| NAÏF, NAÏVE, adj. et subst. I. − Adjectif A. − Vx ou littér. Originel, natif. La médiocrité naturelle et naïve est une face de la vie humaine comme une autre; elle a le droit qu'on s'occupe d'elle (Renan,Avenir sc.,1890, p.183): 1. De quel chaos l'homme est sorti, tu l'apprendras si tu ne le sais pas encore. Il en est mal sorti; de tout son poids naïf il y retombe dès que l'esprit ne le soulève plus au-dessus.
Gide,Retour enfant prod.,1907, p.482. − En partic. ♦ Vieilli. [En parlant d'une durée] Proche de l'origine du monde où la vie est d'une simplicité naturelle, sans apprêt. Dieu dans cette eau met le ciel bleu. Beaux jours! cantique des cantiques! Oh! les charmants siècles naïfs (Hugo,Chans.rues et bois, 1865, p.58).L'animal que nous poursuivons est une survivance de ces époques naïves [le lias et le crétacé] (Claudel,Soulier,1929, 4ejournée, 5, p.882). ♦ Pointe naïve. ,,Diamant qui, naturellement et sans taille, offre une forme pyramidale`` (Chesn. 1858; dict. xixeet xxes.). B. − 1. D'une simplicité naturelle, sans apprêt. a) [En parlant d'une pers.] Doux marchands, ouvriers équitables toujours, Laboureurs, si naïfs étant nés loin des cours (Sully Prudh.,Justice,1878, p.158).Ces chansons que trouvent, au soir de leur vie, les pécheurs naïfs et alcooliques, le nez sur leur absinthe mais leur âme dans les prairies de leur enfance (Brasillach,Corneille,1938, p.334): 2. ... soyez naïf dans vos sensations. Qu'avez-vous besoin de les étudier? N'est-ce point assez d'en être ému?
Fromentin,Dominique,1863, p.105. b) [En parlant d'une chose] − [En parlant d'une chose concr.] Un délicieux petit lac (...) une île bien jetée dans des eaux calmes, coquette et simple, naïve et cependant parée (Balzac,Employés,1837, p.42).Quelques raies de vignes, des haies de rosiers naïfs mais robustes rendaient la promenade aimable (Giono,Bonh. fou,1957, p.336): 3. Ici, nous sommes logés dans une grande auberge (...) vaste maison de poupée, blanche avec des volets verts (...). Le village est du dix-huitième siècle. Les petites maisons naïves sont groupées autour d'une sorte de pré communal qu'entoure une barrière blanche.
Green,Journal,1941, p.119. − [En parlant d'une chose abstr., d'un attribut d'une pers., d'une manifestation de l'esprit hum.] Amour, plaisir naïf; beauté, chanson, gaieté, grâce, joie, simplicité, tendresse naïve; manières naïves. Un andantino à quatre parties pour l'orgue. Je crois y trouver un certain caractère de mysticité agreste et naïve (Berlioz,Grotesques,1869, p.170).Entre eux (...), c'est le ciel! C'est l'estime naïve et pure! C'est le tout simple amour, avec ses ingénues tendresses (Villiers de L'I.-A., Contes cruels,1883, p.339): 4. ... la voix de M. Ouine ne semblait nullement faite pour exprimer un sentiment aussi simple, aussi naïf que celui de la surprise, d'une surprise pour ainsi dire à l'état pur, prise à sa source, sans aucun mélange de curiosité ou d'ironie.
Bernanos,M. Ouine,1943, p.233. 2. En partic. a) [En parlant d'une description, d'une oeuvre d'art, d'un moyen d'expression] Qui décrit, qui représente la réalité telle qu'elle est ou en la simplifiant, sans rechercher d'effet. Gravure, peinture naïve. Faire une description, une relation, une peinture naïve de quelque chose (Ac.). Un pinceau naïf qui se ferait scrupule de prêter à l'illusion quelque artifice imposteur (Nodier,Fée Miettes,1831, p.146).La naïve représentation du Paradis terrestre dans les Bibles illustrées que nous avons feuilletées dans notre enfance (Green,Journal,1943, p.16): 5. Il y a dans notre maison une pauvre image qui nous fut précieuse, une sorte de Calvaire des humbles emprunté à je ne sais quelle église de campagne, naïf crayonnage en couleurs qu'on croirait l'oeuvre de quelque admirable enfant.
Bloy,Journal,1900, p.11. − Art naïf. Art populaire et spontané pratiqué à partir de la fin du xixesiècle par des peintres autodidactes. P. méton. Peintre, artiste naïf. Peintre, artiste qui pratique cet art. Chez les peintres naïfs de soleils couchants, où un éventail de rayons rouges à la fois dans le ciel et sur la mer (...) traduit l'obsession insolite d'une perspective matérialisée (Gracq,Beau tén.,1945, p.93): 6. Il suffit de feuilleter n'importe quel catalogue d'exposition d'art naïf pour s'apercevoir que le répertoire naïf est exactement celui du calendrier des postes. Non pas qu'il faille incriminer ici une faiblesse à imaginer. Au contraire: l'artiste naïf porte témoignage de ce qu'il connaît et, de ce fait, s'inscrit en faux contre l'imagerie académique (...). L'artiste naïf veut montrer le vrai visage des choses.
Encyclop. univ.,t.11, 1971, p.545. ♦ Emploi subst. masc. Artiste, peintre qui pratique cet art. Nous avons découvert cet art [des fous] en même temps que celui des naïfs. Aucun grand peintre n'a comparé ceux-ci aux maîtres (...). Si leur «école» n'a pas de maîtres, elle a un style (Malraux,Voix sil.,1951, p.530). − Vieilli, emploi subst. masc. sing. à valeur de neutre. Ce qui est d'une simplicité naturelle, sans apprêt (dans une description, dans une oeuvre d'art, dans un moyen d'expression). Le naïf, en littérature, n'est pas le bas et le trivial (Ac.1835, 1878).Un rapin français s'en allant en Italie à la recherche du naïf dans l'art (Gautier,Italia,1852, p.10).Il fut un temps où dans la poésie, dans la peinture, le naïf était l'objet d'une grande recherche, une espèce nouvelle de préciosité (Baudel.,Art romant.,A. Barbier, 1861, p.532). b) Qui est préalable à tout système formalisé. La théorie naïve des ensembles (Queneau,Bâtons, chiffres et lettres,1965, p.322 ds Rob. Suppl. 1970).Une schématisation prend appui sur des données plus ou moins réelles ou plus ou moins fictives, «réel» et «fictif» étant entendu [sic] au sens le plus naïf (J.-Bl. Grize, De la logique à l'argumentation,Genève, Paris, Droz, 1982, p.197). II. − Adj. et subst. (Personne) qui fait preuve (de trop) d'ingénuité, de confiance, de crédulité. Synon. ingénu, niais (péj.); anton. malin, retors (péj.).Une personne franche et naïve (Ac.). C'est un homme naïf dont vous tirerez tout ce que vous voudrez (Ac.1935).La vente sérieuse, la dégringolade fatale de trois cents francs à quinze francs, les bénéfices énormes sur tout un petit monde de naïfs, ruinés du coup (Zola,Argent,1891, p.110).Il ne manquait pas de naïfs pour mettre en action la morale que les autres écrivaient (Rolland,J.-Chr.,Foire, 1908, p.752): 7. Comédienne naïve, elle espérait, par exemple, donner le change lorsqu'elle servait le thé tiède, en feignant de se brûler la langue.
Cocteau,Gd écart,1923, p.19. SYNT. Enfant, garçon, jeune homme naïf; jeune fille naïve; tromper un naïf, une naïve; paraître naïf/naïve, passer pour naïf/naïve; jouer les naïfs; faire le naïf, la naïve; (ne pas) être naïf/naïve au point de + inf.; (ne pas) être assez naïf/naïve pour + inf. − [P. méton.] Emploi adj. [En parlant d'un attribut d'une pers., d'une manifestation de l'esprit hum.] Qui est propre à une telle personne, qui dénote une ingénuité, une confiance, une crédulité qui peut être excessive. Leur noyau initial [des religions] (...) est constitué par les premières et naïves explications que l'homme a pu trouver aux phénomènes naturels (Martin du G.,J. Barois,1913, p.443).La recherche du bonheur dans la satisfaction du désir moral était aussi naïve que l'entreprise d'atteindre l'horizon en marchant devant soi (Proust,Fugit.,1922, p.450): 8. La négligence orgueilleuse de Lamartine prend sa source dans la naïve conviction où il est qu'un vers est beau uniquement parce qu'il est de lui.
Vigny,Journal poète,1838, p.1096. SYNT. Air, étonnement, rire, sentiment naïf; admiration, candeur, confiance, croyance, foi, ignorance, piété, question, réponse naïve; yeux naïfs. Prononc. et Orth.: [naif], fém. [nai:v]. Ac. 1694, 1718: naif, naive; dep. 1740: naïf, naïve. Étymol. et Hist. A. 1remoitié xiies. subst. «indigène, autochtone» (Ps. Cambridge, XXXVI, 35 ds T.-L.); 1155 adj. «natif de» gent naïve de (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 9966). B. 1. a) Ca 1150 «naturel» mont naïf «mont naturel [tel qu'il a été disposé par la nature]» par conséquent «ferme, solide» (Thèbes, éd. G.Raynaud de Lage, 268); ca 1160 roche näive (Eneas, 420 ds T.-L.); b) ca 1200 «qui n'a pas subi d'altération» sebelins näis et kenus (Jean Renart, Escoufle, 5785, ibid.); 2. ca 1165 «de nature, de naissance; véritable, réel» spéc. dans le syntagme fol naïs (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2577); 3. 1549 «qui imite le naturel» (Tyard, Erreurs am., III, 9 ds Hug.: Je te peindray d'un pinceau plus naïf); 1565 Beaux-Arts au naïf «exactement, de manière ressemblante» (Ronsard, Nouvelles poésies, II, Elégie, 50, éd. P. Laumonier, t.12, p.232); 1690 (Fur.: Ce peintre a fait une peinture naïve du visage de cet homme); 1845 personnages naïfs, ouvrages naïfs (Besch.); id. subst. le naïf «le genre naïf» (ibid.); 4. 1559 «dénué d'artifice, sans apprêt, naturel» grace naïve (Amyot, Hommes illustres, Alcibiade, II, éd. Gérard-Walter, t.1, p.419); 1607 «qui dit sa pensée sans détour» (Hulsius d'apr. FEW t.7, p.44b). C. 1. 1252 dame naïue «femme sotte» (Chansons et dits artésiens, éd. R. Berger, XV, 66); 2. 1642 «(d'une chose) sans finesse, démontrant une âme un peu sotte» témoignage naïf (A. Garaby de La Luzerne, Le noble campagnard, 112 ds Satires fr. du XVIIes., éd. F. Fleuret et L. Perceau, t.1, p.257); 1690 responses naïves; conte naïf (Fur.). Du lat. nativus «qui naît, qui a une naissance, un commencement; reçu en naissant, inné; donné par la nature, naturel», v. natif. Fréq. abs. littér.: 2967. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3772, b) 4167; xxes.: a) 4679, b) 4352. Bbg. Gir. 1834, p.64. _ Schmits (G.). La Peint. naïve à la rech. d'un nom. Trav. Ling. Litt. Strasbourg. 1977, t.15, pp.217-250. |