| MURMURER, verbe trans. A. − Emploi trans. dir. [Le suj. désigne une pers. ou un ensemble de pers.] Qqn murmure qqc. 1. Exprimer, dire quelque chose à voix basse, doucement. Il murmura ces mots: «J'aime mieux cela!...» (Verne,Île myst., 1874, p.367). SYNT. Murmurer un nom, des paroles, des prières; murmurer qqc. tout bas, à voix basse, entre ses dents. ♦ Murmurer qqc. à qqn.Il l'entraînait, lui murmurait dans le cou des mots d'amour (Dabit,Hôtel Nord, 1929, p.114). − Emploi pronom. ♦ réciproque. Se murmurer qqc.Tous deux (...) se murmuraient des choses brèves en rassemblant les rênes (Adam,Enf. Aust., 1902, p.275). ♦ passif. Le musicien français semblait s'être appliqué (...) à ce que tous les sentiments passionnés se murmurassent à mi-voix (Rolland,J.-Chr., Foire, 1908, p.697). − [L'action se passe intérieurement] Murmurer qqc. en soi-même.Elle les murmurait [des mots d'espérance] en elle-même avec une quiétude persuadée (Gobineau,Pléiades, 1874, p.341). ♦ Emploi pronom. réfl. indir. Se murmurer qqc. à soi-même.Je trouvais de bonnes excuses, je me les murmurais à moi-même (Sagan,Bonjour tristesse, 1954, p.84). 2. [P. méton. du suj.] Deux voix murmuraient des paroles qu'il n'entendait pas encore. Puis elles se turent (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Femme de Paul, 1881, p.1229). − PHONÉT., en emploi adj. du part. passé. Voix murmurée. Voix ayant une sonorité atténuée en raison de la faible tension exercée sur les organes phonateurs (d'apr. Mar. Lex. 1933). − [L'action se passe intérieurement] Murmurer qqc. en qqn.L'homme de génie (...) sait mieux qu'un autre écouter ce que murmurent en lui, ses ancêtres et ses descendants (Maeterl.,Sablier, 1936, p.48). 3. [Annonce une phrase de dialogue ou est placé en incise; le suj. désigne une pers. ou, p. méton., un attribut rel. à l'élocution] − [Annonce une phrase de dialogue] Inconscientes, ses lèvres murmurèrent: − Paris! j'ai été à Paris!... (Estaunié,Empreinte, 1896, p.140).Il se tut pendant un long moment; je murmurai: − Me comprenez-vous? (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.327). − [En incise] Il a réellement du talent, ce D! murmurait chacun à l'oreille de son voisin (Villiers de L'I.-A.,Contes cruels, 1883, p.282).Sire, murmura une voix, il y a vraiment danger... (Zola,Débâcle, 1892, p.220). ♦ Emploi pronom. réfl. indir. C'est bien dommage! se murmurait-il à lui-même... bien dommage! (Châteaubriant,Lourdines, 1911, p.2). 4. P. anal. et au fig. a) P. anal. − [Le suj. désigne une pers.] Exprimer, suggérer discrètement (quelque chose) par un moyen d'expression autre que la voix. L'emploi gratuit de la sexualité hante, qu'ils le sachent ou non, tous les hommes de grande race. Michel-Ange nous l'exhibe. Vinci nous le murmure (Cocteau,Diff. d'être, 1947, p.210). − Littér. Exprimer (quelque chose) à travers un bruit doux, parfois sourd. ♦ [Le suj. désigne un/des instrument(s) destiné(s) à produire des sons] Les timbales se taisent pour laisser les instruments à cordes murmurer doucement d'autres fragments du thème (Berlioz,À travers chants, 1862, p.30). ♦ [Le suj. désigne un élément de la nature] :
1. Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines?
Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes?
Les buissons chuchotaient comme d'anciens amis.
Hugo,Contempl., t.2, 1856, p.387. Murmurer qqc. à qqn.La houle me murmure une ombre de reproche (Valéry,J. Parque,, 1917, p.96).b) Au fig. Suggérer, laisser deviner. Le hiéroglyphe suffit à murmurer les secrets de toute une science (Gide,Corresp.[avec Valéry], 1891, p.99).Ce beau pays de France (...) où à chaque tour de roue un village porte le nom d'un saint et murmure sa légende (Cendrars,Lotiss. ciel, 1949, p.74). ♦ Murmurer à qqn que.Rien ne me murmurait qu'un désir de mourir Dans cette blonde pulpe au soleil pût murir (Valéry,J. Parque, p.99). 5. En partic. Dire, exprimer plus ou moins en cachette quelque chose de désobligeant, de malveillant; faire circuler des bruits malveillants. Les comités murmuraient, les clubs répandaient, des appréciations parfois malveillantes sur son compte (De Gaulle,Mém. guerre, 1954, p.200). ♦ Murmurer que: 2. Je sais bien ce que l'on dit. On ne s'est pas privé de murmurer − et même d'articuler assez nettement − qu'il dut beaucoup de ses vertus actives, qui n'étaient point, semble-t-il, dans sa nature assez facile et négligente, à une tendre et pressante volonté, à une présence impérieusement favorable à sa gloire...
Valéry,Variété IV, 1938, p.27. ♦ Murmurer qqc. de qqn.MmeWalter est une de celles dont on n'a jamais rien murmuré (...). C'est une honnête femme (Maupass.,Bel-Ami, 1885, p.251). − Emploi pronom. ♦ réciproque. Tout bas, on se murmure à la table du mal de Primoli, que tout le monde déteste ici (Goncourt,Journal, 1865, p.183).Bientôt on se murmurait à l'oreille que M. Gérard de Seigneulles avait sérieusement compromis Hélène (Theuriet,Mar. Gérard, 1875, p.172). ♦ passif à la forme impers. Il se murmure là des discours dont l'exorde Soulèverait le coeur aux danseuses de cordes! (Banville,Cariat., 1842, p.56).Les métayers portèrent, selon l'usage, la bière au cimetière sur leurs épaules. Il se murmura que cette caisse était bien peu lourde (Pourrat,Gaspard, 1930, p.284). B. − Emploi trans. indir. [Le suj. désigne une pers., un ensemble de pers.; p. méton., un attribut de la pers.] 1. Vieilli. Murmurer de qqc.Parler de quelque chose secrètement. On commence à en murmurer, dans deux jours on en parlera tout haut (Ac.1798-1935). 2. Murmurer de qqc., contre qqc., contre qqn (pers., entité, instit.).Se plaindre, s'indigner sourdement de quelque chose, de quelqu'un. On a tant débité d'impostures sur les intentions de M. le duc et sur les miennes, que je n'aurais pas murmuré d'une injustice (Lemercier,Pinto, 1800, ii, 8, p.62).Les bonnes gens de Saint-Margelon murmuraient toute l'année contre la hauteur des officiers de cavalerie (Aymé,Jument, 1933, p.127): 3. Et ne murmurez-vous donc jamais en vous-même, Claude, contre cette Providence qui vous a montré le bonheur de si près deux fois, pour vous le ravir lorsque vous croyiez le tenir dans vos bras?
Lamart.,Tailleur pierre, 1851, p.548. ♦ Murmurer de + inf., de ce que + prop.Les voyageurs (...) se découragent, et murmurent de ne trouver dans ces vastes solitudes aucun être vivant qui dirige leurs pas incertains (Cottin,Mathilde, t.1, 1805, p.312).Les chrétiens qui murmurent de ce que Dieu n'a pas rompu l'enchaînement des raisons et des effets (Mauriac,Journal 3, 1940, p.278). C. − Emploi abs. 1. [Le suj. désigne une pers. ou un groupe de pers.] a) Faire un bruit de voix léger, confus. L'homme soupira à deux reprises, puis murmura. Après je n'entendis plus rien (Bosco,Mas Théot., 1945, p.245). − [P. méton. du suj.] Tandis que la voix de D..., étouffée d'attendrissement, murmure comme un feuillage (Colette,Ces plais., 1932, p.329). ♦ Au fig. [Le suj. désigne une voix intérieure, un fait intérieur] Toute la poésie qui murmure au-dedans de moi (Mauriac,Mém. intér., 1959, p.71). b) En partic. Se plaindre sourdement, protester. Vous avez raison (...); c'est moi qui suis un insensé. Je m'éloigne sans me plaindre et sans murmurer (Sandeau,Mllede La Seiglière, 1848, p.68).Mon peuple murmure (Gautier,Rom. momie, 1858, p.337). − [P. méton. du suj.] Qu'est-ce donc que pratiquer la justice? C'est faire à chacun part égale des biens, sous la condition égale du travail; c'est agir sociétairement. Notre égoïsme a beau murmurer; il n'y a point de subterfuge contre l'évidence et la nécessité (Proudhon,Propriété, 1840, p.306). 2. Faire un bruit doux, léger, continu, parfois un grondement sourd, lointain. a) [Le suj. désigne un/des instruments destiné(s) à produire des sons] L'orchestre murmure doucement puis s'éteint (Prod'homme,Cycle Berlioz, 1898, p.90): 4. Avril sourit, l'oiseau chante, et, dans le lointain,
Derrière les coteaux où reluit le matin,
Où les roses des bois entr'ouvrent leurs pétales,
On entend murmurer les trompettes fatales
Hugo,Légende, t.5, 1877, p.1070. b) [Le suj. désigne un animé] Il aimait (...) ces fondrières où murmure la grenouille verte, comme pour avertir le voyageur (Sand,Péché de M. Antoine, t.2, 1845, p.9). c) [Le suj. désigne (un élément de) la nature] La pluie et les vents murmurent au dehors (Chateaubr.,Martyrs, t.1, 1810, p.207).L'eau murmurait. (...) les peupliers frissonnaient (Rolland,J.-Chr., Révolte, 1907, p.507): 5. Écoute, Kobus, les abeilles bourdonnent autour des premières fleurs, les premières feuilles murmurent, la première alouette gazouille dans le ciel bleu, la première caille court dans les sillons.
Erckm.-Chatr.,Ami Fritz, 1864, p.9. Prononc. et Orth.: [myʀmyʀe], (il) murmure [myʀmy:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1remoitié xiies. «se plaindre, protester sourdement» (Psautier Oxford, éd. F. Michel, CV, 24); ca 1200 murmurer de (Job, 342, 39 ds T.-L.); 2. «parler à voix basse» 1176 trans. (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 5685); xiiies. intrans. (Id., Chevalier Charrette, éd. W. Foerster, 3649, var. T V); 3. ca 1200 en parlant d'un ruisseau (Jean Renart, Escoufle, éd., F. P. Sweetser, 4389), emploi très fréquent chez Ronsard, v. L. Söll ds Mél. Wartburg, t.2, 1968, pp.298-99. Empr. au lat. murmurare «parler à voix basse, chuchoter; se plaindre sourdement (sens particulièrement développé dans la langue biblique); (en parlant de choses) faire entendre un murmure, crépiter, gronder», v. J. André ds Romania t.96, 1975, pp.265-68. Fréq. abs. littér.: 7066. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4305, b) 19338; xxes.: a) 11852, b) 8891. DÉR. 1. Murmurateur, -trice, subst.,vieilli. [Correspond à murmurer I A 2] (Celui, celle) qui murmure, en particulier contre une autorité supérieure, contre Dieu. Dieu se plaît au malheur de ses créatures; donc... c'est ici où j'attends les murmurateurs! − Donc apparemment il ne faut pas le prier, − Au contraire, messieurs (J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t.2, 1821, p.143).Mais les gardes des Chefs auront un glaive courbe Pour les murmurateurs (Rostand,Vol Marseill., 1918, p.199).L'emploi adj. du mot est signalé par certains dict. (Littré, Guérin 1892, DG, Rob.).− [myʀmyʀatoe:ʀ], fém. [-tʀis]. − 1resattest. 1531 [date de l'éd.] subst. «détracteur» (Jean de Vignay, Mir. hist., XXXII, 116 ds Delb. Notes mss), 1530 (Lefevre d'Étaples, Bible, St Paul aux Romains, I, ibid.); de murmurer, suff. -(at)eur2*; cf. xiiies. murmureres, mumureor (Riule S. Beneit ds Gdf.). 2. Murmurement, subst. masc.,synon. vieilli de murmure.Pas le moindre mot vif échangé dans la salle de la Bibliothèque; toujours ce même susurrement de confessionnal, ce même murmurement de prières (Fabre,Lucifer, 1884, p.172).− [myʀmyʀ(ə)mɑ
̃]. − 1resattest. a) ca 1175 mumuremenz «plaintes, récriminations» (Benoît de Ste-Maure, Ducs de Normandie, 18393 ds T.-L.); b) 1280 «murmure léger (ici, de paroles d'amour)» (Clefs d'amors, 2042, ibid.), mot rare après le xvies.; de murmurer, suff. -(e)ment1*. BBG. − Söll (L.). Murmurare in der Romania: Bedeutungswandel durch Lautwandel? In: [Mél. Wartburg (W. von)]. Tübingen, 1968, t.2, pp.287-311. |