| NAPPE, subst. fém. I. A. − Linge que l'on étend sur la table pour prendre les repas. Dans la grande salle à manger fraîche, la nappe toute blanche était une joie pour les yeux, et le café au lait, très chaud, semblait exquis (Zola, Débâcle, 1892, p.401).Dans dix maisons peut-être, où les jeunes filles sont artistes, se copie la grande nappe de Cluny, avec ses quarante-huit carrés de filets, tous différents (Aragon, Beaux quart., 1936, p.10).V. damasser ex. SYNT. Nappe carrée, ovale, rectangulaire, ronde; nappe brodée, damassée, ornée de dentelles, unie, à carreaux, à fleurs, de couleur; nappe de coton, de lin, de métis, de nylon, de papier, de (grosse, fine) toile, de/en plastique; nappe de six, huit, douze, dix-huit couverts; nappe à thé; nappe couverte de miettes, tachée de vin; mettre, enlever, plier la nappe; broder une nappe. − Expressions ♦ Mettre la nappe (vieilli). Donner à dîner. Elle pensa à Marcel, chez qui elle allait; et (...) elle se demandait par quel miracle on avait mis la nappe chez lui (Murger, Scènes vie boh., 1851, p.236).La nappe est toujours mise dans cette maison. ,,On y trouve à manger à quelque heure qu'on y vienne`` (Littré). Synon. la table* est toujours mise.Il est rare qu'on n'y voie pas des paysans attablés à toute heure du jour, car la nappe y est toujours mise, soit pour les ouvriers, soit pour ces innombrables survenants (Lamart., Confid., 1849, p.64).Trouver la nappe mise (vx). Dîner chez les autres; faire un beau mariage. (Dict. xixeet xxes.). B. − P. anal., LITURG. CATH. 1. Nappe (d'autel). Linge de lin ou de chanvre dont on couvre l'autel pour la célébration des messes. Il faut fourbir les candélabres, changer la nappe d'autel, vérifier les ornements, emplir les vases de feuillages et de fleurs (Martin du G., Vieille Fr., 1933, p.1048). 2. Nappe (de communion). Linge long et étroit étendu devant les fidèles qui communient ou garnissant la balustrade de la table de communion. Quand elle pense à la religion, elle voit son église, son confessionnal, la nappe de la communion, les quelques prêtres qu'elle a connus, le livre de catéchisme où elle a étudié petite fille (Bourget, Disciple, 1889, p.75).Et devant une longue nappe, saisie, à chaque bout, par un religieux, tous s'agenouillaient pour communier (Huysmans, Oblat, t.1, 1903, p.262). C. − Spécialement 1. CHASSE. Peau du cerf que l'on étend par terre pour donner la curée aux chiens. Planterose, le vieux garde, balança longuement la tête de l'animal (...) puis il rabattit la nappe, c'est-à-dire la peau du cerf (Druon, Chute corps, 1950, p.152).[Les valets] s'affairaient déjà, détachant les cuissots, puis, quand ils eurent la nappe, dont on ne détache pas la tête, ils la placèrent sur les parties qu'on garde pour les chiens (Vialar, Rendez-vous, 1952, p.233). 2. CHASSE et PÊCHE ♦ Filet à tissu uni pour prendre le gibier à plumes. Nappes à alouettes, nappes à canards (Baudr.Chasses1834). ♦ Partie d'un filet de pêche. Les filets tramails à trois nappes qui sont utilisés au Croisic et à Bayonne pour la capture des mulets et rougets (Boyer, Pêches mar., 1967, p.50). 3. PEAUSS. Toile dans laquelle l'ouvrier roule les peaux pour les humidifier avant le dolage. (Dict. xxes.). V. doler rem. 4. TISS. Fibre textile cardée qui sort de la machine en bande continue de grande largeur et d'égale épaisseur. (Dict. xixeet xxes.). Nappe de chaîne. Ensemble des fils de chaîne placés sur le métier. Voir Thiébaut, Fabric. tissus, 1961, p.37. II. − P. anal. A. − [P. réf. à la forme et à la disposition de la nappe, à son aspect] 1. Vaste étendue d'eau, de fluide qui se trouve à la surface du sol, sous terre, dans une dépression. Immense nappe; nappe dormante, souterraine; nappe de pétrole; atteindre la nappe (souterraine). La nappe d'eau, gisante à une assez grande profondeur souterraine (Hugo, Misér., t.2, 1862, p.527).Une nappe de brouillard couvre la terre (Barbusse, Feu, 1916, p.70).La surprenante lumière qui montait chaque matin des nappes d'eau claire de la rivière les attirait longuement (Gracq, Argol, 1938, p.139).V. exhaler ex. 3. ♦ Nappe de gaz. Couche de gaz lourd qui s'étend en surface. Attaque par «nappes de gaz» que firent les Allemands dans la région d'Ypres (Joffre, Mém., t.2, 1931, p.32). ♦ Nappe de feu, de lumière. Aspect que prend une surface enflammée ou éclairée vivement. Hier soir j'ai aperçu de longues rues dallées, sans trottoirs, sous les nappes blanches qu'y jetaient les arcs voltaïques (Larbaud, Barnabooth, 1913, p.219).Éclairage par nappes (dans un théâtre). Voir Artaud, Théâtre et son double, 1938, p.114. − En partic. Liquide répandu (accidentellement) à la surface de l'eau. Nappe d'huile. V. filer ex. 2. 2. Littér. La grande nappe bleue du ciel tout enflammée de soleil (Maupass., Contes et nouv., t.1, Print., 1861, p.384).Des grands carrés de labour, qui alternaient avec les nappes vertes des luzernes et des trèfles (Zola, Terre, 1887, p.10).V. blé ex. 7: . Le soleil déclinant traînait sous la ramée une nappe fluide et vermeille. Elle s'épandit plus large, d'une coulée pleine, unie, que Raboliot sentit sur son corps comme un bain.
Genevoix, Raboliot, 1925, p.285. 3. [P. réf. aux plis que fait la nappe en retombant] Matière souple ou fluide qui s'étale et retombe. Du mouvement qu'elle fit, elle se décoiffa; une nappe de cheveux dorés lui roula sur les épaules (Musset, Confess. enf. s., 1836, p.139).Une niche très ornée, dans laquelle une nappe d'eau coulait perpétuellement d'une colline (Zola, Curée, 1872, p.332). − Loc. adv. En nappes. Cheveux noirs disposés en larges nappes (Du Camp, Mém. suic., 1853, p.110).Le sang (...) retombe en nappes le long des murs (Flaub., Tentation, 1874, p.23). B. − Spécialement 1. GÉOLOGIE a) [En parlant de l'eau] Nappe aquifère. ,,Nappe d'eau souterraine contenue dans les terrains poreux de l'écorce terrestre`` (George 1970). ♦ Nappe libre ou phréatique. Nappe souterraine située à un niveau peu profond et exploitée par des puits. L'eau douce, sous forme de sources, de lacs, de nappe phréatique ou de courant (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum., 1921, p.50). ♦ Nappe captive. ,,Nappe ou partie d'une nappe, sans surface libre, donc soumise en tous points à une pression supérieure à la pression atmosphérique`` (Cast.-Margat. 1977). Anton. nappe libre. ♦ Écoulement en nappe. ,,Écoulement [de l'eau] en largeur, sur une plaine ou un versant, par opposition à l'écoulement linéaire des fleuves dans les vallées`` (Plais.-Caill. 1958). Synon. ruissellement. b) [En parlant d'une couche de terrain] ♦ Nappe (volcanique). Ancienne lave qui s'étend sur une grande surface. Elles [les laves] ont coulé à l'air libre, soit par déversement, soit par une fente, et alors elles forment des nappes plus ou moins larges (Lapparent, Abr. géol., 1886, p.74). ♦ Nappe de charriage*. 2. GÉOM. Portion illimitée et d'un seul tenant d'une surface courbe. Lorsque la directrice est fermée, ses homothétiques directes forment une première portion ou nappe du cône, pendant que ses homothétiques inverses forment la seconde nappe (Hadamard, Géom. ds espace, 1921, p.121).Hyperboloïde à une nappe, à deux nappes (d'apr. E. Borel, Paradoxes infini, 1946, p.62). Les composantes connexes d'un hyperboloïde sont appelées les nappes de l'hyperboloïde (Bouvier-GeorgeMath.1979). 3. TÉLÉCOMM. Nappe d'antenne, antenne en nappe. ,,Antenne constituée par un réseau plan ou conique de fils concourants ou parallèles`` (Électron. 1963-64). Pour obtenir [à l'émission] un fort rayonnement sur ondes longues, on construit des antennes à grande nappe, très élevées (de plusieurs centaines de mètres) (J. Mercier, Radio-électr., t.1, 1937, p.12). 4. BIOL. [Chez Teilhard de Chardin, p. anal. avec le sens de géol.] ,,Unité pratique de masse évolutive`` (C. Cuénot, Nouv. Lex. Teilhard de Chardin, Paris, éd. du Seuil, 1968, p.131). Synon. partiel biote.Nappe humaine, pensante. De nappe en nappe, par sautes massives, le système nerveux va constamment se développant et se concentrant (Teilhard de Ch., Phénom. hum., 1955, p.156). REM. Nappette, subst. fém.a) [P. réf. aux plis d'une petite nappe] Il en vient à côtoyer la grande auge ébréchée, débordant pour son service de nappettes de cristal légères comme la gaze (Fabre, Oncle Célestin, 1881, p.246).b) Comm. Déchets de peaux de valeur assemblés, fourrures de bas prix vendus en petites nappes. (Dict. xxes.). Prononc. et Orth.: [nap]. Homon. nape. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1140 nape «linge étendu sur la table avant de dresser le couvert» (Pèlerinage Charlemagne, éd. G. Favati, 416); b) 1319 nape d'autel (Dehaisnes, Doc. concernant l'hist. de l'art, p.225 ds Gay t.2); 1558 mettre la nappe «recevoir compagnie à dîner en n'étant chargé que de mettre le couvert» (Bonaventure des Périers, Nouvelles récréations, éd. K. Kasprzyk, p.75); 1654 trouver la nappe mise «dîner chez les autres» (Ablancourt, Lucien, Le Parasite ds Littré); 1690 id. «faire un riche mariage» (Fur.); 1772 servir la nappe (à qqn) «lui préparer la réussite» (Voltaire, Lettre au roi de Prusse, 16 oct. ds Corresp., éd. T. Besterman, t.83, p.77); 2. 1671 «cascade dont les eaux tombent comme les bords d'une nappe» (Pomey); fin xviiies. «vaste étendue sur le sol ou dans la terre» (Buffon, Hist. nat. minéraux, t.1, p.407); 3. 1445 nappe a paischeurs «étendue de filet de pêche que l'on tend à plat» (Arch. mairie d'Angers, 331 ds IGLF); 1680 «filet pour chasser les oiseaux» (Rich.); 4. 1665 vén. (Salnove, La Vénerie royale, p.163); 5. 1819-20 math. (Fourier ds Mém. Ac. des Sc., t.4, p.258); 6. 1845 industr. text. (Besch.). Du lat. mappa «serviette, serviette de table», le n étant dû à une dissimilation du m sous l'action du p suivant. Fréq. abs. littér.: 1527. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1031, b) 3294; xxes.: a) 2791, b) 2169. Bbg. Sain. Sources t.2 1972 [1925] p.168, 190. |