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PLEUR, subst. masc.
A. − Au sing.
1. [Avec une connotation iron. ou péj.] Action de pleurer, écoulement de larmes. Comme Adamas avait le pleur facile et s'attendrissait naïvement pour son propre compte, il fut écouté religieusement, même des fenêtres du salon (Sand,Beaux MM. Bois-Doré, t.1, 1857, p.292).Ses mains étaient inertes sur ses genoux, comme des bêtes sous-marines, et elle s'était mise à pleurer (elle n'avait pas le pleur difficile) (Montherl.,Lépreuses, 1939, p.1460):
1. ... son beau visage aux joues brunes et sillonnées (...) sur lesquelles, amené là par le froid ou quelque triste pensée, était toujours en train de sécher un pleur involontaire. Proust,Swann, 1913, p.13.
[Dans un sens restrictif] Marque, signe d'une émotion de convention. La rentrée d'Émilien avec son bras amputé m'a re-ému et j'ai versé un pleur sur la dernière page, au portrait de la marquise de Franqueville, vieille (Flaub.,Corresp., 1872, p.453).Son journal était lu, entre autres lecteurs, par plus d'un million de prolétaires: il lui fallait donc, pour son patron, du libéralisme (...) du pittoresque sur les mercenaires, du sentiment sur les autres, un pleur ému sur les morts et les grands blessés (Malraux,Espoir, 1937, p.673).
2. P. anal.
a) [À propos de la sève des végétaux] Écoulement, suintement. Honorez plutôt la figue seconde, qui (...) s'enfle de rosée nocturne, et verte ou violette pleure, par son oeil, un seul pleur de gomme délicieuse (Colette,Gigi, 1944, p.224).
b) Bruit, son plaintif. Dans le mouvement symphonique, jamais le pleur des violoncelles n'est voilé par le cri des cuivres, l'onde sonore réunit le désespoir à l'espérance (Faure,Hist. art, 1921, p.25).C'est, d'abord, un coup de vent aigu et un pleur de ce vent au fond du bois (Giono,Regain, 1930, p.133).
B. − Au plur.
1. Littér. Larmes. Il fallut passer la nuit en plein air, inondés de la pluie, les pieds dans l'eau; les cris, les pleurs des femmes et des enfans ajoutaient à l'horreur de cette situation (Sénac de Meilhan,Émigré, 1797, p.1609).Il l'étreignit sans dire un seul mot, tout plein d'une frénésie sombre; puis ses pleurs, peu à peu, s'arrêtèrent (Bourges,Crépusc. dieux, 1884, p.314):
2. Elle détourna le visage, fit quelques pas et vint s'asseoir sur le canapé-lit; mais, obligée d'essuyer les pleurs qui roulaient maintenant sur ses joues, elle dit, sur un ton de reproche où elle pensa mettre un peu de gaieté: −«Ah, tu vois, tu me fais déjà pleurer... C'est bête...» Martin du G.,Thib., Mort père, 1929, p.1349.
SYNT. Verser, répandre des pleurs; sécher des, ses pleurs; rentrer, retenir ses pleurs; arracher des pleurs à qqn; crise, scène de pleurs; éclater, fondre en pleurs; un torrent, un déluge de pleurs; les yeux, le visage noyé(s), mouillé(s), ruisselant(s) de pleurs; avoir des pleurs pleins les yeux; pleurs de joie, d'allégresse, de tendresse; des pleurs et des suffocations; des pleurs et des emportements; des pleurs et des attendrissements; des pleurs et des gémissements.
Loc., vieilli. En pleurs, tout en pleurs. En train de pleurer abondamment. Enfin, madame, votre vie n'est pas tenable dans ce moment; toujours malade, toujours en pleurs, maigre à faire pitié, ça me fait bien du chagrin de vous voir changer à vue d'oeil (Champfl.,Bourgeois Molinch., 1855, p.292).Le petit tourna la tête, et voyant sa mère en pleurs, hurla (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Hautot, 1889, p.265).L'enfant tout en pleurs rentre chez lui et va se plaindre à son grand-père (Green,Journal, 1938, p.160).
P. métaph. Une femme nue et debout, tord ses cheveux d'où dégouttent les derniers pleurs de l'eau salutaire et fécondante (Baudel.,Salon, 1845, p.17).Sur les feuilles nouvelettes s'égrenaient les gouttelettes d'une petite pluie bénie, pleurs du printemps, qui se taisait quelques moments, puis reprenait tranquillement (Rolland,C. Breugnon, 1919, p.57).
2. Larmes accompagnées de plaintes et de cris, en partic., larmes, chagrin des enfants. Synon. criailleries (fam.), sanglots.Le père Jacques n'eut pas plutôt prononcé cette phrase de pitié et de protestation que les pleurs et les jérémiades des deux concierges recommencèrent (G. Leroux,Myst. ch. jaune, 1907, p.56).Très loin, dans d'autres parties de l'appartement, on entendait des cris et des pleurs d'enfant (Malègue,Augustin, t.2, 1933, p.414):
3. Les petits voulaient toujours être portés, ils n'en étaient jamais las; et quand Christophe ne pouvait plus, c'étaient des pleurs sans fin. Ils lui donnaient bien du mal, et il était souvent fort embarrassé d'eux. Rolland,J.-Chr., Aube, 1904, p.32.
3. P. méton. Lamentation, apitoiement. Toute la magnificence des cérémonies ecclésiastiques fut déployée et se prolongea pendant plusieurs jours: les regrets et les pleurs du peuple y furent comme une pompe nouvelle et la plus belle de toutes (Montalembert,Ste Élisabeth, 1836, p.188).Mais les jours de pleurs sont passés. Les jours de gloire sont revenus. Rien n'aura pu empêcher que, dans les dernières batailles aussi bien que dans les premières, la France fût debout, les armes à la main (De Gaulle,Mém. guerre, 1959, p.491).
Bureau des pleurs (fam.). Service et, p.méton., personne à qui on vient se plaindre. On ne va pourtant pas me mettre en sentinelle tout seul?... Je n'y vois presque pas, surtout la nuit, un oeil comme perdu... −Assez Bouffioux, interrompit Ricordeau, le bureau des pleurs est fermé (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p.278).
[P. réf. à la Bible] (Des) pleurs et (des) grincements de dents (v. grincement B). Loc. Sans pleurs ni grincements de dents (v. grincement B).
Le mur des pleurs. Le mur des lamentations. Et avant que la première étoile paraisse dans le ciel je veux aller voir les juifs se lamenter au mur des pleurs (Tharaud,An prochain, 1924, p.33).
4. P. anal.
a) Écoulement d'un liquide. Elle brandissait de son mieux un grand candélabre à six branches, toutes bougies allumées, qui la baignait d'une tremblotante lumière, et répandait des pleurs de cire sur le plancher (Gide,Isabelle, 1911, p.655).
En partic. Écoulement de sève de certains végétaux au printemps, à la suite de la taille ou d'une blessure. Dans les régions atlantiques, lorsque les hivers sont exceptionnellement doux, les pleurs qui traduisent justement cette activité du système radiculaire peuvent être constatés pendant une importante partie de la saison froide (Levadoux,Vigne, 1961, p.15).V. aussi supra A 2 a.
b) Bruit, son plaintif. Des guirlandes de lierre et la joie des discours Célèbrèrent sans fin le charme des amours... Cependant que montaient, de la crèche voisine, Les plaintes des agneaux ou les pleurs des clarines (Jammes,Géorgiques, Chant 3, 1911, p.30).C'était la nuit du vendredi-saint, durant toute la nuit on entendit les pleurs et les gémissements de cet orgue maudit et ses longs sons flûtés et détraqués (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p.154).
Rem. On rencontre qqf. la forme fém. plur. De l'escalier menant à l'étage supérieur descendait quelquefois, avec le grincement de pleurs rageuses, le glapissement d'une vieille (E. de Goncourt, Élisa, 1877, p.113).
Prononc. et Orth.: [ploe:ʀ]. Ac. 1694-1878, au plur.; 1935, au sing. Étymol. et Hist.1. Ca 1120 plur. plurs «larmes» et «lamentations, plaintes» (St Brendan, éd. I. Short et B. Merrilees, 609, 1168), en a. fr. souvent au sing. avec valeur de coll. (v. T.-L.); 2. 1701 «sève qui s'écoule des arbres fruitiers lors de la taille ou de plaies accidentelles» (Liger, OEconomie gén. de la campagne, t.2, p.206). Déverbal de pleurer*. Fréq. abs. littér.: 2700. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 7345, b) 4453; xxes.: a) 2664, b) 1225.