| MOINE, subst. masc. I. A. − RELIG. CHRÉT. Religieux ayant prononcé des voeux solennels et vivant généralement cloîtré, selon la règle de son ordre. Bon, gros, jeune, mauvais, pauvre, petit, saint, vieux moine; moine débauché, défroqué, dissolu, paillard; cellule, couvent, habit, robe, vie de moine; se faire moine. Une procession de moines aux frocs blonds (...) Et qui, pieds nus, la corde aux reins, un cierge en main, Ululent d'une voix formidable un cantique (Verlaine,Poèmes saturn.,1866, p.89).Ce moine vit dans un ermitage près de Rouen, enfermé jour et nuit, et travaillant sans relâche. Il est fort savant, et il a publié un ouvrage d'archéologie sur Carthage (Taine,Notes Paris,1867, p.185).Ces fainéants de moines vivaient grassement; ils donnaient le spectacle honteux de leur ivrognerie, de leur paresse et de leurs mauvaises moeurs (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan,t.1, 1870, p.356): . L'opinion du public sur les moines va d'un extrême à l'autre et ces deux extrêmes sont aussi fous. Les uns se les imaginent (...) joufflus et rebondis, tenant, d'une main, un pâté et serrant, de l'autre, contre leur coeur, une bouteille clissée d'osier, et rien n'est plus inexact, rien n'est plus bête; les autres se les figurent angéliques, planant au-dessus du monde, et c'est non moins inexact et non moins bête. La vérité est qu'ils sont des hommes, valant mieux que la plupart des laïques, mais enfin des hommes...
Huysmans,Oblat,t.1, 1903, p.19. Rem. ,,En Occident, le terme désigne de façon plus stricte les religieux qui suivent la Règle de S. Benoît, c.-à-d. les Bénédictins, les Cisterciens, les Cisterciens réformés ou Trappistes, les Camaldules, les Olivétains, ainsi que les Chartreux`` (Foi t.1 1968). − P. ext. ♦ Religieux vivant en solitaire, non cloîtré. Un beau moine mendiant, les pieds nus, (...) le corps enveloppé des plis lourds de sa robe brune, (...) regarde d'un œil de détachement et d'insouciance ce spectacle de bonheur, d'aisance (Lamart.,Voy. Orient,t.1, 1835, p.75).Un ordre de moines, non plus reclus et sédentaires, mais qui erreraient de par le monde pour chercher partout l'impiété et la confondre, qui seraient les prêcheurs de la foi (Montalembert,Ste Élisabeth,1836, p.xliii). ♦ HIST. Moine lai. ,,Particulier que le Roi nommoit dans chaque Abbaye de nomination Royale, pour y être entretenu`` (Ac. 1798). Au seizième siècle, (...) chaque abbaye de fondation royale possédait un moine appelé «oblat ou lay» dont la nomination appartenait au roi. Il y envoyait généralement un vieux soldat infirme ou blessé; (...) c'était un simple domestique; l'abbaye lui assurait le vivre, le coucher (Huysmans,Oblat,t.1, 1903p.194). ♦ RELIG. NON CHRÉT. Moine bouddhiste. Un moine bouddhiste puissant et devenu dieu gardien (...) du monastère construit en ce lieu (Philos., Relig., 1957, p.54-8). − Locutions ♦ Loc. nom. Moine blanc. Cistercien. Moine noir. Bénédictin de Cluny. Aux moines «noirs», c'est-à-dire aux moines de Cluny, (...) on reprochait, dit-il, les abus de leurs grands abbés. Aux moines «blancs», c'est-à-dire aux Bénédictins de Cîteaux, (...) on reproche leur dureté de coeur (Faral,Vie temps st Louis,1942, p.43).Moine bourru (vx). V. bourru A. ♦ Loc. verb. Vivre comme un moine, en moine. Vivre de manière ascétique. Il faut semer et labourer. Nous ne saurions vivre en moines, en dévots de profession, dont toutes les pensées se tournent vers le ciel (Courier,Pamphlets pol.,Pétition pour vill., 1822, p.144).Il était avare parce qu'il vivait comme un moine, et il ne comprenait pas une autre table ni d'autres mets ni une autre dépense que celle qui convenait à son existence ralentie (Alain,Propos,1922, p.446).(Être) gras comme un moine (fam.). (Dict. xixeet xxes.). − Expr. et proverbes ♦ Vx ou vieilli Attendre qqn comme les moines font l'abbé. Se mettre à table à l'heure prévue, sans attendre (Dict. xixeet xxes.). Pour un moine, on ne laisse pas de faire un abbé; pour un moine, l'abbaye ne faut pas/ne se perd. L'absence d'une personne ne doit pas empêcher de faire ce qui est nécessaire. (Dict. xixeet xxes.). ♦ L'habit ne fait pas le moine. V. habit B 1 loc. proverbiale. B. − P. anal. Personne qui vit à certains égards comme un moine. Serais-je donc sans belles et folles amours? (...) Vivrais-je sans éprouver ces rages de coeur qui grandissent la puissance de l'homme? Serais-je un moine conjugal? (Balzac,Béatrix,1839-45, p.118).Un voyageur est un moine en mouvement. Dans aucun couvent de Chartreux la règle du silence n'est plus stricte que dans un wagon rempli d'inconnus (Maurois,Mes songes,1933, p.140).Orage fulgurant, voilà ce qu'est Rimbaud. Mais il n'est pas l'homme-dieu, l'exemple farouche, le moine de la poésie qu'on a voulu nous présenter (Camus,Homme rév.,1951, p.117). II. − P. anal. A. − ARTS MÉN. 1. Appareil formé d'un cadre en bois où l'on suspend un réchaud de braises et servant à chauffer les lits. Lit que bassinait en votre absence un «moine» − c'est ainsi qu'on appelle là-bas [à Lamalou-le-Haut] un réchaud qu'un ingénieux système d'arceaux suspend entre les draps écartés (Gide,Si le grain,1924, p.428). 2. P. ext. Objet quelconque servant à chauffer les lits. Après (...) la femme dessert, fait son petit train train, la couverture, le moine, et quand elle est couchée, la place chaude, on tombe dans le tas (A. Daudet, Sapho,1884, p.189).Elle s'a frotté d'onguent et couchée avec un moine sur les reins (Arnoux,Seigneur,1955, p.46). B. − IMPR. Blanc dû à un défaut d'impression; p.méton., feuille mal imprimée. On lit encore aisément une feinte, tandis qu'on ne peut pas lire un moine, puisqu'il ne marque absolument pas (Momoro,Impr.,1793, p.170). C. − JEUX, vx, région. Toupie. Différent était le moine, grosse toupie qui aurait pris le nom du clou sans tête fiché à son sommet, auquel on accrochait la ficelle destinée à donner l'impulsion (Vie Lang.1973no255, p.348).Bailler, donner, mettre le moine. Attacher par malice une ficelle au pied d'un dormeur et le tirailler. Le pied bleu [jeune recrue] dort paisiblement. Soudain, il se sent tiraillé par le pied (...) et se réveille, à sa grande surprise, les jambes pendantes sur le carreau. Pour amener ce résultat, on lui a noué autour de l'orteil une ficelle dont l'autre extrémité a été attachée au lit de la rangée parallèle. Un voisin perfide, prenant en main le ballant de la corde, a opéré une traction qui semblait venir d'en face. Cette plaisanterie s'appelle le moine, nom enfantin de la toupie, qui obéit à la ficelle comme la recrue en cette circonstance (E. de La Bédollierre, Français peints par eux-mêmes,L'Armée, t.5, 1842, p.41). D. − MAR. ,,Feu de bengale employé pour les signaux`` (Gruss 1952). Faites brûler un moine! (Gruss 1952). E. − TECHNOL. Masse, marteau de forme conique. (Dict. xixeet xxes.). F. − Domaine de la zool. 1. Coquillage univalve du genre cône (Dict. xixeet xxes.). 2. Insecte coléoptère noir et blanc. Les téléphores [insectes coléoptères carnassiers] sont fort communs et bien connus sous le nom de Moines. Leurs élytres sont molles et de couleur grise ou fauve (Coupin,Animaux de nos pays,1909, p.251). 3. Synon. usuel de diverses espèces de phoques.Quant aux mammifères marins, je crois avoir reconnu, en passant à l'ouvert de l'Adriatique, (...) une douzaine de phoques au ventre blanc, au pelage noir, connus sous le nom de moines et qui ont absolument l'air de Dominicains longs de trois mètres (Verne,Vingt mille lieues,t.2, 1870, p.77).Les Monachinés [sous-famille des Phocidés ou Phoques] comprennent seulement trois espèces: le Phoque moine (...), le Moine au ventre blanc (...) et le Moine tropical (Encyclop. Sc. Techn.t.81972, p.922). 4. a) Moine de mer ou, en appos., macareux moine. Macareux vivant notamment sur les îles et les promontoires continentaux du nord de l'Europe et de Bretagne. Macareux arctique (...) appelé aussi (...) Moine de mer, Petit moine (...). Dessus de la tête et du corps noir (...). Attitude droite, sérieuse et grave (Coupin,Animaux de nos pays,1909p.89).Des oiseaux également, comme les mouettes et les goélands, les alcidés (macareux moine, pingouin torda que l'on trouve en Bretagne) (Almanach du Pèlerin,1981, p.18). b) Vx. Synon. de moineau.C'était un doux parlage de tous à la fois, huppes, mésanges, (...) bouvreuils, moines (Hugo,Travaill. mer,1866, p.448).Notre moineau familier avec sa capuche brune était un petit moine; de nos jours, c'est un pierrot ou un piaf (Vie Lang.1971no235, p.554). REM. 1. Moinaille, subst. fém.,fam., péj. Ensemble des moines. Synon. moinerie. (Dict. xixeet xxes.). 2. Moineton, subst. masc.,vieilli, rare. Jeune moine. Synon. moinillon.Il s'agit de prier le Seigneur quand personne ne le prie plus; (...) dans ce concert permanent, votre place est réservée. − C'est juste, dit le P. Felletin. − Expliquez-nous cela, dirent les moinetons (Huysmans,Oblat,t.2, 1903, p.48). 3. Moinifier (se), verbe pronom.,plais., hapax. Se transformer en moine, vivre comme un moine. Mes enfants auront tout leur bien (...); mais ils ne veulent sans doute pas que leur père s'ennuie, se moinifie et se momifie!... Ma vie est joyeuse! (Balzac,Cous. Bette,1846, p.282). 4. Monacaille, subst. fém.,fam., péj. a) Ensemble des moines (et du clergé). Synon. moinerie.Vous en êtes encore à n'avoir de respect que pour la monacaille (Mérimée,Théâtre Cl. Gazul,1825, p.34).Il fut grand ennemi de ce qu'il appelait la monacaille (Sand,Mauprat,1837, p.27).b) Moines (et clergé). Belle abondance de monacaille et de curés; un carillon de cloches aux quatre cents églises de la ville et des mendiants à tous les pavés (Flaub.,Corresp.,1851, p.301). Prononc. et Orth.: [mwan]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 monie «religieux qui vit retiré du monde» (Roland, éd. J. Bédier, 1881); 1121-34 muine (Ph. de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 2870); 1275-80 la robe ne fet pas le moine (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 11028); 2. 1605 moine de mer «genre de phoque» (Descript. du voyage de Gunea, p.64 ds Roll. Faune t.8, p.169); 1840 moine «phoque» (Ac. Compl. 1842); 1705 moine «ange de mer, squale» (Voyage de M. Guillaume Dampier, p.114); 3. 1621 impr. «feuille mal imprimée» (E. Binet, Merv. de nat., p.186); 4. 1652 «ustensile pour chauffer un lit» (Sauzé de Lhoumeau, Inventaire hôtel Rambouillet, p.49). Du b. lat. monachus «anachorète, solitaire» (av. 375) et «cénobite» (av. 430), gr. μ
ο
ν
α
χ
ο
́
ς «seul, unique», «qui vit seul», dér. de μ
ο
́
ν
ο
ς «seul, unique». Il n'est pas absolument nécessaire de passer par l'intermédiaire d'une forme vulg. monicus att. dans une inscription de Gaule (cf. TLL 1397, 10) et qui est à l'orig. des formes germ. tel l'all. Mönch (v. REW3, 5654 et FEW t.6, 3, p.69b; et pour l'opinion contraire v. Cor.-Pasc., s.v. monje, Fouché, p.285 et Pope § 473 et 645). Fréq. abs. littér.: 2392. Fréq. rel. littér.: xixes. : a) 3862, b) 2802; xxes.: a) 6085, b) 1714. Bbg. Ahokas (J.). De l'Emploi des mots abbé et moine pour désigner des personnages et des organ. laïques. Neuphilol. Mitt. 1962, t.63, pp.81-106. _ Sain. Sources t.1 1972 [1925] p.166, 295; t.2 1972 [1925] p.347. |