| POIVRER, verbe trans. A. − 1. Assaisonner de poivre. Le cuisinier poivre trop, ne poivre pas assez ses sauces (Ac.1835-1935). − [P. ell. du compl.] Retirer les morceaux, faire tomber la cuisson presque à glace. Monter la sauce avec un bon bol de crème fraîche, deux jaunes d'oeufs et un bon morceau de beurre fin. Saler, poivrer et une pointe de jus de citron (Gdes heures cuis. fr.,F. Point, 1955, p.205): 1. Lorsque Zéphyrin levait la tête, il regardait Rosalie prendre de la farine, hacher du persil, saler, poivrer, d'un air profondément intéressé. Alors, de loin en loin, une parole lui échappait. −Fichtre; ça sent trop bon! La cuisinière, en plein coup de feu, ne daignait pas répondre tout de suite. Au bout d'un long silence, elle disait à son tour: −Vois-tu, il faut que ça mijote.
Zola, Page amour, 1878, p.864. 2. Vieux a) FAUCONN. Poivrer l'oiseau. Débarrasser l'oiseau de sa vermine en le lavant avec de l'eau additionnée de poivre. (Dict.xixeet xxes.). b) Poivrer des vêtements. Saupoudrer des vêtements de poivre dont l'odeur éloigne les insectes. Ah!... savez-vous poivrer les habits?... Voici l'été et nous avons l'habitude pour qu'ils ne se mangent pas aux vers (Labiche, Trente millions Gladiator, 1875, iii, 4, p.69). B. − P. anal. 1. Irriter comme le ferait du poivre. André haussa les épaules et, crachant le jus de tabac qui lui poivrait la bouche, dit simplement... (Huysmans, En mén., 1881, p.1). 2. Pop. ou arg. a) Arroser de plombs, mitrailler (d'apr. Duchartre 1973). Si nous sommes du côté de Rovereto, peut-être même un peu plus haut, de grands garçons peuvent se débrouiller à travers les arrière-gardes. Non seulement elles ont des pains de munitions dans la musette, et même de la saucisse, mais poivrer les côtes à des gens qui ouvrent la bouche pour tout avaler est pain bénit (Giono, Bonheur fou, 1957, p.370). b) Donner une maladie vénérienne. Ces saintes nitouches-là sont pires que les autres et (...) ce sont elles qui daubent et poivrent le plus congrument un homme! (Huysmans, En mén., 1881, p.146): 2. Il interroge Adoum en blaguant. C'est en passant à Fort-Crampel que le pauvre garçon s'est fait poivrer, il y a précisément quarante jours, cette fameuse nuit d'orgie qui nous était demeurée mystérieuse. Douloureux spectacle de ce beau corps, aux lignes si pures, si jeune encore, tout abîmé, flétri, déshonoré par ces hideuses plaies.
Gide, Voy. Congo, 1927, p.788. c) ,,Enivrer`` (Esn. 1966). − Empl. pronom. [De neuf heures du soir à six du matin,] Yvette et lui s'étaient poivrés, en copains (Le Breton, Rififi, 1953, p.132). C. − Au fig. 1. Rendre piquant, caustique. Pour le moment, c'est la grâce qui nous appelle, une grâce particulière, inconnue certes jusqu'ici, où le bizarre et l'étrange salent et poivrent l'extrême douceur, la simplicité divine de la pensée et du style (Verlaine, OEuvres compl., t.4, Poètes maud., 1884, p.23). 2. Fam, vieilli. Faire payer trop cher quelque chose à quelqu'un. Synon. saler.,,Charger une note, une addition, −dans l'argot des consommateurs. C'est poivré! C'est cher!`` (Delvau 1866, p.309). Prononc. et Orth.: [pwavʀe], (il) poivre [pwa:vʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. a) Déb. xiiies. mangier d'un päon pevré (Raoul de Houdenc, Vengeance Raguidel, 756 ds T.-L.); xiiies. [ms.] gastiaus pevrez (Robert de Reims, Touse de vile champestre... III, 7, éd. W. Mann ds Z. rom. Philol. t.23, p.99); fin xiiies. venoisons pevrées (D'un Ermite et du prévôt d'Aquilée ds Méon, Nouv. rec. de fabliaux, t.2, p.192); b) 1285 pevrer (Roques t.1, I, 1971); 2. 1549 cynégétique poivrer l'oiseau (Est.); 3. 1579 p.anal. menthe poivrée (Buisson, Classes et noms des plantes ds Roll. Flore t.9, p.43). II. Fig. A. 1. 1534 «maltraiter» (Rabelais, Gargantua, II, 87, éd. R. Calder et M. A. Screech, p.29); 1546 (Id., Tiers livre, XXV, éd. M. A. Screech, p.78: seras de ta femme battu, et d'elle seras desrobbé [...] Tu seras bien poyvré, homme de bien); 2. 1562 poivré «malade, en délire» (Id., 5elivre, XLVI, éd. J. Plattard [Textes fr.], p.171: Comment [...] vous rithmez aussi: par la vertu de Dieu, nous sommes tous poivrez); 3. 1640 se poivrer; poivré «prendre quelque mal vénérien; qui a la vérole» (Oudin Curiositez); 1644 trans. «transmettre (à quelqu'un) une maladie vénérienne» (Saint-Amant, Caprice, 115 ds OEuvres, éd. J. Lagny, t.3, p.90: Toy louve, toy guenon, qui m'as si bien poivré); 4. 1829 «empoisonner» (relevé dans l'Allier par Esn.); 5. 1895 «enivrer» (d'apr. Esn.). B. 1. 1761 poivré «(d'une oeuvre littéraire) assaisonné, relevé comme avec du poivre» (Voltaire, Lettre au comte d'Argental, 9 janv. ds Corresp., éd. Th. Besterman, t.22, p.446: Avez-vous lu l'ouvrage...? Cela est poivré); 2. a) 1740 poivrer «vendre cher» [cette chose] a été bien poivrée (Ac.); 1808 marchandise bien poivrée (Hautel); b) 1829 [d'une personne] poivré «qui a payé cher» (Boiste). Dér. de poivre*; suff. -é*; dés. -er. |