| MORT1, subst. fém. A. − Cessation de la vie. 1. [La mort est pour tout organisme vivant, homme, animal ou végétal, un événement individuel qui peut être précisé] Anton. naissance. a) [Avec un compl. déterminatif ou un adj. poss.] Mort d'un homme; ma, ta... mort. La mort de Socrate a préparé la mort de Jésus (P. Leroux,Humanité, 1840, p.932).Elle se (...) mit à écrire près de moi et, tout d'abord, une chose ingénieuse et charmante sur la mort des fleurs, comparée à la mort des insectes éphémères (Michelet,Journal, 1858, p.391).Elle était restée dans une stupeur blême, depuis la mort de Geneviève (Zola,Bonh. dames, 1883, p.749): 1. Cela expliquait que mes inquiétudes au sujet de ma mort eussent cessé au moment où j'avais reconnu inconsciemment le goût de la petite madeleine, puisqu'à ce moment-là l'être que j'avais été était un être extra-temporel, par conséquent insoucieux des vicissitudes de l'avenir.
Proust,Temps retr., 1922, p.871. SYNT. Annoncer, apprendre, causer, hâter, souhaiter, venger, voter la mort de qqn. − [En fonction de compl. d'obj. interne] Chaque créature est seule pour mener son combat, comme elle sera seule, au jour fixé, pour mourir sa mort (Martin du G.,Thib., Été 14, 1936, p.287). − Locutions ♦ Droit de vie* ou de mort. ♦ Mort de ma vie! Mort de mon âme! Mort de mon ame! Camarades, croyons en notre capitaine (La Martelière,Robert, 1793, iv, 1, p.42).Mort de ma vie!... s'écria-t-il en montant dans la calèche où ils étoient tous trois, je le délivrerai, ou l'on m'enterrera sous les ruines de Valence!... (Balzac,Annette, t.3, 1824, p.221). ♦ Mort dieux! Le Général: (...) Je lui laverai la tête [à cet écervelé], mort dieux! (Villars,Précieuses du jour, 1866, p.21).V. Morbleu! ♦ Fam. Ça/ce n'est pas la mort d'un homme! Ça/ce n'est pas une chose difficile, insurmontable à faire. Monsieur César, un peu de courage! Ce n'est pas la mort d'un homme! (Balzac,C. Birotteau, 1837, p.233).Je suis là, moi? Cinquante mille francs sont-ils la mort d'un homme? J'hypothèque ma terre et lui prête la somme (Augier,Jeunesse, 1858, p.410). ♦ Fam. Ce n'est pas la mort du petit cheval. ,,Ce n'est pas grave, pas difficile`` (Rey-Chantr. Expr. 1979). b) [Avec un adj. (gén. postposé sauf dans le lang. littér.)] Tu n'as point médit de la vertu, en recevant si jeune une mort si cruelle! (Latouche, L'Héritier, Lettres amans, 1821, p.36).C'eût été courir à une mort certaine (Verne,500 millions, 1879, p.240).Sa mort prématurée a été un de mes premiers vrais chagrins de petit garçon (Loti,Rom. enf., 1890, p.15). SYNT. Mort accidentelle, atroce, brutale, glorieuse, héroïque, ignominieuse, immédiate, infâme, instantanée, inutile, précoce, prochaine, rapide, redoutée, solitaire, soudaine, tragique, volontaire. ♦ Belle mort. Mort naturelle, calme et sans souffrance (par opposition à la mort violente ou à la mort après une longue maladie). Mourir de sa belle mort. Il était heureux de s'être fait oublier dans ce coin de province, en y gouvernant le moins possible, certain maintenant d'y mourir de sa belle mort, avec le régime qu'il portait depuis de longues années en terre (Zola,Travail, t.2, 1901, p.169). ♦ Male mort. Mort violente. V. malemort: 2. Les sourires, les acquiescements, les soumissions et les enchantements qu'Oriante prodigue n'empêchent pas qu'elle percerait le roc, monterait dans la lune et livrerait à la male mort ceux qu'elle aime, plutôt que d'abandonner sa ligne d'ascension.
Barrès,Jard. Oronte, 1922, p.76. ♦ P. méton., vx. Mort noire. Peste noire. La mort noire au XVIesiècle, reçut sa dénomination des accidents hémorragiques qui en furent la manifestation la plus frappante (Sacquépée, Garcin dsNouv. Traité Méd.fasc. 3 1927, p.548). c) P. anal. Fin. Sur la lisière d'une capitale, l'embarcadère d'un chemin de fer, c'est la mort d'un faubourg et la naissance d'une ville (Hugo,Misér., t.1, 1862, p.521).J'aime mieux savoir du moins que tu prépares la mort de notre amour (Camus,Chev. Olmedo, 1957, 2ejournée, 5, p.761). 2. [La mort est une force intemporelle sentie comme une menace pour toute vie humaine] Anton. vie. a) [Compl. d'un verbe; la mort est l'objet d'une action] − [Avec un verbe construit directement] Néanmoins, sa promesse, son engagement (...) l'empoignaient au son de cette caisse sombre, sonnant la mort (Verlaine,
Œuvres compl., t.4, L. Leclercq, 1886, p.137).Il pensa qu'ils aimeraient tous deux, quand ils seraient deux et que viendrait leur tour, d'accepter ensemble la douce mort, comme on prend un morceau de pain (Malègue,Augustin, t.2, 1933, p.359). SYNT. Craindre, désirer, demander, mériter, risquer, souhaiter, vouloir la mort. ♦ Donner*, se donner* la mort. ♦ Pop. [Pour fustiger la lenteur de qqn] On l'enverrait chercher la mort. On peut lui envoyer chercher la Mort, on est sûr de vivre encore un bon bout de temps (Bruant1901, p.291). ♦ Vieilli ou littér. Porter la mort. Plus que vingt bras armés quand son bras serait fort, Pût oser l'attaquer et lui porter la mort (Chénier,Bucoliques, 1794, p.45). ♦ Fam. Voir la mort de près. Échapper de peu à la mort, affronter un grave danger. Je viens encore de voir la mort de près. Signe que l'on vieillit, quand le nombre de nos morts s'augmente (Léautaud,In memor., 1905, p.185). − [Avec un verbe constr. indirectement (ou un verbe à double construction)] Nous sommes trois pauv' conscrits, De l'an mil huit cent dix, Ils nous font tirer au sort, tirer au sort Pour nous conduire à la mort (Moselly,Terres lorr., 1907, p.105).Je vais à la mort comme on va à la messe (Montherl.,Port-Royal, 1954, p.1004). ♦ Hurler* à la mort. SYNT. Aspirer, échapper, s'exposer, se préparer, résister à la mort; condamner, mettre qqn à mort. b) [Avec être et avoir, il forme des loc. exprimant un état] − [Avec être] ♦ Vieilli. Être* à la mort. V. être 2esection I B 2.[Avec ell. du verbe] Il crut Mariette à la mort (Champfl.,Avent. MlleMariette,1853, p.98). ♦ Être à l'article* de la mort. ♦ Être entre la vie et la mort. Être en grand danger de mourir. Je suis resté pendant six mois entre la vie et la mort, ne parlant pas, ou déraisonnant quand je parlais (Balzac,Chabert, 1832, p.43).Dès le lendemain la fièvre puerpérale se déclara qui la maintint plus de huit jours entre la vie et la mort (Gide,Robert, 1930, p.1336). − [Avec avoir] ♦ Avoir la mort sur les lèvres, entre les dents. Être à la fin de sa vie, vivre ses derniers instants. Quand un individu ne se tient pas debout et qu'il a la mort sur les lèvres on dit: − Bon pour figurer à la morgue (Virmaitre,Dict. arg. fin-de-s., Suppl., 1899, p.104): 3. Les chrétiens qui d'eux-mêmes quittent tout pour suivre leur maître sont le petit nombre. La plupart ne sacrifient que ce qui déjà leur est arraché des mains et, pour faire le sacrifice de leur vie, attendent d'avoir la mort entre les dents.
Mauriac,Journal III, 1940, p.283. ♦ Avoir la mort sur le visage. La pauvre Marie Chaplin, à moitié dressée sur ses oreillers, avait la mort sur son visage (Bourget,Tapin, Fille-mère, 1927, p.228). c) [En fonction de suj.] Une mort très prompte vient d'enlever en huit jours cette femme d'esprit (Vigny,Mém. inéd., 1863, p.176).Nous saurons enfin, tous, que la mort n'existe pas, que la mort est un cauchemar inventé par l'ignorance, et nous serons ensemble pour toujours (Green,Journal, 1935, p.47). SYNT. La mort s'abat, s'accomplit, effraie, épouvante, étreint. ♦ Jusqu'à ce que mort s'ensuive. V. ensuivre (s'). d) [Compl. d'un subst.] M. Necker était calme devant Dieu, calme aux approches de la mort (Staël,Consid. Révol. fr., t.2, 1817, p.71).Les mystérieuses ténèbres de la mort (Dumas père, Monte-Cristo, t.2, 1846, p.313): 4. J'ai compris, grâce à eux, que nous ne pouvons valoir quelque chose que par le sacrifice et l'oubli total de soi au profit de Dieu et de sa cause, et que le meilleur moyen d'arriver au mépris de la mort est l'offrande de la vie et de la mort.
Bernanos,Lettres inéd., 1905, p.1729-1730. SYNT. Acceptation, affres, antichambre, appréhension, approche, attente, attirance, connaissance, convulsions, crainte, hantise, horreur, majesté, mépris, obsession, peur, phobie, rayon, refus, souffle de la mort. ♦ Camp de la mort. Camp d'internement où les Allemands exterminaient les ennemis du régime nazi. La liberté allemande se chante alors, au son d'orchestre de bagnards, dans les camps de la mort (Camus,Homme rév., 1951, p.229). e) [Formant des loc.] − Loc. adv. ♦ Jusqu'à la mort. Dévoué à son maître, à sa patrie, il les servit jusqu'à la mort. Il était sur un pic et combattait, quand il fut pris et fusillé (Michelet,Chemins Europe, 1874, p.507).Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même (Verlaine,
Œuvres compl., t.1, Sagesse, 1881, p.236). ♦ Entre nous, c'est à la vie (et) à la mort. Nous sommes liés par des sentiments tels que seule la mort pourra les détruire. Nous voulons rester amis et être libres, parce que c'est entre nous à la vie à la mort (Martin du G.,Thib., Cah. gr., 1922, p.633). ♦ Condamnation, condamner à mort. Condamnation, condamner à la peine capitale. Il a passé une nuit entière à jouer à la belote avec un jeune homme condamné à mort (Green,Journal, 1946, p.22). ♦ À mort. Mortellement, jusqu'à ce que mort s'ensuive. Être blessé, malade à mort; combattre, lutter à mort. Il veut se battre à mort, au pistolet d'abord, à l'épée ensuite, jusqu'à ce que le combat finisse faute de combattants (Ponson du Terr.,Rocambole, t.5, 1859, p.44). − Loc. interj. ♦ [Suivi gén. du nom de la/des personne(s) dont on souhaite la mort] Mort à...! à mort...! mort au(x) tyran(s) ! mort aux vaches*! À mort! À mort! Lapidez-le! Déchirez-le! À mort! (Sartre,Mouches, 1943, iii, 6, p.107): 5. un autre: Cela crie vengeance au ciel; sortons, et allons égorger Alexandre. un autre: Oui, sortons; mort à Alexandre! C'est lui qui a tout ordonné.
Musset,Lorenzaccio, 1834, III, 7, p.209. ♦ Vieilli. Par la mort. Célie: Supposons à présent que Montroger tombe dans le désespoir et ne se soumette pas! Armand: Mais, par la mort! de quel droit...? (Sand,MlleMerquem, 1868, p.209). − Loc. adj. ♦ De la mort (avec une valeur intensive). Qui voisine, qui affronte ou défie la mort. Saut, commando, mur de la mort. Un hussard de la mort (...) prit l'épée et tua le prisonnier (Hugo,Misér., t.1, 1862, p.410). ♦ De mort. Qui concerne, qui est relatif à la mort. Cri, danger, engin, menace, verdict de mort. La sentence de mort étant prononcée, Lady Russel alla se jeter aux pieds de Charles II, en l'implorant au nom de Lord Southampton (Staël,Consid. Révol. fr., t.2, 1817, p.380).Comme un homme en péril de mort à qui le nom de sa mère monte aux lèvres (Gracq,Syrtes, 1951, p.191): 6. ... vous appelez cela une oeuvre régénératrice, un salutaire enseignement, une semence jetée sur la terre promise! Moi, j'ai vu une oeuvre de mort, un exemple d'impuissance et les derniers grains d'une semence précieuse jetés aux vents, sur les rochers, parmi les épines!
Sand,Lélia, 1839, p.432. ♦ Arrêt* de mort. Instinct* de mort. Lit* de mort. Peine* de mort. ♦ Silence de mort. Silence complet, comparable à celui de la mort. Christophe s'enfonce dans son petit lit et retient son souffle... Silence de mort (Rolland,J.-Chr., Aube, 1904, p.14). ♦ Question, affaire de vie ou de mort. Question, affaire très importante, qui engage la vie de quelqu'un. En même temps, nous aurons à préparer le grand effort de natalité et de santé publique qui est pour la patrie une question de vie ou de mort (De Gaulle,Mém. guerre, 1956, p.585). ♦ Rare, dans une constr. attributive. C'est pourquoi le matin et le printemps sont de bonheur, pourquoi le crépuscule et l'automne sont de mort (Laforgue,Moral. légend., 1887, p.237). f) Poét. [Souvent avec une majuscule] − [La mort, conçue comme une abstraction est personnalisée] Il y a des morts si soudaines de jeunes filles qu'elles ressemblent à des assassinats de la mort (Goncourt,Journal, 1886, p.247).Ils ne veulent pas contempler la Mort!... Voyez-vous, mon cher, il n'y a que deux hommes, le prêtre et le médecin, qui passent leur existence à regarder la Mort en face (Curel,Nouv. idole, 1899, ii, 5, p.215): 7. Il en est qui jamais n'ont connu leur Idole,
Et ces sculpteurs damnés et marqués d'un affront,
Qui vont se martelant la poitrine et le front,
N'ont qu'un espoir, étrange et sombre Capitole!
C'est que la Mort, planant comme un soleil nouveau,
Fera s'épanouir les fleurs de leur cerveau!
Baudel.,Fl. du Mal, 1857, p.225. − [La mort est représentée allégoriquement] Squelette drapé ou nu portant une faux. Il y a un évêque, un roi, et puis un diable, et la Mort avec une faux (Ramuz,A. Pache, 1911, p.229): 8. Drapée en noir, la Mort
Cassant entre ses mains, le sort
Des gens méticuleux et réfléchis
Qui s'exténuent, en leurs logis,
Vainement, à faire fortune;
La Mort soudaine et importune
Les met en ordre dans leurs bières
Comme des fardes régulières.
Verhaeren,Villes tentac., 1895, pp.189-190. SYNT. Affronter, appeler, braver, défier, vaincre la Mort; la Mort s'abat, s'approche, fauche, frappe, moissonne; froid, pâle, triste comme la Mort. 3. BIOLOGIE ♦ Mort (totale, absolue). ,,Arrêt complet et définitif des fonctions d'un organisme vivant, avec disparition de sa cohérence fonctionnelle et destruction progressive de ses unités tissulaires et cellulaires`` (Méd. Biol. t.2 1971). Une définition plus générale de la mort a été apportée par l'analyse des «comas dépassés». C'est la mort cérébrale qui constitue le signe absolu de la mort (Méd. Flamm.1975).La maladie et la mort ne sont qu'une dislocation ou une perturbation de ce mécanisme qui règle l'arrivée des excitants vitaux au contact des éléments organiques (Cl. Bernard, Introd. et méd. exp., 1865, p.120).On arrive à classer les causes de la mort en trois groupes: troubles ou obstacles mécaniques; lésions d'un organe important; infection ou intoxication générale (Roger dsNouv. Traité Méd.fasc. 1 1926, p.95). ♦ Mort apparente*. ♦ Mort foetale. ,,Décès d'un produit de conception, lorsque ce décès est survenu avant l'expulsion ou l'extraction complète du corps de la mère, indépendamment de la durée de la gestation`` (Méd. Biol. t.2 1971). ♦ Mort naturelle. Mort due à une cause interne (vieillissement, maladie): 9. À cinquante-six, commence la vieillesse la plus hâtive. Soixante-trois est la première époque de la mort naturelle. (Je me rappelle que vous blâmez cette expression: nous dirons donc mort nécessaire, mort amenée par les causes générales du déclin de la vie). Je veux dire que, si l'on meurt de vieillesse à quatre-vingt-quatre, à quatre-vingt-dix-huit, on meurt d'âge à soixante-trois: c'est la première époque où la vie finisse par les maladies de la décrépitude.
Senancour,Obermann, t.2, 1840, p.13. ♦ Mort violente (p. oppos. à mort naturelle). Mort due à une cause externe (accident, homicide, suicide ou exécution judiciaire). Le cuivre, à notre époque, il sert à fabriquer des douilles d'obus et de la mort violente en perspective (Arnoux,Paris, 1939, p.166). ♦ Mort subite. Mort brutale sans cause apparente. Geneviève lui conta, en quelques mots, l'histoire de la mort subite d'un parent (Zola,M. Férat, 1868, p.201). ♦ Mort génétique. Élimination, dans une population, d'un gène létal par incapacité des individus porteurs d'avoir une descendance. Dans une population, la fréquence d'un gène défavorable tend toujours à rejoindre la valeur où le nombre de morts génétiques qu'il entraîne par génération équilibre le nombre de gènes nouveaux produits par mutation (L'Hér.Génét.1978).En radiobiologie, mort de la cellule sous l'effet d'une dose d'irradiation qui permet à la cellule de se diviser encore un petit nombre de fois en donnant des cellules non viables. Synon. mort mitotique (d'apr. Méd. Biol. t.2 1971). ♦ Mort biologique. Destruction d'un écosystème. Le Rhin roule déjà des eaux à la limite de la mort biologique. Une poussée de chaleur et le poisson ne peut plus vivre (Le Sauvage, janv. 1974, p.12, col.3). 4. RELIG. [Considérée comme fruit du péché de l'Homme contre Dieu] Séparation de l'âme du corps, marquée par le passage du temps à l'éternité. Milton déclare qu'il chante la désobéissance de l'homme, et le fruit défendu qui fit entrer la mort dans le monde, etc. (Chateaubr.,Martyrs, t.1, 1810, p.40).Saint Paul, qui annonce que «le dernier ennemi qui doit être détruit est la mort» (Camus,Homme rév., 1951, p.238). ♦ Bonne mort, sainte mort. Mort du juste, en état de grâce. Sa sainte mort consommée au mois d'août de cette année (Sainte-Beuve,Port-Royal, t.3, 1848, p.277). ♦ Mauvaise mort, mort de l'âme, mort éternelle. ,,État de ceux qui dans l'autre monde, se trouvent privés par leur faute de la vision béatifique de Dieu qui constitue la vie éternelle`` (Foi t.1 1968). Voilà des crimes qui, dans le système des catholiques, sont dignes de la mort éternelle (Dupuis,Orig. cultes, 1796, p.547). ♦ Péché de mort. Péché mortel. Que de fois, par exemple, passant dans les villages pour acheter les oeufs, la ferraille ou les oies, un paysan vous invite à sa table et vous offre du cochon: on accepte par bonhomie, et c'est un péché de mort! (Tharaud,Ombre de la Croix, 1917, p.39). ♦ [P. allus. à Ézéchiel, 18, 23, 32] Ne pas vouloir la mort du pécheur. Être indulgent. N'essayez pas de crier. Pas de scandale. Je ne veux pas la mort de la pécheresse. Cela peut s'arranger (...). Sinon je me trouve engagé et je ne réponds de rien (Arnou.,Rêv. policier amat., 1945, p.291). ♦ Mort au monde. Renoncement aux fastes du monde pour se consacrer à Dieu. P. anal. Ce concert finissait mon séjour à Paris, c'était le glas de ma mort au monde (E. de Guérin,Journal, 1840, p.368). B. − P. hyperb. Altération de la vie. 1. Diminution de la force, de l'activité, des pouvoirs. a) [Chez une pers., physiquement ou mentalement] Ces morts successives, si redoutées du moi qu'elles devaient anéantir, si indifférentes, si douces une fois accomplies et quand celui qui les craignait n'était plus là pour les sentir, m'avaient fait depuis quelque temps comprendre combien il serait peu sage de m'effrayer de la mort (Proust,Temps retr., 1922, p.1038): 10. L'habitude d'un long silence l'avait rendue muette; l'ombre de sa demeure, la vue continuelle des mêmes objets, avaient éteint ses regards et donné à ses yeux une limpidité d'eau de source. C'était un renoncement absolu, une lente mort physique et morale, qui avait fait peu à peu de l'amoureuse détraquée une matrone grave.
Zola,Fortune Rougon, 1871, p.134. ♦ Mort civile*. ♦ [P. réf. à la déchéance progressive apportée par la drogue] Mort lente. Drogue. La C.i.a., elle-même, récemment réorganisée, a reçu du président Nixon la tâche de s'occuper aussi du trafic de la drogue. Aux marchands de mort lente, les Américains ont déclaré la guerre totale. Des deux côtés de la barricade, les Français, truands ou policiers, sont en première ligne (L'Express, 7 mai 1973, p.93, col.3). ♦ Mort professionnelle. Cessation d'activité professionnelle, chômage. L'obsession de la mort professionnelle n'a pas quitté les commerçants (L'Express, 1erdéc. 1969,p.67, col.1). ♦ Mort sociale. Isolement, solitude sociale. Faut-il parler aussi de ce que les sociologues appellent la «mort sociale»? On n'a plus d'amis. Parce qu'on ne saurait pas quand les voir, ni surtout quoi leur dire d'autre que ce leitmotiv: ,,Je ne veux plus faire les nuits, je veux mes dimanches, je voudrais vivre comme vous...`` (Le Sauvage, juin 1973, p.17, col.1). ♦ Fam., p. méton. Attraper la mort. Prendre un refroidissement. C'est dégoûtant, ce bois!... il y a une humidité!... il n'en faut pas davantage pour attraper la mort! (Gyp,Gde vie, 1891, p.78). b) [En parlant d'une chose, dans des emplois souvent métaph.] − [Une communauté humaine (un continent, un pays, une ville)] Il me parle de la mort de ce pays [Haïti] depuis l'abandon des Français, me signale les ruines des édifices, des routes, de tout (Goncourt,Journal, 1894, p.651). − [Une culture ou l'expression de cette culture] Cette année 98, qui est celle de ma naissance, vit commencer la langueur, la mort de la presse, la ruine de l'imprimerie, anéantie sous Napoléon (Michelet,Journal, 1846, p.657).C'est par là que la guerre actuelle a pour enjeu la vie ou la mort de la civilisation occidentale (De Gaulle,Mém. guerre, 1954, p.570): 11. Quand je parlai de la mort des Cathédrales, je craignis que la France fût transformée en une grève où de géantes conques ciselées sembleraient échouées, vidées de la vie qui les habita et n'apportant même plus à l'oreille qui se pencherait sur elle la vague rumeur d'autrefois, simples pièces de musée, glacées elles-mêmes.
Proust,Past. et mél., 1919, p.198. 2. Sensation intense. ♦ Petite mort. Frisson nerveux, orgasme. Jusqu'au jour durait la mêlée de ces deux corps fondus dans une longue caresse: la petite mort de la volupté apportant au visage de Juliette une transfiguration extatique (E. de Goncourt,Faustin, 1882, p.216). ♦ À mort. Extrêmement, au plus haut degré. Il s'enivre à mort, deux fois par mois, avec exactitude (Duhamel,Journal Salav., 1927, p.62).Des hommes exploitaient à mort d'autres hommes! (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.297). ♦ Se brouiller, se fâcher à mort. Se brouiller, se fâcher sans espoir de réconciliation. Les Lorilleux s'étaient brouillés à mort avec Gervaise (Zola,Assommoir, 1877, p.498). ♦ À la mort. Même sens. Je suis fatigué à la mort (Stendhal,Rouge et Noir, 1830, p.386).Je suis triste à la mort. Je voudrais te voir (E. de Guérin,Journal, 1839, p.283).Lorsqu'un infortuné est dévoué à la mort (Musset,Mouche, 1854, p.265). 3. Malheur, grande affliction. ♦ Avoir la mort dans l'âme, dans le coeur. Être très affligé; faire quelque chose contre son gré, à son corps défendant. On fut contraint d'aller au bal, la mort dans le coeur, pleurant intérieurement ses parents ou ses amis (Chateaubr.,Mém., t.2, 1848, p.468).Elle avait la mort dans l'âme (Triolet,Prem. accroc, 1945, p.86). ♦ Souffrir mille morts. Subir une épreuve très pénible, éprouver de vives souffrances. Mais, madame, vous allez souffrir mille morts, si c'est vrai! (Ponson du Terr.,Rocambole, t.2, 1859, p.392). ♦ Souffrir, suer mort et passion. Endurer de cruelles épreuves. Puisque la lettre ne nous semble insuffisante qu'en la lisant, mais que nous suons mort et passion tant qu'elle n'arrive pas, et qu'elle suffit à calmer notre angoisse (Proust,Fugit., 1922, p.454). ♦ Être la mort de qqn. Faire le malheur de quelqu'un. Pour un noble au quinzième siècle, c'était déjà la mort que de jouer le rôle d'un bourgeois sans sou ni maille, et de renoncer aux privilèges du rang (Balzac,MeCornélius, 1831, p.224).La captivité de Charles en Sibérie fut, pour cette femme aimante, la mort tous les jours (Balzac,Modeste Mignon, 1844, p.26). Prononc. et Orth.: [mɔ:ʀ]. Homon. maure, mors, formes de mordre. Pas de liaison au sing. Affecté et vieilli, ds Littré: il a souffert mort et passion [mɔ
ʀte-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 881 «cessation définitive de la vie» (Ste Eulalie, 28, éd. Henry Chrestomathie, p.3: Qued auuisset de nos Christus mercit Post la mort); fin xes. aler a la mort (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 156); début xiies. (Benedeit, St Brendan, éd. E. G. Waters, 348: la mort le prent [mortis nexibus occupatus]); 1160-74 ne por vie ne por mort «même au péril de la vie, en aucune circonstance» (Wace, Rou, éd. J. Holden, II, 292); ca 1170 u a mort u a vie «en toute circonstance, toujours» (Rois, II, XV, 22, éd. E. R. Curtius, p.86); ca 1200 suffrir la mort [en parlant du Christ] (Chanson de Guillaume, éd. McMillan, 312); 1214-27 estre a la mort (Perceval, 3econtinuation par Manessier 38060 ds T.-L.); 1283 dr. mort d'homme (Beaumanoir, Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 1699) − Locutions a) loc. adv.
α) ca 1100 a mort (Roland, éd. J. Bédier, 1952 a mort est ferut; 1965: il est a mort nasfret);
β) ca 1260 desirer a mort (Récits d'un ménestrel de Reims, 202 ds T.-L.); fin xiiies. heer a mort (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 12203, var. ms. K); b) loc. interj.
α) fin xiiies. Par la mort Dieu (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. A. Hilka, 1398, var. ms. M), v. aussi morbleu;
β) ca 1260 A la mort, a la mort! (Récits d'un ménestrel de Reims, 221 ds T.-L.); c) imprécation ca 1200 que male mort ocie! (Chevalier au cygne, 76, ibid.); 2. La Mort personnifiée, évoquée avec ses attributs ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, op. cit., 23006: Ha! chäeles, Mort, ne targier!); 1197 (Hélinant, Vers de la mort, I, 4 ds T.-L.: Morz, ... Tu lieves sor toz ta maçüe); 1226-30 (Guillaume Le Clerc, Besant de Dieu, éd. P. Ruelle, 204: La mort a sa pierre en sa fronde Tut aprestee por lancier); 3. la peine capitale xives. jugiez a mort [en parlant du Christ] (Chrétien de Troyes, op. cit., 583, var. ms. S); 1559 criminel de mort (Amyot, Hommes illustres, Antoine, 93, éd. Gérard Walter, t.2, p.936); 1606 condamner à la mort, condamné à mort (Nicot). II. A. Séparation, mise à l'écart 1. ca 1190 relig. «séparation définitive d'avec Dieu, mort spirituelle, damnation» (Renart, éd. M. Roques, 8674: Diex ne viaut mort de pecator); ca 1223 seconde mort «id.» [secunda mors, Apoc., II, 11; XX, 6; cf. Dan., XII, 2] (Gautier de Coinci, Ste Christine, 3409 ds T.-L. [opposée à la premiere mort consistant dans la séparation de l'âme et du corps ca 1275 (Vie de Ste Marthe, éd. P. Meyer ds Not. et Extr. des mss de la Bibl. nat., t.35, 2, p.503]); 2. ca 1600 relig. «séparation d'avec l'Église» mort spirituelle (D'Aubigné, Confession du sieur de Sancy ds
Œuvres, éd. H. Weber, II, VI, p.646: Bèze est mort de mort civile: à sçavoir par bannissement, et de mort spirituelle ... à sçavoir par l'excommunication); 3. ca 1600 dr. mort civile (D'Aubigné, loc. cit.); 4. av. 1719 terme de spiritualité la mort au monde (Maintenon, Lettre à Mmede Glapion, t.3, p.194 ds Littré). B. Difficulté, ruine 1. ca 1223 «peine, difficulté» a grant mort (Gautier de Coinci, Miracles, éd. F. Koenig, II Ch. 9, 3075); ca 1250 a grant paine et a male mort (Douin de Lavesne, Trubert, éd. G. Raynaud de Lage, 585); mil. xves. «peine, mal, souffrance» mourir de mille mors (Alain Chartier, Belle Dame sans merci, éd. A. Piaget, 143); 2. 1572 méd. petite mort «syncope» (Paré,
Œuvres, éd. J. Malgaigne, t.1, p.450a); 3. 1670 «déclin, ruine» (Bossuet, O. f. Henriette d'Angleterre, éd. Y. Champailler,
Œuvres, p.84: la mort et le néant de toutes les grandeurs humaines). Du lat. mors, mortis «mort, peine de mort [morte multare]», désignant la personnification de la Mort; fig. «déficience, ruine, perte [mors memoriae]»; dans la lang. philos. et relig. désigne la vie terrestre (Cic., Tusc., 1, 75, TLL s.v., 1505, 84: haec vita mors est et Id., Scaur., 4, ibid., 1505, 79: hanc esse mortem quam nos vitam putaremus); dans la lang. chrét. «mort spirituelle (par le péché), mort spirituelle définitive», cf. supra seconde mort. Fréq. abs. littér.: 342. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 308, b) 650; xxes.: a) 565, b) 502. Bbg. Bonan Garrigues (M.), Élie (G.). Essai d'analyse sém. Cah. Lexicol. 1971, no19, pp.83-88. _ Bouverot (D.). Mort ds les textes littér. du 19eet 20es. dépouillés pour le TLF. In: La Mort en toutes lettres. Nancy, 1983, pp.285-289. _ Brault (G.S.). Le Thème de la mort ds la Chanson de Roland. Société Rencesvals. 4eCongrès Internat. 1967. Heidelberg, 1969, pp.220-237. _ Le Gentil (P.). Réflexions sur le thème de la mort ds les chansons de geste. In: [Mél. Lejeune (R.)]. Gembloux, 1969, pp.801-809. _ Martineau-Génieys (G.). Le Thème de la mort ds la poésie fr. de 1450 à 1550. Paris, 1977, 656 p. _ Quem. DDL t.19. |