| PRAGMATIQUE, adj. A. − HIST. Pragmatique sanction et p.ell. pragmatique, subst. fém. Édit d'un souverain statuant de façon définitive sur certaines affaires très importantes du pays. Chaire de fer forgé du haut de laquelle fut lue à Colomb la pragmatique royale qui lui donnait mission d'aller découvrir et évangéliser les grandes Indes (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p.161).V. concordataire ex. de Claudel: 1. En France, et avec les décrets du concile de Bâle, Charles VII fait la pragmatique sanction qu'il proclame à Bourges en 1438, elle consacre l'élection des évêques, la suppression des annates et la réforme des principaux abus introduits dans l'Église. La pragmatique sanction est déclarée en France loi de l'État.
Guizot, Hist. civilis.,leçon 11, 1828, pp.27-28. B. − 1. [P. oppos. à théorique, spéculatif] a) Qui concerne les faits réels, l'action et le comportement que leur observation et leur étude enseignent. On reprochera peut-être aussi durement à la science du XVIIIeet du XIXesiècle d'avoir été minutieuse et pragmatique, que nous reprochons aux anciens d'avoir été sommaires et hypothétiques (Renan, Avenir sc.,1890, p.158).Plutôt que de donner une définition théorique et a priori de la notion de «cadre», nous préférons rechercher une définition pragmatique à partir de l'observation empirique de la réalité sociale (Univers écon. et soc.,1960, p.5-12). − Vx. Histoire pragmatique. Histoire qui se propose d'éclairer l'avenir par les faits du passé. Si l'histoire pragmatique ne peut jamais devenir une science, il est tout simple qu'on trouve (...) la forme scientifique unie à un fond de recherches historiques (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p.469). b) [En parlant d'une pers.] Qui est plus soucieux de l'action, de la réussite de l'action que de considérations théoriques ou idéologiques. Pour si géographe pragmatique qu'on soit devenu, ce n'est pas chose facile que de vivre aux dépens des rastaquouères (Toulet, Comme une fantaisie,1918, p.96).L'un [Sartre], cérébral, veut articuler l'éthique et la politique, quand l'autre [Camus], sensuel et pragmatique, les oppose (Le Nouvel Observateur,22 juin 1984, p.90, col. 3). − Empl. subst. Ce pragmatique, sympathique et doté d'un physique bourru d'Auvergnat, laisse à d'autres les longues théories (Le Monde,22 janv. 1985, p.42, col. 6). 2. Spécialement a) PHILOS. Qui s'inspire du pragmatisme; relatif au pragmatisme (v. ce mot A). Un tel idéalisme [des Pythagoriciens] est (...) ce qu'on peut imaginer de plus réaliste: c'est, pour employer un mot que les Péripatéticiens opposent volontiers à celui de logique, une doctrine pragmatique (Hamelin, Élém. princ. représ.,1907, p.19).La philosophie pragmatique, l'intuition bergsonienne l'emportent sur un positivisme sec et un froid scientisme (Weill, Judaïsme,1931, p.62). b) PSYCHOL. Activité pragmatique. ,,Activité ordonnée à un but, correctement menée et productive de résultats`` (Pel. Psych. 1976). c) LING., SÉMIOL. Qui étudie le langage du point de vue de la relation entre les signes et leurs usagers. Le troisième postulat formulé par Barnes au sujet des contributions de la logique moderne à l'analyse documentaire: «L'analyse logique du contenu d'un document consiste à identifier les corrélats linguistiques des traits syntaxiques, sémantiques et pragmatiques du texte (...)» (Coyaud, Introd. ét. lang. docum.,1966, p.67). − Empl. subst. fém.: 2. La relation des phrases aux états de choses qu'elles signifient est, dans la terminologie de Morris (1938), la relation proprement sémantique, distincte de la relation pragmatique des phrases à ceux qui les énoncent et les interprètent. Ces deux relations peuvent être dissociées et étudiées isolément: la sémantique s'occupe du sens des phrases identifié à leur contenu représentatif, et la pragmatique de leur utilisation par les sujets parlants.
Fr. Récanati, Le Développement de la pragmatiqueds Lang. fr., mai 1979, no42, p.6. 3. P. ext. a) Qui est fondé sur l'action, la réussite dans l'action. La formule scientifique considérée sous son aspect pragmatique revient à dire «si tu fais telle chose, je te préviens qu'il arrivera invariablement ceci (...)» (G. Marcel, Journal,1919, p.200). b) Pratique, voire utilitaire. L'esprit du jeu contrevient aux valeurs utilitaires, à l'exigence pragmatique du rendement (Jeux et sports,1967, p.1162).Adapter les propriétés à la forme et à la capacité d'un support d'information particulier. C'est un point de vue purement pragmatique (Jolley, Trait. inform.,1968, p.237). REM. 1. Apragmatique, adj.,philos. Qui n'est pas adapté aux structures de la vie courante, de l'expérience pratique, de l'action. Caractérol., psychiatrie. [Chez Mounier; en parlant d'une attitude schizophrénique] Qui est détaché, coupé du réel. Ces divers traits ont amené à parler d'«attitudes schizophréniques», toutes signalées par leur caractère abstrait et apragmatique, par leur stérilité, leur fixité et leur immobilité (Minkowski): véritables «stéréotypies psychiques» qui finissent par régler tout le comportement du schizophrène (Mounier, Traité caract.,1946, p.363). 2. Pragmatiquement, adv.De manière pragmatique. Il ne s'agit aucunement de minimiser le savoir, de le mettre pragmatiquement au service de la volonté ou de la sensibilité (Lacroix, Marxisme, existent., personn.,1949, p.103). Prononc. et Orth.: [pʀagmatik]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.I. 1440 pragmatique sanction «acte solennel par lequel le souverain règle certaines affaires» ici spéc. l'acte (rédigé en latin) par lequel Charles VII statua le 7 juillet 1438 sur différents points concernant l'Église catholique et les ecclésiastiques à la suite du Concile de Bâle (Déclaration de Charles VII, 2 sept. 1440 ds Ordonnances des rois de France, t.13, 1782, p.320); 1561 subst. fém. la Pragmatique «pragmatique sanction» (Concordat entre Léon X et François Ier, 1517 ds La Pragmatique Sanction, Paris, R. Le Margnier, p.41). II. 1842 adj. «directement orienté vers le réel, la vie pratique» (histoire) pragmatique «dont on peut tirer des conclusions pratiques immédiates» (Ac. Compl.); 1946 subst. masc. «personne qui a l'esprit tourné vers le concret, le sens pratique» (Mounier, Traité caract., p.637). III. 1956 (E. Benveniste, La nature des pronoms ds For Roman Jakobson, Mouton & Co, La Haye, 1956, p.34: ce niveau ou type de langage que Charles Morris appelle pragmatique, qui inclut, avec les signes, ceux qui en font usage); 1968 subst. fém. sémiot. «étude des relations entre les signes et les usagers» (Lal. Suppl., p.1274). I empr. au lat. pragmaticus, -a, -um «relatif aux affaires politiques, intéressant la politique, habile ou expérimenté en droit» dans l'expr. du lat. de basse époque pragmatica sanctio désignant un rescrit de l'empereur. II du gr. π
ρ
α
γ
μ
α
τ
ι
κ
ο
́
ς «qui concerne l'action, qui concerne les affaires» (d'où le lat. pragmaticus, -a, -um), dér. de π
ρ
α
γ
μ
α «action», par l'intermédiaire de l'all. pragmatisch, notamment l'histoire dans l'expr. pragmatische Geschichte «histoire pragmatique» transcrivant, dans un empl. partic., l'expr. ι
̔
σ
τ
ο
ρ
ι
́
α
π
ρ
α
γ
μ
α
τ
ι
κ
η
́ de l'historien gr. Polybe (v. Lal. et Lal. Suppl., en partic. pour l'empl. de pragmatisch chez Kant). III subst. de II d'apr. l'angl. pragmatics (1937 Ch. W. Morris ds NED Suppl.2et ds International Encyclopedia of Unified Science, I, 2, Chicago, 1938, p.29), l'empl. du terme par E. Benveniste corresp. à l'angl. pragmatic (1935 ds NED Suppl.2) ou pragmatical (1939 ibid.) au sens de «qui relève de la pragmatique». Fréq. abs. littér.: 50. Bbg. Bastuji (J.). Sémantique, pragmatique et discours. LINX. 1981, no4, pp.36-45. _Berrendonner (A.). Élém. de pragmatique ling. Paris, 1982, 247 p._ Communications. 1980, no32 (Les Actes de discours), 284 p._Éluard (R.). La Pragmatique ling. Paris, 1985, 222 p._Grunig (B.-N.). Plusieurs pragmatiques. Ds le ch. pragmatico-énonciatif. D.R.L.A.V. 25. Paris, 1981, pp.101-118. _Kerbrat-Orecchioni (C.). L'Énonciation de la subjectivité ds le lang. Paris, 1980, pp.185-223. _Kleiber (G.). Les Différentes conceptions de la pragmatique. Inform. gramm. 1982, no12, pp.3-8. −Le Lang. en contexte: ét. philos. et ling. de pragmatique. Sous la dir. de H. Parret. Amsterdam, 1980, 790 p._ Lang. fr. 1979, no42 (La Pragmatique), 103 p._Récanati (F.). La Transparence et l'énonciation. Pour introduire à la pragmatique. Paris, 1979, 218 p._Vogt (C.). Pour une pragmatique des représentations. Semantikos. 1981, t.5, no1, pp.1-36. |