| OUVRER, verbe trans. A. − Façonner un matériau, un objet de manière à le rendre propre à être employé. Synon. travailler.Ouvrer une pièce, un produit. Ont été occupés dix-neuf charpentiers pour équarrir, ouvrer et tailler tout ledit bois en la cour de la Bastille pendant vingt jours (Hugo,N.-D. Paris, 1832, p.494).Venant s'était mis à débiter et à ouvrer de belles pièces et à y façonner toutes sortes d'objets de bois (Guèvremont,Survenant, 1945, p.140): 1. ... la fiche de fabrication (...) comprend, par pièce de l'ensemble à ouvrer, tous les renseignements concernant les opérations classées dans un ordre rationnel.
Villemer,Organ. industr., 1947, p.40. − Empl. abs. Les uns s'ingénient à bien acheter, d'autres à bien ouvrer, les derniers à bien vendre (Wilbois,Comment fonct. entr., 1941, p.6). B. − En partic. 1. Orner du linge (de broderies) par des travaux d'aiguille. Autour d'elle, de nombreux morceaux de toile taillés me dénoncèrent ses occupations habituelles, elle ouvrait du linge (Balzac,Gobseck, 1830, p.397). 2. Garnir d'ornements, de décorations généralement sculptés. Synon. ouvragé.L'équipe des joyeux drilles qui ont ouvré les consoles de Cervatos s'est transportée ici pour orner celles de Yermo (T'Serstevens,Itinér. esp., 1963, p.322). C. − Vx ou littér. Fabriquer, créer quelque chose par son travail. Quelques odes anacréontiques (...) ont été ouvrées fort tard à Constantinople (A. France,Génie lat., 1909, p.5).Ces sandales, je les ai ouvrées de mes propres mains (Arnoux,Juif Errant, 1931, p.116). − Ouvrer à qqc.Travailler à quelque chose. Jacques d'Arc était venu voir ce couronnement auquel sa fille avait tant ouvré (A. France,J. d'Arc, t.1, 1908, p.523). − Empl. abs. Se livrer à un travail généralement de création. Synon. travailler, oeuvrer.J'ai ouvré, j'ai agi −donc, je suis! (Valéry,Corresp.[avec Gide], 1891, p.45).Il faut tes mains libres et tête saine pour ouvrer (Rolland,C. Breugnon, 1919, p.35): 2. Il est convenu [dans les romans de Cherbuliez] que l'on va voir le monde à l'envers, et que cet envers est l'endroit. Ce sont toujours les fous qui voient juste, les fainéants qui savent ouvrer...
Veuillot,Odeurs de Paris, 1866, p.418. REM. Ouvrabilité, subst. fém.Aptitude d'un matériau à être mis en oeuvre, à être apprêté. Les ciments de laitier à la chaux [ont] des propriétés d'ouvrabilité et de facilité de mise en oeuvre très supérieures [à celles des ciments de laitier au clinker] (Cléret de Langavant,Ciments et bétons, 1953, p.128). Prononc. et Orth.: [uvʀe], (il) ouvre [u:vʀ
̥]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. a) Fin xes. intrans. «agir, opérer» (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 7: obred [parfait 3epers. du sing.]); 1121-34 ovrer (Philippe de Thaon, Bestiaire, 302 ds T.-L.); b) 1176 id. «agir, travailler» (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 5482: il oevre, et point, et taille); 2. début xiies. trans. «façonner des matériaux» ici part. passé adj. or ... uvrét «travaillé, façonné» (St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 1077); en partic. 1140 «orner du linge par des travaux d'aiguille» (Voyage de Charlemagne, éd. P.AEbischer, 430); p.ext. a) ca 1165 «décorer» (Benoît de Ste-Maure, Troie, 963 ds T.-L.); b) 1559 «travailler des objets comme un ouvrage de lingerie» vases ... ouvrez à l'antique (Amyot, P.Aem., 56 ds Littré); 3. a) 1690 bois ouvré «qui est passé par les mains de l'ouvrier» (Fur.); b) 1868 ouvrer les bois «préparer du bois en forêt pour qu'on puisse le mettre en ordre» (Littré); 4. 1690 cynégét. levriers oeuvrez (Fur.); 1771 lévriers ouvrés (Trév.). Du b. lat. operāre, lat. class. operārī
«travailler, s'occuper» lui-même dér. de opera «travail, activité», v. oeuvre; a été remplacé dep. le xviies. par travailler*, d'autant mieux que l'homon. de ouvrer et de ouvrir* à diverses formes était gênante (FEW t.7, p.366a) −oeuvrer* lui, étant encore de quelque usage, grâce à oeuvre*−; ouvrer n'a actuellement que des accept. techn. et survit dans quelques parlers de l'Est et du Nord-Est au sens de «travailler» (FEW, op. cit., p.365a). DÉR. Ouvraison, subst. fém.,text. Mise en oeuvre des soies consistant à les tordre ou à les mouliner. Ouvraison italienne, française. Aussi la soumet-on [la soie grège] dans des manufactures appelées moulines à des torsions, à des doublages qui en augmentent la solidité (moulinage de la soie ou encore ouvraison) (Doresse,Tissus fém., 1949, p.29).− [uvʀ
εzɔ
̃]. − 1resattest. 1845 «action ou manière de mettre en oeuvre les matières premières» ouvraison des soies (Besch.); p.méton. 1893 «la matière ouvrée» acheter, vendre des ouvraisons (DG); de ouvrer, suff. -aison*. BBG. −Darm. Vie 1932, p.193. _ Gemmingen Arbeit 1973, p.5, 33; pp.89-93; p.103, 118, 123. _ Elsass (A.). R. Ling. rom. 1976, t.40, p.89. _ Sain. Arg. 1972 [1907], p.126. |