| PLEUVOIR, verbe A. − Empl. impers. 1. Tomber du ciel sur la terre. a) [Le suj. réel, non exprimé, désigne la pluie] Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville; (...) Ô bruit doux de la pluie Par terre et sur les toits! (Verlaine,Romances sans par., 1874, p.14).Il tombe de la pluie Il pleut sur la rivière (Claudel,Poés. div., 1952, p.751): . ... il pleuvait, mais comme il pleut l'été à Biarritz, une fine petite pluie chaude, comme venant d'un vaporisateur, mais dont les gouttelettes sont suffisantes pour rouiller les pétales en chair blanche des magnolias.
Cendrars,Bourlinguer, 1948, p.369. SYNT. Il pleut beaucoup, (bien) fort, doucement, dru, un peu; il pleut encore, toujours, tous les jours; il ne pleut presque jamais; il va pleuvoir; il commence, se met, se remet à pleuvoir; il cesse, continue, vient de pleuvoir. − Locutions ♦ Il pleut à flots, à seaux, à torrents, à verse. Il pleut très fort. Je vous souhaite (...) un meilleur temps qu'ici où il pleut sans discontinuer, à verse, à flots, par barriques, par océans (Flaub.,Corresp., 1866, p.245).Des mares d'eau coupaient le chemin. Il pleuvait à torrents (...). Le ciel et la terre étaient noyés (Rolland,J.-Chr., Buisson ard., 1911, p.1405). ♦ Qu'il pleuve ou qu'il vente. Par n'importe quel temps. Malgré le mauvais temps, allons faire un tour au dehors. En Lorraine, qu'il pleuve ou qu'il vente, c'est toujours une admirable vie patriotique (Barrès,Cahiers, t.9, 1912, p.366). ♦ Écoute-s'il-pleut, subst. masc. V. écouter rem. e. − Loc. pop. ♦ Ça pleut. Synon. de il pleut.V. brouillasser ex. 2. ♦ Il pleut comme vache qui pisse. Il pleut en abondance. Voir Rigaud, Dict. jargon paris., 1878, p.340. ♦ P. plaisant. (Avoir un) nez dans lequel il pleut. V. nez I A loc. 2.Son nez (...) court, relevé, largement troué, avec les narines ouvertes et respirantes, était de ces nez dont le peuple dit qu'il pleut dedans (Goncourt,G. Lacerteux, 1864, p.52). − [Dans divers dictons] Le jour des Rameaux est lié par des prédictions à la météorologie, et l'on dit au village: S'il pleut sur le laurier, il pleuvra sur la faucille. (Quercy). Ou bien: S'il pleut à l'élévation des Rameaux, il pleuvra toute l'année. (Aunis, Saintonge.) (Menon, Lecotté,Vill. Fr., 1, 1954, p.57).S'il pleut à la Saint-Médard Il pleut quarante jours plus tard (P. Vani,Almanach de Madame Truc, 1983, p.172). − [P. allus. à la chanson de Fabre d'Églantine: Il pleut, il pleut, bergère] Voici qu'il pleut, qu'il pleut, bergères! Les pauvres Vénus bocagères Ont la roupie à leur nez grec! (Laforgue,Complaintes, 1885, p.134). − [P. allus. au ,,poème enfantin célébrant la pluie, traditionnellement associée dans notre folklore à la grenouille et à l'escargot`` (d'apr. Rey-Chantr. Expr. 1979): Il pleut, il mouille, c'est la fête à la grenouille] Il pleut il mouille, Aujourd'hui c'est la fête à la grenouille Et la grenouille C'est mon amie (Prévert,Histoires, Paris, éd. du Pré aux clercs, 1946, p.23). b) [Le suj. réel, gén. introd. par un/de(s), désigne la pluie dans ses diverses modalités] Une pluie diluvienne s'abattait sur le hangar. (...) il pleuvait sur la Lison, de grosses gouttes, en paquets (Zola,Bête hum., 1890, p.131).Il pleuvait un crachin gris-bleu couleur de lointain (Queffélec,Recteur, 1944, p.50). − Loc. Il pleut des cordes. V. corde I loc. p.métaph.Il pleut des hallebardes. V. hallebarde loc. verb. impers. fig. 2. P. anal. [Le suj. réel, gén. introd. par un/de(s), désigne un liquide, une masse d'éléments divers, etc.] Tomber en grande quantité, affluer. Il pleut des balles, des bombes, des étoiles, des flèches, du sang. Il pleuvait une nuée de cousins, la rue en était pleine, encombrée (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.1109).Je me couche (...), les yeux à moitié fermés, tournés vers les rayons qui tombent du ciel sur mon visage; il me pleut ainsi dans les yeux et dans l'âme, à travers les paupières, un éblouissement de rayons rosés (Lamart.,Tailleur pierre, 1851, p.431).Il en pleuvait, des taloches, il en grêlait, des horions (Cladel,Ompdrailles, 1879, p.336). − Loc. Comme s'il en pleuvait. Synon. beaucoup, énormément.Abattant des quatorze en veux-tu en voilà et des quintes comme s'il en pleuvait (Courteline,Ronds-de-cuir, 1893, 5etabl., 3, p.201). 3. Au fig. a) [Le suj. réel, gén. introd. par un/de(s), désigne des formes d'expression, des événements, etc. multiples] Survenir à profusion. Il pleut des chansons, des libelles. Il pleut des pardons! Il grêle de la miséricorde! Je suis submergé dans la clémence! (Hugo,L. Borgia, 1833, i, part.1, 2, p.22).Peines d'amour comme il en pleut vers la quarantaine sur ceux qui ont gardé le coeur tendre (Arène,Veine argile, 1896, p.239). − Loc., p.iron. Il pleut des vérités premières. Il s'énonce beaucoup de truismes. Quarante ans peut être quarante ans d'âge ou quarante ans de durée. Sous cette réserve que c'est la durée qui amène l'âge. (Il pleut des vérités premières) (Péguy,V.-M., comte Hugo, 1910, p.764). b) [Le suj. réel, exprimé ou non, désigne des sentiments, des faits pénibles] S'abattre en apportant la tristesse, l'ennui. Elle raconta sa vie déflorée qui ressemblait à dix mille vies. −Mon existence est une campagne triste où il pleut toujours (Bloy,Femme pauvre, 1897, p.63).V. blafard ex. 7. B. − Empl. pers. 1. [Le suj. désigne la pluie, la vapeur d'eau atmosphérique, les nuages] a) Empl. intrans. Tomber du ciel sur la terre. Les portes n'étaient point surmontées d'un couronnement, dit attique, pour chasser les eaux de la pluie qui ne pleut pas (Borel,Champavert, 1833, p.9).Qu'importe que le vent gémisse et que l'eau pleuve? (Coppée,Poés., t.2, 1876, p.167). − [Avec compl. circ.] Notre toit ouvert par les maçons et la pluie pleuvant sur nos tapisseries comme dans la rue (Goncourt,Journal, 1865, p.210). − Empl. causatif. [Le suj. désigne Dieu] Faire tomber la pluie. Un Dieu impartial et juste, qui, pour pleuvoir sur un pays, ne demande point quel est son prophète (Volney,Ruines, 1791, p.90). b) Empl. trans. dir. Déverser, répandre (quelque chose). Un déluge tombé d'un ciel d'encre et de soir Dispose son linceul et pleut son désespoir Sur la ville (Régnier,Sites, 1887, p.136). 2. P. anal. a) Empl. intrans. [Le suj. désigne gén. une multitude d'êtres ou de choses, notamment fluides ou menues] Tomber comme une pluie, abondamment. Les balles pleuvent. Nous autres, critiques, avons la tête farcie de tout ce qu'il nous faut lire et examiner, tant les volumes pleuvent et se pressent (Sainte-Beuve,Corresp., t.1, 1833, p.337).Je vous jette mon coeur parmi ces pierres pâles! Les diamants vont pleuvoir et les perles neiger! (Rostand,Princesse loint., 1895, p.196).Sentir le coeur se fendre et les larmes pleuvoir (Noailles,Ombre jours, 1902, p.157). − [Avec compl. circ.] Peu leur importent [sic] d'où pleuvent les enfants; en produire beaucoup pour en livrer beaucoup à la misère et au travail est la seule affaire de ces créatures (Balzac,Physiol. mariage, 1826, p.72).Elle laissait choir sur sa poitrine sa tête d'où pleuvaient de longues mèches de cheveux emmêlés (Gautier,Fracasse, 1863, p.59).L'ondée vivante de la semence, qui pleuvait sur les sillons ouverts (Zola,Terre, 1887, p.508). ♦ [P. réf. à la pluie d'or de Jupiter (v. pluie B 1 b)] Portia (...) Léonard l'a peinte toute nue... Le caprice du maître à sa jupe est noué, Et c'est notre or qui pleut sur cette Danaé (Coppée,S. Torelli, 1883, iii, p.154). − Expressions ♦ Pleuvoir de tous côtés, de toutes parts. V. emporté II B ex. de Gracq. ♦ Pleuvoir en + compl. Par les belles nuits la lumière de la lune y pleuvait en grandes averses blondes (Genevoix,Dern. harde, 1938, p.36). ♦ Faire pleuvoir qqc. autour, dans, sur qqc., qqn. Faire pleuvoir une grêle de coups sur. Çà et là, parurent entre les branches quantité de larges étincelles, comme si le firmament eût fait pleuvoir dans la forêt toutes ses étoiles (Flaub.,St Julien l'Hospitalier, 1877, p.115). − Loc., rare. [Le suj. désigne une pers.] Pleuvoir des yeux. Pleurer. La pensée que sa petite Désirée trotterait, dans une église, avec une grappe d'oranger (...) lui causa une telle impression qu'elle plut des yeux à grosses gouttes (Huysmans,Soeurs Vatard, 1879, p.185). Rem. Cette loc. est probablement la var. de la loc. arg. vieillie pleuvoir des chasses, même sens. (Ds Delvau 1867, p.380 et France 1907). b) Empl. trans. dir. [Le suj. désigne une chose située en hauteur] Épancher quelque chose qui évoque la pluie. Les cheveux relevés, digne du soleil qui lui pleuvait son or et son opale sur la tête (Barb. d'Aurev.,Memor. 1, 1838, p.214).Ses stigmates ruisselaient, sa tête crucifiée pleuvait du sang (Huysmans,En route, t.1, 1895, p.271).Ô noyer odorant! dont les feuilles suantes (...) pleuvent de l'ombre sur les puits (Jammes,Clairières, 1906, p.60). 3. Au fig., empl. intrans. [Le suj. désigne une grande quantité de choses bonnes ou mauvaises] Être dispensé à foison (avec des effets bénéfiques ou non). Les honneurs, les sarcasmes pleuvent. Voici venir le temps des distributions de prix, et, dans les harangues qu'on y prononcera, les clichés rassurants vont pleuvoir à verse et l'optimisme va couler à pleins bords (Coppée,Franc-parler I, 1894, p.150).Les épithètes volent, les injures pleuvent (Coston,A.B.C. journ., 1952, p.134). − [Avec compl. circ.] Les maux de toute espèce pleuvent sur tout le genre humain comme les balles sur une armée, sans aucune distinction de personnes (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.28).Cette parole du Christ, cette manne première qui tombait et pleuvait sur les coeurs simples (Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t.3, 1862, p.257).La vue de ses flexibles attraits [d'Henriette] inspirait cette mélancolie nombreuse, où pleuvent les changeantes images de la possession (L. Daudet,Am. songe, 1920, p.104). Prononc. et Orth.: [pløvwa:ʀ], (il) pleut [plø]. Homon. forme de plaire. Att. ds Ac. dep. 1694. Conjug. verbe impers. Ind. prés.: il pleut; imp.: il pleuvait; passé simple: il plut; fut.: il pleuvra; subj. prés.: qu'il pleuve; subj. imp.: qu'il plût; part. prés.: pleuvant; part. passé: plu (pas de fém.). Étymol. et Hist.1. Verbe impers. a) ca 1140 «tomber en parlant de la pluie» (Geffrei Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 1956); b) 1remoitié xiies. «tomber en grande quantité à la manière de la pluie» (en parlant de la manne) (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, 77, 28); 2. verbe pers. intrans. a) ca 1155 «tomber du ciel» en parlant de ce que l'on compare à l'eau de pluie (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 2125); b) ca 1195 en parlant de la pluie (Ambroise, Guerre sainte, 7471 ds T.-L.); c) 1225-30 «tomber dru» en parlant de pierres (Guillaume de Lorris, Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, 1784); 3. verbe trans. a) ca 1165 en parlant de l'eau qui tombe des nuages (Chrétien de Troyes, Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 436); b) fin xives. «répandre comme de la pluie» (Eustache Deschamps, III, 325, 21 ds T.-L.). Du lat. pop. plovere (att. sous la forme plovebat chez Pétrone; v. A. Stefenelli, Die Volkssprache im Werk des Petron, p.88) à côté du lat. class. pluere «pleuvoir» (v. FEW t.9, p.82 et Ern.-Meillet). Fréq. abs. littér.: 1729. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1808, b) 3150; xxes.: a) 2968, b) 2339. Bbg. Gougenheim (G.). La Constr. avec sujet des verbes exprimant des phénomènes météor. Fr. mod. 1945, t.13, pp.187-197. _Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.183-184. _ Mantha (S.), Melcĭuk (I.). Phénomènes atmosphériques ds le DECFC. R. québéc. Ling. 1984, t.13, no2, pp.295-299. _ Mauch (U.). Il pleut. In: Geschehen «an sich» und Vorgang ohne Urheberbezug im modernen Frz. Bern, 1969, pp.18-30. _ Quem. DDL t.14. _ Rohlfs (G.). Romanische Lehnübersetzungen aus germanischer Grundlage. In: [Mél. Baldinger (K.)]. Tübingen, 1979, t.2, p.807. |