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PHILOSOPHER, verbe intrans.
[Corresp. à philosophie1I A]
A. − [Sans compl. prép.] Réfléchir, raisonner selon les principes de la philosophie; chercher la raison profonde des choses, réfléchir sur la signification de l'existence humaine. Philosopher c'est universaliser une expérience spirituelle en la traduisant en termes intellectuels valables pour tous (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p.68).L'amour des belles formes, plus que celui de la force, l'incita [la cité athénienne] à ouvrir des gymnases aux adolescents. Ces gymnases étaient aussi des lieux de rencontres et de discussions, où les jeunes gens apprenaient, par la conversation et les joutes oratoires, l'art de persuader et de philosopher (Encyclop. éduc., 1960, p.8).V. animique ex. 2 et fou I C 1 a ex. de Maine de Biran:
1. Philosopher est le mot pour lequel j'aimerais le mieux à résumer ma vie; pourtant ce mot n'exprimant dans l'usage vulgaire qu'une forme encore partielle de la vie intérieure, et n'impliquant d'ailleurs que le fait subjectif du penseur solitaire, il faut, quand on se transporte au point de vue de l'humanité, employer le mot plus objectif de savoir. Renan, Avenir sc., 1890, p.91.
[P. allus.]
[au proverbe lat.: Primum vivere, deinde philosophari «Il faut vivre d'abord, philosopher ensuite»] Je ne doutais évidemment pas qu'une victoire à laquelle les Soviets auraient pris une part capitale pourrait, de leur fait, dresser ensuite d'autres périls devant le monde. On devrait en tenir compte, tout en luttant à leurs côtés. Mais je pensais qu'avant de philosopher il fallait vivre, c'est-à-dire vaincre (De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p.193).
[à l'expr. de Montaigne, Essais, Livre I, chap.XX: Philosopher c'est apprendre à mourir] Philosopher c'est apprendre à ne pas craindre de mourir. Philosopher, c'est apprendre à mourir: Prenons en main avec décision l'instant présent, et la longueur de la vie nous devient tout à coup absolument indifférente (J. Vuillemin, Essai signif. mort, 1949, p.230).
Empl. subst. masc. Le philosopher, dont Socrate fait naître l'exigence en ses interlocuteurs, transcende la philosophie; il est en question dans l'être même (M. Deschoux, Platon ou le jeu philos., 1980, p.26).
B. − P. anal. [Gén. avec compl. prép. sur]
1. Développer des idées générales sur un sujet quel qu'il soit; raisonner, discuter de manière méthodique ou savante ou élevée. Il philosophait avec mon père sur les principes d'une révolution qu'il aimait comme réforme, mais qu'il maudissait comme excès et bouleversement (Lamart., Nouv. Confid., 1851, p.117).Il y aurait à philosopher beaucoup sur ces questions. Deux problèmes, en particulier, se lèvent en ce point. Pour tel artiste donné, que représente son ouvrage? Passion? Divertissement? Moyen ou bon? Pour les uns, il domine leur vie; pour les autres, il se confond avec elle (Valéry, Degas, 1936, p.89):
2. ... jamais deux hommes ne furent plus différents d'esprit et de caractère. Mais seuls dans la ville ils s'intéressaient aux idées générales. Cette sympathie les réunissait. En philosophant sous les quinconces, quand le temps était beau, ils se consolaient, l'un des tristesses du célibat, l'autre des tracas de la famille... A. France, Orme, 1897, p.99.
Plais. [Le suj. désigne un animal] En face, au gros soleil, deux ânes philosophaient attachés au même gond (Toepffer, Nouv. genev., 1839, p.143).Un cheval et un poney, de compagnie, philosophaient près d'un chêne d'Amérique (La Varende, Dern. fête, 1953, p.246).
Rem. Sert à introduire un discours dir.: Le journaliste, tenant le bras de Patissot, philosophait, d'une voix lente: «Tout général a son Waterloo, disait-il; tout Balzac a ses Jardies, et tout artiste habitant la campagne a son coeur de propriétaire» (Maupass., Contes et nouv., t.1, Dimanches bourg. Paris, 1880, p.311). Anny Féret, un bras sous la nuque, philosophait. −C'est marrant, tout de même, l'existence, dit-elle. Il y a tellement de femmes qui ont des gosses dont elles ne voudraient pas, et puis juste pour une qui en veut... c'est marrant (Druon, Gdes fam., t.2 1948, p.135).
2. Souvent péj. Raisonner, discuter avec une subtilité excessive, inutile; raffiner de façon exagérée sur des détails. Synon. ergoter, ratiociner.Impossible, en semblable pays [les Pays-Bas], de rêver, de philosopher à l'allemande, de voyager parmi les chimères de la fantaisie et les systèmes de la métaphysique (Taine, Philos. art, t.1, 1865, p.249).
3. Les fantaisies, les caprices, les folies de l'amour charnel sont creusés, analysés, étudiés, spécifiés [au cours des causeries dominicales chez Flaubert]. On philosophe sur de Sade, on théorise sur Tardieu. L'amour est déshabillé, retourné: on dirait les passions passées au spéculum. Goncourt, Journal, 1862, p.1070.
REM. 1.
Philosophant, -ante, part. prés. en empl. adj.a) α) [En parlant d'une pers. ou, p.méton. du déterminé, de l'esprit, de la conscience] Qui a la faculté de philosopher ou qui la met en oeuvre; qui se livre à la spéculation philosophique. Un bon esprit [Léon Brunschvicg], une tête fortement pensante et philosophante (L. Febvre, Esprit européen et philos., [1948] ds Combats, 1953, p.289).La conceptualité plotinienne est coexistensive à une vie de l'esprit, toutes deux soucieuses de déchiffrer l'énigme que s'assigne la conscience philosophante (P.-J. About, Plotin et la quête de l'un, Paris, Seghers, 1973, p.17). β) Péj. [En parlant d'une collectivité] Qui est le lieu de spéculations infinies, à caractère plus ou moins philosophique. Au lieu d'être une école de formation intellectuelle et éthique, l'Université philosophante fabrique des rhéteurs ou divers techniciens spécialisés, voire des esprits vaguement mystiques (L'Express, 19 oct. 1970, p.182, col. 2).Empl. subst. [En parlant d'une pers.] Elle n'avait rien d'une précieuse et elle plaisantait les philosophantes (L. Daudet, Salons et journaux, 1917, p.91).b) [En parlant d'une chose] α) Synon. de intellectuel, spéculatif.Il s'est progressivement laissé dominer [l'Institut Warbourg] par une conception de plus en plus philosophante de l'esthétique. Si l'étude des oeuvres d'art ne peut être conçue comme une pure histoire des formes, elle ne peut non plus être envisagée comme une province de l'histoire des idées (Traité sociol., 1968, p.280). β) Qui traite de sujets philosophiques. Il savait par coeur le Contrat Social, la Nouvelle Héloïse et tous ces livres philosophants qui ont préparé de loin le futur bouleversement de nos antiques usages, de nos préjugés, de nos lois surannées, de notre morale imbécile (Maupass., Contes et nouv., t.1, Testam., 1882, p.663).
2.
Philosophiser, verbe,rare. a) Empl. intrans. Synon. de philosopher (supra B).À quoi bon s'encombrer de tant de souvenirs? Le passé nous mange trop. Nous ne sommes jamais au présent, qui seul est important dans la vie. Comme je philosophise! (Flaub., Corresp., 1853, p.318).b) Empl. trans. Introduire le raisonnement philosophique (dans une religion, une science). Sa manière [de M. de La Mennais] de philosophiser le christianisme est-elle tout simplement (...) un pur déisme avec morale évangélique (...) et, si l'on veut aller au plus loin dans ce sens, est-elle un socinianisme humanitaire? (Sainte-Beuve, Portr. contemp., t.1, 1836, p.268).Le premier zélateur américain de Freud, Putnam, «philosophise» avec tant d'ardeur la psychanalyse que Ferenczi, longtemps le plus proche disciple de Freud, est obligé de lui répondre dans son article «Philosophie et psychanalyse» (L'Express, 19 févr. 1968, p.77, col. 2).
Prononc. et Orth.: [filɔzɔfe], (il) philosophe [filɔzɔf]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) Fin xives. «se livrer à la spéculation philosophique» (Aalma 4.173 ds Roques t.2, p.144); b) 1555 «raisonner doctement sur quelque chose» (Belon, Histoire de la nature des oyseaux, p.2); 2. a) fin xives. «enseigner la philosophie» (Aalma, loc. cit.); b) 1551 «disserter de matières philosophiques» (Dialogues de m. Speron Sperone, trad. C. Gruget, 38b ds Rom. Forsch. t.32, p.126); c) 1553 «raffiner sans raison sérieuse sur des détails» (Albert, Archit., trad. J. Martin, fo29 ro). Empr. au lat. philosophari «parler philosophie, être philosophe, agir en philosophe», dér. de philosophus (philosophe*). Cf. 1316-28 philozophier (Ovide moralisé, V, éd. C. De Boer, t.2, p.2463). Fréq. abs. littér.: 154. Bbg. Darm. 1877, p.218 (s.v. philosophiser). _Gohin 1903, p.280 (s.v. philosophiser).