| MONSEIGNEUR, subst. masc. I. A. − [Titre honorifique donné à certains personnages éminents, sous l'Ancien Régime: aux princes, ducs, comtes, prélats, ministres, maréchaux, intendants, aujourd'hui: aux princes des familles souveraines et aux prélats] En général, les gentilshommes n'appelaient jamais l'intendant que Monsieur; mais j'ai remarqué que dans ces circonstances ils l'appellent toujours Monseigneur, comme les bourgeois (Tocqueville,Anc. Rég. et Révol., 1856, p.145).S. A. le prince de Borodino, ministre d'État, à qui l'on écrivait «Monseigneur» et qui était neveu du souverain (Proust,Guermantes 1, 1920, p.129).MmeLouise répétait partout que le magot irait aux hospices ou même à Monseigneur, bien que la vieille ne fût guère dévote (Bernanos,Crime, 1935, p.818): 1. La vanité de M. de Fronsac, blessée de ne pas être appelé duc, lui fit inventer une histoire dont un des interlocuteurs, un de ses gens, l'appelait monseigneur. M. de Genlis l'arrête à ce mot, et lui dit: «Qu'est-ce que tu dis-là? monseigneur! on va te prendre pour un évêque (...)».
Chamfort,Caract. et anecd., 1794, p.125. Donner du monseigneur, se revêtir du monseigneur. Donner, prendre le titre de monseigneur. Les anciens Gascons se revêtaient du monseigneur (Janin,Âne mort, 1829, p.44).Il louait ceux qui lui faisaient du bien et il donnait du monseigneur aux sots qui lui venaient en aide (A. France,Génie lat., 1909, p.41).♦ Monseigneur + subst. désignant la dignité (abrév. Mgr).Monseigneur le comte (de Paris), le prince, le duc (de Berry, de Bourgogne, d'Angoulême), l'archevêque (de Paris, de Rouen), le nonce apostolique, le vice-légat, l'intendant, le régent, le cardinal (Antonelli), le maréchal (Cottin). Son Excellence Monseigneur le Ministre de la Police Générale du Royaume (Balzac,Goriot, 1835, p.183).Les Vendéens appelaient un Bourbon; ils attendaient monseigneur le comte d'Artois, l'homme selon Dieu de Valentin (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t.2, 1870, p.236).C'était une fièvre double tierce, dont j'ai eu cinq ou six accès. Mon premier le mercredi, qui me venait de la messe de Mgr le Nonce, dont j'ai eu grande fatigue (Montherl.,Port-Royal, 1954, p.1012): 2. Hugo lui a dit: «Ah! Balzac, ... j'ai une objection à faire: il était royaliste!» C'est vraiment drôle de la part de l'homme qui a fait l'Ode sur la naissance de Son Altesse Royale Monseigneur le duc de Bordeaux.
Goncourt,Journal, 1882, p.216. ♦ Monseigneur de + nom de la seigneurie, de l'évêché, de l'archevêché.Monseigneur de Quimper vous donne-t-il quelques espérances pour [l'élection de] notre ami M. de Saqueville? (Mérimée,Deux hérit., 1853, p.45).Pendant le Carême, elle donnait tous les vendredis des dîners maigres dont les menus (...) étaient commentés jusque chez Monseigneur d'Amiens (Lorrain,Contes chandelle, 1897, p.159). ♦ Vieilli. [Devant le nom d'un saint] Chantez Jésus, les archanges, Et monseigneur saint Denis! (Hugo,Odes ball., 1828, p.309).Alors monseigneur saint Michel descendit Du ciel, et vers Roland, occupé de combattre, Accourut (Banville,Exilés, 1874, p.26). ♦ Monseigneur + nom de la pers. (abrév. Mgr).Certaines conférences religieuses renouvelaient fâcheusement l'intransigeance de Mgr Dupanloup (Ambrière,Gdes vac., 1946, p.309).Le Vatican, en effet, eût souhaité que Mgr Valeri fût accrédité auprès du général De Gaulle (De Gaulle,Mém. guerre, 1959, p.45). Rem. Cet usage est jugé fautif par Renan: On s'est habitué, de notre temps, à mettre monseigneur devant un nom propre (...). C'est là une faute de français; le mot «monseigneur» ne doit s'employer qu'au vocatif ou devant un nom de dignité (Souv. enf., 1883, p.267). P. plaisant. Ce Roi a une main qui prend et une main qui pend. C'est le procureur de dame Gabelle et de monseigneur Gibet (Hugo,N.-D. Paris, 1832, p.529).Nous avons vu quelquefois Gautier (...) accorder par-ci par là quelques paroles laudatives à monseigneur Progrès et à très-puissante dame Industrie (Baudel.,Art romant., 1859, p.481).− En partic., absol. Titre donné au dauphin de France depuis Louis XIV. C'était un fils étiolé par un père homme d'esprit, comme Monseigneur par Louis XIV (Stendhal,H. Brulard, t.1, 1836, p.222).On préfère convenir que le fils de Louis XIV, Monseigneur, ne recevra chez lui tel souverain étranger que dehors, en plein air, pour qu'il ne soit pas dit qu'en entrant dans le château l'un a précédé l'autre (Proust,Guermantes 2, 1921, p.436). Rem. Formes plur. a) Messeigneurs [pour s'adresser à des pers. portant ce titre ou parler d'elles] Sire, Milady, Messeigneurs, je vous présente mon ami Marestan (Péladan, Vice supr., 1884, p.173). Tout le chapitre prit place autour de la table (...). Il y avait là messeigneurs Jean Bruant, Thomas Alépée (France, Clio, 1900, p.140). b) Nosseigneurs [pour parler de pers. portant ce titre] (abrév. NN.SS.). Comment peut-on forcer les feuilles périodiques à remplir les blancs que laissent les retranchements de nos-seigneurs? (Chateaubr., Opin. sur lib. Presse, 1818, p.105). [Le] bas clergé, comme nous appellent nosseigneurs les évêques (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t.1, 1870, p.260). c) Monseigneurs (fam.). [Avec art.] Il y a dans ma famille un cordonnier et un évêque, des gueux et des monseigneurs (Hugo, Corresp., 1867, p.18). Les deux fils du prince Napoléon dînent (...). Ils sont gentils, les deux monseigneurs (Goncourt, Journal, 1878, p.1264). B. − [Avec l'art. indéf. ou en emploi attribut] − Personne portant le titre de «monseigneur». Baptiste, valet de chambre, lorsque j'étais Monseigneur, et redevenu valet tout court, à la chute de ma seigneurie (Chateaubr.,Mém., t.4, 1848, p.178). − P. ext. Personne éminente. Vous étiez faite pour vivre dans ce temps-là. Une créature de votre calibre aurait mérité un monseigneur! (Flaub.,Éduc. sent., t.1, 1869, p.193). II. − Arg. [P. réf. au fait que toutes les portes s'ouvrent devant Monseigneur (Larch. 1880)] Levier, pince dont se servent les voleurs pour forcer les portes. S'il y a des secrets dans vos secrétaires (...) ouvrez-les, autrement vous vous exposerez aux ravages du Monseigneur, de la terrible pince (Vidocq,Mém., t.4, 1828-29, p.83).Escrocs, larrons de toutes sortes, Enfants chéris du Déshonneur, Se servant, pour ouvrir les portes, Du rossignol, du monseigneur (Pommier,Paris, 1866, p.405). Rem. On dit aussi monseigneur le dauphin: Vol avec effraction, à l'aide d'une pince ou monseigneur le dauphin (Vidocq, Mém., t.3, 1828-29, p.54). − Plus cour. [En appos. ou en comp.] Pince(-)monseigneur. Lesclefs deviennent inutiles quand celui qu'on veut empêcher d'entrer peut se servir d'un passe-partout ou d'une pince-monseigneur (Proust,Prisonn., 1922, p.155).Je suis dans mon bon droit. Rien ne me fera ouvrir cette porte. «Ils» ne m'auront qu'à la pince monseigneur (H. Bazin,Vipère, 1948, p.195). ♦ P. métaph. Pour eux l'intelligence était l'espèce de «pince monseigneur» grâce à laquelle des gens qu'on ne connaissait ni d'Ève ni d'Adam forçaient les portes des salons les plus respectés (Proust,Guermantes 2, 1921, p.442). Prononc. et Orth.: [mɔ
̃sε
ɳoe:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Plur. v. supra rem. I A. V. aussi bonhomme, gentilhomme, monsieur. Étymol. et Hist. 1. 1160-74 mon seignor «titre accompagnant le nom d'un saint» (Wace, Rou, éd. A.-J. Holden, III, 9998); 1216 monseigneur «titre donné à des personnages éminents, ici un noble» (Robert de Clary, Constantinople, éd. Ph. Lauer, p.48, 31), pour l'évolution sém. et ses relations avec messire, v. L. Foulet ds Romania t.71, pp.1-48 et pp.180-221 et t.72, pp.31-77; pour la différence entre Monsieur et Monseigneur v. E. Pasquier, Recherches, VIII, 5 ds Hug.; 1680 (Rich.: Monseigneur est un tître qui se donne en parlant, ou en écrivant à celui de qui on est vraiment sujet, ou à ceux qui sont les plus éminens dans l'Église, dans la robe, ou dans l'épée); 2. 1827 monseigneur «petit levier» (Grandval, Cartouche ou le vice puni, p.96). Comp. de l'adj. poss. mon* et de seigneur*; v. aussi messire et monsieur. Fréq. abs. littér.: 2225. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4450, b) 4572; xxes.: a) 2452, b) 1740. DÉR. Monseigneuriser, verbe trans.a) Appeler (quelqu'un) monseigneur généralement par plaisanterie, par flatterie. Autant il mettait de ponctualité à monseigneuriser Rodolphe dans le tête-à-tête, autant devant les étrangers il avait soin de ne jamais l'appeler autrement que monsieur Rodolphe (Sue,Myst. Paris, t.1, 1842, p.245).Monseigneur, [dit-il au Ministre,] (...) (jamais Excellence ne s'est fâchée de ce qu'on la monseigneurisait) (Vidocq,Vrais myst. Paris, t.4, 1844, p.245).b) Arg. ,,Crocheter une porte`` (Delvau 1866, p.257). − [mɔ
̃sε
ɳoeʀize], (il) monseigneurise [mɔ
̃sε
ɳoeʀi:z]. Att. ds Ac. dep. 1798. − 1resattest. a) 1692 se monseigneuriser «se traiter réciproquement de monseigneur» (Fr. de Callières, Des Mots à la mode, Discours 2, p.145), 1704 iron. monseigneuriser «donner l'appellation de monseigneur» (Trév.), b) 1866 «forcer une porte» (Delvau, p.257); de monseigneur, suff. -iser*. BBG. − Darm. 1877, p.127. _ Lew. 1968, pp.119-120. _ Quem. DDL t.3 (s.v. monseigneuriser). _ Sain. Arg. 1972 [1907] p.114, 284, 285. |