| PASSÉ1, subst. masc. I. − Le passé (dans l'absolu). A. − Temps situé dans une époque révolue, temps passé (v. passé, -ée II A 1). Anton. présent, futur.À tout mouvement dans le futur, on peut (...) faire correspondre un mouvement dans le passé, et réciproquement (Painlevé, Résist. fluides non visqueux, 1930, p.145).Je déteste me souvenir, en général. Et ça ne m'arrive pas: ma vie n'est pas dans le passé, elle est devant moi (Malraux, Cond. hum., 1933, p.289).V. actuel ex. 14 et 15, avenir2ex. 1, 2 et 3, barioler ex. 3, dépassé ex. 2, force ex. 4, héritage ex. 4: 1. Après 1824, quand je repris la plume dans des brochures et dans le Journal des Débats, les positions étaient changées. Que m'importaient pourtant ces futiles misères, à moi qui n'ai jamais cru au temps où je vivais, à moi qui appartenais au passé...
Chateaubr., Mém., t.3, 1848, p.30. SYNT. Passé immédiat, proche, récent; passé éloigné, lointain, reculé, immémorial; document, épisode, époque, étape, événement, fait, legs du passé; hommes, artistes, maîtres du passé; arts, chefs-d'oeuvre, oeuvres, styles du passé; coutumes, figures, formes, mystères, mythes, personnages, réalités, scènes, traditions, valeurs du passé; beautés, splendeurs du passé; abus, catastrophes, déceptions, drames, erreurs, faillites, illusions, luttes, superstitions du passé; remonter dans le passé. − Loc. adv. ♦ Par le passé. Autrefois, jadis (gén. dans une prop. compar.). Sa vie continua comme par le passé. Rien n'était changé, sauf que son fils Césaire dormait au cimetière (Maupass., Contes et nouv., t.1, Père Amable, 1886, p.228).Personne ne s'aperçut de ce changement. Davis devint peut-être un peu plus inaccessible que par le passé, mais il l'était déjà tellement! (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p.99).V. avenir2ex. 4. ♦ Dans le passé. Même sens. Au XIIIesiècle de notre ère, les alchimistes chinois finirent par parler, plus ouvertement que dans le passé, de techniques ascétiques ou contemplatives (Caron, Hutin, Alchimistes, 1959, p.110).Aujourd'hui, le réseau des communications matérielles et intellectuelles est planétaire mieux qu'il ne le fut jamais dans le passé (Perroux, Écon. XXes., 1964, p.276). − Loc. (exprimant l'irréversibilité du passé). C'est du passé, le passé est passé (v. aussi passé, -ée II A 1). Le passé est passé, ce qui est mort est mort. Laissons l'irréparable dormir dans son néant et les morts ensevelir leurs morts (Amiel, Journal, 1866, p.214).Les partis politiques en France, l'économie du don, les pétroles de l'Iran, les problèmes actuels de l'U.R.S.S., tout ça c'était déjà du passé (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.229): 2. Lapicque écrit (cité par Lescure, p.132): «(...) Il ne peut être un instant question de refaire exactement un spectacle qui est déjà du passé. Mais il me faut le revivre entièrement, d'une manière nouvelle et picturale cette fois, et ce faisant, me donner la possibilité d'un nouveau choc».
Bachelard, Poét. espace, 1957, p.15. B. − GRAMM. Temps situant le procès dans une époque révolue par rapport au moment de la parole ou par rapport à un moment pris comme repère. L'épreuve que vous traversez doit être des plus graves, des plus angoissantes.... −Elle l'était, monsieur. On peut maintenant parler d'elle au passé (Bernanos, Crime, 1935, p.854).Le parler populaire contamina un moment la langue classique; peut-être contribua-t-il à la décadence du passé simple et de l'imparfait du subjonctif, dont les orateurs des assemblées usaient pourtant couramment (Lefebvre, Révol. fr., 1963, p.595).En français, l'indicatif comporte six temps du passé, l'imparfait, le passé simple, le passé composé, le plus-que-parfait, le passé antérieur et le futur antérieur (Dagn.1965, p.163).V. instantanéiser rem. 1, s.v. instantané ex. de Proust et passé, -ée ex. 4: 3. −En tant que magistrat, (...) j'en ai connu qui ne se prêtaient à leur mari qu'à contre coeur, qu'à contresens... Et qui pourtant s'indignent lorsque le malheureux rebuté va chercher ailleurs sa provende. Le magistrat avait commencé sa phrase au passé; le mari l'achevait au présent, dans un indéniable rétablissement personnel.
Gide, Faux-monn., 1925, p.1115. 1. Passé simple ou défini (v. défini II C 2). Temps simple de l'indicatif exprimant un fait achevé qui s'est produit à un moment déterminé du passé, sans idée de durée: je l'entendis gémir, je vins aussitôt; c'est le temps du récit (dans la langue écrite), il présente les faits successivement: il se leva, enfila son manteau, s'engouffra dans sa voiture. − Il peut exprimer d'autres valeurs ♦ Il peut exprimer un fait qui dure, mais dont les limites sont précisées par un compl. de temps: jour et nuit il marcha, il ne s'arrêta que lorsqu'il eut passé la frontière. ♦ Il peut exprimer une action répétitive: 20 fois je lui répétai la même chose; il refusa 20 fois de m'entendre. 2. Passé composé ou indéfini (v. composé II A e, indéfini I B 2 a). Temps du passé de l'indicatif actif formé du présent de l'indicatif de l'auxiliaire et du participe passé du verbe conjugué, exprimant essentiellement une action passée, entièrement accomplie, mais dont la date n'est pas précisée: j'ai fait ce que j'ai pu. ♦ Il remplace souvent le passé simple, surtout dans la lang. fam. et parlée: dimanche, nous sommes allés au restaurant. − Il peut exprimer d'autres valeurs ♦ Il peut exprimer une antériorité (en sub.), par rapport à un prés.: dès qu'il a amassé un peu d'argent, il s'achète des disques. ♦ Il peut exprimer une action achevée, dont les effets durent encore: il a obtenu sa maîtrise ès lettres. ♦ Il peut exprimer une action souvent constatée, présentée comme une vérité générale: les guerres ont toujours existé. ♦ Il peut exprimer une action future proche, présentée comme déjà accomplie: tu m'attends, j'ai fini dans cinq minutes. ♦ Il peut exprimer une action future antérieure en sub. hypothétique avec verbe principal au fut.: si j'ai fini à temps, je viendrai. 3. Passé antérieur (v. antérieur I B 1). Temps du passé de l'indicatif actif formé du passé simple de l'auxiliaire et du participe passé du verbe conjugué, exprimant essentiellement une antériorité (en sub.) par rapport à une autre action passée dont le verbe est au passé simple: quand il eut fini de manger, il alla se coucher. − Il peut aussi s'employer en prop. indép. ou princ., exprimant alors une action passée, vite achevée et précisée par un adv. de temps: il eut bientôt fini. 4. Passés surcomposés. Formes verbales constituées d'une suite de deux auxiliaires avoir (ou d'un auxiliaire avoir et d'un auxiliaire être) et d'un participe passé, et exprimant l'aspect accompli et le temps passé par rapport à un passé de l'énoncé: quand j'ai eu fini mon travail, je suis parti; ayant été entendu qu'il viendrait, nous nous sommes inquiétés de son absence. − Employées en prop. indép., suivant un usage dial. propre aux parlers de l'Est, du Sud-Est et du Midi, ces formes évoquent un procès parvenu à son terme dans un passé lointain: je l'ai eu fait; il a eu coupé, ce couteau (voir Wagner-Pinchon 1962, p.334). II. − Le passé, un passé (relatif à qqn, à qqc.). A. − Cette fraction de la durée (supra I A) envisagée du point de vue de son contenu; ce qui a été, ce qui s'est produit, ce que l'on a réalisé dans le passé. Dieu lui-même n'a pas le pouvoir d'anéantir le passé (Sénac de Meilhan, Émigré, 1797, p.1718).Les souvenirs sont une projection du passé dans le présent (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p.307).Partout (...) [Nerval] revit son mythe (...) du passé redevenu présent, du souvenir antérieur à la vie retrouvé dans la vie (Durry, Nerval, 1956, p.103).V. adaptation ex. 13, avenir2ex. 9, 10, 12 et 19, déduire ex. 3, futur ex. 1, futur II A 1 ex. de Gide, futurisme A ex. de Gide: 4. ... l'homme (...) essaie désespérément de maintenir le passé dans sa mémoire ou dans ses archives et d'anticiper l'avenir par ses calculs. Ainsi feint-il de croire que le passé est conservé et l'avenir assuré: rien n'est perdu, tout est possible.
Philos., Relig., 1957, p.36-12. ♦ Dans le domaine de l'art ou de l'archit.Le passé est chez nous si admirable et si varié, qu'il nous empêche de rendre justice au présent (Hourticq, Hist. art., Fr., 1914, p.396).V. aussi infra 1 a ex. de Malraux et de Green. 1. Passé + déterm. a) [Le déterm. exprime une qualité] C'est nous (...) qui révélons le trésor des siècles, (...) nous qui arrachons au passé de la mort le passé vivant du musée (Malraux, Voix sil., 1951, p.631).Hier à Dampierre. Le château par ce beau jour d'été, les grandes pièces vides, ensoleillées et mélancoliques. On voit à travers le château comme à travers une lanterne. L'extraordinaire immobilité de tout cela, de ce passé figé qui ne vit plus (Green, Journal, 1952, p.163).[L']apport spécifique [du disque] dans notre culture, c'est la restitution d'un passé vivant (Disque Fr., 1963, p.15): 5. Ouvrons les livres de Meillet. Et voici d'abord pour les préhistoriens −mieux, pour tous ceux d'entre nous que sollicite le mystère des passés sans textes, sans témoignages écrits −voici de fortes leçons de prudence méthodique.
L. Febvre, A. Meillet et l'hist., [1913] ds Combats, 1953, p.159. SYNT. Passé biblique; passé chimérique, historique, imaginaire, légendaire, mythique, vrai; passé connu, inconnu; passé désuet, détruit, disparu, mort, mystérieux, obscur, perdu, périmé, ressuscité, révolu. b) [Le déterm. exprime une relation] Passé individuel, familial, national, populaire. Nous aurons l'occasion de revenir sur la distinction entre ces deux passés de l'homme, l'évolution biologique et l'histoire (Marrou, Connaiss. hist., 1954, p.35): 6. ... en ce qui concerne le passé, le passé géologique qui n'a pas eu de témoins, les résultats de son calcul, comme ceux de toutes les spéculations où nous cherchons à déduire le passé du présent, échappent par leur nature même à toute espèce de contrôle.
H. Poincaré, Valeur sc., 1905, p.255. 2. [Passé en position de déterm.]Nous pensons pouvoir déduire de la connaissance du passé quelque prescience du futur (Valéry, Variété IV, 1938, p.137).L'incompréhension du présent naît fatalement de l'ignorance du passé. Mais il n'est peut-être pas moins vain de s'épuiser à comprendre le passé si l'on ne sait rien du présent (M. Bloch, Apol. pour hist., 1944, p.13).Cette résurrection du passé serait plus facilement atteinte, pensèrent les muséologues, si en l'absence de monuments anciens on plaçait le mobilier dans un cadre entièrement reconstitué (L. Benoist, Musées, 1960, p.35). SYNT. Appel, autorité, éclat, magie, prestige, puissance, réalité, saveur, vérité du passé; histoire du passé; aspects, échos, rappels, réminiscences, survivances, témoignages, traces, vestiges du passé; débris, épaves, spectres du passé; expression, reflet du passé; analyse, compréhension, conservation, étude, évocation, imitation, interprétation, mémoire, observation, recherche, répétition, représentation, souvenir du passé; oubli du passé; amour, culte, curiosité, goût, nostalgie, religion, respect, regret du passé; amateur, témoin du passé. 3. Verbe + passé.Là où nous en sommes, voyez-vous, cela m'est parfaitement égal de ne rien comprendre. À quoi bon revenir sur le passé, ou tirer des plans pour l'avenir? (Bernanos, Joie, 1929, p.695): 7. ... approchant du point culminant de son voyage ici-bas, prêt à redescendre la pente obscure de la colline dont il a gravi jusque-là le côté lumineux, l'homme s'arrête, se retourne et contemple le passé.
Monod, Sermons, 1911, p.166. SYNT. Accepter, commémorer, connaître, dévoiler, éclairer, évoquer, glorifier, interpréter, juger, justifier, protéger, rappeler, reconstituer, retrouver, revivre le passé; abandonner, abolir, effacer, enterrer, ignorer, oublier, rectifier le passé; accéder au passé; s'accrocher, songer, faire allusion au passé; être attaché, enchaîné au passé; tourner le dos au passé; se réconcilier, rompre avec le passé; vivre avec, dans le passé; se réfugier dans le passé; parler, se souvenir du passé; se dégager, se détacher du passé; être envahi par le passé; revenir, faire une croix sur le passé; regarder, se tourner vers le passé; aller à la rencontre du passé; extrapoler du passé au futur; identifier le présent avec le passé; juxtaposer le passé et l'avenir; mettre à profit les leçons du passé; projeter l'expérience du passé sur l'avenir, le présent dans le passé. B. − En partic. Le passé de qqn ou de qqc. 1. Ce qui a été accompli, commis, subi par une personne ou une collectivité, ce qui l'a faite ce qu'elle est, ses antécédents, son histoire, sa vie passée; ce qu'elle en conserve dans sa mémoire: 8. ... si (...) l'humanité retourne à son passé et cherche à le faire revivre, ce n'est pas par simple curiosité et par besoin d'un savoir plus vaste, mais comme on revient à une source ou plus comme on poursuit dans le souvenir une mélodie d'enfance.
Béguin, Âme romant., 1939, p.XI. a) Le passé d'une personne. Jamais je n'aurais rompu votre mariage pour une question d'intérêt. Mais je veux que la femme de mon fils ne lui donne ni soupçons sur le passé ni inquiétudes pour l'avenir (Becque, Corbeaux, 1882, iii, 2, p.208).Il posa les yeux sur ce corps délicat (...) Et, brutalement, il fut ressaisi par le passé: il revécut tout: son désir subit, leur étreinte sous les grands arbres de Maisons (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p.1320).V. avenir2e.. 20, cicatriser ex. 6.
α) Passé + déterm. exprimant − le contenu, la coloration du passé; le comportement dans le passé. Dites-moi votre prénom. (...) −Si vous ne le faites pas, je brave tout. Je foule aux pieds tout un passé de discrétion et de courtoisie, je vous suis jusqu'à la porte et je passerai la nuit couché en travers (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p.30).Parce que le soleil s'est montré, parce qu'on a senti un rayon et un semblant de confort, le passé de souffrance n'existe plus, et l'avenir terrible n'existe pas non plus... «On est bien maintenant». Tout est fini (Barbusse, Feu, 1916, p.94): 9. ... je partis, je partis pour ne pas les revoir; car je compris que ce spectacle-là devait durer fort longtemps, qui réveillait tout le passé, tout ce passé d'amour et de décor, le passé factice, trompeur et séduisant, faussement et vraiment charmant, qui faisait battre encore le coeur de la vieille cabotine et de la vieille amoureuse!
Maupass., Contes et nouv., t.1, J. Romain, 1886, p.1299. SYNT. Passé charmant, heureux, tranquille; passé brûlant, cruel, malheureux, monotone, terrible; passé glorieux, héroïque, honorable, inoubliable, irréprochable, magnifique, sans tache; passé coupable, douteux, louche, malsain; abominable, douloureux, sombre passé; passé de gloire, d'honneur, de soumission, de traditions; passé de discorde. − une activité du passé. Passé guerrier, militaire. Le maréchal Pétain ne connaissait de (...) [Darnand] que son passé de soldat (Procès Pétain, t.2, 1945, p.1066).On n'a pas introduit de concours à l'entrée mais laissé les professeurs juges des admissions, d'après le passé scolaire des candidats (Encyclop.éduc., 1960, p.267): 10. ... il fallait, pour (...) entraîner [l'armée], un chef d'un prestige éclatant et, en outre, d'un passé révolutionnaire hors de conteste. À l'un et l'autre égard, nul n'égalait Bonaparte le hasard l'amenait à point.
Lefebvre, Révol. fr., 1963, p.550. − un domaine, un aspect particulier du passé. Une telle poésie ne peut être que le produit extrême d'une littérature, suppose un long passé artistique et sentimental (Lemaitre, Contemp., 1885, p.53).L'homme de l'âge du renne devait avoir derrière lui tout un long passé spirituel, au cours duquel s'était formée et développée son âme d'artiste (Hist.sc., 1957, p.1486). ♦ PATHOL. On doit se méfier des constipations apparues chez des sujets ayant atteint la cinquantaine, sans passé digestif, et dont le transit était jusqu'alors parfaitement normal (Quillet Méd.1965, p.131). − une période du passé. Il était possible qu'elle regrettât son passé de jeune fille, et qu'elle ne vît pas approcher sans alarmes le moment d'adopter un parti si grave (Fromentin, Dominique, 1863, p.112).Tout mon passé de 1851 a été mis dans les journaux (Vallès, J. Vingtras, Bachel., 1881, p.289): 11. Il considérait son passé d'homme, toute la longue période entre vingt et trente-six ans, comme une sorte de prolongation de ses études; il était heureux d'avoir multiplié les expériences mais de n'avoir pas à en porter le poids puisqu'il n'avait jamais consenti à «faire carrière», à se lier à une société dont, dès l'adolescence, il avait jugé les idéaux périmés, les idoles dérisoires, la survie peu probable.
Vailland, Drôle de jeu, 1945, p.98. − la durée du passé: 12. Un passé? Ah! Jacques, n'en cherche plus pour nous deux. N'en avons-nous pas un nouveau? Il n'a que trois jours, mais heureux ceux qui ont un passé tout neuf. Ce passé de trois jours a déjà fait disparaître pour moi celui de dix années.
Giraudoux, Siegfried, 1928, IV, 5, p.187.
β) Verbe + passé.Aucun de nous ne peut considérer son passé sans y découvrir bien des torts envers autrui, bien des défaillances en présence du devoir (Coppée, Bonne souffr., 1898, p.155). SYNT. Renier, revoir, revivre son passé; confesser son passé; être cramponné à son passé; cohabiter, rompre, garder des attaches avec son passé; fouiller dans son passé; être guéri, libéré de son passé; se pencher, garder le silence sur son passé; avoir le passé qui saute au visage; liquider les dettes de son passé; remonter le passé de qqn; pardonner, reprocher à qqn son passé; jeter son passé à la face de qqn; arracher qqn à son passé. − Ne pas avoir de passé; être sans passé. Avoir effacé, être libéré de son passé. Je puis alors fermer les yeux, et rêver que je pars, avec lui, pour un pays inconnu où je n'aurais pas de passé, pas de nom, où je renaîtrais avec un visage nouveau et un coeur ignorant (Colette, Vagab., 1910, p.217): 13. Nous n'avions ni organisation, ni troupes, ni cadres, ni armes, ni avions, ni navires. Nous n'avions point d'administration, de budget, de hiérarchie, de règlements. Bien peu, en France, nous connaissaient et nous n'étions, pour l'étranger, que des risque-tout sympathiques sans passé et sans avenir.
De Gaulle, Mém. guerre, 1954, p.629. ♦ Sur le plan artist. N'avoir aucune référence, être un novateur. Raphaël représente la tradition de l'Église. Il y a en lui du Perugin, du Masaccio et du frère Angélique. Tout autre est Michel-Ange. Il n'a ni maître ni passé (Quinet, All. et Ital., 1836, p.192). − Avoir un passé. Avoir vécu, plus particulièrement en parlant d'une femme, avoir eu des aventures, avoir mené une vie dissolue; gén. en parlant d'un homme, avoir été mêlé à des affaires louches, avoir eu affaire avec la justice. Et puis, pour tout dire, elle avait un passé, et George pouvait connaître ce passé (Bourget, Cruelle énigme, 1885, p.146).Alors vous avez une chance avec lui. Il aime bien avoir des gens qui aient un passé (Aymé, Tête autres, 1952, p.209).Le 12 avril, Spielmann décide de «se débarrasser» de sa compagne. Il s'adresse à Gilles Charpentier, son aîné d'un an et qui a déjà «un passé»: problèmes familiaux, centres d'éducation, prison (L'Est Républicain, 7 juin 1986, p.19, col. 3): 14. Quand tu auras un passé, Vovonne, tu t'apercevras quelle drôle de chose que c'est. D'abord y en a des coins entiers d'éboulés: plus rien. Ailleurs, c'est les mauvaises herbes qui ont poussé au hasard, et l'on n'y reconnaît plus rien non plus. Et puis il y a des endroits qu'on trouve si beaux qu'on les repeint tous les ans, des fois d'une couleur, des fois d'une autre, et ça finit par ne plus ressembler du tout à ce que c'était.
Queneau, Pierrot, 1942, p.97. b) Le passé d'un couple ou d'un groupe lié par des relations amicales. Voici pourtant vingt et un ans que nous nous connaissons. C'est effrayant à calculer. Ce passé me paraît déjà un rêve (Amiel, Journal, 1866, p.256).Il y avait entre eux tout un passé de passion violente, de dégoûts, de périls, de victoires et de défaites, de haines, de coups et de déchirements réciproques, de trahisons et de rancoeurs, qui les liaient malgré eux (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.156): 15. Que de rires, dans ce passé nourri pourtant d'un présent maussade, détestable! Octave, qui possède un petit talent d'imitation, faisait revivre à nos yeux, à nos oreilles, une foule de personnages falots, déformés par vingt ans de récits. C'étaient des souvenirs usés jusqu'à la corde. Il n'en est pas de meilleurs.
Duhamel, Confess. min., 1920, p.69. c) Le passé d'une institution. Les hospices civils de Lyon (...) ont derrière eux un long passé de charité hospitalière dont les origines remontent au VIIesiècle (Organ. hospit. Fr., 1957, p.35). d) Le passé d'une population, d'une région, d'un pays. C'est toujours un peu le passé de la France qui est le présent de l'élite des populations du Portugal, de l'Espagne et de l'Italie (Cousin, Hist. philos. mod., t.2, 1846, p.295).Tout ce que nous savons du passé de l'Europe tend à montrer quel rôle ont joué, dans la marche de sa civilisation, l'imitation et l'exemple (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p.78): 16. Éclipsées par Paris, les provinces françaises font preuve d'une activité discrète, et envoient leurs jeunes se former dans les meilleurs ateliers de la capitale. Quelques grandes villes cependant restent agissantes grâce à l'héritage d'un riche passé...
Grandjean, Orfèvr. XIXes., 1962, p.86. − [Avec un déterm. exprimant] ♦ [le contenu, la coloration du passé (v. aussi supra II B 1 a α)] . Passé de sang versé. Deux pays fiers, jaloux d'un long passé de gloire (Gracq, Syrtes, 1951, p.14): 17. Les monuments caractéristiques du passé sont, avec les abbayes, des ruines féodales debout à la lisière des bois, dominant les passages, surveillant les horizons, évoquant je ne sais quel passé d'inquiétude et de brigandage.
Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p.138. ♦ [un domaine, un aspect particulier du passé] Passé culturel, intellectuel, littéraire, musical, politique, rural, universitaire. Inde, Indochine, Chine, Japon (...) [sont] des pays riches de passé historique, (...) gonflés de sève humaine, (...) [des] berceaux de civilisations rivales de la nôtre en grandeur et en rayonnement (L. Febvre, J. Sion, A. Demangeon, [1941] ds Combats, 1953, p.378).Le (...) service des Archives (...) conserve tous les documents concernant, à un titre ou à un autre, l'histoire et le passé administratif, religieux, économique ou social du département (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr., 1967, p.316): 18. Cette véritable «rétrospective» du passé mobiliaire [du Second Empire] condamne à l'impuissance tout talent original et étouffe toute initiative pour faire du neuf; après vingt ans de copie et de pastiche, l'art du meuble aura un mal inouï à s'affranchir de ces formes surannées.
Viaux, Meuble Fr., 1962, p.160. − Pays sans passé. Pays jeune, sans traditions: 19. ... [le capitalisme] installé d'abord surtout en Angleterre, s'est étendu progressivement à toute l'Europe occidentale, puis à des pays de vieille civilisation comme la Russie et le Japon, à des pays neufs sans passé comme les États-Unis, le Canada ou l'Australie...
Lesourd, Gérard, Hist. écon., 1968, p.29. 2. P. anal. Le passé d'un domaine de l'activité humaine. Le passé de la littérature, de la science. Les linguistes, «si haut qu'ils remontent dans l'histoire, n'ont jamais affaire qu'à des langues très évoluées, qui ont derrière elles un passé considérable dont nous ne savons rien (...)» (Arts et litt., 1935, p.50-10).Dans les galeries princières, l'Italie était reine. Ni Watteau, ni Fragonard, ni Chardin ne souhaitaient peindre comme Raphaël; mais ils ne se tenaient pas pour ses égaux. Il y avait un «passé d'or» de l'art (Malraux, Voix sil., 1951, p.16): 20. Dans son essence première et dans son éthique, la médecine de demain demeurera semblable à celle d'hier: faite par l'homme pour l'homme. Elle ne pourra donner sa vraie mesure future qu'à la condition de regarder de temps à autre en arrière, de se pencher à ses heures sur son passé édifiant.
Bariéty, Coury, Hist. méd., 1963, p.826. ♦ Ne pas avoir de passé, être sans passé. Ne pas avoir de référence, avoir effacé toute référence. Les poèmes ont toujours de grandes marges blanches, de grandes marges de silence où la mémoire ardente se consume pour recréer un délire sans passé (Éluard, Donner, 1939, p.74).L'acte poétique n'a pas de passé, du moins pas de passé proche le long duquel on pourrait suivre sa préparation et son avènement (Bachelard, Poét. espace, 1957, p.1). − Littéraire ♦ Le passé d'un lieu où quelqu'un a vécu. Mon palais (...) est digne de te recevoir. Il n'a pas été construit avec du diamant et des pierres précieuses, car ce n'est qu'une pauvre chaumière mal bâtie; mais cette chaumière célèbre a un passé historique que le présent renouvelle et continue sans cesse (Lautréam., Chants Maldoror, 1869, p.156). ♦ Le passé d'un temps. La lumière s'adoucit. Dans cette heure instable, quelque chose annonçait le soir. Déjà ce dimanche avait un passé (Sartre, Nausée, 1938, p.75). III. − Spécialement A. − BROD. ,,Point de soie plate couvrant l'étoffe à l'envers comme à l'endroit`` (Leloir 1961). Broderie au passé. On brode beaucoup de robes au passé (J. femmes, janv. 1847, p.45).Le secrétaire en bois de rose regorgeait de merveilles inaccessibles (...) les bobines de soie couleur de paon, et l'oiseau chinois peint sur riz, que ma soeur copiait «au passé» sur un panneau de velours (Colette, Mais. Cl., 1922, p.119). ♦ Passé empiétant (ou empiété). ,,Broderie de soie sans bourrage, dont les points s'intercalent les uns dans les autres`` (Lar. encyclop.): 21. Le passé empiété est un point facile à exécuter. Il suffit d'enjamber un espace plus ou moins grand du tissu à broder par un trait de soie, de coton, de laine ou de ce que l'on veut, puis on revient sous ce point afin de lancer le point suivant plus loin, et ainsi de suite: on empiète dans le passé pour se lancer dans l'avenir. Le passé empiété.
M. Cardinal, Le Passé empiété, Paris, Grasset, 1983, p.249. − P. anal. On pourrait rapprocher des dentelles à l'aiguille la dentelle au passé, qui se fait en blanc ou en couleur, et qui se réduit à un point de reprise sur un fond de tulle (Doresse, Tissus fém., 1949, p.86). B. − CHORÉGR. ,,Trajet accompli par une jambe lorsque la danseuse veut envoyer sa jambe en arabesque [v. ce mot I B 2 a] sans effectuer le grand tour de jambes`` (Reyna 1967). REM. Passéité, subst. fém.,philos. Fait d'avoir été. Mon passé n'apparaît jamais dans l'isolement de sa «passéité», il serait même absurde d'envisager qu'il puisse exister comme tel: il est originellement passé de ce présent (Sartre, Être et Néant, 1943, p.154).Aucun critère univoque ne permet de différencier l'événement et la simple possibilité romanesque de cet événement, comme aucun indice matériel ou transcendant, en dépit de toute critériologie, ne permet de différencier l'extériorité réelle et une hallucination bien liée, la perception et un rêve cohérent, le présent et la passéité du passé (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p.97). Prononc. et Orth.: [pɑse], [-a-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) 1524 «le temps passé, les faits écoulés» (P. Gringore, Blason des Heretiques ds OEuvres, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, p. 319); b) 1656 «ce qu'on a fait dans le passé» (Pascal, Lettre aux Roannez ds OEuvres, éd. Lafuma, p.270); 2. 1550 gramm. (L. Meigret, Tretté de la grammere françoeze, p.142: passé indeterminé, passé perfect); 3. 1580 «défunt» (B. Palissy, Discours admirable ds OEuvres, éd. A. France, p.427); 4. 1826 broder au passé (Peuchet, Hist. philos. et pol. des etablissemens et du comm. des Européens dans l'Afrique septentrionale, t.2, p.407). Part. passé de passer* pris subst. Fréq. abs. littér.: 7241. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 9382, b) 10605; xxes.: a) 10305, b) 10525. |