| MOISIR, verbe A. − Emploi intrans. 1. [Le suj. désigne une substance] S'altérer, se gâter par l'action de l'humidité, en se couvrant d'une végétation cryptogamique semblable à une légère mousse blanchâtre ou verdâtre. Le cuir, les étoffes moisissent. C'est ici que finissent mes domaines, dit le baron, arrivé devant la niche de rocaille où moisissait Pomone (Gautier,Fracasse, 1863, p.43).Au mur, des vitrines, où moisissent de vieux insectes (Fromentin,Voy. Égypte, 1869, p.147). 2. P. méton. a) [Le suj. désigne une chose] Être inemployé, improductif; rester au même endroit durant un certain temps. Si vous pouviez remettre au porteur les 75 [Fr] restant, je vous promets qu'ils ne moisiront pas dans ma caisse (Balzac,Corresp., 1835, p.626).Sa lance n'aime pas moisir au râtelier (Hugo,Légende, t.1, 1859, p.320): 1. ... et bien que M. de Vindeuil usât jusqu'à la corde ses redingotes noires et laissât moisir à sa boutonnière ses rosettes de la Légion d'honneur, il fallait reconnaître en lui un homme de race, un aristocrate.
Coppée,Longues et brèves, 1893, p.222. b) [Le suj. désigne une pers.] Rester inactif, immobile, à la même place ou dans la même situation, durant un laps de temps qui semble assez long. Viens avec moi, je vais t'introduire chez le patron, sans quoi tu pourrais moisir jusqu'à sept heures du soir (Maupass.,Bel-Ami, 1885, p.53).J'ai pas moisi dans la boutique... Je suis ressorti presque aussitôt (Céline,Mort à crédit, 1936, p.535): 2. M. P.-K. Hartmann croisait dans la rue, sans les reconnaître, ses salariés qui moisissaient depuis vingt ans dans les trous de ses crayères et tiraient la patte par l'ankylose de leurs genoux ou de leurs orteils...
Hamp,Champagne, 1909, p. 153. − Pop. et fam. On ne va pas moisir (longtemps) ici: ,,on ne va pas rester`` (Sandry-Carr. 1963). B. − Emploi trans. Faire que quelque chose se couvre de moisissure, s'altère, se gâte. Synon. chancir. 1. Domaine concr.Il tourna sous les arbres, dont l'humidité perpétuelle moisit les reliques du musée alpin (Peyré,Matterhorn, 1939, p.46).Il s'agissait ce jour-là d'achever un pot de mirabelles, un peu moisies par quatre ans de buffet (H. Bazin,Vipère, 1948, p.10): 3. ... il semblait que le ruissellement des parapluies coulât jusqu'aux comptoirs, que le pavé avec sa boue et ses flaques entrât, achevât de moisir l'antique rez-de-chaussée, blanc de salpêtre.
Zola,Bonh. dames, 1883, p.413. − Emploi pronom. La casse s'altère. 1. Par la dessiccation de sa pulpe (...). 2. Par la fermentation acide: dans ce cas, elle offre une odeur et une saveur acides, et se moisit (Kapeler, Caventou,Manuel pharm. et drog., t.1, 1821, p.168). 2. Au fig. Gâter quelque chose, quelqu'un. Le Cardinal, au roi: Surtout, n'allez pas vous laisser ramollir. Les larmes de la femme moisissent le coeur de l'homme (Audiberti,Mal court, 1947, ii, p.156). − Emploi pronom. Elle m'écrit une lettre, un chef d'oeuvre (...). La voici: «Quand je pense que je n'ai eu qu'un fils et qu'il s'est moisi sur une armoire!» (Goncourt,Journal, 1860, p.746). REM. Moisissant, -ante, part. prés. en emploi adj.Sortez de ma tête, ô manoirs moisissants, Où devaient se passer d'étranges adultères, Par les temps tristes, en Angleterre (Jammes,De l'angélus, 1898, p.94).V. abyssal ex. 8.Au fig. Ici tu trouves mille remèdes à l'ennui et une infinité de choses dignes d'occuper ton esprit durant l'éternité: l'odeur moisissante des minutes d'avant trois siècles (Milosz,Amour. initiation, 1910, p.208).Beaucoup de ménagères (...) débraillées, en pilou, sans fichu, les mèches moisissantes dans le crachin, la jupe crottée, les bas défaits, trempés (Cendrars,Bourlinguer, 1948, p.251). Prononc. et Orth.: [mwazi:ʀ], (il) moisit [mwazi]. Att.ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Part. passé 1176-81 (Chrétien de Troyes, Chevalier au Lion, éd. W. Foerster, 2851: pains moisiz et ses; leçon ms. P [xiiies.]: musy; ms. V [xiiies.]: musiz); 1228 pastez moussiz (Jean Renart, G. de Dole, éd. F. Lecoy, 1047); b) part. passé subst. av. 1465 (Charles d'Orléans, Balade, LXXX, éd. P. Champion, p.131); c) 1690 trans. (Fur.); 2. ca 1200 fig. «(d'une chose) rester improductif» (Poème moral, éd. A. Bayot, 2007: tant lo [l'avoir, l'argent] garde enclos qu'il musist et empire). Du lat. mūcēre «être moisi» (Caton, en parlant du vin; d'où le type a. fr. muisir), devenu *mŭcēre, prob. sous l'infl. du lat. mŭsteus «doux comme le moût, riche en jus» (dér. du lat. mŭstum, v. moût; d'où l'adj. mo(u)isse «moite, humide, moisi» (relevé dans les dial. de Bourgogne, Lorraine, Dauphiné, ainsi qu'en prov., FEW t.6, 3, p.270 a; et le subst. m. fr. moyse «terre humide» 1580, Loiret ds Gdf.) ou de *mŭcidus (moite*), d'où le type moisir. Fréq. abs. littér.: 93. |