| MOLLESSE, subst. fém. A. − Caractère d'une chose molle, d'un corps mou. 1. Caractère de ce qui est doux au toucher et qui s'enfonce ou cède à la pression. Sa main, d'une mollesse si humide au simple toucher, avait quelquefois des pressions brutales (Flaub., 1reÉduc. sent., 1845, p.179).Il chercha tous les coins de mollesse et de fraîcheur de ce lit si bon (Benjamin, Gaspard, 1915, p.87): 1. Et quand, la pluie passée, les branches seules ruisselèrent, alors chacun ôtant ses souliers, ses sandales, palpa de ses pieds nus cette terre mouillée dont la mollesse était voluptueuse.
Gide, Nourr. terr., 1897, p.233. − BEAUX-ARTS (peint., sculpt.). Représentation des chairs dans leur élasticité, leur souplesse. En Besnard revit Boucher. Comparez (...) cette sensualité rose et or, cette mollesse riante où se décèle une nervosité souple, un jeu secret des muscles, (...) tout cela c'est Boucher, c'est Fragonard (Mauclair, De Watteau à Whistler, 1905, p.42). 2. P. anal. a) Caractère d'une forme dont les traits sont adoucis par des lignes arrondies et sans tranchant. Madame Laprat-Teulet était une petite personne blême, qu'on croyait toujours voir à travers une gaze, tant ses traits avaient de mollesse (A. France, Orme, 1897, p.200).Le visage, comme le corps, tend à la mollesse et à la rotondité des formes (Mounier, Traité caract., 1946, p.218). b) BEAUX-ARTS, LITT., vieilli. Douceur, fluidité du style, de l'expression, du trait. Mollesse du pinceau. Ces vers, qui d'ailleurs ne manquent ni d'abandon, ni de mollesse, ne se trouvent point dans l'auteur anglois (Chateaubr., Génie, t.1, 1803, p.389).Ses descriptions [de Rousseau] sont moins pompeuses que celles de Buffon, mais elles ont plus de charme. Il y a plus de grâce, de douceur, de mollesse dans son style (Chênedollé, Journal, 1815, p.74). B. − Au fig. Caractère d'une personne molle. Synon. atonie. 1. Langueur, apathie physique ou intellectuelle. Salammbô était envahie par une mollesse où elle perdait toute conscience d'elle-même (Flaub., Salammbô, t.2, 1863, p.44): 2. Elle entra, demanda une bouteille de liqueur douce, un hot-dog et, aussitôt assise seule dans une cabine, alluma une cigarette. Presque à la première bouffée, une sensation de mollesse la gagna.
Bloy, Bonheur occas., 1945, p.312. − Caractère d'un geste, d'un mouvement dont la lenteur ou la souplesse traduisent cette apathie. Tout doucement elle cherchait à se dégager de son bras, mais avec tant de mollesse que Stephen n'avait pas grand-peine à la retenir (Karr, Sous tilleuls, 1832, p.184).Les arbres se balançaient avec mollesse (Gobineau, Nouv. asiat., 1876, p.164): 3. Anne qui se mélange au drap pâle et délaisse
Des cheveux endormis sur ses yeux mal ouverts
Mire ses bras lointains tournés avec mollesse
Sur la peau sans couleur du ventre découvert.
Valéry, Alb. vers anc., 1900, p.89. − P. anal., ÉCON. Baisse de l'activité économique. Mollesse du commerce, des affaires. La lourdeur des impôts sur le revenu, une forte poussée de l'épargne étaient, selon les spécialistes, les principales explications de cette «mollesse de la consommation» (L'Express,21 sept. 1970) 2. Absence de volonté, de détermination. La mollesse, l'incurie de certains chefs (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t.2, 1823, p.313).Il s'était acoquiné aux Charmettes, par mollesse et pour sa commodité (Guéhenno, Jean-Jacques, 1948, p.221): 4. D'une mollesse d'enfant, incapable d'une résolution, il avait adopté ce modus vivendi qui consiste à se laisser aller au petit bonheur de l'existence et à s'en remettre au bon Dieu du soin de trancher les questions dès l'instant qu'elles se présentent avec quelque nuance d'embarras.
Courteline, Ronds-de-cuir, 1893, 2etabl., 2, p.72. − BEAUX-ARTS, LITT. Manque de fermeté, de vigueur dans l'expression d'une oeuvre littéraire, musicale ou plastique. [Joe Smith] possède la faculté extraordinaire de jouer ses solos avec une douceur délicieuse sans jamais tomber dans la mollesse (Panassié, Jazz hot, 1934, p.107). ♦ P. méton. Dans la scène du pavillon, il y a des mollesses, des longueurs. Ça n'est pas assez intense (Flaub., Corresp., 1859, p.308). 3. Laxisme, excès d'indulgence. Tous accusaient Barca de s'être conduit avec mollesse. Il aurait dû, après sa victoire, anéantir les mercenaires (Flaub., Salammbô, t.2, 1833, p.14). 4. Sybaritisme, mode de vie facile et voluptueux. Mmede Lambert savait qu'à la date où elle écrivait, le danger pour cette jeunesse guerrière était bien plutôt dans le trop de dissolution et de mollesse (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t.4, 1851, p.221): 5. Que Pascal haïsse tout ce qui pourrait le séparer de Jésus-Christ, et en particulier les satisfactions des sens, la mollesse, ce qui s'appelle aujourd'hui le confort, cela est commun à tous les saints, comme aussi l'amour de la maladie et de la pauvreté...
Mauriac, Pascal et sa soeur, 1931, p.232. Prononc. et Orth.: [mɔlεs]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1200 molece «manque de vigueur, de fermeté morale» (Moralités sur Job, 306, 22 ds T.-L.); b) xves. molicie «moeurs relâchées, vie voluptueuse» (Chron. et hist. saint. et prof., Ars. 3515, fo153 roet fo157 rods Gdf.); c) début du xvies. molice «confort» (Fossetier, Cron. Marg., ms. Brux., I, fo181 vo, ibid.); d) 1551 au plur. mollicies «faits qui manifestent un relâchement moral» (D. Sauvage, Trad. de Léon Hebrieu, 34 d'apr. Vaganay ds Hug.); e) av. 1570 mollice «souplesse d'expression, caractère peu rigide (d'une langue)» (Bonivard, Adv. et dev. des leng., éd. 1849 ds Gdf.); f) 1652 «manque de vigueur et de fermeté dans l'expression» (Guez de Balzac, Socrate chrét. disc., 7 ds Littré); g) 1764 «douceur, délicatesse, nuance dans l'expression» (Voltaire, Commentaires Corneille, Rem. Pertharite, II, 5, ibid.); h) 1767 mollesse de pinceau (Diderot, Salon de 1767, Œuvres, t.XIV, p.371 d'apr. Pougens, ibid.); 2. 1erquart xiiies. moleche «manque de consistance, de fermeté (d'un corps, ici la chair)» (Reclus de Molliens, Charité, 221, 5 ds T.-L.); 3. ca 1260 molesce «faiblesse de caractère» (Ménestrel de Reims, 7, ibid.). Dér. de mou*, mol*, molle* (suff. -esse1*), les formes molicie, molice, mollicie, molice étant directement adaptées du lat. mollitia «mollesse». Le retard relatif des premières attest. du mot accrédite l'hyp. d'une dérivation plutôt qu'une évolution anc. à partir de mollitia (FEW t.6, 3, p.51b). Fréq. abs. littér.: 545. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1001, b) 976; xxes.: a) 791, b)463. |