| MÉLANCOLIE, subst. fém. A. − PATHOLOGIE 1. MÉD. ANC. Une des quatre humeurs qui, selon la théorie ancienne des tempéraments, était supposée avoir son siège dans la rate et prédisposer à la tristesse, à l'hypocondrie; p. méton., état causé par cette humeur. Synon. vx atrabile, bile, humeur noire, hypocondrie, lypémanie.Accès de mélancolie, être atteint de mélancolie. On l'emploie [une solanée somnifère] utilement contre la mélancolie, les convulsions et la goutte (Nodier, Fée Miettes, 1831, p.182).Le système du médecin en chef était spécialement pour la mélancolie, la lypémanie des médecins aliénistes (...). Il était partisan du traitement moral (...) comme traitement prédominant (Goncourt, Ch. Demailly, 1860, p.398).V. hypocondrie A 2 ex. de Amiel. 2. PSYCHOPATHOL. État morbide caractérisé par un abattement physique et moral complet, une profonde tristesse, un pessimisme généralisé, accompagné d'idées délirantes d'autoaccusation et de suicide. Synon. dépression (nerveuse), névrose, neurasthénie.Mélancolie anxieuse, délirante, intermittente, périodique; accès, crise de mélancolie. Sa mélancolie avait augmenté et (...) elle croyait comme Rousseau, qu'on s'était ligué pour la persécuter (Chateaubr., Mém., t.2, 1848, p.727).Le vieillard se persuadait que sa mort était imminente, il sombrait dans l'apathie et la mélancolie, il ne parlait plus, il ne souriait plus à ses petits-enfants (Queffélec, Recteur, 1944, p.173).V. accusation2ex. 3 et auto(-)destructeur ex.: 1. Strauss et Gebstattel ont mis en évidence l'emprise presque absolue du passé dans la mélancolie: la certitude d'une catastrophe immédiate, les idées de ruine, d'indignité, de culpabilité, l'hypocondrie...
Mounier, Traité caract., 1946, p.318. B. − 1. État affectif plus ou moins durable de profonde tristesse, accompagné d'un assombrissement de l'humeur et d'un certain dégoût de soi-même et de l'existence. Synon. idées noires, cafard (fam.), dépression; anton. allégresse, entrain, gaieté, joie.Il était dans une de ses heures de mélancolie, où le néant lui apparaissait au bout prochain de la vie (A. France, Lys rouge, 1894, p.352).Elle passa la nuit dans des rêves doux et pénibles, une mélancolie accablante (Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p.917): 2. ... appuyée au mur du jardin, serrant la chienne entre ses bras, elle éprouvait une si poignante mélancolie, tant de rancoeur contre elle ne savait quoi, tant d'espérance sans but, qu'elle leva la tête vers le ciel constellé, et souhaita, pendant quelques secondes, de mourir avant d'avoir essayé de vivre.
Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p.923. SYNT. Propension à la mélancolie; accès, crise de mélancolie; mélancolie amère, âpre, profonde, sombre; plonger, sombrer, tomber dans la mélancolie; être en proie à la mélancolie; chasser, dissiper la mélancolie. − [P. méton. du compl. déterminatif] Mélancolie du regard, de la voix. Fabrice (...) fut frappé surtout de l'expression de mélancolie de sa figure (Stendhal, Chartreuse, 1839, p.250).La mélancolie du sourire qui vous accueillait décelait les maux endurés (Pesquidoux, Livre raison, 1925, p.95). − Loc. verb., fam. (par litote). Ne pas engendrer la mélancolie. ♦ [Le sujet désigne une pers.] Être d'une gaieté irrésistible, communicative, par tempérament ou dans une circonstance donnée. V. engendrer B 2. ♦ [Le suj. désigne une chose ou une situation] Être très amusant. Je te promets que cette partie de mon roman n'engendrera pas la mélancolie (Duhamel, Cécile, 1938, 98). − P. méton. Manifestation de cet état d'âme (dans la pensée, l'attitude, le sentiment). Une mélancolie, des mélancolies: 3. Lorsque Lazare la négligeait un instant pour écrire une lettre ou pour s'absorber dans une de ses mélancolies subites, sans cause apparente, elle devenait si malheureuse, qu'elle se mettait à le taquiner, à le provoquer, préférant le danger à l'oubli.
Zola, Joie de vivre, 1884, p.942. 2. En partic., littér. Sentiment d'une tristesse vague et douce, dans laquelle on se complaît, et qui favorise la rêverie désenchantée et la méditation (thème poétique et littéraire cher aux préromantiques et aux romantiques). Synon. chagrin (arg.), ennui, langueur, nostalgie, spleen (littér.), vague à l'âme.Gloriette: (...) je sens que je m'attriste. − Ce n'est pas grave. Ce n'est pas de la tristesse sans charme; c'est de la mélancolie, tu as les papillons blancs (Renard,
Œil clair, 1910, p.134).Angelo s'en alla faire un tour sur les boulevards extérieurs de la ville pour jouir d'un peu de mélancolie très savoureuse (Giono, Angelo, 1958, p.155): 4. Elle aimait la musique, quoique n'étant pas musicienne; elle y trouvait un bien-être physique et moral, où sa pensée s'engourdissait paresseusement dans une agréable mélancolie.
Rolland, J.-Chr., Matin, 1904, p.184. SYNT. Mélancolie douce, attendrissante, indicible, indéfinissable, rêveuse, romantique, vague, voluptueuse; accent, nuance, pointe de mélancolie; les délices de la mélancolie; air, expression de mélancolie; éprouver de la mélancolie; inciter, se laisser aller à la mélancolie. ♦ [Personnification de cet état] La Mélancolie. Une figure de la Mélancolie, assise, devant le disque d'un soleil, sur des rochers, dans une pose accablée et morne (Huysmans, À rebours, 1884, p.86).Watteau, (...) Ton art léger fut tendre et doux comme un soupir, Et tu donnas une âme inconnue au désir En l'asseyant aux pieds de la Mélancolie (Samain, Chariot, 1900, p.68): 5. Je suis le ténébreux, − le veuf, − l'inconsolé,
Le prince d'Aquitaine à la tour abolie:
Ma seule étoile est morte, − et mon luth constellé
Porte le soleil noir de la Mélancolie [it. ds le texte].
Nerval, Chimères, 1854, p.693. − [En parlant d'une chose concr. ou abstr.] Caractère, aspect de ce qui inspire un tel état. Synon. brume, grisaille, ombre.Mélancolie du crépuscule, du soir, de l'automne, d'un site, d'un paysage, d'un chant; mélancolie des adieux, des souvenirs, d'une vie. Le lieu isolé, silencieux, exquis, où ces fouilles se passaient, et la mélancolie sereine de l'été finissant, jetaient un charme rare sur notre petit rêve d'aventuriers (Loti, Rom. enf., 1890, p.277).Par les nuits bleues, il semble suivre un rêve enchanté dans la mélancolie du clair de lune (Coppée, Bonne souffr., 1898, p.54): 6. Une aube affaiblie
Verse par les champs
La mélancolie
Des soleils couchants.
Verlaine,
Œuvres compl., t.1, Poèmes saturn., 1866, p.69. Prononc. et Orth.: [melɑ
̃kɔli]. Ac. 1694 et 1718: me-; dep. 1740: mé-. Étymol. et Hist. 1. a) 1176-81 «état de tristesse profonde» (Chrétien de Troyes, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 3001); b) 1669 «tristesse douce et vague» (La Fontaine, Contes, Préface ds
Œuvres, éd. A. Régnier, t.4, p.14); 2. ca 1256 «bile noire, une des quatre humeurs cardinales de l'organisme» (Aldebrandin de Sienne, Regime du Corps, éd. L. Landouzy et R. Pépin, p.45, 20); 3. 1816 «maladie mentale caractérisée par une tristesse perpétuelle» (Encyclop. méthod. Méd. t.9). Empr. au lat. mélancolia (transcrivant le gr. μ
ε
λ
α
γ
χ
ο
λ
ι
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α) «humeur noire» et «maladie engendrée par la bile noire»; le développement du sens psychol. (att. antérieurement au sens méd. parce que cette accept. était entrée dans le vocab. littér. courtois où le mot exprime un registre d'états et de sentiments: humeur sombre, inquiétude, folie, fureur, délire) est propre au fr. et témoigne de l'évolution du goût (v. FEW t.6, p.656). Fréq. abs. littér.: 2360. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3772, b) 3635; xxes.: a) 3880, b) 2535. Bbg. Schalk (F.). Diderot's Artikel mélancolie in der Enzykl. Z. fr. Spr. Lit. 1956, t.66, pp.88-107. |