| PREUVE, subst. fém. A.− 1. Fait, témoignage, raisonnement susceptible d'établir de manière irréfutable la vérité ou la réalité de (quelque chose). Le finaud savait très bien qu'un grand nombre de députés royalistes trahissaient la nation, puisqu'il était arrivé tout exprès d'Italie pour remettre au Directoire la preuve de leur conspiration (Erckm.-Chatr., Hist. paysan,t. 2, 1870, p. 434).Le calviniste Viret, nous l'avons dit, donnait des preuves philosophiques de l'existence de Dieu (Théol. cath.t. 4, 11920, p. 764): 1. On ne sait pas encore très bien pourquoi se forment les calculs dans les voies biliaires. On a invoqué la stase biliaire (...). De même l'infection a été incriminée (...). Mais nous ne possédons aucune preuve formelle en faveur de l'une de ces causes.
Quillet Méd.1965, p. 146. SYNT. Preuve évidente, indéniable, irrécusable, insuffisante, irréfutable, morale, matérielle, ontologique; apporter, fournir, récuser une/des preuve(s); accuser, croire, juger sans preuves; manquer de preuves; établir preuve en main la vérité. − Expr. constr. avec que ou de. Faire/citer/donner/vouloir qqc. comme/en/pour preuve de, que; avoir la preuve de, que; faire la preuve de, que; je n'en veux pour preuve que; c'est (la) preuve que; la preuve en est que. Deux pays, le Tell et le Sahara; et ils [les arabes] en donnent pour preuve que, d'un côté la montagne est noire et couleur de pluie, et de l'autre, rose et couleur de beau temps (Fromentin, Été Sahara,1857, p. 5).Si les fermiers laissent une partie de leurs champs en jachère, c'est preuve qu'ils ont trop du tout pour vous payer (Gide, Immor.,1902, p. 415): 2. La preuve en est qu'en lisant les textes de cette fillette de quatorze ans, on y voit apparaître une morale qu'un humour lugubre tient en laisse...
Éluard, Donner,1939, p. 149. − Locutions ♦ À preuve (que) (fam. ou pop.). La preuve (c'est que). Une ville [Barcelone] (...) où on aime la France. À preuve que la voie de son métro a le même écartement que celle du nôtre, tandis que le métro de Madrid a une voie plus étroite, par crainte de l'invasion (Montherl., Pte Inf. Castille,1929, p. 598).Cela ne rimait à rien du tout de gagner de plus en plus d'argent, à preuve : c'est qu'il ne pouvait même pas se payer des vacances (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 45). ♦ Preuve que (pop. et fam.). La preuve que. Mais je les ai perdus, monsieur le curé. Voilà ma veine! Preuve que je suis un honnête homme. Y a de la chance que pour la canaille et le parasite, c'est mon idée (Bernanos, Imposture,1927, p. 451). ♦ Jusqu'à preuve (du) contraire. Jusqu'à ce que le contraire soit démontré. Il faut des certitudes pour condamner un homme, et les certitudes vous manquent. Jusqu'à preuve du contraire, je suis Ayrton, quartier-maître du Britannia (Verne, Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p. 205). a) DR. CIVIL, COMM. ET PÉNAL. ,,Moyen tendant à établir la réalité d'un acte ou d'un fait juridique`` (Lemeunier 1969). Preuves accablantes; commencement de preuve. Preuve littérale (reposant sur un écrit); preuve testimoniale (reposant sur un témoignage). La preuve peut être faite par écrit (acte authentique ou sous seing privé), par témoins, par aveu, par serment ou par présomption (Lemeunier1969: 3. On n'a pas oublié la superbe du général de Pellieux à la Cour d'assises, basant sur ces faux la démonstration irréfutable de la culpabilité de Dreyfus, et faisant, sur cette preuve, condamner Zola.
Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 120. ♦ Preuve par présomption. ,,Inductions ou conséquences tirées de faits connus en vue d'établir le fait contesté`` (Barr. 1974). Preuve préconstituée. ,,Écrit qui, avant toute contestation, mais en prévision d'une contestation possible, est destiné à établir l'existence et le contenu du contrat`` (Barr. 1974). b) Vieilli − RHÉT. ,,Chacune des parties constitutives d'un discours que l'on appelle aussi confirmation et réfutation`` (Littré). Preuves oratoires. − ,,Titre, extrait, pièce que l'on met à la fin d'une histoire ou d'un autre ouvrage, pour prouver la vérité des faits qui y sont avancés. Il a ajouté à son histoire un volume de preuves`` (Ac.). − P. anal. Chose ou être constituant l'illustration, le témoignage de ce que l'on désire démontrer. Le médaillon grec, la plus belle preuve et le plus bel exemple de cette beauté pure (Goncourt, Journal,1856, p. 270): 4. On avait bien chuchoté qu'ils [ma mère et mon père] s'étaient aimés du vivant du premier mari, mais on n'en avait aucune preuve. C'était moi la preuve, la preuve qu'on avait cachée d'abord, espéré détruire ensuite.
Maupass., Contes et nouv.,t. 2, Parricide, 1884, p. 478. 2. Spécialement a) MATH. Calcul permettant de vérifier l'exactitude du résultat d'une opération en faisant l'opération inverse. La preuve de la soustraction se fait par l'addition. Pour faire la preuve d'une division, on multiplie le diviseur par le quotient et l'on ajoute le reste; on doit retrouver le dividende (R. Chezel, A. Rougeaux, L'Arithm. au cours élém.,Paris, Belin, 1949, p. 176). − Preuve par neuf (d'une multiplication). Opération arithmétique permettant, grâce à des rapports fixes où intervient la base 9, de vérifier l'exactitude d'une multiplication. Tant que les instituteurs enseigneront à nos enfants la règle de trois, et surtout la preuve par neuf, ils seront des citoyens considérés (Péguy, Argent,1913, p. 1137). ♦ Au fig. Démonstration flagrante, irréfutable. Tous les beaux discours sur l'âme vont recevoir ici, au moins pour un temps, une preuve par neuf de leur contraire (Camus, Sisyphe,1942, p. 30). b) TECHNOLOGIE − SUCR. Opération permettant de vérifier le degré de concentration du sucre afin de le faire se cristalliser dans de bonnes conditions. Preuve au thermomètre, à l'aréomètre, au filet, à l'écumoire, à la dent, à l'eau (Littré). − DISTILL. Vérification du degré de l'alcool au sortir de l'alambic; flacon éprouvette destiné à cette vérification ou à goûter l'alcool. Preuve de Hollande. Degré de concentration correspondant à 51oGay-Lussac (autrefois 19oCartier), atteint quand l'alcool perle si on l'agite dans la preuve. Cet alcool à 51oétait capable d'enflammer la poudre à l'époque et avait été pris pour preuve en Hollande et [dans] de nombreux pays (Ch. Mariller, Distill. agric. et industr.,Paris, J.-B. Baillière et fils, 1951, p. 22). B.− HIST., toujours au plur. Preuves de noblesse. Ensemble des titres qui établissent la noblesse d'une personne. Les preuves de noblesse exigées pour l'admission de Napoléon à une école militaire furent faites (Chateaubr., Mém.,t. 2, 1848, p. 296). − Loc. verb. Faire ses preuves de noblesse et, p. ell., faire ses preuves. Justifier par titres de son état de noble : 5. ... Albert était (...) vicomte : vicomte de nouvelle noblesse, c'est vrai; mais aujourd'hui qu'on ne fait plus ses preuves, qu'importe qu'on date de 1399 ou de 1815!
Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 472. ♦ P. ext. Faire ses preuves [Le suj. désigne une pers.] Témoigner de sa valeur, de son aptitude à. Tous les chevaliers armés (...) ont fait leurs preuves au champ d'honneur (Genlis, Chev. Cygne,t. 2, 1795, p. 299).Or, Rochard est (...) un militant qui a fait ses preuves et je ne me reconnais pas le droit de suspecter son témoignage (Aymé, Uranus,1948, p. 177).[Le suj. désigne une chose] Démontrer sa valeur, son efficacité. La combinaison cours du soir-cours par correspondance a déjà fait ses preuves. Elle est néanmoins difficile à supporter (...), à cause de l'étalement des études qu'elle implique (Encyclop. éduc.,1960, p. 286).Décentraliser. Il existe pour cela plusieurs méthodes qui ont fait leurs preuves. La plus connue est la division de la société (Univers écon. et soc.,1960, p. 42-16). C.− Marque, témoignage d'un sentiment, d'une disposition de l'esprit. Synon. indice, signe.Preuve d'amitié, d'amour, d'estime; preuves de bêtise, de compétence, de courage, de prudence, de sagesse. Il chérissait en lui l'obstination comme une preuve de caractère (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1937, p. 226).Cette preuve de solidarité, de fidélité, m'a procuré une minute de joie que je n'oublierai jamais (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 833).Souvenez-vous de moi. Je vous ai donné la plus grande preuve de confiance (Gracq, Beau tén.,1945, p. 166). − Loc. verb. Faire preuve de. Témoigner de. À peine installé à son bureau, il fit aussi preuve d'une ardeur au travail que justifiait l'abondance des cas litigieux accumulés en son absence (Estaunié, Ascension M. Baslèvre,1919, p. 169).De quelle sottise, le plus souvent, le blanc fait preuve, quand il s'indigne de la stupidité des noirs! (Gide, Voy. Congo,1927, p. 765). Prononc. et Orth. : [pʀ
œ:v]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1160-74 « ce qui est susceptible d'établir la réalité, la vérité de quelque chose » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 397); 1265-66 faire preuve de (Livre de Jean d'Ibelin, LXVI ds Assises de Jérusalem, éd. Beugnot, t. 1, p. 109); 1283 faire la preuve (Philippe de Beaumanoir, Coutumes de Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 131); 1671 faire ses preuves de noblesse (Pomey); 2. 1580 « comportement témoignant d'une qualité, d'une capacité » donner preuve de sa bonté et de sa vertu (Montaigne, Essais, II, VIII, éd. P. Villey et V. L. Saulnier, p. 386). B. 1. 1253 « épreuve » (ds Trésor des chartes de Rethel, éd. G. Saige et H. Lacaille, t. 1, p. 229); ca 1265 « expérience, épreuve » (Brunet Latin, Trésor, III, LXXV, 2, éd. J. Carmody, p. 393, 8); 2. spéc. a) 1765 sucr. « essai par lequel on s'assure que le sirop est assez concentré » (Encyclop. t. 13, p. 357b); b) 1832 distill. « petite bouteille de cristal où se collecte l'eau de vie pour en évaluer le degré » (Raymond); 1842 preuve de Hollande « eau-de-vie à 19o» (Ac. Compl.); 1875 « essai faisant connaître le degré d'un liquide en alcool » (Lar. 20e). Déverbal de prouver*. Fréq. abs. littér. : 6 260. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 10 973, b) 6 366; xxes. : a) 9 329, b) 8 236. |