| PAIR1, subst. masc. A. − 1. Personne de même situation sociale, de même titre, de même fonction qu'une autre personne. Être condamné, jugé par ses pairs; être, se trouver parmi ses pairs. Nul ne vous ressemble dans nos lettres françaises. Vous n'avez pas de pair. Vous comparer à quelqu'un, c'est vous fausser ou fausser l'autre. Ce qu'il y a de certain, c'est que vous êtes un maître (Loti,Journal, 1878-81, p.217).Henri de Régnier est le pair de ces grands poètes [Lamartine, Vigny] et siègera dans notre admiration bien au-dessus des Parnassiens en apparence inaccessibles (Proust,Chron., 1922, p.176).Gauss −appelé par ses pairs prince des mathématiciens (Gds cour. pensée math., 1948, p.90). − Empl. adj., rare. Deux lutteurs à peu près pairs (Cladel,Ompdrailles, 1879, p.276). − Vieilli. De pair à compagnon. D'égal à égal. Parler de pair à compagnon avec qqn. Je ne me soucie pas que vous m'attiriez la société de ce vieil ivrogne, qui vit de pair à compagnon avec les paysans (Sand,Péché de M. Antoine, t.1, 1845, p.86): 1. ... Catherine eut à entrer dans les appartements du grand-duc pour remettre la paix et le bon ordre parmi ses gens, avec qui il avait l'habitude de boire, qu'il traitait de pair à compagnon, et qu'ensuite il rossait à coup de bâton ou de plat de sabre sans pouvoir les réduire...
Sainte-Beuve,Nouv. lundis, t.2, 1862, p.200. 2. Spécialement. a) HIST. INSTIT.
α) FÉOD. ET ANC. RÉGIME. Chacun des vassaux d'un même suzerain obligés au service de sa cour et de sa justice. ♦ Être jugé par ses pairs; jugement par les pairs. (Avoir le) droit, pour le vassal, d'être jugé par les autres vassaux de même rang que lui. L'exigence des féodaux «d'être jugés par leurs pairs» s'applique à tous les milieux (Traité sociol., 1968, p.200). − Les douze pairs de Charlemagne. Les douze seigneurs (dont Roland) constituant, dans la tradition des chansons de geste, la garde d'honneur de Charlemagne. [Charlemagne] a le coeur triste, il s'écrie: −Roncevaux! Roncevaux! ô traître Ganelon! Car son neveu Roland est mort dans ce vallon Avec les douze pairs et toute son armée (Hugo,Légende, t.1, 1859, p.185).Charlemagne demande à ses pairs de marcher contre Renaut (Barrès,Cahiers, t.11, 1914, p.119). − Les pairs (de France). Titre surtout honorifique, donnant accès au conseil du roi, accordé aux douze principaux seigneurs du royaume, six ecclésiastiques (trois ducs et trois comtes) et six laïcs (trois ducs et trois comtes), dont le nombre s'éleva à trente-huit à la veille de la Révolution. En 1702, le maître de chapelle de musique était: «M. Charles Maurice le Tellier, archevêque duc de Reims, premier pair ecclésiastique de France, commandeur de l'ordre du St Esprit (...)» (Grillet,Ancêtres violon, t.2, 1901, p.40).Le comte de Flandre était du reste vassal du roi, et l'un des six pairs laïcs qui l'assistaient à son sacre, ayant l'honneur de lui porter l'épée (Toulet,Notes art, 1920, p.105).
β) Membre de la haute assemblée législative, entre 1814 et 1848. L'ancien secrétaire général de M. le comte de Vaize dans la dernière préfecture qu'il avait occupée avant que Louis XVIII l'appelât à la Chambre des Pairs était à Paris (Stendhal,L. Leuwen, t.3,1835,p.248).la Chambre des Pairs de 1830 comprend des membres nommés par le roi et pris obligatoirement parmi les titulaires de certains titres ou fonctions, ou grands industriels, ou grands propriétaires (Vedel,Dr. constit., 1949, p.173): 2. ... en 1815, Napoléon prononça la dissolution des deux Chambres de la monarchie restaurée, et établit un comité pour rédiger de nouvelles dispositions constitutionnelles. Celles-ci furent incorporées dans un Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire (...). L'acte prévoyait des institutions qui ressemblaient en de nombreux points à celles de la monarchie restaurée. Le législatif comprenait une Chambre des pairs et une Chambre des représentants.
Lidderdale,Parlement fr., 1954, p.20. b) [En Grande-Bretagne] Membre de la Chambre haute du Parlement ou Chambre des Lords. Quel beau rêve n'était-ce pas pour un juge de village de se voir élever en France à une dignité pareille à celle des pairs d'Angleterre? (Sénac de Meilhan,Émigré, 1797, p.1591). B. − [Dans des loc.] 1. Loc. verb. a) Tirer qqn du pair, se tirer du pair (vieilli). Élever quelqu'un, s'élever au-dessus de ses semblables. Ce que je lui dois est immense: j'eusse été sans lui un coquin subalterne, et pas assez coquin pour n'être pas haï et persécuté par les autres. Il m'a fait un homme du monde (...). Je lui dois cette croix et l'apparence de services diplomatiques qui me tirent du pair (Stendhal,Rouge et Noir, 1830, p.433). b) Mettre, ranger qqn ou qqc. de pair (avec qqn ou qqc.). Mettre au même niveau, au même rang que. Ce bon chef-d'oeuvre [Manon Lescaut] échappé en un jour de bonheur à l'abbé Prévost (...) soutient à jamais son nom au-dessus du flux des années, et le classe de pair, en lieu sûr, à côté de l'élite des écrivains et des inventeurs (Sainte-Beuve,Portr. littér., 1831, p.262).Il reste encore beaucoup à faire pour mettre l'administration postale française de pair avec les administrations étrangères: il importe notamment de remédier aux lenteurs du service dans les régions rurales et montagneuses (Pradelle,Serv. P.T.T. Fr., 1903, p.227). c) Aller, marcher au pair/de pair (avec qqn ou qqc.). [Vieilli avec un suj. animé] Être sur un pied d'égalité (avec quelqu'un ou quelque chose). Il faut que je m'habille. Je ne veux pas aller de pair avec vos belles dames, mais il ne faut pas être ridicule (Picard,Manie de briller, 1806, p.396).Parmi les jeunes filles à la mode, nulle mieux qu'elle ne savait (...) déverser son impertinence sur tous ceux qui essayaient de marcher au pair avec elle (Balzac,Bal Sceaux, 1830, p.90).La concentration des habitations marche le plus souvent de pair avec la concentration des voies de circulation. Plus une ville est grande, plus le réseau des routes qui l'entoure est touffu (Brunhes,Géogr. hum., 1942, p 85). 2. Loc. adj. a) Loc. adj. inv. Hors de pair, hors du pair (vieilli), hors pair. Sans égal, exceptionnel, hors du commun. On sait son histoire [de Georges de La Tour], la même que celle de Vermeer, ou du Greco. Son originalité hors pair sur le plan plastique pur l'a mis à l'abri du succès, et trop longtemps de la gloire (Faure,Hist. art, 1921, p.89).Darwin poursuivit sans relâche son effort et publia encore une série d'ouvrages, qui lui assurent une place hors de pair dans la biologie du XIXesiècle (Hist. gén. sc., t.3, vol. 1, 1961, p.546). b) Loc. adj. variable, vieilli. Sans pair. Sans égal. On avait négligé de former son caractère [de Louis XIII] et d'élever ses idées à la hauteur du rang sans pair qu'il devait occuper (Balzac,OEuvres div., t.3, 1836, p.45).Cette autorité salutaire dont la vertu, la beauté et le mérite sans pairs constituent le privilège irréfragable (Gobineau,Pléiades, 1874, p.165).[Il est des îles de bonheur dont on garde] Mieux encor que la cité Prospère, Un souvenir de volupté Sans paire (Richepin,Paradis, 1894, p.211). C. − Spécialement 1. ÉCON. POL. a) Valeur nominale d'une action ou d'une obligation fixée lors de l'émission. Comme cette valeur [le cinq pour cent] dépassait le pair, l'avocat les prêcha [les Rogron] pour en opérer le remplacement en terres, leur promettant, à l'aide du notaire, de ne pas leur faire perdre un liard d'intérêt au change (Balzac,Pierrette, 1840, p.78). ♦ Action, obligation, etc. émise, remboursée au pair. Action, obligation, etc. dont le prix d'émission ou de remboursement est égal à la valeur nominale. Cet emprunt, d'une valeur de 60 millions de francs suisses, au taux de 4 %, et d'une durée de vingt-trois ans, sera émis au pair (Le Monde, 19 janv. 1952, p.11, col. 4).Le décret du 3 messidor an III, qui vint au secours des propriétaires fonciers, maintint le paiement des loyers en assignats au pair (Lefebvre,Révol. fr., 1963, p.563). b) ,,Rapport qui définit la valeur de l'unité d'une monnaie en fonction d'un bien réel (un poids d'or par exemple) ou d'une autre monnaie`` (Gestion fin. 1979). ♦ Change au pair. Change entre monnaies étrangères, fondé sur le poids d'or fin qu'elles contiennent légalement (d'apr. Graw. 1981). On faisait le change au pair, c'est-à-dire en comptant strictement le poids du métal précieux contenu dans la monnaie. Par exemple on changeait 100 dollars contre 3952,38F. Il y a dans 100 dollars et dans 3952,38F exactement le même poids d'or (Lesourd, Gérard,Hist. écon., 1968, p.64). 2. Locutions a) Être, se mettre au pair (vieilli). Être, se mettre à jour; ne pas avoir de retard dans son travail, dans ses occupations. Mon traité avec elle [la Revue des Deux Mondes] est expiré, je suis à peu près au pair dans mes comptes, ou tout au moins très à même de payer la différence (Sand,Corresp., 1858, p.143). b) Être, travailler au pair. Recevoir la nourriture et le logement en échange d'un travail fourni. Jeune fille au pair. Sylvie Rogron fut envoyée à cent écus de pension en apprentissage (...). Deux ans après, elle était au pair: si elle ne gagnait rien, ses parents ne payaient plus rien pour son logis et sa nourriture (Balzac,Pierrette, 1840, p.17). Prononc. et Orth.: [pε:ʀ]. Att. ds Ac. dep.1694. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 980 souvent employé avec l'adj. poss. peer «semblable» (Jonas, éd. G. de Poerck, vo, 28), ne survit guère que dans des loc.: ca 1170 Sanz Per «sans égal» (Marie de France, Lais, Milon, éd. J. Rychner, 340); 1534 hors du per «id.» (Marot, Rondeaux, éd. C. A. Mayer, LXIV, 22 var. M); 1718 hors de pair (Ac.); 1896 hors pair (Verlaine, OEuvres posthumes, Voyages en France, VI, t.3, p.121); ca 1580 aller du pair avec «être sur un pied d'égalité avec» (Du Vair, Medit. sur Job, ch. 9 ds Hug.); av. 1615 aller de pair avecques (Pasquier, Recherches, éd. d'Amsterdam, 1723, 650); 2. 1578 comm. pair «valeur du change d'une monnaie» (J. Bodin, Disc. sur le rehaussement et diminution des monnaies, Paris ds Gdf.); 3. a) 1835 fig. (Ac.: Être au pair, N'avoir point de travail en arrière); 1875 se mettre au pair «se mettre à jour (dans ses affaires)» (Lar. 19e); b) 1840 être au pair (Balzac, loc. cit.). B. 1. Ca 1050 per «personne de même condition» (Alexis, éd. Chr. Storey, 18); 1160-74 en liaison avec compagnon (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, II, 4063: en seronz et compaingnon et per); 1549 per a compaignon «d'égal à égal» (Est., s.v. compaignon); 1668 de per à compagnon «en se considérant comme l'égal de qqn» (La Fontaine, Fables, livre IV, fable 5, 13); 2. ca 1100 les douze pairs (de Charlemagne) (Roland, éd. J. Bédier, 262); ca 1100 «grands vassaux de la couronne» (ibid., 2865); 1258 per de France «celui qui possédait des terres érigées en pairies et qui avait droit de séance au Parlement de Paris» (28 mai Tr. d'Abbev., A.N. J 629, pièce 4 ds Gdf. Compl.); 3. 1704 (Trév.: Pair, en Angleterre est un Seigneur qui a droit de seance et de suffrage à la Chambre haute du Parlement); 1814 Pair «en France, membre de la Chambre des pairs instituée par la Charte de 1814» (Charte constitutionnelle du 4 juin, art. 28 ds M. Duverger, Constitutions et documents politiques, p.83); 1814 Pair de France, Chambre des Pairs (ibid., art. 27, p.83 et art. 24, p.82). Du lat. par, paris «égal (en quantité, dimension, valeur)», att. comme subst. au sens de «compagnon, personne de même rang» et en lat. médiév. «homme du même seigneur» 856 ds Nierm. Au sens A 1 pair a été supplanté par pareil* et égal*. B 3 par l'intermédiaire de l'angl. peer «id.» (1382 ds NED), lui-même empr. au fr. pair. Fréq. V. pair2. |