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MUSE1, subst. fém.
A. − MYTHOL. (souvent avec une majuscule). Chacune des neuf déesses qui, d'après les anciens, présidaient aux arts libéraux. Apollon et les Muses; les Muses, filles de Zeus et de Mnémosyne; les neuf Muses; Clio, muse de l'histoire; Euterpe, muse de la musique; Thalie, muse de la comédie; Melpomène, muse de la tragédie; Terpsichore, muse de la danse; Érato, muse de l'élégie; Polymnie, muse de la poésie lyrique; Uranie, muse de l'astronomie; Calliope, muse de l'éloquence:
1. Un certain samedi de décembre, je me trouvai classé en thème grec (muses immortelles, ô chastes soeurs, ô Mnémosyne, dérobez à la mémoire ce souvenir humiliant)... A. France,Vie fleur,1922, p.362.
Les trois Muses. Pour faire un bon orateur, il faudrait l'assistance des trois Muses: Mélite (l'Invention), Mnemé (la Mémoire), et Avidé (le Chant) (Barrès,Cahiers,t.10, 1913, p.226).
Le séjour des Muses. Le Parnasse. Une image du palais des Muses ou du séjour des dieux. Tels furent le Parnasse en Phocide, et l'Olympe en Thessalie (Bern. de St-P.,Harm. nat.,1814, p.237).P. anal. Leur demeure [des poètes lyriques grecs] est une sorte de Conservatoire, une «Maison des muses» (Taine,Philos. art,t.2, 1865, p.174).
Amant, chéri, favori, fils, nourrisson des Muses, de la Muse. Artiste, écrivain, poète notamment. − Belle autorité! que votre rimeur du Hâvre de Grâce! − (...) Taisez-vous, vous m'insultez en la personne de ce nourrisson chéri des neuf soeurs, des neuf muses, des Piérides! (Borel,Champavert,1833, p.215).Le jeune et talentueux Molinier, chéri des Muses, dont le noble front pur n'attendra pas longtemps le laurier (Gide,Faux-monn.,1925, p.1166).
Dixième muse. Quand (...) la gloire de George Sand rayonna sur le Berry, beaucoup de villes (...) furent assez disposées à honorer les moindres talents féminins. Aussi vit-on alors beaucoup de Dixièmes Muses en France (Balzac,Muse départ.,1844, p.92).J'ai sous les yeux la nouvelle d'une jeune femme qui place son oeuvre sous l'ondoiement de cette épigraphe de Gide: «Dire l'absence de conclusion qui déroute.» Évidemment cette dixième muse pense que par l'absence de conclusion, le lecteur ordinaire va (...) se trouver «bien attrapé» (Benda,Fr. byz.,1945, p.102).
B. − P. méton.
1. Les Muses, la Muse. Les belles-lettres, notamment la poésie; l'inspiration, l'invention poétique. Invoquer les Muses; la carrière, le commerce des Muses; le culte des Muses, de la Muse. De ma seizième à ma dix-huitième année (...) à cet âge divinement inconscient où nous subissons vraiment l'ivresse de la Muse et où le poète produit des odes comme le rosier des roses (Banville,Cariat.,1842, p.3):
2. ... le dessein d'un jeune lettré enthousiaste de rendre à notre poésie «le trésor de ses profondeurs» accompli dès les premières pages, où les extraits des poètes du xviesiècle, éblouiront les Français que les Muses captivent encore... Mauriac,Journal 3,1940, p.271.
Courtiser les Muses, la Muse. S'adonner aux belles-lettres, à la poésie. V. courtiser B synt. et expr., ex. de France.Cultiver les Muses. Même sens. Jeune, je cultivois les muses; il n'y a rien de plus poétique, dans la fraîcheur de ses passions, qu'un coeur de seize années (Chateaubr.,Génie,t.1, 1803, p.419).Taquiner la Muse. S'essayer à la poésie. Jadis (...) il m'arrivait de taquiner la muse. J'avais composé un sonnet, de quatorze vers (Romains,Knock,1923, I, p.3).Congédier la Muse. À la fin le malheureux garçon, impatienté, envoya son poëme au diable et congédia la Muse (on disait encore la Muse en ce temps-là) (A. Daudet,Pt Chose,1868, p.41).
En partic.
a) Muse(s) + adj. ethnique
α) [En tant qu'art libéral] Poésie propre à une nation, à une région. Muses grecques, latines, ausoniennes; la muse grecque, latine, française. Klopstock a noblement reproché à Frédéric de négliger les muses allemandes, qui, à son insçu, s'essayoient à proclamer sa gloire (Staël,Allemagne,t.1, 1810, p.231).Le désir d'élargir le terrain des muses françaises et de donner aux poëtes, aux dramatiques surtout, un moyen différent d'exprimer leur pensée (Barbier,Satires,1865, p.2).Ramuz, très sensible à la muse populaire russe, partagea tout de suite mon engouement (Stravinsky,Chron. vie,1931, p.154).
β) [En tant que textes étudiés ou à étudier] Au milieu de tout cet attirail, dont l'aspect avait vraiment quelque chose d'infernal (...) on nous entretenait des muses latines (...) on prétendait nous faire entendre et goûter les écrits des poètes anciens (Delécluze,Journal,1825, p.210).
Muse (au sing.) + adj. caractérisant.Muse comique, épique, tragique. Comparez les événements de la comédie intitulée Lanfranc ou le Poète à la fable du même sujet traité par la muse classique (Stendhal,Racine et Shakspeare,t.1, 1823, p.85).Les catholiques s'aviseront d'aller chercher dans leurs oeuvres quelques unes des plus charmantes productions de la muse chrétienne, au lieu de croire, comme Boileau, que la poésie ne vint en France qu'avec Malherbe (Montalembert,Ste Élisabeth,1836, p.lxxv).V. agrément ex. 60.
b) Muse (d'un écrivain, notamment d'un poète). Génie poétique, artistique. Ce sont des fruits de sa Muse; sa muse est enjouée, grave (Ac. 1798); muse badine, sévère, déréglée (Ac. 1835). La muse de Juvénal parut aussi à la fin de ce siècle malheureux, terminé par Tibère; elle y contracta une grande âpreté. Aucun poëte n'excella comme lui à peindre les crimes de Rome (Bern. de St-P.,Harm. nat.,1814, p.124).Aubryet, ce Bobèche gastralgique qui imite la muse de Hugo et la muse de Musset, l'éloquence de Guizot, la rhétorique de Prudhomme (Goncourt,Journal,1858, p.475):
3. ... cette Dorine, si provocante, si drue, servirait très-bien à figurer la muse comique de Molière en ce qu'elle a de tout à fait à part et d'invincible, et de détaché d'une observation plus réfléchie, − l'humeur comique dans sa pure veine courante... Sainte-Beuve,Port-Royal,t.3, 1848, p.230.
2. [Parfois avec majuscule] Inspiration poétique, souvent imaginée par le poète sous l'apparence d'une femme. Muse consolatrice; muse fertile. Il est de ceux à qui la muse accorde aisément ses faveurs (Ac. 1835); il a été visité par la muse (Ac. 1935). Muse, sois donc sans crainte; au souffle qui t'inspire Nous pouvons sans péril tous deux nous confier (Musset,Nuit oct.,1837, p.147).J'allais sous le ciel, Muse! et j'étais ton féal (Rimbaud,Poés.,1871, p.81).
Au plur., rare. Roxane: (...). Parfois il est distrait, ses Muses sont absentes; Puis, tout à coup, il dit des choses ravissantes! (Rostand,Cyrano,1898, iii, 1, p.112).
P. anal., dans d'autres arts.Don, invention artistique. Velasquez est franc, parce que son pinceau est conduit par la muse de la vérité (Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p.578):
4. ... la Musique commença d'être la première de mes occupations juvéniles. Aussitôt que j'eus lié commerce avec la noble Muse, (...) je l'aimai (...) depuis quelque temps, ma Muse, souventefois, dans les heures d'inspiration, me chuchotait à l'oreille: «Ose! Ose! Écris les harmonies de ton âme!» Rolland,J.-Chr.,Aube, 1904, p.98.
C. − Source d'inspiration littéraire.
1. Souvent p. iron. au xxes. Femme inspiratrice d'un écrivain, d'un poète. George Sand, la muse de Musset; Elvire, la muse de Lamartine. Permettez-moi de signaler à vos hommages celle qui fut et ma première muse et ma protectrice (...) la belle comtesse Sixte du Châtelet (Balzac,Illus. perdues,1843, p.677).V. insexualité ex. de Proust:
5. À l'époque où il [Flaubert] commence de se colleter avec la Bovary, il s'est réconcilié avec Louise Colet (...) mais Croisset demeure interdit à la dame (...). Comment ne pas croire que son combat avec la phrase (...) lui servit aussi pour tenir à distance une muse insatiable? Mauriac,Mém. intér.,1959, p.100.
[P. allus. littér. au roman de Balzac] Vous dites cela parce que la femme est supérieure au mari (...) − Oh! je ne voulais pas dire que c'était la Muse du département, ni madame de Bargeton (Proust,Sodome,1922, p.1091).L'adolescent dans une petite ville où il devient amoureux de la Muse du département (Bousquet,Trad. du silence,1936, p.129).
P. anal. Cette artiste [Berthe Morisot] (...) fut la véritable muse de l'impressionnisme (Mauclair,Maîtres impressionn.,1923, p.154).
2. Ce qui inspire un écrivain. La vraie muse de l'historien de la philosophie n'est pas la haîne, mais l'amour (Cousin,Hist. philos. XVIIIes.,t.2, 1829, p.559).
Arg. Muse verte. Absinthe. Un de ces bohèmes, Par la «Muse verte» grisés (Ponchon,Muse cabaret,1920, p.201).Verlaine ne doit rien à la muse verte (...). La folie n'est pas le bouillonnement, mais l'écume de l'intelligence (H. Bazin,Tête contre murs,1949, p.109).
Prononc. et Orth.: [my:z]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. xiiies. «chacune des neuf déesses soeurs qui présidaient aux neuf arts libéraux» (Trad. de la «Consolation» de Boèce par Jean de Meun [ms. Bibl. nat. lat. 8654 B fin xiiies.] éd. L. Delisle ds Bibl. École des Chartes, t.34, 1873, p.7); ca 1285 (Gloss. Abavus [Douai 62] 224 ds Roques t.1, p.8); 2. a) 1548 les muses «les belles-lettres», spéc. «la poésie» (Th. Sébillet, Art poétique, éd. F. Gaiffe, A l'envieus, 10, p.5); 1559 la muse «la poésie» (Du Bellay, Jeux rustiques, éd. V. L. Saulnier, XXI, 178, p.67); b) 1548 les muses françoises «l'ensemble de la poésie française» (Sébillet, op. cit., De l'Invention, p.26, 11); 3. 1575 «personne inspiratrice d'une oeuvre littéraire» (P. de Tyard, Solitaire premier, éd. S. F. Baridon, p.XXVIII, Dédicace de 1575); 4. 1665 la muse «l'inspiration propre à chaque poète» (Boileau, Discours au roi ds Œuvres, éd. F. Escal, p.11); 1668 (Id., Satire IX, ibid., p.54). Empr. au lat. Musa «l'une des neuf Muses» (gr. Μ ο υ ̃ σ α) par les trad. de Boèce en a. fr. et en a. prov. (cf. dès le xies. l'a. prov. musa, Boecis, éd. R. Lavaud et G. Machicot, 77: las mias musas «mes poésies»); ext. de sens à l'époque de la Renaissance; FEW t.3, 3, p.246b. Fréq. abs. littér.: 1493. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3847, b) 3088; xxes.: a) 1053, b) 774. Bbg. Quem. DDL t.10.