| PAUVRETÉ, subst. fém. A. − État, condition d'une personne qui manque de ressources, de moyens matériels pour mener une vie décente. Tomber dans une extrême pauvreté. Ces malades arrivaient aux bains après la foule pour y trouver les logements moins chers et une vie économique conforme à leur pauvreté (Lamart., Raphaël, 1849, p.139): 1. Je remercie la destinée de m'avoir fait naître pauvre. La pauvreté me fut une amie bienfaisante; elle m'enseigna le véritable prix des biens utiles à la vie, que je n'aurais pas connu sans elle; en m'évitant le poids du luxe, elle me voua à l'art et à la beauté. Elle me garda sage et courageux. La pauvreté est l'ange de Jacob: elle oblige ceux qu'elle aime à lutter dans l'ombre avec elle et ils sortent au jour de son étreinte les tendons froissés, mais le sang plus vif, les reins plus souples, les bras plus forts.
A. France, Vie fleur, 1922, p.557. − Loc. verb. ♦ Mourir dans la pauvreté la plus noire. Mourir dans la plus grande misère, le plus grand dénuement. Ne travaillant que par besoin, (...) [il] mourut le 22 avril 1827 dans la pauvreté la plus noire (Huysmans, Art mod., 1883, p.226). ♦ (Se jeter, tomber sur qqc.) comme la pauvreté sur le (pauvre) monde. (Se jeter, tomber sur quelque chose) avidement, avec beaucoup d'ardeur. Synon. moins cour. de (tomber) comme la misère sur le (pauvre) monde.Avec une demoiselle de comptoir qui aurait des cheveux longs à tomber jusqu'à terre et qui dirait (...) que l'Huile Comagène (...) y est pour quelque chose, les têtes des grisons se jetteraient là-dessus comme la pauvreté sur le monde (Balzac, C. Birotteau, 1837, p.27).Mais Denis se comporte de telle façon... dès votre arrivée, ce nigaud s'est jeté sur vous... Ponta Tulli: comme la pauvreté sur le pauvre monde! Ah! Je lui plais, à celui-là!... Il me cramponne même un peu (Bernstein, Secret, 1913, ii, 6, p.20). − Proverbe. Pauvreté n'est pas vice. ,,Pour être pauvre, on n'est pas malhonnête homme`` (Ac.). − RELIG. CATH. ♦ Pauvreté évangélique. Renonciation volontaire et complète aux biens de la terre, selon l'esprit de l'Évangile. Cornemuse (...) gagna son austère cellule où tout décelait la pauvreté évangélique. Au mur blanchi à la chaux, sous un rameau de buis bénit, un coffre-fort était scellé. Il l'ouvrit en soupirant et en tira une petite liasse de valeurs (A. France, Île ping., 1908, p.280). ♦ Esprit de pauvreté. Détachement des biens de la terre. On se bornait à y recommander [à Port-Royal] la non-propriété, ce qui est tout différent, c'est-à-dire la pauvreté, ou mieux encore, l'esprit de pauvreté. Être pauvre, être surtout détaché, n'user que des meubles les plus indispensables et les plus simples (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 3, 1848, p.257). ♦ Voeu de pauvreté. Engagement d'un religieux à ne posséder personnellement aucun bien. «Une définition, disait-il, scientifique» (...) «de la religieuse»: «une femme qui dans un ordre approuvé par l'Église a fait voeu d'obéissance, de chasteté et de pauvreté (...)» (Jouhandeau, M. Godeau, 1926, p.23). B. − P. anal. 1. [En parlant d'une réalité concr.] a) Aspect misérable. Pauvreté d'une maison. Le pêcheur se tourna vers nous avec une espèce de honte, en nous montrant de sa main la pauvreté de sa demeure (Lamart., Confid., 1849, p.169).Revenant à Clotilde, [elle] s'étale sur sa crasse, les gros bas et les bottines à double semelle, que la malheureuse portait aujourd'hui, sa pauvreté de linge, le goût de misère de ses toilettes mortifiées (Goncourt, Journal, 1868, p.450). − Rare, au plur. Disgrâces, misères. Vous plaisez aux femmes, vous êtes joli garçon; (...) vous êtes riche des seules richesses qu'il y ait, moi j'ai toutes les pauvretés de la vieillesse, l'infirmité, l'isolement (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p.248). b) Insuffisance, manque d'abondance. Pauvreté du système pileux. L'apport organique sur les fonds est très faible en raison de la pauvreté du plancton de surface (J.-M. Pérès, Vie océan, 1966, p.150). − Pauvreté de qqc. en + subst. (indiquant la chose qui fait défaut).Cette imperméabilité du sol, sa grande pauvreté en calcaire, font de la Sologne un pays de culture médiocre (Forêt fr., 1955, p.34).L'Italie aborda audacieusement ses grands problèmes: retard du sud et pauvreté en énergie (Lesourd, Gérard, Hist. écon., 1966, p.436). − En partic. [En parlant du sol] Stérilité. Le charme grave qui s'exhale du paysage ne parvient pas à dissimuler la pauvreté native du sol. Les substances azotées manquent à ces terrains presque exclusivement siliceux (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p.190).La zone même du haut plateau bolivien (...) est d'une étrange pauvreté: «Pas un arbre. Pas de combustible (...). Seule, la pomme de terre arrive à maturité» (Brunhes, Géogr. hum., 1942, p.97). 2. Au fig. Caractère de ce qui est insuffisant, médiocre. On a souvent signalé la pauvreté des renseignements que nous possédons sur les grands artistes gothiques (Sorel, Réflex. violence, 1908, p.384).Il semble prouvé (...) que le taux particulier de la glycémie chez quelques peuples bantous explique leur indolence et par là même la pauvreté de leurs manifestations culturelles (Hist. sc., 1957, p.1541): 2. Elle est singulière la légendaire pauvreté d'une langue où l'on pourrait dans l'écriture d'un paysage nommer trente fois une plante sans répéter deux fois le même nom! Mais une langue est toujours pauvre pour les demi-savants.
Gourmont, Esthét. lang. fr., 1899, p.43. − P. méton. [Au sing. précédé de l'art. indéf., ou au plur.] Action, parole, oeuvre d'une grande banalité, sans valeur, sans intérêt. Débiter, dire des pauvretés. Ce ne peut être la pieuse épouse de Clotaire qui dicte à cette malheureuse enfant des pauvretés de toutes sortes, des rapsodies qui, n'étant pas conformes au bons sens, ne le sont pas non plus à la théologie (A. France, Orme, 1897, p.112).Les enfants ont leurs écrivains (...) et de nombreuses revues illustrées, qui témoignent d'une compréhension de la psychologie enfantine et d'un goût bien supérieurs aux pauvretés qui règnent en d'autre pays [que la Lithuanie] dans ce domaine (Arts et litt., 1936, p.52-8): 3. M. Bougeureau (...) a inventé la peinture gazeuse, la pièce soufflée. Ce n'est même plus de la porcelaine, c'est du léché flasque; c'est je ne sais quoi, quelque chose comme de la chair molle de poulpe. La naissance de Vénus, étalée sur la cimaise d'une salle, est une pauvreté qui n'a pas de nom.
Huysmans, Art mod., 1883, p.25. Prononc. et Orth.: [povʀ
əte]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1140 povertez «état de misère, d'insuffisance de biens matériels» (Geoffroy Gaimar, Hist. des Anglais, 5842 ds T.-L.), cf. aussi ca 1120-50 poverté (Reimpredigt, I, 38, ibid.); 1155 povreté (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 241); 2. a) 1225-30 «état de non productivité (de la terre)» (Guillaume de Lorris, Rose, éd. F. Lecoy, 57); b) 1548 «insuffisance, manque de richesse d'expression (d'une langue)» (Th. Sebillet, Art poétique, éd. F. Gaiffe, p.16); 3. a) ca 1225 une grant povretés «un grand malheur» (Huon de Bordeaux, éd. P. Ruelle, 5807); b) 1672 une pauvreté «action ou parole déplorable, insignifiante» (Molière, Femmes savantes, 52, éd. E. Lespois et P. Mesnard, OEuvres, t. 9, p.63). Du lat. paupertatem (pautertas, -atis «pauvreté, indigence»), la forme poverté (d'où, d'apr. povre, pauvre: povreté, pauvreté) étant issue régulièrement de paupertate alors que l'a. fr. connaît parallèlement une forme poverte (Alexis, éd. Chr. Storey, 248, 262, 416) que Meyer-Lübke (Gramm. des lang. romanes, t. 2, § 17) explique par le modèle de l'a. fr. poeste «puissance» que l'on trouvait à côté de la forme poesté issue régulièrement de potestate (du lat. potestas, -atis); cette forme poeste serait elle-même due au modèle de l'a. fr. tempeste issu d'un type tempesta substitué à tempestas sous l'infl. de juventa, -ae concurrent du type juventas, -atis. La forme pauvreté a peu à peu supplanté povreté au xvies. à la suite de la généralisation de la forme pauvre. Fréq. abs. littér.: 1576. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2411, b) 1722; xxes.: a) 2233, b) 2378. Bbg. Vardar Soc. pol. 1973 [1970], p.284. |