| PRESQUE, adv. et élém. de compos. Adverbe de quantité qui signifie qu'une prédication n'atteint pas le degré où elle serait pleinement appropriée, mais qu'elle s'en approche de si près qu'elle en est comme équivalente. Rem. De ce fait, ce qui est dit va dans le même sens que s'il n'y avait pas presque. Ainsi après Pierre a presque la moyenne, on peut ajouter «c'est bien» («Il n'a certes pas la moyenne, mais c'est tout comme»), ce qui est impossible après Pierre a à peine la moyenne (où pourtant Pierre a la moyenne) (d'apr. O. Ducrot, v. bbg.). A. − [Empl. comme adv.] Synon. à peu près, à peu de choses près, quasi, quasiment. 1. [En relation avec un terme qui se prête à la gradation] a) [Dans une prédication de type adj.] − [Suivi d'un adj.] Les plaintes presque humaines du chameau des caravanes (Lamart., Voy. Orient,t.2, 1835, p.83).Au commencement d'une bataille, j'éprouvais un tel désir de savoir qui serait vainqueur que j'en devenais presque prudent (Curel,Nouv. idole,1899, ii, 5, p.223): 1. −(...) Vos hommes, tués, sans doute? Un camarade officier, l'on me dit, est là dedans? Blessé? −Presque mort répéta Gastaldi.
Romains,Hommes bonne vol., 1938, p.63. − [Suivi d'un subst. empl. comme adj.] Dans cette sphère divine, où il est presque dieu (Sue,Atar-Gull,1831, p.18).Pour Lucien, le prêtre s'était évidemment fait coquet, caressant, presque chat (Balzac, Illus. perdues,1843, p.721). − [Suivi d'un syntagme prép. à valeur d'adj.] Il fut presque hors de danger (Sue,Atar-Gull,1831p.11). b) [Dans une constr. de type adv.] − [Suivi d'un adv. ou d'une loc. adv.] Nous nous retirâmes presque aussitôt (Senancour,Obermann,t.2, 1840, p.191).Un théâtre de salon, ouvert presque à tout venant (Reybaud,J. Paturot,1842, p.196).Cela est presque de trop (Hugo,Misér.,t.1, 1862, p.378).Et te voici douce dans tes larmes Qui font déjà de toi presque un peu une femme (Régnier,Jeux rust.,1897, p.67). − [Suivi d'un syntagme prép. à valeur d'adv.] :
2. Il y a trente ou quarante ans, une des contrées les plus fertiles du monde, celle des Prairie States, au centre des États-Unis, s'est élevée presque d'un bond à 16 ou 17 millions d'âmes...
Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p.25. c) [Avec un quantificatif ou un mot négatif] − [Suivi d'un quantitatif] ♦ [Un numéral] Sur ces vingt-neuf ans, il y avait quatre années, presque cinq années de guerre (Duhamel,Suzanne,1941, p.43). ♦ [Un adj. ou un pron. indéf.] Peu à peu on prit la douce habitude d'écrire presque tous les jours (Stendhal,Rouge et Noir,1830, p.416).C'est le grand malheur de ma vie, dû à ma solitude, que presque tout, entre nous, se soit passé par lettres (Montherl.,Pitié femmes,1936, p.1106). − [Suivi d'un mot négatif] Leur oreille n'entend presque rien (Cabanis,Rapp. phys. et mor.,t.1, 1808, p.104).Je ne le connais d'ailleurs presque pas, sinon par ouï-dire (Musset,Confess. enf. s.,1836, p.230).On ne parle jamais du père et Céline heureusement n'y pense presque plus (Duhamel,Suzanne,1941p.99). Rem. ,,Si le régime de la préposition contient un des termes de quantité tout, tous, chacun, aucun, pas un, nul, le plus souvent presque se place entre la préposition et le terme de quantité`` (Grev. 1975, § 831 a). À presque tous les hommes (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p.1636). Dans presqu'aucune église (Rivière, Corresp. [avec Alain-Fournier], 1907, p.276). Effrayé de presque chacun de ses mouvements (Aragon, Beaux quart., 1936, p.247). d) [Dans une constr. verbale; précédé d'un verbe] Il cria presque la réponse (Adam,Enf. Aust.,1902, p.221).Il balbutiait presque, devenu tout petit garçon (Montherl.,Bestiaires,1926, p.463): 3. Il pleurait presque d'énervement, d'impatience, d'une sorte de colère sournoise aussi proche du rire que des larmes.
Bernanos,M. Ouine,1943, p.1372. Rem. 1. a) Si le verbe est à un temps comp., presque se met gén. entre l'auxil. et le part. Il m'a presque convaincu d'aller avec lui à Constantinople (Valéry, Corresp. [avec Gide], 1894, p.211). b) Presque se met avant ou après un verbe à l'inf. Un point demeurait inquiétant et semblait presque effrayer Meaulnes (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p.136). Je finis par m'en amuser presque, je vous assure (Gide, Faux-monn., 1925, p.1157). 2. Presque en fonction expressive peut être a) postposé
α) à un adj.: Travail rude, sain, joyeux presque, en pleine forêt (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.238);
β) à un subst. empl. comme adj.: À quoi bon le Séraphin, un enfant presque? (Murger, Scènes vie boh., 1851, p.244);
γ) à un adv.: Il reprit plus doucement, tendrement presque (Gide, op. cit., p.1163);
δ) à un groupe prép.: À 3 000 mètres d'altitude presque, hérissé d'arêtes vives ou de cassures bossuées (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p.26);
ε) à un quantitatif: Et chaque année presque il fait des héritages de douze ou quinze mille livres de rente (Stendhal, L. Leuwen, t.3, 1835, p.117); b) antéposé à la prop. entière: Nous nous retournons, nous constatons notre présence, et presque, nous demandons pardon d'être là (Psichari, Voy. centur., 1914, p.133). 2. En empl. ell. [Sert à corriger une affirmation, mais sans l'infirmer] Gros comme ma cuisse, un peu moins p't'être, mais presque! (Maupass.,Contes et nouv.,t.1, Trou, 1886, p.578).Je l'ai connue haute comme ça... ou presque (Farrère,Homme qui assass.,1907, p.175). B. − [Modifiant un subst., empl. comme élém. de compos.] Synon. de quasi-. 1. [Devant un subst. à valeur quantitative, signifie l'approximation] La presque unanimité. La totalité ou la presque totalité, ou, si l'on veut, une très grande partie de la rente française (Jaurès, Ét. soc., 1901, p.180). 2. [Avec un subst. abstr.] Aucune pudeur de leur presque nudité devant les hommes de la tribu (Lamart.,Voy. Orient,t.2, 1835, p.89).La presque immobilité de l'équipage entier (Amiel,Journal,1866, p.216).La presque impossibilité d'exprimer ses prolongements immédiats en nous (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p.192). Prononc. et Orth.: [pʀ
εsk]. Att. ds Ac. dep. 1694. Pas d'élision pour Ac. même devant voyelle: presque achevé, presque usé; usage flottant devant voyelle selon les aut. (supra: presque aussitôt ex. de Sénancour, mais presqu'aucune ex. de Rivière); gén. pas d'élision devant h même non aspiré (supra: presque humaines ex. de Lamartine). Étymol. et Hist. 1130-40 a bien près «presque» (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 330 [ms. A, anno 1267]: Es vos celui, goule bäee; A bien près l'a tote engolee); ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, 5514 ds T.-L.: De cors sembloit home a bien près [Ecuba]); fin xiies. près [...] ne «id.» (Moniage Guillaume, éd. W. Cloetta, 2eréd., 3563: Tant l'ai sachié, près n'ai le cuer crevé); a) ca 1165 bien pres que [...] ne «presque» (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2188: tant vos aim Que bien pres que jou ne vos claim Oncle et signor et roi meïsmes); fin xiies. pres que [...] ne (Béroul, Tristan, éd. A. Ewert, 3945: pres qu'il ne chiet de sor la planche); b) 1176-81 a bien pres que [...] ne «id.» (Chrétien de Troyes, Chevalier au lion, éd. M. Roques, 3095); id. (Id., Chevalier à la charrette, éd. M. Roques, 1916); c) ca 1210 près ke «id.» (Dolopathos, 367 ds T.-L.: Jai avoient près ke maingiet); ca 1223 (Gautier de Coinci, Miracles, éd. V. F. Koenig, 2 Mir 15, 11: Por ce que je sui pres que nue); 1214-27 (Manessier, Troisième Continuation de Perceval, éd. W. Roach, 34328: Et quant li servises fu près Que feniz); ca 1393 (Menagier, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, II, V, 261, p.255, 20: et quant elle sera presque cuite, si la trayez); empl. adj. [cf. 1544 presque Isle, v. presqu'île] 1779 un presque démenti (Rétif de La Bretonne, Vie de mon père, éd. G. Rouger, Paris, Garnier, 1970, p.41); 1791 la presque unanimité (Ass. nat.; Arch. parl., 1resérie, t.30, p.130, col. 1 ds Brunot t.9, p.781, note 6). Comp. de près* au sens de «presque» en a. fr. (déb. xiies., Benedeit, St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1602) et de que: d'abord que rel., proprement «à peu près ce qui, ce que» (cf. p.ex., supra, 1214-27, en fonction de suj.: Et quant li servises fu près [de ce] Que [est] feniz); puis de que conj. avec valeur consécutive (cf. supra: Charrette, 1916: ...li moinnes s'an esbahi Si qu'a bien pres qu'il ne chaï; de même Coinci, 2 Mir. 15, 11; à rapprocher de supra, fin xiies.: Tant l'ai sachié, près n'ai le cuer crevé), v. Lerch t.1, pp.219-20; FEW t.9, p.367a, note 2. Fréq. abs. littér.: 30629. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 42612, b) 40938; xxes.: a) 39178, b) 48405. Bbg. Ducrot (O.). Dire et ne pas dire. Paris, 1972, pp.254-266. _Jayez (J.). Games, frames and Fr. cognitive adverbs. Cah. Ling. fr. Genève. 1983, no5, pp.253-270. _ Nølke (H.). Les Adv. paradigmatisants. Copenhague, 1983, pp.151-155. |