| PÉNIBLE, adj. A.− [Corresp. à peine II] Qui cause un sentiment de peine, un état affectif (plus ou moins durable) de douleur morale, de tristesse ou d'ennui. Synon. affligeant, cruel, douloureux, triste. 1. Absolument a) [Le subst. qualifié désigne un état du suj.] Sentiment pénible. Cette disposition affective bonne ou mauvaise, agréable ou pénible, favorable ou contraire à notre développement moral (Maine de Biran, Journal,1818, p. 155).Excusez-moi d'avoir ravivé en vous de pénibles souvenirs (Queneau, Pierrot,1942, p. 87): 1. ... depuis que Mmede Kergaz avait trouvé et dévoré le journal manuscrit du vicomte Andrea, persuadée que ce misérable l'aimait, elle était tourmentée de cette pensée et en éprouvait de pénibles émotions. Chaque fois que ce prétendu repenti la regardait (...), la pauvre jeune femme (...) se sentait défaillir elle-même.
Ponson du Terr., Rocambole,t. 3, 1859, p. 324. b) [Le subst. qualifié désigne une circonstance soc.] Autant sont doux les entretiens où les âmes se parlent et se répondent, autant les autres sont fastidieux et pénibles (Lamennais, Lettres Cottu,1820, p. 96).Je partirai sans l'avertir, pour nous épargner de pénibles adieux (Borel, Champavert,1833, p. 17).Je ne suis pas, vous l'imaginez, dans toute cette pénible histoire, de ceux qui ne pensent qu'à vous accabler (Duhamel, Combat ombres,1939, p. 254): 2. À l'âge de Laurence, quand le cœur n'a pas encore parlé, on ne voit la vie qu'en surface; on n'en soupçonne pas les dessous pénibles, douloureux ou mortifiants; aussi on prend légèrement des résolutions devant lesquelles plus tard on est étonné de ne pas avoir reculé avec terreur.
Theuriet, Mais. deux barbeaux,1879, p. 62. − En partic.
α) [Le subst. qualifié désigne un spectacle] Synon. affligeant, attristant, désolant, navrant.Le visage mal peint, les joues pendantes, la poitrine à demi nue, elle était d'une laideur pénible (Arland, Ordre,1929, p. 201).Le spectacle est pénible. La foule des malheureux est là, maintenue dans l'ordre et le silence par des sergents armés de verges et de matraques (Faral, Vie temps st Louis,1942, p. 259).
β) [Le subst. désigne un trait de caractère ou le comportement d'une pers.] Synon. agaçant, insupportable.Enfantillage pénible. Dès que je suis près de lui, je ne peux plus me sentir; cela me rend sa société assez pénible (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1123).Le jeune homme en mande la nouvelle à Le Vasseur sur un ton pénible d'impertinence (Mauriac, Vie Racine,1928, p. 32).[P. méton. du subst. qualifié] Synon. insupportable.Quel enfant pénible que celui-là et combien on a de peine à l'aimer, même dans sa famille. Je souhaite (...) que cette sécheresse pointue et impertinente qui le caractérise, s'atténue et fasse place à quelque qualité aimable (Amiel, Journal,1866, p. 364).Je te demande pardon. Car je t'ai été une compagne pénible et douloureuse (Claudel, Échange,1894, iii, p. 710). c) [Qualifie une prop. (ou un inf.)] Il est pénible d'être méprisé de celui-là même dont l'estime est jugée désirable (Alain, Propos,1929, p. 839).Léonard avait horreur des cabales; il lui était fort pénible qu'on le pressât dans ses œuvres (Gilles de La Tourette, L. de Vinci,1932, p. 96): 3. On trouve (...) trop fatigant de quereller, trop dur de tuer, trop pénible de haïr, et la rude bataille de la vie vous fait l'effet dégoûtant d'un abattoir.
Amiel, Journal,1866p. 40. SYNT. a) Impression, pensée, sensation, rêve pénible; b) circonstances, conversation, épreuve, incident, moment(s), scène, silence pénible(s); c) agréable, doux, heureux ou pénible; amer, désagréable, douloureux, triste et pénible. 2. [Constr. avec un compl. prép.] a) Pénible à, pour + subst. (désignant celui qui éprouve de la peine).Un événement bien pénible pour moi marqua ce retour : on me mit au collège! (Loti, Rom. enf.,1890, p. 204).Pourquoi cette page est-elle pénible à Antoine? Il se doutait bien que son petit avait vécu, qu'il s'était sali à beaucoup de rencontres (Martin du G., Thib.,Sorell., 1928, p. 1179).V. supra ex. de Gilles de La Tourette. − [P. méton. du compl. prép.] La lueur d'un incendie (...) répandit sur toute cette scène une teinte fausse et blafarde, (...) heure pénible à l'œil et à la pensée, lutte de deux principes contraires dont la nature offre quelquefois l'image affligeante (Lamart., Voy. Orient,t. 1, 1835, p. 220).Il eut l'impression qu'il était resté un gamin, tandis qu'ils étaient devenus des hommes; et ce fut si pénible à sa vanité, que son ancienne affection pour eux s'en ressentit (Martin du G., Devenir,1909, p. 152). b) Pénible à + inf.Les soirées devenaient pénibles à passer ensemble, bien qu'aucun désaccord grave n'eût surgi (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Hérit., 1884, p. 525).Cette gaieté sur sa face décharnée (...) avait quelque chose de funèbre et de si pénible à voir, que, plusieurs fois, je dus sortir de la chambre (Mirbeau, Journal femme ch.,1900, p. 148). B.− [Corresp. à peine III] 1. Vx. Qui requiert un dur travail physique. Quel pays, que celui où le travail fait déroger, où il est honorable de consommer et humiliant de produire, où les professions pénibles sont dites viles (Sieyès, Tiers état,1789, p. 57). 2. Usuel. [Le subst. qualifié désigne une action, une activité] Qui coûte de la peine. a) Qui requiert ou cause beaucoup de fatigue, d'effort ou de souffrance physique. Synon. épuisant, harassant, laborieux.
α) Absol. Top fermait la marche, et faisait encore entendre de singuliers grognements. L'ascension fut assez pénible (Verne, Île myst.,1874, p. 170).Les Italiens se disposaient à hiverner, l'armée serbe entreprenait une pénible retraite vers l'Adriatique (Joffre, Mém.,t. 2, 1931, p. 161).V. déjeté II B ex. de Moselly : 4. [La mère abbesse] doit (...) dans ces moments, surveiller de très près sa fille, s'efforcer de détourner le cours de ses idées, en la brisant par de pénibles travaux et en lui occupant l'esprit...
Huysmans, En route,t. 1, 1895, p. 190. − [P. méton. du subst. qualifié] Chemin, route pénible. J'étais redescendu du Liban (...) dans le désert nu et stérile d'Héliopolis, à la fin d'une journée pénible et longue (Lamart., Voy. Orient,t. 2, 1835, p. 183).Le terrain était si pénible que la file tendait à se disloquer (Romains, Copains,1913, p. 272). − En partic. [En parlant d'un processus physiol.] Enfantement, indigestion, respiration, torpeur, toux pénible. Elle ne sécrète que très peu de bile; de là ses pénibles digestions (Michelet, Journal,1858, p. 391).La nuit, il avait des sommeils pénibles, des rêves fatigants (Rolland, J.-Chr.,Foire, 1908, p. 802).
β) Rare. [Constr. avec un compl. prép.] ♦ Pénible à, pour qqn.Il lui devint si pénible de marcher, qu'il ne s'écarta guère du village (Zola, Terre,1887, p. 431). ♦ Pénible à + inf.Les trois cents mètres furent très pénibles à franchir : dans la tranchée surtout, on enfonçait jusqu'aux hanches (Zola, Bête hum.,1890, p. 156). SYNT. Besogne, labeur, ouvrage, tâche pénible; effort, exercice, marche pénible; dur, fastidieux, fatigant, ingrat, laborieux, lent, lourd, rude et pénible. b) Qui requiert ou cause beaucoup de fatigue, de souffrance ou d'effort, intellectuel ou moral. Synon. épuisant.Les esprits vulgaires, incapables en général d'une attention très-soutenue, ou peu propres à soutenir une attention pénible (Joubert, Pensées,t. 1, 1824, p. 411).Ce catéchisme est donné comme le résultat des méditations pénibles et consciencieuses et méritoires des hommes de bien qui fabriquent la philosophie (Nizan, Chiens garde,1932, p. 153). 3. P. ext. a) [Le subst. qualifié désigne un état] Difficile à supporter, à endurer. Synon. éprouvant.Climat, état pénible. Centupler ses besoins, faire tout pour l'ostentation (...); c'est s'embarrasser dans les chaînes d'une pénurie plus pénible et plus soucieuse que la première (Senancour, Obermann,t. 1, 1840, p. 130).Le séjour de la dunette est pénible le jour, impossible le soir (Fromentin, Voy. Égypte,1869, p. 44). − En partic. [Le subst. qualifié désigne un état phys.] Maladie pénible. Une sueur pénible inondait mon front, un nuage passait sur mes yeux (Sand, Lélia,1833, p. 181).La soif surtout est pénible. Les biscuits sont recherchés... etc. (Bordeaux, Fort de Vaux,1916, p. 181).V. gorge I B 1 ex. de Staël. b) [Le subst. qualifié désigne (l'obj. d') une perception] Difficile à supporter, (très) désagréable. Tantôt il est fatigué de sons discordans, de tintemens pénibles, ou croit entendre une douce mélodie et des chants très-harmonieux (Cabanis, Rapp. phys. et mor.,t. 2, 1808, p. 359).La pièce était mal aérée; il y régnait une pénible odeur (Gide, Faux-monn.,1925, p. 1158). − [Constr. avec un compl. prép.] L'intervalle de la septième mineure, et, partant, celui de la seconde majeure (...) dut tout d'abord et longtemps paraître pénible à l'oreille (Gide, Journal,1928, p. 874).Chacun connaît des suites de mots presque impossibles à dire, et pénibles à entendre, comme « chasseurs sachez chasser » (Alain, Propos,1927, p. 706). C.− En partic. [Corresp. à supra A et B] 1. CRIT. ART. [Le subst. qualifié désigne (un élément d') une œuvre artist.] Qui donne l'impression désagréable d'avoir été trop travaillé, qui est trop recherché, qui manque de simplicité, de naturel. Dessin, versification, imitation, style pénible. La couleur est chaude, mais la manière est pénible; le dessin habile, mais non pas original (Baudel., Salon,1845, p. 22).Ce second discours [de Bossuet] est pénible, quelque peu subtil, et sent l'appareil théologique (Sainte-Beuve, Caus. lundi,t. 10, 1854, p. 200): 5. Jamais peinture plus pénible, plus suée, n'était encore sortie de la lourde truelle de ce fabricant de hourdages, qui a nom Bonnat. Cela est peint, rides à rides, verrues à verrues, sur l'éternel fond noirâtre qui repousse le blafard des tristes chairs éclairées par les bougies d'un gaz violacé.
Huysmans, Art mod.,1883, p. 158. − [P. méton. du subst. qualifié] La misère de coloris du pénible peintre, du pauvre prix de Rome [Garnotelle], faisait trouver et imprimer qu'il avait des « couleurs gravement chastes » (Goncourt, Man. Salomon,1867, p. 161). 2. [Le subst. qualifié désigne un comportement] Qui donne l'impression attristante d'être effectué avec beaucoup d'effort et de difficulté. Synon. douloureux.Elle parla d'une voix pénible, la bouche amère. Quand elle était jeune, elle aurait voulu habiter au fond des bois (Zola, Pot-Bouille,1882, p. 71).Devinant que je la regardais, ma mère fit un sourire pénible et qui lui brouilla les traits (Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 37): 6. Il en est ainsi des lignes : certaines sont anguleuses, chaotiques; elles correspondraient, si on les exécutait musculairement, à des gestes pénibles, heurtés, qui, répétés, ne seraient qu'une suite de contractions et de détentes mal organisées.
Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 167. D.− [Corresp. à peine IV; le subst. qualifié désigne un processus] Vieilli. Qui rencontre des difficultés, des obstacles dans son déroulement. Un lent et pénible développement social (Comte, Philos. posit.,t. 4, 1839-42, p. 537).Les débuts de la nouvelle monarchie furent pénibles. L'émeute, d'où elle était née, pesait sur elle et demandait son salaire (Bainville, Hist. Fr.,t. 2, 1924, p. 168): 7. La circulation [des marchandises et de la monnaie] est pénible là où une industrie imparfaite ne sait créer que des produits de peu d'usage ou trop chers, là où des impôts lourds et nombreux renchérissent les produits et obligent la plupart des consommateurs à s'en passer.
Say, Écon. pol.,1832, p. 151. Prononc. et Orth. : [penibl̥]. Ac. 1694 et 1718 : penible; 1740 : penible mais ,,c'est un travail pénible``; dep. 1762 : pénible. Étymol. et Hist. 1. Déb. xiies. peinible « qui donne de la fatigue, qui se fait avec peine » (Benedeit, St Brendan, éd. I. Short et Br. Merrilees, 790); 2. ca 1165 penible « qui fait du mal, difficile à supporter » (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 28932). Dér. de peine*; suff. -ible*. Fréq. abs. littér. : 3 453. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 775, b) 4 135; xxes. : a) 4 848, b) 4 624. DÉR. Pénibilité, subst. fém.Caractère pénible (d'une activité, d'un travail). La pénibilité de la résistance aux inclinations naturelles du corps (Jankél., Je-ne-sais-quoi,1957, p. 256).Si l'on désire rapprocher du produit national le nombre d'hommes-journées de travail qu'il a fallu pour l'obtenir, on ne compare pas un produit à un coût correctement calculé puisque l'on ne tient pas compte de la pénibilité et de l'intensité du travail (Univers écon. et soc.,1960, p. 4-14).− [penibilite]. − 1reattest. 1952 (A. Dauzat ds Le Monde, 10 déc., p. 9, col. 1); dér. sav. de pénible, suff. -(i)té*. Cf. le m. fr. penibleté, peniblité, 2emoitié xives. ds Roques t. 1, B.N. lat. 7692 et conches 1, 6218 : penalitas, penibleté, penibilité. BBG. − Quem. DDL t. 4 (s.v. pénibilité). |