| MUTILER, verbe trans. A. − Qqn ou qqc. mutile qqn (de qqc.) ou qqc. 1. [L'obj. désigne une pers., un animal ou une partie du corps] Priver (d'un membre, d'un organe externe); infliger une blessure grave qui porte atteinte à l'intégrité physique de. Synon. amputer, estropier.Mutiler (qqn) au visage, à la jambe. Mutiler quelqu'un d'un bras, d'un pied (Ac.). Ce lâche qui mutilait un cheval pour se venger d'un soufflet (Mérimée,Colomba, 1840, p.134).Il s'était dit parmi eux que les insurgés mutilaient les prisonniers, et qu'il y avait dans le cabaret le cadavre d'un soldat sans tête (Hugo,Misér., t.2, 1862, p.497): 1. Un ingénieur avait dit un jour à Rivière, comme ils se penchaient sur un blessé, auprès d'un pont en construction: «Ce pont vaut-il le prix d'un visage écrasé?». Pas un des paysans, à qui cette route était ouverte, n'eût accepté, pour s'épargner un détour par le pont suivant, de mutiler ce visage effroyable.
Saint-Exup.,Vol nuit, 1931, p.120. − P. métaph.: 2. Développer chez l'enfant le sens critique (...). Rien de mieux contre le «nazisme». Les gens de ce pays paraissent à ceux du Nord presque indifférents et insensibles à la catastrophe qui mutile la France.
Gide,Journal, 1940, p.41. − Emploi pronom. réfl. Porter atteinte (quelquefois volontairement) à son intégrité corporelle. Les Romains (...) se mutilant pour ne plus servir et se coupant les doigts (Vigny,Journal poète, 1861, p.1364). ♦ Emploi pronom. réfl. indir. Tu me fais l'effet de ces lâches soldats Qui pour ne pas servir se mutilent un bras! (Augier,Jeunesse, 1858, p.403). 2. En partic. [L'obj. désigne une pers.] Châtrer, émasculer. Plautien, ministre de Sévère, en mariant sa fille au fils aîné de l'Empereur, fit mutiler cent Romains libres, dont quelques-uns étoient mariés et pères de famille (Chateaubr.,Génie, t.2, 1803, p.579). 3. P. anal. [L'obj. désigne un arbre, un élément de la végétation] Dépouiller des branches nécessaires au développement, porter atteinte à la forme de. Les ronces, les rosiers, les arbres fruitiers y poussaient pêle-mêle, et leurs pousses vigoureuses, que ne mutilait jamais le ciseau du jardinier, s'entre-croisaient sur les allées jusqu'à les rendre impraticables (Sand,Valentine, 1832, p.56).Le tombeau de Sainte-Hélène a déjà usé un des saules (...): l'arbre décrépit et tombé est mutilé chaque jour par les pélerins (Chateaubr.,Mém., t.2, 1848, p.673). B. − P. anal. Qqn ou qqc. mutile qqc. 1. [L'obj. désigne un inanimé concr., en partic. une oeuvre d'art] Détériorer, endommager gravement. Synon. défigurer, dégrader, massacrer (fam.).Mutiler un monument, un tableau, un paysage, un quartier. Il (...) mutilait les crayons avec son canif (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.805).La chambre des ducs est au-dessus du caveau sépulcral. Les Bernois en avaient mutilé les lambris (Hugo,Rhin, 1842, p.410). 2. En partic. [L'obj. désigne une oeuvre littér.] Altérer gravement en retranchant une partie essentielle ou en apportant de nombreuses modifications qui dénaturent. Synon. amputer, tronquer.Mutiler un texte, les vers d'un poème. Tu as raison, Zoé; je mutilais le texte et j'omettais un endroit considérable (A. France,Bergeret, 1901, p.48). − Emploi abs. Dans l'obligation d'abréger ce qu'il [l'auteur] m'a confié, je mutile sans cesse, c'est-à-dire, je gâte (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.989). − [P. méton. de l'obj.] Vous voyez ces mêmes philosophes [du dernier siècle] embarrassés souvent par cet écrivain [Bacon] (...) se permettre même de le mutiler hardiment ou d'altérer ses écrits (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.518). C. − Au fig. Qqn ou qqc. mutile qqn (de qqc.) ou qqc. 1. [L'obj. désigne un inanimé abstr.] a) Altérer gravement en omettant ou en déformant un élément essentiel. Synon. déformer, tronquer.Mutiler un fait, un récit; mutiler la pensée de. La morale de l'intérêt mutile la vérité: elle choisit parmi les faits ceux qui lui conviennent et elle répudie tous les autres, lesquels sont précisément les éléments mêmes de la moralité (Cousin,Vrai, 1836, p.281).Cette thèse [de la vie dans la matière inorganique] se soutient sans doute, si l'on mutile la définition de la vie, si on la réduit, par exemple, à l'idée de la croissance et de la conformation pures et simples, propriétés déjà inhérentes aux corps appelés bruts (Boutroux,Contingence, 1874, p.83). b) Réduire, priver d'un élément essentiel. Ces libertés (...) Richelieu les mutila d'abord, puis les abolit (Tocqueville,Anc. Rég. et Révol., 1856, p.334).On ne peut enchaîner ensemble les volontés de deux êtres qu'en mutilant l'une d'elles, sinon toutes les deux (Rolland,J.-Chr., Nouv. journée, 1912, p.1456). 2. [L'obj. désigne une pers.] Ôter une partie nécessaire, priver de quelque qualité essentielle, d'un élément de la personnalité. Synon. amoindrir, dégrader, diminuer.Mutiler la nature humaine. Ces impulsions vertueuses qui mutilent l'âme et l'appauvrissent (Massis,Jugements, 1923, p.92).Le drame du mariage, ce n'est pas qu'il n'assure pas à la femme le bonheur qu'il lui promet (...) c'est qu'il la mutile; il la voue à la répétition et à la routine (Beauvoir,Deux. sexe, t.2, 1949, p.284). − Emploi pronom. réfl. [La femme] pouvait ne pas se marier, vivre en homme, remplir en tout et partout le rôle d'un homme; mais à quoi bon se mutiler, nier le désir, se mettre à part de la vie? (Zola,Travail, t.2, 1901, p.320).Chacun ne combat l'autre qu'en se mutilant lui-même (Lacroix,Marxisme, existent., personn., 1949, p.3). − Mutiler qqn de qqc.Priver d'un élément essentiel. Mutiler l'homme d'une passion, c'est comme si on lui coupait un membre (Zola,Travail, t.2, 1901, p.215).Ce qui est (...) exact, c'est qu'elle [la femme] souhaite mutiler l'homme de ses projets, de son avenir (Beauvoir,Deux. sexe, t.2, 1949, p.266). Prononc. et Orth.: [mytile], (il) mutile [mytil]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1334 «retrancher un membre ou une partie du corps» (Bibl. Éc. des Ch., 4esérie, t.II, p.58 ds Gdf. Compl.); 1680 se mutiler «se châtrer» (Rich.); 1823 verbe pronom. «s'estropier» (Boiste); 2. 1559 «faire une dégradation partielle d'une oeuvre d'art» (Amyot, Alc., 33 ds Littré); 3. av. 1702 «porter atteinte à la vérité» (Bossuet, Sermons, Haine de la vérité, 2, ibid.); 4. 1765 «faire des retranchements dans un texte» (Encyclop.); 5. fin xives. part. passé mutilé des deux yeux «aveugle» (Bouteiller, Som. rur., p.820 ds La Curne); 1845 part. passé subst. plur. (Besch.). Empr. au lat. mutilare «mutiler, retrancher, couper», «estropier (les mots)», «diminuer, amoindrir». Fréq. abs. littér.: 175. DÉR. Mutilateur, -trice, adj. et subst.(Chose ou personne) qui mutile. a) [Correspond à supra A] Fourbes exécuteurs, Alchimistes, bourreaux, prêtres, mutilateurs, (...) Décomposant à l'œil, sous leurs coupables mains, La sève de l'hysope et le sang des humains (Lamart.,Chute, 1838, p.1022).Chérouvier va publier un article sur cette histoire des balles mutilatrices (Duhamel,Cécile, 1938, p.42).b) P. anal. [Correspond à supra B] Je demandois (...) Que (...) Chaque branche, en dépit des vieux décorateurs, Et des ciseaux mutilateurs, Pût rendre un libre essor à son luxe sauvage (Delille,Convers., 1812, p.332).c) Au fig. [Correspond à supra C] Croiser l'unité de temps à l'unité de lieu comme les barreaux d'une cage, et y faire pédantesquement entrer (...) tous ces faits (...) que la providence déroule à si grandes masses dans la réalité! (...) tout cela mourra dans l'opération; et c'est ainsi que les mutilateurs dogmatiques arrivent à leur résultat ordinaire (Hugo,Préf. Cromwell, 1827, p.22).− [mytilatoe:ʀ], fém. [-tʀis]. − 1resattest. 1. 1512 «qui mutile» (J. Lemaire de Belges, De la Différence des Schismes ds
Œuvres, éd. J. Stecher, t.3, p.234); 2. 1766 «qui se rend coupable de dégradations» (J.-M. Papillon, Traité hist. et pratique de la grav. sur bois, t.1, p.149); de mutiler, suff. -(at)eur2*. BBG. − Gohin 1903, p.265 (s.v. mutilateur). _ Quem. DDL t.4 (s.v. mutilateur). |