| OPINION, subst. fém. I. A. − 1. Manière de penser sur un sujet ou un ensemble de sujets, jugement personnel que l'on porte sur une question, qui n'implique pas que ce jugement soit obligatoirement juste. Synon. avis, sentiment.Je n'arrive pour le moment à aucune opinion ou plus exactement à aucun sentiment personnel précis et stable concernant l'homme (Du Bos, Journal,1924, p.58).Le plus haut point d'un être en est donc aussi le plus éloigné, −c'est-à-dire, le plus imprévu de lui-même. Cette opinion n'est pas toute fausse; c'est en quoi elle est redoutable (Valéry, Variété III,1936, p.22): 1. Si j'ai encore un conseil à vous donner, mon ange, c'est de ne pas plus tenir à vos opinions qu'à vos paroles. Quand on vous les demandera, vendez-les. Un homme qui se vante de ne jamais changer d'opinion est un homme qui se charge d'aller toujours en ligne droite, un niais qui croit à l'infaillibilité.
Balzac, Goriot,1835, p.130. SYNT. Se faire, se forger, se former une opinion; avoir une opinion; conserver, garder ses opinions; affirmer, changer, modifier son opinion; formuler, professer, soutenir une opinion; dire, donner, faire connaître, émettre, exprimer, montrer son opinion; avoir le courage, la franchise de ses opinions; cacher, confirmer, défendre une opinion; opinion conformiste, sincère; opinion intime, personnelle, privée; fluctuation, revirement d'opinion; demander à qqn son opinion; faire cas, tenir compte d'une opinion; accréditer, adopter, appuyer, embrasser, flatter, partager, soutenir l'opinion de qqn; réfuter, repousser, vaincre l'opinion de qqn ; influer sur l'opinion de qqn; opinions contradictoires, convergentes, différentes, divergentes; choc, conflit, convergence, divergence, diversité d'opinions. 2. Opinion + adj.Jugement, manière de penser dénotant une orientation particulière. a) [Jugement ayant une valeur d'affirmation] Opinion autoritaire, arrêtée, tranchée. Tout est embrouillé et sophistiqué dès le principe, et on ne peut plus se faire, sur tous ces objets, que des opinions arbitraires et incohérentes (Destutt de Tr., Comment. sur Espr. des lois, 1807, p.289).S'il fallait se résumer, exprimer une opinion définitive, je me hâterais de dire que le dix-huitième siècle me paraît un des plus grands siècles de l'histoire (Guizot, Hist. civilis.,1828, leçon 14, p.39). b) [Jugement ayant une valeur de doute] Opinion flottante, fluctuante, incertaine, spéculative. Ces questions ne reposaient pas sur des idées vagues ou des opinions oiseuses, le personnage les appuyait sur des faits positifs (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.186).Je n'ignore point ce que disait Goethe: «Si j'écoute l'opinion d'autrui, je veux qu'elle soit exprimée d'une manière positive, car j'ai assez d'opinions problématiques» (Barrès, Voy. Sparte,1906, p.66). c) [Jugement ayant une valeur d'erreur] Opinion fausse. Mais, cher Camille, si tu prends la peine d'examiner cette foule d'opinions erronées et absurdes qui déparent les sciences exactes elles-mêmes; (...) tu seras surpris de la confiance de ces messieurs dans les lumières du siècle (Marat, Pamphlets,Charlatans mod., 1791, p.259). d) [Jugement ayant une valeur de préjugé, de parti pris] Opinion admise, courante, dominante, reçue, répandue. Il était même capable de ne pas avoir en musique des opinions toutes faites, et de porter sournoisement un coup de pioche aux réputations usurpées des grands hommes du jour (Rolland, J.-Chr.,Adolesc., 1905, p.365): 2. Une des conditions de l'expérience doit être d'ignorer, pendant le mesurage de la tête, quels sont les plus intelligents et quels sont les moins intelligents, de manière que l'opinion préconçue que les plus intelligents doivent avoir la tête plus développée ne vienne pas altérer involontairement les résultats de la recherche.
Hist. instit. et doctr. pédag.,1912, p.397. 3. [Gén. avec une connotation péj.] a) Opinion de + subst. (désignant une catégorie sociale ou professionnelle à laquelle on prête de manière réductrice ou abusive un type de jugement ou de pensée particulier).J'ai sûrement des moeurs infâmes et je ne sors pas des cafés, estaminets, etc..., telle est l'opinion du bourgeois sur mon compte (Flaub., Corresp.,1841, p.89): 3. louisa: Je trouve qu'on fait beaucoup de chichi pour cette fleur-là. (...) mais, depuis que j'en vois tant, je trouve que ça fait encore bien mieux sur les robes de mariage. irène: C'est une opinion de couturière qui a sa poésie.
H. Bataille, Maman Colibri,1904, III, 1, p.20. b) Opinion de + subst. (désignant un lieu, une époque, un milieu auquel s'attache des idées, un mode de pensée particulier).Ce sont des opinions de salon, qui ne sauraient aller au grand air (Estaunié, Empreinte,1896, p.164).Ce général représente actuellement sous la république les opinions d'ancien régime les plus caractérisées (Clemenceau, Iniquité,1899, p.418). B. − 1. Point de vue, position précise que l'on a dans un domaine particulier: social, religieux, politique, intellectuel. Synon. idée, théorie, thèse.Opinions philosophiques, religieuses. Aujourd'hui, elle ne lit pas plus, mais elle a des opinions littéraires, prises dans les bas petits journaux. Un déplorable progrès! (Goncourt, Journal,1866, p.300).L'égalité devant la fonction publique est assurée conformément au préambule de la constitution quelles que soient les opinions politiques des intéressés (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr.,1967, p.236): 4. Mmede Villeparisis regretta qu'il eût dit cela aussi tout haut, mais n'y attacha pas grande importance quand elle vit que l'archiviste, dont les opinions nationalistes la tenaient pour ainsi dire à la chaîne, se trouvait placé trop loin pour avoir pu entendre.
Proust, Guermantes 1,1920, p.219. SYNT. Afficher ses opinions; opinions modérées, conservatrices, libérales, révolutionnaires, républicaines; la couleur, la teinte d'une opinion. ♦ Journal, organe, presse d'opinion. Publication ou ensemble de publications qui se situe dans une ligne politique, intellectuelle déterminée par opposition à une publication d'information. On reconnaît qu'un journal doit vivre, et qu'il doit faire comme les autres; or l'organe d'opinion a dû céder le pas à l'organe d'amusement, lequel se transforme de plus en plus en organe commercial (Civilis. écr.,1939, p.38-16). ♦ Liberté d'opinion. Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions (Déclar. univ. Dr. Homme,1949, p.6). ♦ Délit d'opinion. Délit qui consiste à propager une idée politique considérée comme pouvant porter atteinte à l'ordre public. À défaut de la raison qu'on ne peut convaincre, on cherche à soulever les passions; au délit de la loi qu'on ne peut établir, on s'efforce de substituer le délit d'opinion. Ce n'est point ainsi que procédera la défense (Courier, Pamphlets pol.,Procès, 1821, p.107).Pour opinion (vieilli). Pour avoir exprimé des idées contraires à une certaine idéologie. Si tu avais un peu de sérieux, si tu ne riais pas de la moindre sottise, tu pourrais être dans le salon de ton père, et même ailleurs, un des meilleurs élèves de l'École polytechnique, éliminés pour opinion (Stendhal, L. Leuwen,t.1, 1835, p.14). 2. Vx. Discours, écrit destiné à soutenir une idée politique, une idéologie. Lorsque cet opinant termina son opinion, en proposant l'ajournement pour 1797, je crus que ce n'était qu'une agréable raillerie (Le Moniteur,t.2, 1789, p.392).Je suis agité de craintes, n'osant produire l'opinion sur la liberté de la presse que j'ai fait imprimer (Maine de Biran, Journal,1817, p.98). C. − Avis, jugement qu'une personne émet à la suite d'une délibération. Quelques jours après que les nobles vieillards eurent recueilli les opinions et mûri leurs idées, le conseil fut convoqué de nouveau (Baudry des Loz., Voy. Louisiane,1802, p.38). − Vx. Suffrage, vote. J'avais dîné chez elle avec plusieurs personnes dévouées au parti de Necker, et ardentes à soutenir le doublement du tiers, et l'opinion par tête (Sénac de Meilhan, Émigré,1797, p.1581). − Partage d'opinions. Absence de majorité au cours d'une délibération. Les dépêches de Vienne firent connaître les insinuations et les désirs de cette cour. Il y eut partage d'opinions: l'alliance de la Russie, celle de la Saxe, celle de l'Autriche, furent appuyées (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.2, 1823, p.68). D. − Jugement de valeur que l'on porte sur quelqu'un, sur quelque chose. Méchante, mauvaise, pauvre, piètre, triste opinion; haute opinion; opinion favorable, défavorable; remonter, déchoir dans l'opinion de qqn. Après avoir jeté sur moi un de ces regards par lesquels les femmes complètent leur opinion sur un homme (Dumas fils, Dame Cam.,1848, p.85).Tu crois que ma mère me défendrait de partir? Tu as une riche opinion d'elle (Montherl.,Exil,1929, i, 5, p.46). − Opinion de soi. Jugement que l'on porte sur soi-même. L'homme donc s'aime d'autant plus qu'il le mérite moins, et son opinion de lui-même grandit avec son insignifiance (Amiel, Journal,1866, p.72).Ces succès confirmaient la bonne opinion que j'avais de moi, ils assuraient mon avenir, je leur accordais une grande importance et je n'aurais voulu pour rien au monde y renoncer (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p.243). E. − Spécialement 1. GRAMM. Verbe d'opinion. Synon. de déclaratif. 2. PHILOS., LOG. a) État d'esprit qui consiste à reconnaître le caractère subjectif de la connaissance que l'on a d'une chose, en inclinant à penser que cette connaissance se rapproche de la vérité tout en admettant qu'on se trompe peut-être. Les faits observés à plusieurs reprises par des hommes en état de les voir sous toutes leurs faces, une fois qu'ils sont bien constatés et bien décrits, sortent du domaine de l'opinion pour entrer dans celui de la vérité (Say, Écon. pol.,1832, p.44).Une opinion est un choix que l'on fait en ne connaissant qu'une partie des choses, en supposant qu'on en voit le tout et le tout des conséquences (Valéry, Mauv. pens.,1942, p.179): 5. Il est donc essentiel à la certitude de s'établir sous bénéfice d'inventaire et il y a une opinion [it. ds le texte] qui n'est pas une forme provisoire du savoir, destinée à être remplacée par un savoir absolu, mais au contraire la forme à la fois la plus ancienne ou la plus rudimentaire et la plus consciente ou la plus mûre du savoir, −une opinion originaire dans le double sens d'«originelle» et de «fondamentale».
Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p.454. b) Hypothèse non vérifiée. Cet esprit nouveau [de l'éclectisme] introduit dans les sciences naturelles, a remplacé le règne des opinions par celui des observations, et leur a fait parcourir en cinquante ans plus de chemin qu'elles n'en avaient fait depuis l'origine du monde (Jouffroy, Mél. philos.,1833, p.279).Parmi les plus célèbres représentants de l'école thomiste jusqu'au XIXesiècle, citons, depuis Cajétan (...): Jean de Saint-Thomas (...); Salmanticenses, qui citent en faveur de l'opinion de la causalité physique tous les anciens tenants de la causalité efficiente dispositive (Théol. cath.t.14, 11938, p.617). 3. THÉOL. Opinion probable. Opinion qui s'appuie sur quelque raison sérieuse, même s'il y a lieu de croire que l'opinion opposée est plus fondée (d'apr. Marcel 1938). II. − Gén. au sing. A. − Jugement collectif, type de pensée, ensemble d'idées partagées par un groupe humain sur un sujet ou un ensemble de sujets. S'occuper, s'émouvoir de l'opinion d'autrui, des autres, de la foule; aller contre l'opinion de tout le quartier. Parce qu'avant tout, on tient à l'opinion de la société, et, quand on est père de famille, quand depuis quarante ans on mène une conduite irréprochable... on n'aime pas à la voir ternir (Sue, Atar-Gull,1831, p.24).L'allocution de Pétain à la L.V.F. fut peut-être de tous ses actes celui qui le condamna le plus radicalement dans l'opinion des prisonniers (Ambrière, Gdes vac.,1946, p.140).[Le timide] redoute surtout les actes qui entraînent une valorisation sociale positive ou négative, et qui impliquent la conquête de l'opinion d'autrui (Mounier, Traité caract.,1946, p.405). B. − L'opinion publique, et absol. l'opinion. Ensemble des idées et jugements partagés par la majorité des membres d'une société, en particulier en ce qui concerne le champ politique, social et culturel de cette société. Braver l'opinion. Dans toute étude du moyen âge, la foi implicite du peuple, l'adhésion unanime de l'opinion publique, donnent à toutes les traditions populaires inspirées par la religion, une force qu'il est impossible à l'historien de ne pas apprécier (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. xcvi).Mais par son universalité, par l'imprécision de ses frontières, la démographie reste méconnue. L'opinion a trop tendance à la confondre avec la statistique (Hist. sc.,1957, p.1622): 6. ... l'inqualifiable ordonnance Gisquet, qui enjoignait aux médecins de dénoncer les blessés, ayant indigné l'opinion, et non seulement l'opinion, mais le roi tout le premier, les blessés furent couverts et protégés par cette indignation...
Hugo, Misér.,t.2, 1862, p.596. − En partic. Ensemble des attitudes morales, intellectuelles et sociales dominant dans une société, dans la manière dont elles se manifestent, s'appréhendent ou s'évaluent. Mouvement, revirement d'opinion. Il faut en rendre grâce aux découvertes de Freud. Sur la foi de ces découvertes, un courant d'opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l'explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations (Breton, Manif. Surréal.,1erManif., 1924, p.23).La société inorganisée ignore ses propres désirs et prie le législateur de sonder l'opinion et de découvrir ses besoins pour pouvoir ensuite les administrer et les satisfaire (David, Cybern.,1965, p.82). ♦ Sondage* d'opinion. − SOCIOL. POL. Forme particulière de pensée, prise de position morale et intellectuelle d'une société, d'un groupe social, professionnel ou ethnique en tant que force de pression. Opinion mondiale, internationale; opinion civile; opinion morale, ouvrière. L'Évangile nous montre partout le peuple imbu de l'idée du grand Sabbat divin (...). Seulement on distingue encore fort clairement, dans l'opinion populaire signalée par l'Évangile, les trois nuances que nous avons marquées plus haut (P. Leroux, Humanité,1840, p.754).Bien moins raisonnables sont parfois des opinions nationales volontiers chauvines, surexcitées par la presse des démagogues ignares (Jeux et sports,1967, p.1231): 7. En déployant un paternalisme d'avant-garde, le Chancelier de Fer visait à prévenir les exigences d'un socialisme menaçant; son but était de rallier l'opinion d'une classe laborieuse, arbitre de l'équilibre politique intérieur et principal agent de l'essor économique de l'Allemagne impériale.
Bariéty, Coury, Hist. méd.,1963, p.797. Prononc. et Orth.: [ɔpinjɔ
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. a) Ca 1200 «sentiment que l'on a de quelque chose» (Dialogue Grégoire, éd. W. Foerster, p.27); b) 1538 «jugement (bon ou mauvais) porté sur une personne ou une chose» (Est.); c) ca 1590 opinion publique (Montaigne, Essais, I, 23, éd. Villey-Saulnier, t.1, p.117). Empr. au lat. opinio (de opinari, v. opiner) «conjoncture, croyance, idée qu'on se fait d'une chose». Fréq. abs. littér.: 9576. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 23038, b) 10510; xxes.: a) 9845, b) 9512. Bbg. Dub. Pol. 1962, pp.355-356. _ Gohin 1903, p.291, 338. _ Landowski (E.). L'Opinion publ. et ses porte-parole. Doc. Gr. Rech. sémio-ling. 1980, no12, pp.5-35. _ Quem. DDL t.11. _ Ranft 1908, p.54. _ Vardar Soc. pol. 1973 [1970], pp.275-276. |