| NÉGATION, subst. fém. I. − Action de nier; résultat de cette action. A. − [Le compl. en de désigne qqc. d'abstr. ou de concr.] 1. Action de nier l'existence de quelqu'un ou de quelque chose, ou de la remettre en cause; résultat de cette action. La fonction de la négation varie suivant la nature de l'objet considéré; entre les réalités pleinement positives (...) et celles dont la positivité n'est qu'une apparence qui dissimule un trou de néant tous les intermédiaires sont possibles (Sartre, L'Être et Néant, Paris, Gallimard, 1976 [1943], p.56).J'accueillis fort mal cette déclaration qui me semblait contenir, tout à la fois, la négation d'un engagement de l'Angleterre et l'intention d'un marchandage dont nous aurions à faire les frais (De Gaulle, Mém. guerre, 1956, p.33): 1. La négation du progrès, l'affirmation que la barbarie des coeurs n'a jamais été pire est un thème naturel chez les mécontents et les poètes, et peut-être est-il lui-même nécessaire au progrès...
Benda, Trahis. clercs, 1927, p.244. − PSYCHIATRIE, PSYCHANAL. Mécanisme de défense de l'individu qui consiste à nier l'existence d'un fait. Phénomène courant de la négation de la différence des sexes qui apparaît comme une défense (...) contre les désirs dangereux qui pourraient naître dans le groupe et le mettre à mal (A. Mucchielli, Les Mécanismes de défense, Paris, P.U.F., 1981, p.43). ♦ Délire de négation. État d'un malade qui nie l'existence de ses organes et de son corps et auquel peut s'associer un certain nombre d'idées morbides: 2. ... le délire systématique secondaire le plus caractéristique de la mélancolie, est le délire de négation ou syndrome de Cotard. Il comprend dans sa forme typique des idées de négation (le malade nie l'existence de ses organes, il arrive même à nier l'existence de son corps, de ses parents, de ses amis, de la mort, des lieux, du temps, du monde), auxquelles s'associent des idées d'immortalité (il se croit condamné à ne pas mourir pour souffrir éternellement) et des idées d'énormité (il prétend, par exemple, que son corps s'enfle démesurément et envahit l'univers).
H. Ey, P.Bernard, Ch. Brisset, Manuel de psychiatrie, Paris, Masson, 1978, p.267. 2. Fait d'entrer en contradiction avec l'existence de quelqu'un ou de quelque chose. La seconde conséquence importante des principes directeurs de la réforme de l'enseignement est la nécessité de prévoir tout un ensemble de mesures de justice sociale, dont l'absence serait la négation de toute réforme (Hist. instit. et doctr. pédag., 1947, p.434). − P.méton. Ce qui entre en contradiction avec quelque chose, ce qui le nie. Au cours de l'histoire les possédants créent sans cesse la classe des exploités, qui est leur négation et leur propre fossoyeur (Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p.21): 3. L'isolement est la négation de la vie, puisque la vie est un mouvement spontané, et que le mouvement suppose des relations; bien plus encore est-il la négation de l'ordre, de l'harmonie, de la beauté, de toute perfection et de toute béatitude, puisqu'aucune de ces choses ne saurait se concevoir sans la double idée de pluralité et d'unité.
Lacordaire, Conf. N.-D., 1848, p.197. − Rare. Ce qui se nie soi-même. Je vous avoue que l'horrible ne m'a jamais causé une émotion. Les extrêmes poussés au delà m'ont toujours paru des négations (Loti, Journal, 1878-81, p.217). B. − [Le compl. en de désigne une proposition, un jugement, un propos] Action de ne pas en reconnaître la vérité; résultat de cette action. Le littérateur moderne condamne l'idée nette au nom de la croyance qui veut que la pensée n'avance que par contradiction à elle-même, notamment par le procédé de la «dialectique hégélienne», où l'idée A coexiste nécessairement avec sa négation non-A, laquelle, en se niant à son tour (la «négation de la négation»), susciterait l'idée nouvelle et plus proche de la vérité, B (Benda, Fr. byz., 1945, p.40): 4. ... remarquons que nier consiste toujours à écarter une affirmation possible. La négation n'est qu'une attitude prise par l'esprit vis-à-vis d'une affirmation éventuelle... si je dis «cette table n'est pas blanche», je n'exprime sûrement pas quelque chose que j'ai perçu, car j'ai vu du noir, et non une absence de blanc. Ce n'est donc pas , au fond, sur la table elle-même que je porte ce jugement mais plutôt sur le jugement qui la déclarerait blanche.
Bergson, Évol. créatr., 1907, p.287. ♦ LOG. CLASS. Opération par laquelle une proposition devient fausse si elle était vraie, ou vraie si elle était fausse. Toute proposition équivaut à la négation de sa négation... En outre, la négation de P, la négation de l'affirmation de P, l'affirmation de la négation de P s'équivalent (J. Chauvineau, La Log. mod., Paris, P.U.F., 1957, p.20).L'opérateur de négation s'inscrit dans un modèle logique binariste où le vrai et le faux sont des entités absolues et exclusives (R. Martin, Inférence, anton. et paraphrase, Paris, Klincksieck, 1976, p.60). − Refus de quelque chose, réponse négative. Écrivez-moi promptement oui ou non à ce sujet, car, en cas de négation, je fais une édition à 12 ou 20 exemplaires, pour mes amis (Balzac, Corresp., 1832, p.180).La pauvre fille eut le coeur brisé par cette parole; elle leva les yeux sur le prêtre et fit un signe de négation (Balzac, Splend. et mis., 1844, p.46).Synon. de dénégation.Le pape Léon XII n'a d'abord point tenu compte de la négation du criminel (Delécluze, Journal, 1826, p.314). − Fait de ne pas reconnaître le bien fondé de quelque chose, de le nier, ou, p.méton., ce qui le nie. La médecine expérimentale est la négation des systèmes et doctrines médicales. Je dis en outre que la médecine est la négation formelle de toutes les doctrines (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p.29).Les stances, qui ont été saluées comme la négation du symbolisme et comme un retour authentique à l'art classique, ne sont-elles pas au contraire l'expression même de ce que le symbolisme comportait d'échec devant les sentiments profonds et les grandes idées humaines (Thibaudet, Réflex. litt., 1936, p.11): 5. Il ne suffit pas de condamner théoriquement l'antisémitisme, il faut savoir encore que le parti du droit et de la justice n'en peut tirer aucun profit, puisque c'est, par définition, la négation des droits de la conscience, l'affirmation du privilège, de l'intolérance et de l'iniquité.
Clemenceau, Iniquité, 1899, p.147. II. − LING. Ensemble des mécanismes linguistiques qui servent à nier. Auxiliaire ou forclusif de négation partielle, de négation totale (v. ne I B rem.); champ de la négation (v. ne I B 2 c rem. 4). Le système de la négation [du français] repose sur l'association d'un élément constant ne et d'un ou plusieurs éléments appartenant à un ensemble qu'on peut nommer, à la suite de Damourette et Pichon (...), les forclusifs: pas, plus aucun, jamais, personne, etc. (J.-C. Milner, Ordre et raisons de lang., Paris, éd. du Seuil, 1982, p.186): 6. Deux grands faits dominent le fonctionnement de la négation en français moderne et en rendent l'étude extrêmement ardue. D'abord le fait qu'en dépit du mot négation lui-même, il n'existe pas, en français, d'opposition binaire dont l'un des termes serait positif, l'autre négatif (...). Il y a donc non pas un mais des moyens d'exprimer ce qu'on appelle une négation.
O. Gaatone, Ét. descriptive du système de la négation en fr. contemp., Paris, Genève, Droz, 1971, p.8. − P. méton. Mot qui sert à nier. Hors le cas où rien, répondant à une interrogation, contient ou suppose une ellipse, nous ne pouvons employer ce mot qu'avec une négation, parce qu'il n'est point négatif, à la différence du latin nihil, qui est formé de ne et de hilum, comme nemo l'est de ne et de homo (pas un atome, pas un homme) (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.125).La négation ordinaire ne se trouve généralement accompagnée d'un des mots pas, (pas un), point, ... etc. (Grev.1975, § 875). III. − THÉOL. Raisonnement qui consiste à nier que l'on puisse concevoir Dieu en termes de qualités ou de notions tirées de l'expérience humaine et qui aboutit à affirmer que l'existence de Dieu ne peut être prouvée qu'à l'aide de preuves négatives. Toute formule théologique n'est qu'une expression chiffrée, ce qui détermine deux méthodes théologiques. L'une procède par affirmations et c'est la théologie positive: en définissant Dieu elle le limite. Il faut la compléter par la théologie négative qui procède par négations et rejette tout anthropomorphisme (Philos., Relig., 1957, p.50-15): 7. Nier Dieu comme existant (...) c'est refuser absolument de le traiter comme un objet empirique, c'est en même temps par suite nier (...) que rien dans ce qui existe puisse être incompatible avec Dieu, puisse exclure Dieu. La négation de l'existence de Dieu se convertit ainsi en l'affirmation de la puissance de Dieu comme transcendante par rapport à tout possible empirique...
G. Marcel, Journal, 1914, p.35. − PHILOS., rare. Chose qui ne se conçoit que par des indices négatifs. L'organisation [de la matière vivante] ne sera donc étudiable scientifiquement que si le corps organisé a été assimilé d'abord à une machine (...) la matérialité de cette machine ne représente plus un ensemble de moyens employés, mais un ensemble d'obstacles tournés: c'est une négation plutôt qu'une réalité positive (Bergson, Évol. créatr., 1907, p.94). Prononc. et Orth.: [negasjɔ
̃]. Ac. 1694, 1718: negation; dep. 1740: né-. Étymol. et Hist. 1. 1174 negatiun «action de nier» (Guernes de Pont-Ste-Maxence, St Thomas, 3343 ds T.-L.); 2. 1370-72 gramm. (Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, p.332, note 2); 3.1395 «reniement» (Voyage de Jerusalem du seigneur d'Anglure, 108 ds T.-L.); 4. 1694 «absence d'une qualité dans un sujet qui n'en est pas capable» (Ac.); 5. 1907 log. supra ex. 4; 6. 1912 psychiatrie délire de négation (Garnier et Delamare, Dict. des termes techn. de méd. ds Quem. DDL t.18). Empr. au lat. negatio «négation, dénégation», «particule négative». Fréq. abs. littér.: 1009. Fréq. rel. littér.: xixes.: a)553, b) 754; xxes.: a) 1491, b) 2518. Bbg. Attal (P.). Deux niveaux de négation. Lang. fr. 1984, no62, pp.4-11. _Borillo (A.). La Négation et les modifieurs temporels. Lang. fr. 1984, no62, pp.37-58; La Négation et l'orientation de la demande de confirmation. Lang. fr. 1979, no44, pp.27-41. _Damourette (J.). Sur la négation en fr. Z. fr. Spr. Lit. 1932, t.55, pp.86-89. _Fauconnier (G.). Projection de présuppositions et application de la négation. Lang. fr. 1984, no62, pp.12-36. _Gaatone (D.). Art et négation. R. rom. 1971, t.6, pp.1-16; Ét. descriptive du syst. de la négation en fr. contemp. Genève, 1971, 238 p._Gilles (D.). De l'emploi de la négation dans la lang. fr. Bruxelles, 1877, p.132 p._Martin (R.). Le Mot rien et ses concurrents en fr. Paris, 1966, passim; La «Négation de virtualité» du moy. fr. Romania. 1972, t.93, pp.20-49. _Milner (J.). Négation métaling. et négation. métaling. Semantikos, 1977, t.2, pp.47-62. _Milner (J.-Cl.). Le Syst. de la négation en fr. Lang. fr. 1979, no44, pp.80-105. _Morel (M.-A.). Rem. sur l'emploi de la négation. Cah. Lexicol. 1980, t.37, pp.35-48. _Muller (Cl.). L'Association négative. Lang. fr. 1984, no62, pp.59-94. _Pichon (E.), Hoesli (H.). Über die Negation im Frz. Z. fr. Spr. Lit. 1930, t.53, pp.77-112. _Van Deyck (R.). La Synt. de la négation en fr. mod. Trav. Ling. Gand. 1977, no5, pp.35-60. _Zwanenbourg (W.). Négation de phrase en fr. mod. Lingua. 1977, t.42, pp.191-207. |