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PANTOUFLE, subst. fém.
A. −
1. Chaussure d'intérieur, sans tige, de matière souple et légère, parfois sans quartier. Pantoufles de cuir, de velours; pantoufles de lisière; une paire de pantoufles; être en pantoufles; chausser, mettre ses pantoufles. Ses pieds, remarquables pour leur petitesse, étaient nus dans de délicates pantoufles de cordes de soie tressées à jour. Sous le peignoir, il n'y avait rien que Mademoiselle Mariette (Champfl.,Avent. MlleMariette,1853, p.29).Il me débarrassa de mon manteau, et me força de changer mes bottes mouillées contre de molles pantoufles persanes (Gide,Immor.,1902, p.435):
1. ... je vais au lit comme autrefois j'allais au bal. Toutes les nuits, je joue à Cendrillon. Mais si la triste cuisine écaillée est une réalité, mes escapades nocturnes ne me conduisent que dans le palais de ma mémoire, et il y a longtemps que la pantoufle de vair m'a ramené un prince terriblement charmant. Pourtant, l'aube me retrouvera seule dans la cuisine, avec ma vieille robe et mes pantoufles de laine. Triolet,Prem. accroc,1945, p.269.
2. En partic.
a) [Pour exprimer l'idée de confort ou de facilité] Ne pas quitter ses pantoufles; passer sa vie dans ses pantoufles. Des juges (...), siégeant depuis le matin, ne peuvent s'empêcher de rêver au dîner, à la famille et à leurs chères pantoufles (Baudel.,Poèmes prose,1867, p.96).Vous autres, les hommes, vous aimez trop votre tranquillité. Une maîtresse, c'est commode, mais les aises de la vie domestique, la petite routine... les pantoufles! (Daniel-Rops,Mort,1934, p.286):
2. Je connais ces dilettantes de l'anti-conformisme, qui aiment leurs pantoufles et le mystère des âmes damnées, l'art pour l'art et la révolte pour la révolte (à condition qu'elle ne bouscule pas leurs prérogatives et se contente d'inquiéter celles des autres). H. Bazin,Mort et cheval,1949, p.287.
Loc. fig. En pantoufles
En famille, dans l'intimité. Dans les familles, il arrive que ce qui est médiocre parvienne à gouverner, et souvent l'on voit le savant en pantoufles, ou l'artiste, ou l'inventeur, comparaître comme une sorte de coupable devant un tribunal de tantes, de belles-soeurs, de cousines (Alain,Propos,1928, p.779).On trouvera ci-dessous une esquisse des formes verbales du français parlé «en pantoufles» (A. Martinet,Lang. et fonction,1971, p.175).V. aussi infra A 2 b ex. de J. de Maistre.
(Qui vit) sans prendre aucun risque, sans s'exposer, s'engager réellement. Il faut essayer de faire des choses! C'est pas une raison parce qu'on est un intellectuel pour vivre en pantoufles (Beauvoir,Mandarins,1954, p.215).[À valeur d'adj.] Qui ne s'expose pas. Une brave petite générosité en pantoufles (Bloy,Journal,1904, p.233).Le Carnet civique, recueil de toutes les phrases odieuses ou imbéciles écrites pendant la guerre par nos guerriers en pantoufles (Léautaud,Journal littér., 3, 1921, p.374).
Sans rencontrer d'obstacles, avec la plus grande facilité. Triompher en pantoufles. Il me silhouette un de Moltke faisant la campagne de France en pantoufles (Goncourt,Journal,1889, p.960).Je ne voulais que signaler le succès de cette revue neuve [Pourquoi pas], qui s'installe en pantoufles au Daumon (Colette,Jumelle,1938, p.220).
b) Loc. fam.
Mettre, chausser les pantoufles de qqn (v. chausser I A 1). Se mettre à la place de quelqu'un. Plutôt sombrer dans une tempête, mourir de soif dans un désert que de chausser jamais ses pantoufles [celles d'un terrien]! (Genevoix,Avent. en nous,1952, p.93).
(Traiter, rejeter, etc., qqc. ou qqn) comme une (vieille) pantoufle. Avec le dernier mépris. Le duc de Westmorland, membre du cabinet, Breton de la vieille roche, buvait bien, traitait comme sa pantoufle les idées nouvelles, et avait inventé pour monter à cheval des garde-jambes (Chateaubr.,Congrès Vérone, t.1, 1838, p.326).Le jour où je ne pourrai plus faire de parade au bas d'un journal, les entrepreneurs de feuilles publiques me laisseront là, comme une vieille pantoufle qu'on jette au coin de la borne (Balzac,Muse départ,1844, p.227).
Être sous la pantoufle de qqn; mettre qqn sous sa pantoufle. Être sous la domination de quelqu'un; mettre quelqu'un sous sa domination. Il ne tarissait pas en grosses plaisanteries sur les femmes qui portent culotte ; et il se gaussait de son ami, qui se laissait mettre sous la pantoufle (Rolland,J.-Chr., Buisson ard., 1911, p.1304).J'en ai plein le dos de ma soeur! J'ai vécu cinq lustres sous sa pantoufle, que nos dernières années soient libres! (La Varende,Indulg. plén.,1951, p.110).
[Par jeu de mots sur raisonner et résonner] Raisonner comme une pantoufle et, vx, raisonner pantoufle. Raisonner sottement, sans logique; divaguer. Petite espèce humaine à tête carrée, tu raisonnes pantoufle. Vois-tu clair au fond des coeurs? Comprends-tu déjà toutes les choses? (Renard,Poil Carotte,1894, p.286).
Vx. Raisonner pantoufle. Converser de choses et d'autres; dire des riens. Après que j'ai bien fatigué mes chevaux le long de ces belles rues, si je pouvais trouver l'Amitié en pantoufles, et raisonner pantoufle avec elle, il ne me manquerait rien (J. de Maistre, Corresp.,1806, p.210).
Vieilli. Et caetera pantoufle. [Expr. utilisée pour clore une énumération ou un récit menaçant de devenir fastidieux ou grossier] L'élégante femme lit toujours, puis soudain, lasse de tourner les feuillets qui s'accumulent: −Et patati et patata. Et caetera pantoufle! (Céard,Soir. Médan, Saignée, 1880, p.158).Parlez-moi de l'ami Pierre (...). Je ne plains pas (...) ma cousine d'Aymaret qui lui a, dit-on, donné son coeur (...) et caetera pantoufle! (Feuillet,Honn. artiste,1890, p.54).
B. − P. anal ou au fig.
1. Imbécile, nullité. Quand papa revenait à temps, il nous aidait pertinemment mais avec impatience. Il ne nous tolérait ni légèreté ni lenteur. Et c'étaient des «pantoufles!» et des «savates!» à n'en plus finir (Duhamel,Notaire Havre,1933, p.109).Nous ne sommes que pantoufles à côté d'une femme! (La Varende,Dern. fête,1953, p.42).
2. Arg. des écoles, fam. Situation trouvée dans le secteur privé par un militaire ou un fonctionnaire issu de l'École polytechnique ou p.ext. d'une grande école et qui renonce à l'armée ou aux autres services de l'État. On lui prédit [au conscrit affecté de la cote cent] une bonne pantoufle: celle d'ingénieur à la Compagnie Richer (Lévy-Pinet1894, p.124).Nombre d'autres [jeunes hauts fonctionnaires] qui consacrent quelques années au service public, le font dès le départ avec l'intention de chercher une bonne «pantoufle» vers les 35 à 40 ans, après s'être fait, pendant le service administratif, les relations nécessaires à cet effet (Mathieu1970).
Prononc. et Orth.: [pɑ ̃tufl̥]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. [1remoitié xves. S. Pantouffle nom de saint fantaisiste (ms. B.N. lat. 13308 ds Leroquais, Heures, t.2, p.148)] 1. 1465 pantoufles «chaussures d'intérieur en tissu ou en cuir souple» (H. Baude, Vers, éd. J. Quicherat, p.23); 1480 panthoufles «chaussures à semelle épaisse et à haut talon» (G. Coquillart, Droitz nouveaulx ds OEuvres, éd. M. J. Freeman, p.219, 1765: Noz mignonnes sont si treshaultes Que, pour sembler grandes et belles, Elles portent panthoufles haultes Bien a XXIIII semelles) v. aussi Id., ibid., p.157, 575, et ici au sing. 1480-90, Id., Monologue des perrucques, p.322, 90; av. 1486 pantoufles «chaussures élégantes» (G. Alexis, Le Mireur des moines, 38 ds OEuvres poét., éd. A. Piaget et E. Picot, t.3, p.11); 1488-94 pantouffle «sorte de chaussure souple qu'on mettait à l'intérieur des souliers (ou patins)» (O. de La Marche, Le Triomphe des dames, éd. J. Kalbfleisch-Benas, pp.4-5); 2. au fig. a) 1555 baiser la pantoufle de qqn «se soumettre à son autorité» (Calvin, lettre du 20 févr. ds Lettres, éd. J. Bonnet, t.2, p.19); b) 1618 prendre ses pantoufles pour aller quelque part «y aller commodément, sans effort» (Bruscambille, Prologue facécieux de l'impatience ds Fantaisies, p.80); c) 1740-55 en pantoufles «sans effort» (Saint-Simon, Mém. éd. A. de Boilisle, t.4, p.218: Sa situation [du château d'Ebernbourg] ni celle du pays ne demandoient point d'investiture, ni plus d'une attaque: de manière que les Impériaux faisoient ce petit siège en pantoufles); d) 1867 au plur. symbole du confort bourgeois et sans risque (Baudel., Poèmes prose, p.96); 3. 1521 maistre pantoufle «maître sot» (Fabri, Rhétorique, éd. A. Héron, t.I, p.268); 4. 1673 raisonner pantoufle «bavarder sans suite, à bâtons rompus» (Mmede Sévigné, Lettre du 19 nov. ds Corresp., éd. R. Duchêne, t.1, p.621); 1798 raisonner comme une pantoufle «battre la campagne, déraisonner» (Ac.); 5. 1808 et coetera pantoufle euphémisme remplaçant un mot grossier (Hautel, s.v. et coetera); 1835 pantoufle «id.» (Balzac, Fille yeux d'or, p.366); 6. 1878 arg. «ensemble des élèves qui, à la sortie de l'École Polytechnique, renoncent aux carrières de l'État» (Moch. X-Lex., p.44); 1894 «carrière dans le privé» (en parlant des anciens élèves de Polytechnique) (Lévy-Pinet, loc. cit.). Mot d'orig. obsc. On a proposé l'étymon gr. π α ν τ ο ́ φ ε λ λ ο ς «tout en liège»; cette hyp., déjà émise par les humanistes de la Renaissance (G. Budé, H. Estienne, Varchi, etc.) est reprise (pour l'ital. pantofola d'où le fr. pantoufle serait issu) par Prati, DEI et EWFS2, ces 2 derniers expliquant le -t- au lieu du -d- attendu par une hypercorrection; cette étymol. fait cependant difficulté pour 2 raisons: a) il est difficile d'attribuer une orig. sav. à un mot comme pantoufle; b) il n'est pas prouvé que le lieu d'orig. des formes rom. soit l'Italie (où le mot est att. dep.le xves. sous la forme spantoffia d'apr. DEI; forme qui d'apr. Keller, art. cité infra, p.447, note 23, devrait son s initial à l'art. plur. du fr. dans les pantoufles), le fr. (supra), le cat. (att. dep.1463 sous la forme pantofle ds Alc.-Moll) et le port. (pantufo au xves. ds Mach.) étant contemporains. H. E. Keller (ds Mél. Wartburg (W. von)) 1958, pp.451-454, suivi par Bl.-W.3-5(mais non par FEW t.21, pp.534-535), reprenant une hyp. déjà proposée par Diez (s.v. pantofola), Sain. Sources t.1, p.202 et 203, et Cor., s.v. pantuflo, fait remonter pantoufle à la racine patt-; le mot serait d'orig. mérid. (H. Baude est originaire du Bourbonnais), ce qui expliquerait à la fois la syll. pant- au lieu de pat- (phénomène phon. propre à l'occit.) et le suff. -oufle (bien représenté dans le sud de la France), et aurait désigné d'abord une chaussure de paysan. Le fr. serait alors à l'orig. du mot dans les autres lang. rom. Guir. Lex. fr. Etymol. obsc., rapprochant pantoufle de pantin* et du dial. pantet «pan de chemise, etc.» (FEW t.7, p.559b), en fait un dér. de pan* à l'aide du suff. -oufle qui connoterait des objets plus ou moins gonflés ou des bruits plus ou moins sourds: la pantoufle aurait été à l'orig. une chaussure d'étoffe. Bien que l'hyp. de H. E. Keller soit la plus vraisembable, il manque encore pour ce mot une ét. approfondie de l'hist. des formes et des sens dans les lang. rom. (cf. G. Colon ds Z. rom. Philol. t.78, pp.84-85). Fréq. abs. littér.: 518. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 518, b) 1381; xxes.: a) 657, b) 625.
DÉR.1.
Pantouflier, -ière, subst.Personne qui fabrique ou vend des pantoufles. Voici quelques extraits de la liste de ce matin: (...) quarante libres penseurs, ouvriers ferblantiers, un pantouflier (Halévy,Carnets, t.1, 1867, p.148). [pɑ ̃tuflije], fém. [j-ε:ʀ]. 1reattest. ca 1530 «celui qui fabrique ou vend des pantoufles» (Myst. de l'Assomption ds Parfaict, Hist. du théâtre fr., t.3, p.76); de pantoufle, suff. -ier*.
2.
Pantouflier, subst. masc.,vx. Requin marteau (v. marteau II A 4). Voici des bataillons sans nombre (...) Le saumon, le muge, le scombre, Le pantouflier, l'églefin (Pommier,Océanides,1839, p.63).De petits squales d'un mètre (...) dont les dents disposées sur plusieurs rangs, se recourbent en arrière, et qui sont vulgairement connus sous le nom de pantoufliers (Verne,Vingt mille lieues, t.2, 1870, p.198). [pɑ ̃tuflije]. 1reattest. 1765 zool. (Encyclop.); de pantoufle, suff. -ier*.
BBG. Quem. DDL t.16.