. 1984, p. 25, col. 5). − P. métaph. On ne compte plus les promoteurs-proxénètes qui prostituent la province en la « modernisant » (Le Nouvel Observateur,22 sept. 1975, p. 3, col. 1). II.− Empl. pronom. A.− 1. Accomplir par intérêt ou par obligation une tâche dégradante, déshonorante ou rebutante; renoncer à sa dignité pour des motifs d'intérêts. Homais inclina vers le pouvoir. Il rendit secrètement à M. le préfet de grands services dans les élections. Il se vendit enfin, il se prostitua (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 205).Je suis clown, monsieur (...) ridicule pitre, qui me suis prostitué aux rires du vulgaire (Richepin, Quatre pts rom.,1882, p. 55): 3. Au seul point de vue de l'histoire des Lettres françaises, il n'est pas inutile qu'on sache de quelle manière la génération des vaincus de 1870 a pu traiter un écrivain fier qui ne voulait pas se prostituer.
Bloy, Journal,1898, av.-pr., p. 13. 2. Se livrer aux désirs sexuels d'une personne, le plus souvent pour des motifs d'intérêt; en partic., se livrer à la prostitution publique. La femme Cuche, cette misérable abandonnée qui se prostituait à tous les hommes, dans les trous de la côte, pour trois sous ou pour un reste de lard (Zola, Joie de vivre,1884, p. 1004).De la difficulté de se prostituer, tant à voile qu'à vapeur, même quand on est beau et jeune. Au-delà de la chronique « scandaleuse » des aventures d'un gigolo texan « monté » à New York, ce film [Midnight cow-boy] devient très vite, par bonheur, le lamento de tous les non-intégrés que la société rejette (Le Nouvel Observateur,13 oct. 1969, p. 7, col. 1).V. prostitué ex. 1 : 4. Mon amour était trop pur et trop céleste; il n'était pas fait pour une femme qui s'est honteusement prostituée, qui a vendu son corps et ses caresses à un mari riche.
Karr, Sous tilleuls,1832, p. 302. B.− P. métaph. ou au fig. Synon. de se déprécier, se vendre.Aujourd'hui, et sous l'empire, de jour en jour plus envahissant, des passions mercantiles, il est manifeste que la littérature se rapetisse, se corrompt, se dégrade, se prostitue (L. Blanc, Organ. trav.,1845, p. 230): 5. ... dans l'espèce comme dans l'homme, toute grande veine créatrice s'épuise à la manière de l'amour, quand les sens et le sentiment se séparent les uns des autres et que le geste créateur, de plus en plus habile, devient de moins en moins ardent et de plus en plus appuyé. Par degrés il se prostitue.
Faure, Espr. formes,1927, p. 131. Prononc. et Orth. : [pʀ
ɔstitɥe], (il se) prostitue [-tu]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. a) 1380 « déshonorer quelque chose par l'usage indigne qu'on en fait » (Jean Le Fevre, La Vieille, 87 ds T.-L.); b) 1666 en parlant d'un écrivain (Furetière, Roman Bourgeois, 379 ds IGLF : les pauvres auteurs qui ont prostitué leur nom et leur plume pour leur réputation); c) 1688 prostituer son honneur (Rich. t. 2); 2. 1530 « livrer à la débauche » (Jean Bouchet, Les Triumphes de la noble et amoureuse dame, 145 ds La Curne). II. Verbe pronom. 1. 1560 « s'exposer à quelque chose » (E. Pasquier, Pour parler du Prince ds Hug.); 2. 1618 « se livrer à la débauche » en parlant d'un homme (D'Aubigné, Hist., II, 439 ds Littré); 1671 en parlant d'une femme (Pomey); 3. 1775 « se livrer d'une manière dégradante à quelque chose » (Beaumarchais, Mémoires II, 105 ds IGLF : S'il [le célèbre avocat] épouse les bonnes causes, il ne se prostitue pas aux mauvaises). Empr. au lat. prostituere « placer devant; exposer aux yeux » fig. « déshonorer, salir », comp. de pro- « devant » et statuere « poser, placer ». Fréq. abs. littér. : 137. |