| PILON, subst. masc. I. A. − Instrument de forme cylindrique dont on empoigne la partie supérieure et dont la partie inférieure terminée en masse arrondie permet de piler certaines substances et matières dans un mortier. Pilon de mortier. Il s'arrêtait devant les boutiques d'épicerie, il les flairait, il écoutait le bruit du pilon dans le mortier (Balzac, OEuvres div.,t.2, 1840, p.20).Le pilon sonnait à coups réguliers dans le grand mortier de marbre (A. Daudet, Tartarin Alpes,1885, p.126): 1. Les Turcs, qui sont nos maîtres en cette partie, n'emploient point le moulin pour triturer le café; ils le pilent dans des mortiers et avec des pilons de bois; et quand ces instruments ont été longtemps employés à cet usage, ils deviennent précieux et se vendent à de grands prix.
Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p.108. B. − P. anal. Instrument servant à écraser ou à tasser diverses substances et matières en les frappant. Aux environs de Gemünd, des forges hydrauliques mêlaient le retentissement de leurs pilons à celui des écluses de chasse (Chateaubr., Mém.,t.4, 1848, p.457).Les vieilles manufactures de Vire où l'on se sert encore des pilons naguère usités pour broyer le chanvre (Huysmans, À rebours,1884, p.187). ♦ Marteau-pilon*. ♦ Mettre (une édition, un livre) au pilon. Mettre au rebut des ouvrages imprimés. Enfin, les censeurs en espérances (...) battent des mains à un projet de loi qui leur promet des ouvrages à mettre au pilon (Chateaubr., Opin. sur lib. presse,1818, pp.194-195): 2. J'apprends qu'une édition d'un de mes livres, Le Désespéré, vient de paraître, à mon insu et contre ma volonté formelle, dans la maison Tresse et Stock. Cette édition, antérieure à la seule que connaisse le public, avait dû être mise au pilon en 1886...
Bloy, Journal,1893, p.75. − Au fig. Toute force contraignante et destructrice. La cause du mal gît dans le Titre des Successions du Code civil, qui ordonne le partage égal des biens. Là est le pilon dont le jeu perpétuel émiette le territoire, individualise les fortunes en leur ôtant une stabilité nécessaire, et qui, décomposant sans recomposer jamais, finira par tuer la France (Balzac, Curé vill.,1839, p.218): 3. ... elle se réfugiait dans la pensée de l'Angleterre et de l'Allemagne, qui seules vivaient alors de vie morale, de poésie et de philosophie, et lançait de là dans le monde ces pages sublimes et palpitantes que le pilon de la police écrasait, que la douane de la pensée déchirait à la frontière, que la tyrannie faisait bafouer par ses grands hommes jurés, mais dont les lambeaux, échappés à leurs mains flétrissantes, venaient nous consoler de notre avilissement intellectuel...
Lamart., Destinées poés.,1834, p.381. C. − P. anal. (de forme) 1. Jambe de bois. Il déboursa trois cents francs pour une jambe de bois (...). Le pilon en était garni de liège, et il avait des articulations à ressort, une mécanique compliquée recouverte d'un pantalon noir, que terminait une botte vernie (Flaub., MmeBovary,t.2, 1857, p.27).Au-dessous de lui, côte à côte à une petite table, deux vieux invalides, la poitrine constellée de médailles. Ils écrivent, sans arrêt; sous la table, leurs pilons de bois sont tendus en avant (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p.720). 2. Partie inférieure de la cuisse d'une volaille ou de certains gibiers à plume. Est-ce que l'oie avait jamais fait du mal à quelqu'un? Au contraire, l'oie guérissait les maladies de rate. On croquait ça sans pain, comme un dessert. Lui, en aurait bouffé toute la nuit, sans être incommodé; et, pour crâner, il s'enfonçait un pilon entier dans la bouche (Zola, Assommoir,1877, p.578). − Pop., vieilli, p. iron. Cuisse, jambe. Et les jeunes filles donc! (...) il faut les voir quand elles remuent du pilon leurs jupes (Huysmans, En mén.,1881, p.5). II. − Arg. Mendiant, notamment mendiant infirme ou qui simule une infirmité; p. ext., parasite, pique-assiette (d'apr. Cellard-Rey 1980). Prononc. et Orth.: [pilɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 2emoit. xiiies. «petite masse pour piler» (L'Oustillement au villain, éd. U. Nyström, 199); b) 1690 «gros maillet avec lequel on pile le tan ou le papier» (Fur.); 1723 envoyer des livres au pilon (Savary); 2. 1751 «partie de la cuisse d'une volaille» (J.-J. Vadé, Pipe cassée, p.16); 3. arg. a) 1836 «doigt» (Vidocq, Voleurs, t.2, p.25); b) 1847 «pied» (Dict. arg., p.220); c) 1896 «mendiant estropié, mendiant» (Delesalle, Dict. arg.-fr. et fr.-arg., p.216); 4. 1847 «jambe de bois» (Boyer, Traité des maladies chirurgicales, IV, p.147 ds Quem. DDL t.8). Dér. de piler*; suff. -on1*. Fréq. abs. littér.: 102. Bbg. Brüch (J.). Z. rom. Philol. 1935, t.55, pp.330-340; 1939, t.59, p.251. _Chautard Vie étrange Argot 1931, p.239. _Giesse (W.). Z. rom. Philol. 1937, t.57, pp.581-585. _Quem. DDL t.13, 14._Sain. Arg. 1972 [1907] p.96. _Spitzer (L.). Z. rom. Philol. 1936, t.56, pp.77-79. _Vaganay (H.). Pour l'hist. du fr. mod. Rom. Forsch. 1913, t.32, p.128. |