| PRONONCER1, verbe trans. I. − Empl. trans. dir., dans le lang. jur. ou admin. [Le suj. désigne gén. la pers. qui préside une juridiction, le tribunal, la cour ou, p.méton., l'ensemble des magistrats; l'objet du processus désigne ce qui a été décidé à la pluralité des voix, après délibération] A. − [En parlant de qqn détenant une autorité fondée en dr.] Faire entendre publiquement (un jugement, une décision). 1. Dans le lang. jur. Prononcer un divorce, un jugement, une condamnation contre un accusé; prononcer une confiscation, une peine, une séparation de corps; prononcer la cassation de l'arrêt, le renvoi (devant un autre tribunal); prononcer le huis-clos, (la) mainlevée, un non-lieu: 1. Durant presque toute la Révolution, les tribunaux, les juges,les jugements, rien n'a été libre (...). Le courage (...) eût à peine suffi à nos magistrats pour prononcer leurs arrêts suivant leur conscience.
Constant,Princ. pol., 1815, p.154. − [Le suj. désigne le tribunal, la cour, les lois] Comment admettre, dit très justement M. Thonissen, la tolérance du vol dans un pays [l'ancienne Égypte] où... les lois prononçaient la peine de mort contre celui qui vivait de gains illicites (Durkheim, Divis. trav., 1893, p.139). [2edécision possible] l'enfant ou l'adolescent est renvoyé devant le tribunal qui, seul, peut prononcer le retrait de l'enfant à sa famille et son placement en internat (Encyclop. éduc., 1960, p.202). 2. Spécialement a) DR. CANON. Prononcer l'anathème contre qqn. Texte de l'excommunication prononcée contre Spinoza le 2 juillet 1656: «Qu'il soit maudit le jour et maudit la nuit... Dieu puisse ne lui pardonner jamais (...)» (Gide,Journal, 1948, p.330). b) DR. CONSTIT. La démission [de l'Assemblée] est prononcée à la fin de la dernière séance de la session Loi du 10 août 1871, Art.19 (Bacquias,Cons. gén. et cons. arrond., 1934, p.39).Le président ne peut pas lui-même prononcer la censure envers un député (Lidderdale,Parlement fr., 1954, p.165). c) DR. ADMIN. Art.31. L'administration se réserve la faculté de prononcer la résiliation du bail de tout adjudicataire qui aura laissé écouler un terme sans satisfaire à ses engagements (Code pêche fluv., 1875, p.152).En règle générale le détachement est prononcé sur la demande du fonctionnaire intéressé. [Dans certaines conditions, il] (...) peut (...) être prononcé d'office sur avis des commissions administratives paritaires (Encyclop. éduc., 1960, p.297). 3. P. ext. [En divers domaines de l'organisation soc.: famille, éducation, etc.] Décider formellement. Un conseil de famille prononça l'interdiction, et le malade fut transporté à Charenton (Goncourt,Ch. Demailly, 1860, p.397).L'admission ou l'ajournement est prononcé après délibération du jury. L'admission est prononcée avec indication de l'une des mentions suivantes: passable, assez bien, bien, très bien (Encyclop. éduc., 1960, p.216). B. − P. anal. 1. [Le suj. désigne qqn/qqc. jouissant d'une autorité fondée en dr. et l'exerçant comme en un tribunal] a) Énoncer un jugement en vertu d'une autorité, d'un pouvoir reconnu. L'arrêt que le destin, le sort a prononcé (Ac.).Un livre qui n'est pas un manuel de jovialité a prononcé cet arrêt: «Il n'est pas bon que l'homme soit seul» (Gobineau,Pléiades, 1874, p.159): 2. −«Nous devons avoir confiance en la Sagesse suprême (...). Nous devons accepter les choses voulues par Dieu. La mort de votre frère a été une de ces choses-là. «Elle se recueillit une seconde avant de prononcer son jugement: «Cet amour était voué aux pires souffrances. Pour l'un et pour l'autre (...)».
Martin du G.,Thib., Épil., 1940, p.858. b) Prononcer (soi-même, contre soi-même) sa (propre) condamnation, son (propre) arrêt. Se condamner, malgré soi, par son propre aveu, ses propres paroles. Épargne-moi les subtilités: ce bandit a levé la main sur moi; il a prononcé sur lui-même sa condamnation, conclut sèchement l'officier en prenant la tête de sa colonne (Vogüé,Morts, 1899, p.379). 2. [Le suj. est formellement engagé par ce qu'il prononce] Déclarer solennellement. Un jour, Guignon était allé jusqu'à la mairie, donnant la main à sa future; il avait même déjà ouvert la bouche pour prononcer le terrible oui, lorsqu'il fut pris d'un malaise subit (Ponson du Terr.,Rocambole, t.1, 1859, p.126).Le signe distinctif n'était pas des plus nécessaires; les affiliés se contenteraient de prononcer un engagement solennel (Gide,Faux-monn., 1925, p.1238). − RELIG. Prononcer ses voeux. V. voeu. 3. Vieilli. Affirmer, déclarer quelque chose avec force. − Prononcer que.L'Amérique prononça que l'injustice avait brisé ses liens, et déclara son indépendance (Condorcet,Esq. tabl. hist., 1794, p.169). − Prononcer qqc. + attribut ou compl.Cette course était tout à fait nouvelle; il la trouvait fatigante, et même en certains endroits n'hésitait pas à la prononcer dangereuse (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.288). − Prononcer de qqc. que + prop. complét.Il a pu être désirable, mais il est à présent interdit de prononcer de la volupté qu'elle est douce, efféminée ou folâtre (Paulhan,Fleurs Tarbes, 1941, p.29). 4. ART MILIT. Ordonner. Prononcer une offensive, un mouvement de troupes. À partir de la mi-octobre, les Allemands prononcèrent successivement deux fortes attaques dans la région du Nord (Joffre,Mém., t.1, 1931, p.471). II. − Empl. trans. indir. et abs. A. − DROIT 1. Empl. abs. Rendre un arrêt, un jugement. Synon. juger.L'accusateur: Prononce, citoyen président, prononce. Le président: (...) le tribunal révolutionnaire condamne la citoyenne Montfleury (...) à la peine de mort (Dumas père, Chev. Maison-Rouge, 1847, v, tabl. 10, 2, p.145).C'est sous l'influence de (...) passions contraires que le juge prononce (Durkheim,Divis. trav., 1893, p.57).Le garde des Sceaux, en cette matière, prononce souverainement (Clemenceau,Iniquité, 1899, p.454). 2. Empl. trans. indir. Prononcer sur/dessus.Pleins de confiance dans les lumières de l'Assemblée souveraine, ils n'attendent point que le plan de municipalité leur soit présenté pour prononcer dessus (Le Moniteur, t.2, 1789, p.460).Ainsi, tous les partisans de la tyrannie pourront espérer encore, dans le secours de leurs alliés; et les armées étrangères encourager l'audace du tribunal qui doit prononcer sur le sort de Louis (Robesp.,Discours, Jug. Louis xvi, t.9, 1792, p.126). B. − P. anal. [Le suj. désigne qqn/qqc. bénéficiant d'une autorité comme fondée en dr.] 1. Vx ou littér. Prendre une décision; déclarer avec netteté, avec fermeté. a) Empl. abs. Le ciel, le sort a prononcé (Ac.).[Talleyrand] ne se rendit en Belgique qu'à la dernière heure, et quand le canon de Waterloo avait prononcé (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t.12, 1869, p.81): 3. ... l'opération césarienne assurerait la vie du petit; mais l'état de la pauvre femme n'est pas désespéré au point que je me sente le droit de la sacrifier ainsi... C'est une question de conscience, je vous supplie de prononcer vous-mêmes. Les sanglots empêchaient Lazare de répondre.
Zola,Joie de vivre, 1884, p.1093. − Empl. pronom. à sens passif. Enfin il a paru ce jour où la décision va se prononcer, où la trève va être changée en paix ou en guerre, où Mathilde va connoître son sort (Cottin,Mathilde, t.2, 1805, p.175). b) Au passif. [Avec omission de l'auxil.] Il semble que le sort (...) si décidément prononcé contre Napoléon, dans ses derniers moments, en lui enlevant deux amis aussi vrais, se soit plu à lui ôter la plus douce jouissance (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.324). 2. a) HIST., empl. abs. et pronom. [P. réf. à un pays de lang. esp.] Se révolter, se soulever. À Pampelune on a profité de l'absence du vice-roi pour se prononcer (Mérimée,Lettres ctessede Montijo, 1840, p.27). b) Vieilli. Faire prononcer qqn1contre qqn2.Dresser, soulever quelqu'un1contre quelqu'un2. La deuxième conspiration était celle de Marrat, Garnier-Payès et compagnie, qui voulaient armer et faire prononcer la bourgeoisie contre le peuple (Sand,Corresp., t.3, 1848, p.32). III. − Empl. pronom. réfl. A. − DR. Se prononcer dans/entre.Rendre un arrêt, un jugement. Voilà du nouveau, et voici une drôle de justice, qui, mise au pied du mur, forcée par la logique, en arrive à se prononcer entre la Turquie et l'Écosse, au risque d'amener des complications et de troubler sur ses assises l'équilibre européen (Courteline,Article 330, 1900, p.283).La tendre Élodie subissait l'ascendant d'un magistrat appelé à se prononcer dans des affaires capitales (A. France,Dieux ont soif, 1912, p.119). B. − P. anal. 1. Prendre une décision; déclarer avec netteté, fermeté. Les doctes en disputent souvent. Les uns tiennent pour extrêmement probable qu'ayant vécu sous le pouvoir des démons, tu brûles maintenant dans les flammes inextinguibles; d'autres, mieux avisés, ne se prononcent point, estimant que tout ce qu'on dit des morts est incertain et plein de mensonges (A. France,Île ping., 1908, p.162). − Empl. pronom. à sens passif. Se prononcer (de telle manière). S'exprimer. Il semble qu'il [Bonaparte] ait dédaigné particulièrement l'opinion de la France en lui imposant les conséquences du Concordat; et qu'eût-il fait si cette opinion se fût prononcée sous la forme d'une résistance populaire? L'eût-il brisée à coups de canon? (Sand,Hist. vie, t.2, 1855, p.9). − Se prononcer entre (deux ou plusieurs pers./choses)/sur.Prendre position sur, statuer sur. Le sens commun se prononce d'ailleurs sans la moindre hésitation sur ce point; on dit qu'on a plus ou moins chaud, qu'on est plus ou moins triste (Bergson,Essai donn. imm., 1889, p.15).Vous aurez à vous prononcer entre la haine et l'amour, ce qui se fait spontanément, non entre la vérité et l'erreur, dont le discernement est impossible au faible esprit des hommes (A. France,Dieux ont soif, 1912, p.106). 2. Vieilli ou littér. Se prononcer contre/sur.La plupart des journaux hostiles à Dreyfus montrent plus de bon sens (...) Le Journal, Le Soleil, Le Journal des Débats se prononcent avec éclat pour la révision (Clemenceau,Vers réparation, 1899, p.132).La CFTC non seulement condamne à nouveau «le capitalisme», mais se prononce pour une «société sans classe» où l'argent ne soit plus principe de sélection sociale et de pouvoir économique» (Reynaud,Syndic. en Fr., 1963, p.97): 4. Le destin place aujourd'hui M. Brisson à l'heure décisive où il peut faire que (...) nous nous reprenions aux idées de justice qui jadis nous furent chères, au lieu de nous abandonner sous le sabre. Il suffit pour cela de faire éclater la vérité (...) et de mettre la France en état de se prononcer unanimement pour la justice et pour la loi.
Clemenceau,Iniquité, 1899, p.434. REM. 1. Prononcement, subst. masc.,rare. a) Action de se prononcer. La Belgique a fait son prononcement. La fraction la plus avancée du parti démocratique (...) s'était tenue à l'égard du Socialisme, dans une réserve extrême: elle n'avait pas fait son prononcement (Proudhon,Confess. révol., 1849, p.209).b) [En cont. hisp.; corresp. à supra II B 2 a] Manifeste d'insurgés; insurrection, soulèvement. Synon. pronunciam(i)ento.À Irun cependant, on a fait un prononcement. Un caporal est sorti à minuit de la caserne, les tambours et les fifres conduits par cet excellent patriote ont parcouru la ville suivis des soldats dont la plupart étaient dans le simple appareil, en faisant retentir les rues des acclamations les plus libérales (Mérimée,Lettres ctessede Montijo, 1840, p.27). 2. Prononciateur, subst. masc.,hapax. Auteur d'un prononcement. Le prononcement n'a pas eu d'autres suites que les rhumes que les héroïques prononciateurs ont pu attraper (Mérimée,Lettres ctessede Montijo, 1840, p.27). Prononc. et Orth.: [pʀ
ɔnɔ
̃se], (il) prononce [-nɔ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. V. prononcer3. Bbg. Quem. DDL t.11. |