| PARTAGER, verbe trans. I. − Empl. trans. A. − Qqn partage qqc. 1. [Le compl. d'obj. désigne une chose concr.] Diviser en parts, en lots, en portions. Partager en (plusieurs choses), à (qqn), entre (des pers.); partager un fruit; partager le butin, le gibier. Il se calma à la pensée du gâteau des rois, qu'il partagea avec mystère (Maupass., Contes et nouv., t.1, Hérit., 1884, p.477). − Partager qqc. en.Partager une terre en parcelles. Ils la pelaient avec soin [une pomme de terre], ils la partageaient en tout petits morceaux (Rolland, J.-Chr., Aube, 1904, p.41). − Partager qqc. à.Partager son bien aux pauvres. Quant à ceux qui ne gagneront pas, ils auront comme consolation cette autre caisse qu'on leur partagera (Jarry, Ubu, 1895, ii, 7, p.53). − Partager qqc. entre.Partager sa fortune entre ses enfants. Avant de mourir, il partagea ses états entre ses deux fils, Carloman et Pépin (Bainville, Hist. Fr., t.1, 1924, p.32). 2. Au fig. Répartir. La charge de la tradition est aujourd'hui partagée entre un grand nombre de langues, prêtes à se relayer l'une l'autre (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p.221). − Partager son temps, sa vie entre l'étude et les loisirs/se partager entre l'étude et les loisirs (v. infra II). Une vie partagée entre les travaux du corps et les études de l'esprit (Nodier, Fée Miettes, 1831, p.92): 1. Il partageait ses heures, selon la règle, entre le chant des hymnes, l'étude de la grammaire et la méditation des vérités éternelles.
A. France, Île ping., 1908, p.17. 3. [Le suj. est souvent au plur.] Réserver, donner une partie de (quelque chose) (à quelqu'un). Un abricot que nous venons d'ouvrir pour le partager (Loti, Rom. enf., 1890, p.60): 2. Je me chargerai de l'entretien, du travail, des labourages, des semences, du fumage, de tout enfin, et nous partagerons la récolte par moitié.
Maupass., Contes et nouv., t.2, Lég. Mt St-Michel, 1882, p.1254. − Au fig., fam. Partager le gâteau*; partager la poire* en deux. B. − Qqn1partage qqc. (avec qqn2) 1. [Le compl. désigne une chose abstr.] Avoir part (à quelque chose) en même temps que ou au même titre que d'autres. Partager le pouvoir, les responsabilités avec qqn. Au concert on cherche instinctivement des yeux, au milieu de la foule, un ami avec qui partager une joie trop grande pour soi seul (Rolland, J.-Chr., Foire, 1908, p.798). 2. Prendre part à; posséder en commun avec quelqu'un. Partager le repas de qqn; partager la chambre, le lit, le logement de qqn; partager les soucis, le succès, le sort, la vie de qqn. Pour partager les fatigues et les dangers de ses soldats, il se fit simple soldat (A. France, Voie glor., 1915, p.11): 3. henri: Vous me permettez d'assister à votre déjeuner, mesdames? madame angélique: Bien plus, nous vous prions de le partager.
Dumas père, Angèle, 1834, II, 1, p.131. − Au fig. S'associer en pensée à, s'intéresser à (une situation joyeuse ou douloureuse de quelqu'un). Synon. prendre part (v. part1).Partager la joie, la douleur de qqn. Oh! Raoul! Raoul! qu'attendez vous encore pour partager ma joie et remercier Dieu de notre bonheur? (Dumas père, Mllede Belle-Isle, 1839, i, 3, p.96). 3. En partic. ♦ Partager (tel sentiment) de qqn. Avoir les mêmes sentiments que quelqu'un: 4. Mon excellent père ne partageait pas, à ce que je crois, mon admiration pour l'oncle Victor, qui l'empoisonnait avec sa pipe, lui donnait par amitié de grands coups de poing dans le dos et l'accusait de manquer d'énergie.
A. France, Bonnard, 1881, p.287. ♦ Partager les idées, le point de vue, la façon de penser de qqn. Avoir les mêmes opinions que quelqu'un. Léonard n'aimait pas les expressions extrêmes, et partageait là-dessus les idées de l'art antique (Gautier, Guide Louvre, 1872, p.204). ♦ Faire partager. Communiquer: 5. ... ma mère me permettait volontiers de passer des heures entières chez ce charmant enfant, auquel je fis bientôt partager mon goût pour les vers que j'admirais si vivement...
Bourget, Disciple, 1889, p.90. C. − Qqn1partage avec qqn2.Donner une part (de ce qu'on possède à quelqu'un). Je veux manger comme il me plaît, ce qui me plaît, et partager avec mon chien, sans qu'on m'afflige (Adam, Enf. Aust., 1902, p.456). − Absol. Partager en frères; apprendre à partager. Jean voulut partager, manger l'un de ses biscuits et donner l'autre à Maurice (Zola, Débâcle, 1892, p.136).Il n'y a que Dieu et ses saints qui secourent, les chrétiens doivent partager (Bloy, Journal, 1902, p.102). D. − Qqn/qqc. partage qqc.Diviser en parties distinctes, sans idée d'attribution. 1. Synon. couper, fractionner, fragmenter. a) [Le suj. désigne une pers.] Partager une troupe en deux corps, une pièce en deux parties: 6. S'il est une vérité que nous croyons connaître par intuition directe, c'est bien celle-là. Qui doutera qu'un angle peut toujours être partagé en un nombre quelconque de parties égales?
H. Poincaré, Valeur sc., 1905, p.13. − MAN. Partager les rênes*. b) [Le suj. désigne une chose] Constituer une limite entre des parties distinctes. Synon. départager, séparer.Raie qui partage des cheveux; fleuve qui partage une ville en deux; l'équateur partage le globe en deux hémisphères. Les Escures formaient un carré long que le parapet du jardin partageait suivant la longueur (Pourrat, Gaspard, 1922, p.120). 2. Diviser en partis opposés, voire hostiles (une société, un peuple, un groupe). Les terribles combats autour de Madrid et de Bilbao partagent l'Europe en deux camps (Rolland, Beethoven, t.2, 1937, p.599). II. − Empl. pronom. A. − passif. [Le suj. désigne une chose] Se diviser. Gâteau qui se partage facilement. La gamme diatonique, prise dans l'étendue d'une octave, se partage en deux moitiés semblables (Savard, Mus. et méth. transpos., 1886, p.101).Entre l'Orient et l'Occident, là où les eaux se partagent sans pente (Claudel, Cantate, 1913, p.342): 7. ... le costume moderne des femmes, lorsque, l'«ajustement» remplaçant la draperie, la robe dut se partager en deux moitiés, le haut et le bas.
Gourmont, Esthét. lang. fr., 1899, p.207. − Au fig. Être perçu, ressenti en commun. Mais ceci [la beauté des plages d'Oranie] ne peut se partager. Il faut l'avoir vécu (Camus, Été, 1954, p.59). B. − réciproque indir. 1. Répartir entre soi; avoir quelque chose en commun. Se partager le butin, un héritage. Ces soldats qui jouaient aux dés. Qui se partageaient ses habits (Péguy, Myst. charité, 1910, p.122): 8. −Vous avez assez d'une carabine pour deux. Des frères qui s'aiment mettent tout en commun. −Oui papa, (...) nous nous partagerons la carabine.
Renard, Poil carotte, 1894, p.37. 2. Au fig. a) Prendre chacun une part active à. Se partager le pouvoir, les responsabilités. Quand je me suis associé avec Brochard, nous avons dû nous partager la besogne (Zola, Bouton de rose, 1884, i, 3, p.226). b) [Le suj. désigne une chose] Entrer chacun pour une part dans. Se partager les faveurs de qqn: 9. Il salua au passage toutes les initiatives, tous les dévouements, toutes les générosités, qui se partageaient le mérite de cette oeuvre presque décennale.
Romains, Copains, 1913, p.257. C. − réfl. dir. Se partager entre l'étude et le loisir, entre le travail et sa famille. Partager son temps, sa vie entre... Elle voyait dans son mariage une ère d'indépendance relative, qui lui permettrait (...) de se partager quelquefois entre Paris et Férias (Feuillet, Sibylle, 1863, pp.173-174).Tu te partageras, tu te donneras un peu à chacun de tes deux enfants (Zola, Travail, t.2, 1901, p.189). Prononc. et Orth.: [paʀtaʒe], (il) partage [-a:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Diviser en parts A. diviser un ensemble en parts destinées à être distribuées, consacrées à divers emplois 1. 1553 «accorder en partage» (J. Du Bellay, Mort de Palinvre, 58, Recueil de poésies, 2eéd. ds OEuvres, éd. H. Chamard, t.4, p.217); spéc. 1630 à propos d'un héritage partager (qqn de qqc.) (A. d'Aubigné, Testament ds OEuvres, éd. E. Réaume et F. de Caussade, t.1, p.122); 2. 1637 «gratifier, doter quelqu'un (d'une qualité)» (Descartes, Discours de la méthode, 2epartie ds OEuvres, éd. A. Bridoux, p.126); id. part. passé adj. (Id., ibid., 1repartie, ibid.: Le bon sens est la chose du monde la mieux partagée); 3. «diviser un tout pour le consacrer à des destinations différentes» a) 1667 réfl. en parlant d'une pers. (Corneille, Attila, III, 4: C'est ainsi qu'Attila se partage à vous deux); b) 1671 (Pomey: Il faut partager vos soins et en donner une partie à vos affaires); 4. 1678-81 «diviser en parts» ici, un héritage (Bossuet, Hist. universelle, 3epartie, chap.7 ds OEuvres, éd. B. Velat et Y. Champailler, p.1020: Constantin partage l'empire comme un héritage entre ses enfants); 1690 réfl. (Fur.: Cette maison ne se peut partager). B. Recevoir sa part, prendre sa part; prendre part 1. a) s.d. [av. 1599] trans. (Henri IV, Vers dédiés à G. d'Estrées ds Lettres missives, éd. Berger de Xivray, t.4, p.999: Partagés ma couronne); av. 1630 id. (A. d'Aubigné, Hist. universelle, XIII, VI, éd. A. de Ruble, t.8, p.187); 1612 part. prés. subst. (Le Proust, Commentaire sur les coutumes de Loudunois, p.496 d'apr. FEW t.7, p.682b); b) s.d. [av. 1615] partager a (Étienne Pasquier, Lettres, VI, 2 ds OEuvres, éd. Amsterdam, 1723, t.2, p.155: ...que les enfants partageassent ... aux biens de la mere); 2. 1663 «participer à l'activité, à l'existence d'un autre» (Corneille, Sophonisbe, III, 6: Lorsque vous m'apportez des fers à partager); fin xviies. (Saint-Evremont ds Trév. 1704: Je ressens vos plaisirs, je partage vos peines); 1835 partager l'opinion, l'avis de qqn (Ac.). II. Séparer en parties 1. av. 1630 partager (qqc.) de «séparer une chose d'avec une autre» ici, fig. (A. d'Aubigné, Lettres touchant... diverses sciences, XV ds OEuvres, t.1, p.469: partageans les choses qui paroissent veritables d'avec celles qui sont supra fidem); 1691 réfl. (Racine, Athalie, IV, 5: [en parlant d'une troupe] Amis, partageons-nous); 2. 1636 «faire naître (dans une personne) des sentiments contradictoires» (Corneille, Cid, III, 3: Il [l'amour] déchire mon coeur sans partager mon âme); 1669 part. passé adj. «attiré, déchiré par des sentiments contradictoires» un esprit partagé (Molière, La Gloire du Val-de-Grâce, 347 ds OEuvres, éd. G. Couton, t.2, p.1195); 3. séparer en partis, en opinions opposés a) 1643 réfl. (en parlant d'un groupe) «se diviser en tendances opposées» (Corneille, Mort de Pompée, I, 1: Quand les dieux étonnés semblaient se partager); 1662 trans. (Id., Sertorius, II, 1); id. part. passé adj. (Id., ibid., V, 6: Rome en deux factions trop longtemps partagée); b) (en parlant d'une opinion) «être en opposition, en désaccord» 1656-57 part. passé (Pascal, Provinciales, lettre XVII ds OEuvres, éd. J. Chevalier, p.874: leurs opinions [des consulteurs] furent partagées); fin xviies. réfl. (Bossuet, Lett. quiét., 63 ds Littré: Les avis se partagent...). Dér. de partage*; dés. -er. A évincé partir1*. On relève un ex. du m. fr. partaigier au sens de «mettre (un bateau) en partance» (1398, 14 août, Ordonnances des rois de France, t.8, éd. Secousse, p.293: que [...] aucun empeschement soit fait [...] en la charge et partement d'une nef [...] qu'il ne la puissent faire partaigier (1) [...] et partir de là ou elle est ; (1) note de l'éditeur : Je n'ai rien trouvé sur ce mot qui peut-être signifie «partir»), dér. de *partage au sens de «départ» (cf. Saint-Pol, Pas-de-Calais [partaʒ
] «départ», FEW t.7, p.688a), lui-même dér. de partir2(suff. -age*). Fréq. abs. littér.: 4024. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 8601, b) 5017; xxes.: a) 4155, b) 4590. DÉR. Partageable, adj.Qui peut être l'objet d'un partage. Bien, masse partageable; frais partageables. Le paiement fait à l'un d'eux libère le débiteur, encore que le bénéfice de l'obligation soit partageable et divisible entre les divers créanciers (Code civil, 1804, art. 1197, p.215).La conscience apparaissait alors, ainsi que la raison, comme la chose du monde sinon la mieux partagée, du moins, avec le progrès des lumières, la plus aisément partageable (Mounier, Traité caract., 1946, p.274).− [paʀtaʒabl̥]. Att. ds Ac. dep. 1835. − 1reattest. 1505 choses partageables (Coutumes du Perche, Successions, § 21 ds Nouv. coutumier gén., éd. Bourdot de Richebourg, t.3, p.639b), rare; de partager, suff. -able*. BBG. −Dub. Pol. 1962, p.365. |