| OUTIL, subst. masc. A. − 1. a) Objet fabriqué, utilisé manuellement, doté d'une forme et de propriétés physiques adaptées à un procès de production déterminé et permettant de transformer l'objet de travail selon un but fixé. Synon. appareil, instrument, ustensile.Maman Fipart avait sous son lit une caisse dans laquelle se trouvaient divers objets (...); parmi eux, Rocambole trouva cet outil qu'on nomme une tarière, sorte de grosse vrille qui fait un trou de la dimension d'un goulot de bouteille environ (Ponson du Terr., Rocambole, t.5, 1859, p.331): 1. L'outil n'est pas seulement le matériau adéquat ramassé ici ou là, dans la forme que lui a donnée la nature et les circonstances, c'est une matière préparée pour l'usage qu'on veut en faire, une forme raisonnée.
Gilleds Hist. des techn., 1978, p.143 (Encyclop. de la Pléiade). − P.métaph. C'est un fameux outil, que la main d'un ouvrier! Mais le cerveau de l'homme est un outil plus merveilleux encore (A. France, Servien, 1882, p.85). − Proverbes. Les mauvais ouvriers ont toujours de mauvais outils (v. ouvrier B 1); var.: à méchant ouvrier, point de bon outil; un méchant ouvrier ne saurait trouver de bon outil (ds Rey-Chantr. Expr. 1979). − Loc. Outil qui branle dans le manche, au manche (v. manche1). − Au plur. Synon. de outillage (v. ce mot A 1), de matériel.Je suis un ouvrier, disait-il qui travaille avec des outils fort peu coûteux (Fromentin, Dominique, 1863, p.150). Rem. 1. Sur l'emploi de machine pour outil, v. machine (I A 1 f rem.). 2. Outil et instrument impliquent l'idée d'une utilisation manuelle. L'instrument suppose des qualités de précision qui ne sont pas exigées de l'outil, lequel est utilisé pour effectuer des travaux simples dans des métiers manuels. Les domaines (arts, sciences, etc.) dans lesquels l'instrument est utilisé lui confèrent un caractère de noblesse et d'intellectualité. SYNT. Outil en/d'acier, de bois, de fer, d'ivoire, de métal, d'os, de pierre; outil d'arpenteur, de bijoutier, de boucher, de brodeur, de charpentier, de ciseleur, de cordonnier, de graveur, de maçon, de menuisier, de mineur, d'orfèvre, de plombier, de sculpteur, de serrurier, de taillandier, de tonnelier; outil de jardinage, de labourage; outil à affûter, aléser, biseauter, chanfreiner, couper, découper, estamper, fileter, forer, frapper, mortaiser, planer, profiler, raboter, rainurer, tronçonner; outil de coupe, de découpe, de forme, d'alésage, d'ébauche, d'emboutissage, de rabotage; outil à/pour travailler l'acier, le bois; outil coupant, émoussé, épointé, pointu, tranchant; outil composé, différencié, primitif, simple, spécialisé, universel; outil écaillé, façonné; outil à percussion (directe, indirecte, oblique, perpendiculaire); outil taillé; outil sur nucléus*; fil, manche, pièces, pointe, tranchant d'un outil; baraque, boîte, cabane, caisse, coffre, planche, remise, resserre, sac, trousse à outils; panoplie, ratelier d'outils, jeu, série d'outils; affiler, affûter, aiguiser, fabriquer, façonner, forger, manier, polir, raffûter, ranger, tenir un outil; se servir d'un outil. b) En partic. Pièce travaillante incorporée à une machine, à un appareil complexe; p.méton. la machine, l'appareil. Dans le clair-obscur de l'atelier, la poussière blonde s'envolait de son outil, comme une aigrette d'étincelles sous les fers d'un cheval au galop; les deux roues tournaient, ronflaient (Flaub., MmeBovary, t.2, 1857, p.159).La plus grande profondeur qu'un outil de sondage ait encore atteinte n'est guère que de 2000 mètres (Lapparent, Abr. géol., 1886, p.1).Dans le cas de trous horizontaux ou de trous en remontant, l'outil foreur [d'une soudeuse à bras] est monté à la suite de rallonges hélicoïdales (J. Cahen, Bruet, Carrières, 1926, p.42). ♦ Machine-outil. V. machine I A 1 b. c) Outil de travail. Éléments d'un capital considérés par le fisc comme indispensables à l'exercice d'une activité économique légalement reconnue et qui ne peuvent être saisis. Défense de l'outil de travail. La forme actuellement retenue qui permettrait d'imputer sur l'impôt dû au titre de l'outil de travail, les investissements réalisés présente de multiples inconvénients: (...) elle conduira à une définition extensive de l'outil de travail et vont rapidement naître différentes revendications concernant les terres agricoles, les bois et forêts, l'immobilier, les obligations comme certains types de placements financiers (Écon. et Pol., no54, oct. 1981, p.47). 2. Objet naturel permettant à certains animaux évolués d'accomplir des opérations fondamentalement instinctives. Synon. instrument.Sont des outils: le grain de sable jeté par le Fourmillion sur sa proie, la larve sécrétant de la soie dont la Fourmi oecophylle [s.v. phyll(o)-, -phylle1] se sert comme d'une navette pour coudre les feuilles qui constitueront son nid (...), le bâton brandi par un chimpanzé pour abattre des fruits, etc. (Thinès-Lemp.1975): 2. Rappelons seulement que la vie est un certain effort pour obtenir certaines choses de la matière brute, et qu'instinct et intelligence (...) sont deux moyens d'utiliser à cet effet un outil: dans le premier cas, l'outil fait partie de l'être vivant; dans l'autre, c'est un instrument inorganique, qu'il a fallu inventer, fabriquer, apprendre à manier.
Bergson, Deux sources, 1932, p.122. − Organe naturel d'un animal lui permettant d'effectuer des opérations. Nulle boutique de coutelier pour la chirurgie, avec les milliers d'instruments effrayants de l'art moderne, ne peut se comparer aux monstrueuses armures des insectes des tropiques, aux pinces, aux tenailles, aux dents, aux scies, aux trompes, aux tarières, à tous les outils de combat, de mort et de dissection, dont ils vont armés en guerre, dont ils travaillent, percent, coupent, déchirent, divisent finement (Michelet, Oiseau, 1856, p.79): 3. Dans beaucoup d'organismes (...) il existe de petits outils parfaitement ajustés, dont les pièces constituantes, comme celles du bouton-pression des crabes, se forment séparément au cours du développement embryonnaire. Pour Cuénot, tous ces petits outils biologiques témoignent d'une sorte de finalité immanente, ils attestent l'exercice d'un «quelque chose»...
J. Rostand, La Vie et ses probl., 1939, p.181. 3. P.ext. a) Objet quelconque que l'on ne peut ou ne veut pas nommer précisément. L'homme escaladait de nouveau la grille, ses «outils» sous la veste, les poches gonflées, des «fafiots» noués dans un pan de chemise (Carco, Jésus-la-Caille, 1914, p.54).C'est pas très marrant d'avoir à se mettre un bouchon chaque fois qu'on baise (...). C'est une Wac qui m'a fait cadeau de ce machin-là. Oh! c'est mignon tout plein, on dirait un petit chapeau melon; seulement pour s'installer ça convenablement, on a besoin d'une espèce d'outil en verre: j'appelle ça la brosse à dents (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.350). b) En partic. − FR.-MAÇONN., au plur. Ustensiles de la table (truelle, triangle et marteau). [L'emblémature] du roi Numa remettant les outils maçonniques aux architectes militaires des légions qui prêtaient serment (Adam, Enf. Aust., 1902, p.118). − Arme à feu ou arme blanche. Pose là ton outil [un pistolet]. Bien. Sors l'autre aussi (Morand, Eur. gal., 1925, p.97).−Je croyais que le sabre était votre arme préférée, vous usez quelquefois du pistolet? −Quand le jeu n'en vaut pas la chandelle. Le sabre est un hommage. Il laisse une chance. Ces outils n'en laissent pas (Giono, Bonheur fou, 1957, p.287). ♦ Vieilli. Outil de mort. Les officiers de hussards bleus, qui traînaient avec arrogance leurs grands outils de mort sur le pavé, ne semblaient pas avoir pour les simples citoyens énormément plus de mépris que les officiers de chasseurs (Maupass., Contes et nouv., t.2, Boule de suif, 1880, p.117) B. − Au fig. et p.métaph. 1. a) Moyen; ce qui permet d'obtenir un résultat, d'agir sur quelque chose. Synon. instrument.L'outil informatique. Un Dictionnaire n'est pas un livre: c'est un instrument, un outil pour faire des livres ou toute autre chose (Delacroix, Journal, 1857, p.26).Rodrigue (...) mettant patiemment de l'ordre dans les pensées confuses de l'adolescence, pour se faire une conception du monde, c'est-à-dire un outil pour dominer le monde (Vailland, Drôle de jeu, 1945, p.65).La classe dirigeante (...) a compris que ses principes religieux et politiques étaient les meilleurs outils pour asseoir sa puissance (Sartre, Sit.III, 1949, p.144): 4. ... quand l'ouvert et le fermé vont jouer métaphoriquement, devons-nous durcir ou adoucir la métaphore? Répéterons-nous, dans le style du logicien: il faut qu'une porte soit ouverte ou fermée? Et trouverons-nous dans cette sentence un instrument d'analyse vraiment efficace pour une passion humaine? En tout cas, de tels outils d'analyse doivent être, en chaque occasion, affûtés.
Bachelard, Poét. espace, 1957, p.199. − [En parlant d'une pers. ou d'un groupe de pers.] Ce dont il souffrait surtout, dans son écrasement, dans sa déchéance d'homme déjeté sous la meule, devenu un simple outil, c'était d'avoir gardé la conscience obscure qu'il aurait pu être une intelligence (Zola, Travail, t.1, 1901, p.214).L'homme n'est plus, s'il est du parti, qu'un outil au service du Fürher, un rouage de l'appareil (Camus, Homme rév., 1951, p.228): 5. ... l'outil que les mains d'Hindenburg et de Ludendorff maniaient au printemps de 1918 apparaissait par son matériel et l'instruction de la troupe comme un instrument de combat dont la mise au point et la trempe ne laissaient rien à désirer. Chaque soldat allemand était convaincu qu'il allait livrer et gagner les grandes batailles pour la paix. Confiant dans cet outil excellent, la direction suprême allait l'appliquer à un but stratégique dont elle espérait des résultats aussi rapides que décisifs.
Foch, Mém., t.2, 1929, p.6. b) LING. Outil grammatical [P.oppos. à mot plein, mot de signification] Signe linguistique plus ou moins vide de sens. Synon. mot-outil (infra).Noms et verbes représentent les éléments vivants du langage par opposition aux outils grammaticaux (prépositions, conjonctions, articles ou pronoms) (J. Vendryes, Le Lang., 1968 [1923], p.153). 2. Pop. et fam. Personne gauche, maladroite, intellectuellement limitée. Tu ne vois pas que je viens chercher mes étrennes? Faut-il te le hurler pour que tu le comprennes? Outil! Fourneau! Paquet! Tête à poux! (Courteline, Vie mén., Droit aux étrennes, 1896, p.90).Je ne sais pas pourquoi je m'esquinte après cet outil [le Vieux Troglodyte]: quand je lui parle de Chaliapine, il croit que je lui dis des cochonneries! (Colette, Vagab., 1910, p.152). 3. Pop. Synon. de pénis, membre* viril.Le petit rieur a montré son petit outil qui refera tout. Et, de même, à l'autre fenêtre, le petit pisseur, admiré de la laide petite fille qui n'en rit pas moins et dit: je suis fendue; donc c'est pour moi (Michelet, Journal, 1857, p.369). REM. Mot-outil, subst. masc.,ling. [P.oppos. à mot plein, mot de signification] Signe linguistique plus ou moins vide de sens. Tandis que les mots de structure ou mots-outils, sémantiquement «vides», (articles, prépositions, pronoms, etc.: le, de, il, ce, qui...), au nombre d'une centaine, sont les plus fréquents (...), les mots de signification, ou mots «pleins» se répartissent en trois catégories (H. Mitterand, Les Mots fr., Paris, P.U.F., 1965, p.15).L'attitude la plus simple consiste à reprendre telles quelles les catégories de la grammaire traditionnelle, les mots forts comprenant les verbes, substantifs, adjectifs et adverbes, et les mots-outils englobant tout le reste: articles, conjonctions, prépositions et pronoms (Ch. Bernet, Le Vocab. des tragédies de Jean Racine, Genève, Slatkine, 1983, p.20). Prononc. et Orth.: [uti]. Att.ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. Début du xiies. ustilz «équipement, objets nécessaires qu'on embarque pour un voyage» (S. Brendan, éd. I. Short et Br. Merrilees, 179); 2. 1174 «objet fabriqué qui sert à faire un travail» (Guernes de Pont-Sainte-Maxence, S. Thomas, 5408 ds T.-L.); 3. xiiies. «membre viril» (Fabliaux, éd. A. de Montaiglon et G. Raynaud, t.1, p.235); 4. av. 1272 fig. «moyen d'action» (Jean Bretel, Jeux-partis, éd. A. Långfors, 41, 45); 5. av. 1615 «personne qui sert d'instrument, d'exécutant à une autre» (E. Pasquier, Recherches de la France, 396, 412); 6. 1808 «personne maladroite, inefficace» (Hautel). Du b. lat. *ŭsitīlium, sing. de *ŭsitīlia, plur. neutre, altération du lat. class. ūtensilia «objets nécessaires, meubles, ustensiles», dér. de ūti «se servir de, employer». Un croisement de ūtensilia avec ūsāre «employer» (v. user) rend compte du -s- de *ŭsitīlia, mais le passage ūMŭ
reste inexpliqué (cf. cependant Fouché, pp.184-185). Les formes b. lat. en os- sont att. dès le viiie-ixes., v. FEW t.14, p.88a. Fréq. abs. littér.: 1188. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 712, b) 1746; xxes.: a) 1653, b) 2514. Bbg. Comte (H.). Philos. de l'outil. Thèse, Paris-Sorbonne, 1980, pp.38-44. |