| MOI, pron. pers. Pronom personnel tonique de la première personne du singulier. I. − Pron. prédicatif A. − Emploi prép. [Après une prép. ou une loc. prép. à l'exception des prép. temp. aussitôt, depuis, dès, durant, pendant, passé] Ça vous a pris des habitudes, ça ne peut pas jeûner seulement huit jours! Et lui qui me jurait de ne plus avoir de femme après moi! (Zola,Nana, 1880, p.1292).Je découvrirai sans doute ce qui se cache dans mes actes, en ce dernier fond où, sans moi, malgré moi, je subis l'être et je m'y attache (Blondel,Action, 1893, p.vii).J'ai un ami! Loin de moi, près de moi, toujours en moi. Je l'ai, je suis à lui (Rolland,J.-Chr., Maison, 1909, p.927). 1. À moi − [Avec des verbes ou des loc. verb. constr. avec à] ♦ [Avec des verbes trans. indir. constr. avec à] Tu ne m'aimes donc plus, Élisabeth, que tu trouves la force de renoncer à moi (Mauriac,Mal Aimés, 1945, ii, 9, p.216). ♦ [Avec des verbes ayant déjà un autre pron. pers. conjoint de la 2epers. comme compl. d'obj.] Quel désastre vous arrache à moi, au moment où j'espérais vous toucher? (Gobineau,Pléiades, 1874, p.98).Ô mon très cher, comme je remercie Dieu de t'avoir donné à moi (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p.626). ♦ [Avec des verbes réfl. conjugués à une pers. autre que la 1re] Elle se joint à moi pour dire à Mmede Tocqueville combien nous prenons part à vos souffrances (Gobineau,Corresp.[avec Tocqueville], 1854, p.220).Tu t'es attaché à moi, malgré, comme tu dis, la différence des âges (Colette,Naiss. jour, 1928, p.51). − [Marque le terme d'un mouvement, l'appartenance, la possession] ♦ [le terme d'un mouvement] Brigitte se joignit à moi, quoiqu'elle sût bien que cette invitation n'était qu'une plaisanterie (Musset,Confess. enf. s., 1836, p.329). ♦ [après être, l'appartenance] Je vous aime, je vous veux. Je veux savoir que vous êtes à moi (A. France, Lys rouge, 1894, p.197).[avec ell. du verbe] Maintenant à moi l'univers à moi les femmes à moi l'administration je vais me faire conseiller municipal mais j'entends du bruit il vaut peut-être mieux s'en aller (Apoll.,Tirésias, 1918, i, 4, p.890). ♦ C'est à moi de + inf. Fanny, violemment: Non, non, j'ai commis une faute grave, je le sais. J'ai gâché ma vie. Tant pis pour moi. C'est moi que ça regarde. C'est à moi de me débrouiller (Pagnol,Fanny, 1932, i, 6, p.105). ♦ [Moi est utilisé pour renforcer un adj. poss.] Et est-ce ma faute, à moi, si j'aime mieux relire un chapitre de M. Renan qu'un sermon de Bossuet, le Nabab que la Princesse de Clèves et telle comédie de Meilhac et Halévy qu'une comédie même de Molière (Lemaitre, Contemp., 1885, p.239).Je rétrograde jusqu'au mur de mon jardin à moi, et j'attends (Farrère,Homme qui assass., 1907, p.254). ♦ [Pour lancer un appel au secours] À moi! Je suis frappé mortellement. Infâme! À moi (Leconte de Lisle,Poèmes trag., 1886, p.195).Il veut appeler: «À moi! Au secours! Antoine!» Mais c'est à peine si sa gorge laisse passer quelques sons (Martin du G.,Thib., Mort père, 1929, p.1252). − [Dans des loc.] ♦ De vous à moi. Entre nous. «Tout ceci de vous à moi», me dit Bergotte en me quittant devant ma porte (Proust,J. filles en fleurs, 1918, p.572). ♦ Quant à moi. En ce qui me concerne. Quant à moi, je vais dîner chez eux le 15 Août et le jour des rois (Maupass.,Contes et nouv., t.2, MllePerle, 1886, p.628). 2. De moi − [En fonction d'attribut] :
1. la comtesse: Un seul point noir. Ils parlent tous de Marivaux. La plupart ne l'ont jamais lu. le comte: Tant mieux. Ils croiront que c'est de moi. D'ailleurs il ne faut pas dire trop de mal de ces gens-là.
Anouilh,Répét., 1950, I, p.22. − [En fonction de compl. de l'adj.] Je suis bien dégoûté de ma vie, bien las de moi, mais de là à mener une autre existence il y a loin! (Huysmans,En route, t.1, 1895, p.30). − [En fonction de compl. du subst., à la place du poss., quand celui-ci n'est pas de mise] :
2. Éveline ne semble du reste pas se rendre compte que, douter que j'aie vraiment mérité ma citation, c'est jeter nécessairement un discrédit sur l'honorabilité ou la compétence des chefs qui me l'ont accordée. Les phrases de moi qu'elle cite, à ce sujet, les ai-je vraiment dites, ce n'est pas avec le ton et les intentions que sa malignité leur prête.
Gide,Robert, 1930, p.1315. − [Avec des verbes et des loc. verb. constr. avec la prép. de] Nous étions tous Lions et gens du meilleur ton... Il y avait MOI. Je parlai de moi, de moi, de moi et de moi, de nosologie, de ma brochure et de moi (Baudel.,Nouv. hist. extr., 1857, p.271).Mon chéri, tout mon bonheur tient dans cette minute même, où vous avez tellement besoin de moi (Bernanos,Dialog. ombres, 1928, p.42). − [Dans des exclam.] Coufontaine: Je plaisante, Sygne. Fi de moi! La voici les larmes aux yeux! (Claudel,Otage, 1911, i, 1, p.220).Tu crois, toi, que les arbres c'est tout droit planté dans la terre, avec des feuilles, et que ça reste là, comme ça. Ah, pauvre de moi, si c'était ça, ça serait facile (Giono,Colline, 1929, p.33): 3. ... un vieil homme enfin qui nous fit escorte pendant trois kilomètres, au sortir de Dickenscheid, et à qui, misère de moi, je dus renvoyer un «Heil, Hitler!» sonore en échange de celui qu'il nous adressa.
Ambrière,Gdes vac., 1946, p.77. 3. Pour* moi. 4. Chez* moi. 5. À part* moi. 6. Selon* moi. 7. Littér. [Précédé des prép. à, de, par, pour et placé devant un part. passé ou un adj.] 4. Ces roses pour moi destinées
Par le choix de sa main,
Aux premiers feux du lendemain,
Elles étaient fanées.
Toulet,Contrerimes, 1920, p.10. Rem. À moi régime indir., placé en tête de phrase, n'est pas obligatoirement repris par me auprès du verbe: Et, bien qu'à leur triste question ils n'espérassent pas de réponse: − À moi, leur dis-je, il parlera (Gide, El Hadj., 1899, p.348). B. − [En fonction de suj. prédicatif] 1. [En appos. à je qu'il vient renforcer] V. je I D.Moi je suis bonne chrétienne comme tout le monde (Péguy,Myst. charité, 1910, p.12). 2. [Renforcé par même, seul ou non plus] Moi seul, qui ai tout fait pour la mienne, j'en suis abandonné! (Restif de La Bret.,Nicolas, 1796, p.132).Moi non plus, je ne l'aimais pas! (Gobineau,Pléiades, 1874, p.72): 5. Moi-même, j'étais prodigieusement intéressée par les péripéties de ce petit drame et, surtout, par le mystère de cet écrin que je ne connaissais pas, que je n'avais jamais vu chez madame...
Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p.113. 3. [Employé seul devant un part. ou un inf. exclam., interr. ou narratif] Moi, ne plus t'aimer, pourquoi?... Je me moque de ton passé (Zola,Bête hum., 1890, p.172).Denis était en Grèce, Daniel en Russie, moi retenu, tu le sais, auprès de notre père malade (Gide,Immor., 1902, p.370). 4. [En tête de phrase (et ne renforçant ni le suj., ni le régime), moi peut servir de thème ou renforcer un adj. poss.] Moi, mon père et ma mère sont loin (A. Daudet,Pt Chose, 1868, p.78).Oh! moi, avec Verdier, ce sera bien simple, déclara Hortense brusquement (Zola,Pot-Bouille, 1882, p.320). 5. [Moi peut également servir de thème, placé devant ou derrière un inf.] Cette fortune est honorable. Sans doute. − Ce qui le serait moins... ce serait d'en profiter, moi (Méré,Tentation, 1925, ii, p.7 ds Sandf. t.1 1965, § 57). C. − [En fonction d'attribut prédicatif] Ils ont demandé à parler à l'officier de quart, qui était précisément moi (Loti,Mon frère Yves, 1883, p.177).Je tourne une page de l'album; maman tient dans ses bras un bébé qui n'est pas moi; je porte une jupe plissée, un béret, j'ai deux ans et demi, et ma soeur vient de naître (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.9). − [Parfois suivi de même, moi peut désigner l'être du locuteur ou sa personnalité considérée dans ses traits les plus individuels] À Vêpres, respexit humilitatem m'a bien touché et saisi... C'est tellement moi! (Dupanloup,Journal, 1866, p.271).Un arbre, une vache, un nuage, une brume bleue ou rousse, voilà un étrange portrait de moi. C'est que le monde peint est plus moi que l'autre (Alain,Propos, 1933, p.1166): 6. J'existe en tout ce qui m'entoure et me pénètre,
Gazons épais, sentiers perdus, massifs de hêtres,
Eau lucide que nulle ombre ne vient ternir,
Vous devenez moi-même étant mon souvenir.
Verhaeren,Mult. splendeur, 1906, p.153. D. − Autres emplois appos. [Moi permet de mettre en relief le suj. ou le régime] 7. Eux sucent des plis dont le frou-frou les suffoque;
Pour un regard, ils battraient du front les pavés;
Puis s'affligent sur maint sein creux, mal abreuvés;
Puis retournent à ces vendanges sexciproques.
Et moi, moi, je m'en moque!
Laforgue,Complaintes, 1885, p.71. − [Apposé à un régime indir., moi est précédé de la prép. à] À moi aussi, elle me parle (Colette,Vrilles, 1908, p.76). − [Juxtaposé à nous, moi coordonné à une 2eet/ou 3epers. (un subst. ou un pron.) s'emploie pour décomposer la globalité] Ils allaient à une fin sans épithète, à une dissolution sans couleur. Ils ne nous en aimaient pas moins, mes cousins et moi (Giraudoux,Bella, 1926, p.22): 8. Quand la gaîté fut apaisée, Cachelin, tout à coup, s'écria: «Dites donc, Monsieur Maze, vous ne savez pas, maintenant que nous sommes bien ensemble, vous devriez venir dîner dimanche à la maison. Ça nous ferait plaisir à tous, à mon gendre, à moi, et à ma fille qui vous connaît bien de nom, car on parle souvent du bureau. C'est dit, hein?»
Maupass.,Contes et nouv., t.1, Hérit., 1884, p.516. − [Moi, non précédé de la prép. à, peut servir à accentuer le régime indir. me] Et puis elle dit des choses rudement d'aplomb pour une femme. Moi, elle me va, y en a pas beaucoup dans son genre (Maupass.,Contes et nouv., Trou, 1886, p.579).Moi, il me faut de la délicatesse, de la poésie... (Mirbeau,Journal femme ch., 1900, p.63): E. − Emplois ell. − [En prop. compar.] John, lui, n'est pas comme moi, et je crois que déjà ce pays l'enchante; depuis notre arrivée je le vois à peine (Loti,Mariage, 1882, p.7).Vous êtes belle comme le printemps cette année, et plus jeune encore que moi-même (Gide,Tentative amour., 1893, p.73): 9. Je suis heureux d'acclamer un peintre qui ait éprouvé, ainsi que moi, l'impérieux dégoût des mannequins, aux seins mesurés et roses, aux ventres courts et durs, des mannequins pesés par un soi-disant bon goût, dessinés suivant des recettes apprises dans la copie des plâtres.
Huysmans,Art mod., 1883, p.262. − [En prop. exclam. où il est antécédent d'un rel.] Moi qui regardais dans tous les fossés et qui suis allée jusqu'à Verchemont comme une bête! (Zola,Joie de vivre, 1884, p.1086).Moi qui me promets toujours de ne jamais dire du mal de personne! (Gide,Journal, 1910, p.292). − [En prop. ell. du verbe] Mais les bouteilles étaient vides: «J'en paye une», déclara M. Tourneveau. «Moi aussi», annonça M. Vasse. «Moi de même», conclut M. Dupuis. Alors tout le monde applaudit (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Mais. Tellier, 1881, p.1204).− Et vous, Mademoiselle, vous ne prenez rien? − Oh! Moi, du café au lait, simplement (Gide,Isabelle, 1911, p.607). − [Faisant phrase à lui seul, dans les questions et les réponses] Et moi? dit brusquement Christophe, pâle d'émotion (Rolland,J.-Chr., Matin, 1904, p.197).S'il me plaît d'engager toute ma vie pour elle, trouverais-tu plus beau que je lie mon amour par des promesses? Pas moi (Gide,Porte étr., 1909, p.518). F. − Emplois en coordination. [Coordonné à un subst. ou à un pron. prédicatif, sans emploi conjoint de nous, moi peut faire partie du suj. ou régime] Je t'écris sous un azur parfait; depuis les douze jours que Denis, Daniel et moi sommes ici, pas un nuage, pas une diminution de soleil (Gide,Immor., 1902, p.369).Il n'aime pas beaucoup ni ton père, ni moi (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.332). − [Avec la conj. de coordination et, la bienséance exige, gén., que le locuteur se nomme en dernier lieu] Mes hommes et moi, − dans les rapports je disais: «moi et mes hommes», mais ici en famille je dis: «mes hommes et moi» parce qu'il n'y a plus de discipline entre nous: il n'y a plus que de l'amitié (R. Bazin,Baltus, 1926, p.128). − [Moi peut être néanmoins cité en premier, partic. lorsqu'il est coordonné à un pron. indéf. comme personne] Car ni moi, ni vous, ni personne, aucun ancien et aucun moderne, ne peut connaître la femme orientale, par la raison qu'il est impossible de la fréquenter (Flaub.,Corresp., 1862, p.58). G. − [Dans les tours exceptifs ou présentatifs] 1. [Après ne... que] Il n'y a dans le salon que Benedetti, le ménage Ganderax, Mmede Galbois et moi (Goncourt,Journal, 1889, p.896). 2. [Avec les tours présentatifs] C'est toujours moi qui attends les autres (Zola,Nana,1880, p.1215).− (...) Est-ce que vous croyez qu'il y a dix personnes au monde, qui aiment la musique? Est-ce qu'il y en a une seule? − Il y a moi! dit Christophe, avec emportement (Rolland,J.-Chr., Révolte, 1907, p.548). − Fam. C'est moi qui + verbe à la 3epers. Si, par aventure, il lui arrivait de faire erreur, il s'écriait: «Pardon, Monsieur! C'est moi qui se trompe» (Gide,Si le grain, 1924, p.495). Rem. [Moi peut être déterminé] a) [par une rel., par une rel. prép.] Mais parfaitement, mon ami, je veux me faire belle comme Renée, moi qui suis si jeune! (Arland, Ordre, 1929, p.185). b) [par un adj. apposé] N'ayant pas compris encore quelles étaient ces profondeurs, je fus pris de vertige, faute d'une racine à quoi me retenir, faute d'un toit, d'une branche d'arbre entre ces profondeurs et moi, déjà délié, livré à la chute comme un plongeur (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p.177). c) [par un adj. ordinal] Ils se mirent tous deux à l'oeuvre, se grattant le cou avec une telle réciprocité de bons offices, avec une nonchalance si voluptueuse, une flânerie si suave, que je ne pus m'empêcher de sympathiser, moi troisième (Toepffer, Nouv. Génev., 1839, p.143). d) [par même, seul] Moi seul, te découvrant sous la nécessité, J'immole avec amour ma propre volonté (Lamart., Médit., 1820, p.45). Furieuse contre la mercière et contre mes maîtres, et contre moi-même (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p.44). [Pour signifier que le locuteur se suffit à lui-même au regard de l'action exprimée par le verbe, à moi seul ou à moi tout seul est apposé au suj.] Article me reprochant la mendicité de la chose et me faisant un crime de ne pas compléter à moi tout seul les 3000 francs qui manquent (Goncourt, Journal, 1887, p.630). II. − Var. tonique de me. [À l'impér. positif, moi, portant l'accent du groupe verbe + pron., et toujours réuni au verbe par un trait d'union est une var. combinatoire de me] Elle l'aimait, crois-moi, sans vouloir le montrer (Bourget,Disciple, 1889, p.230).− Pardonnez-moi − vous m'étiez hier encore totalement inconnu (Bernanos,Crime, 1935, p.791). − Verbe + le (la ou les) + moi.Jure-moi d'abord que tu sortiras sans rien me dire. Sans même me regarder. Si tu m'aimes, jure-le-moi (Anouilh,Antig., 1946, p.158). − Fam. Verbe + moi + le (la ou les).Hein! avoue-moi-le, tu es brûlé, n'est-ce-pas? au Spectre solaire (Goncourt,Journal, 1893, p.387). − [Avec en et y] ♦ [Le pron. garde sa forme non prédicative et s'élide devant en, plus rarement devant y] V. me D 1 a. ♦ Pop. [Le pron., dans sa forme prédicative, est précédé de z] − On ne dit pas: donne-moi-z'en une autre, mais donne-m'en une autre. − Ne plaisantez pas sur ce chapitre, Monsieur. Avec son ânerie coutumière, elle serait capable de croire que c'est vrai (Paysan,La Veuve Lehidel, p.103 ds Dam.-Pich. t.6 1940 § 2374).Donne-moi-z-en donc un morceau (Dionne1969). ♦ Pop. [Avec un impér. négatif, la négation n'étant exprimée que par pas] Parlez-moi pas des Bosse, Madame Daigne, puisque vous avez ce petit pavillon des Quérolle (Martin du G., Vieille Fr., 1933, p.1035). − Moi explétif. [Placé derrière un impér. positif, moi sert à marquer l'intérêt que le locuteur porte au procès qu'il exprime] Est-ce qu'on se fiche de moi! J'avais dit de mettre les ombrelles bleues en bordure... Cassez-moi tout ça et vite! (Zola,Bonh. dames, 1883, p.617).Buvez-moi ça, vous m'en donnerez des nouvelles! (Dabit,Hôtel Nord, 1929, p.24): 10. Notre si vieil ébat triomphal du grimoire,
Hiéroglyphes dont s'exalte le millier
À propager de l'aile un frisson familier!
Enfouissez-le-moi plutôt dans une armoire.
Mallarmé,Poés., 1898, p.71. III. − Substantif A. − [Moi, pron. qualifié par un adj.] Si je ne lui ai pas prouvé que je l'aime de toutes mes forces, que je l'aime de tout moi, comment le lui persuader jamais? (A. France,Lys rouge, 1894, p.322). − Au fém., rare (une femme parlant d'elle). Mystérieuse moi, pourtant, tu vis encore! Tu vas te reconnaître au lever de l'aurore Amèrement la même (Valéry,J. Parque, 1917, p.105). B. − [Moi, considéré en tant que mot]: 11. Dans cette phrase, moi que vous aimez, je vous le rends, moi que vous aimez revient à ceci, moi vous aimez. Le premier moi est au nominatif, et marque la première personne; et le second est à l'accusatif, et est regardé comme étant un être dont on parle, par conséquent à la troisième personne.
Destutt de Tr., Idéol. 2, 1803, p.155. C. − Le subst. moi 1. Le moi ontologique. Principe métaphysique qui fait l'unité, le propre de la personne par delà la diversité de ses pensées, de ses sentiments, de ses actes, c'est-à-dire la ,,réalité permanente et invariable considérée comme substratum fixe des accidents simultanés et successifs qui constituent le moi empirique`` (Lal. 1960). Moi transcendental, absolu, empirique. Il suit de là que le moi humain ne peut prendre de lui-même une connaissance intégrale (Gaultier,Bovarysme, 1902, p.196).Il faut pourtant montrer sur quel pouding de terrains agglutinés repose cet art, ce sur-moi, fait de la mêlée ou de l'alliage forcé de tant de moi hétérogènes (Rolland,Beethoven, t.1, 1937, p.36). 2. Le moi psychologique. Prise de conscience de l'individualité d'une personne soit par elle-même (le moi étant à la fois sujet et objet de sa pensée) soit par une autre personne qui la prend pour objet de sa réflexion. La tradition retrouvée par l'analyse du moi, c'est la moralité que renfermait l'Homme libre, que Bourget réclamait et qu'allait prouver le roman de l'énergie nationale (Barrès,Homme libre, 1889, p.xi). a) Un ou plusieurs des états successifs de la personnalité (si on parle d'une femme ou si une femme parle d'elle, elle peut employer l'article féminin). Et puis j'appellerai ma fillette, ma grande fille. Vous verrez comme elle me ressemble (...) elle est toute pareille à la «moi» d'autrefois, vous verrez! (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Fini, 1885, p.1019): 12. Un texte singulièrement expressif en ce sens est la célèbre page où Proust, travaillant à se souvenir d'Albertine disparue, s'ingénie, non pas précisément à nier son moi, mais à en ressentir les composantes dans toute la diversité qui les particularise et les sépare les unes des autres, par opposé à la synthèse qui les unit: le moi qu'il était quand il se faisait couper les cheveux, le moi qui s'assied pour la première fois dans un fauteuil en l'absence d'Albertine, le moi qui aperçoit le piano dans les mules d'Albertine qui ne presseront plus les pédales, etc.
Benda,Fr. byz., 1945, p.29. − P. anal. ♦ Conscience collective d'un groupe, d'une notion, d'une société. Une nation ne prend d'ordinaire la complète conscience d'elle-même que sous la pression de l'étranger... Un moi, pour prendre le langage de la philosophie, se crée toujours en opposition avec un autre moi (Renan,Réf. intellect., 1871, p.131): 13. Même si nous n'étions obligés, théoriquement, que vis-à-vis des autres hommes, nous le serions, en fait, vis-à-vis de nous-mêmes, puisque la solidarité sociale n'existe que du moment où un moi social se surajoute en chacun de nous au moi individuel. Cultiver ce «moi social» est l'essentiel de notre obligation vis-à-vis de la société.
Bergson,Deux sources, 1932, p.8. ♦ Dieu. Sa solitude cherche un appui en le divin Solitaire, le moi sans bornes et sans second (Rolland,Beethoven, t.1, 1937, p.74). b) S'opposant à la personnalité d'autrui, la personne en tant qu'elle désire se rendre maître de sa personnalité et en réaliser les traits les plus typiques. Culte du moi, exprimer son moi, adorer son moi, le sentiment du moi. Un même besoin nous agite, les uns et les autres, défendre notre moi, puis l'élargir au point qu'il contienne tout (Barrès,Jard. Bérén., 1891, p.65).Son objet n'est jamais l'oeuvre en soi, si grands que soient son sens de la beauté et son désir de la perfection; son objet est d'exprimer son moi, moi tout entier, dans toute sa force et sa vérité: − et c'est en quoi il est Beethoven (Rolland,Beethoven, t.1, 1937, p.155). c) Exaltant le moi, la personne qui tend à tout rapporter à elle-même. Le vaniteux Français s'isole rapidement. Toute l'attention est profondément rappelée au moi. Il n'y a plus de sympathie (Stendhal,Hist. peint. Ital., t.1, 1817, p.262).La vanité, c'est toujours le moi (Balzac,Gobseck, 1830, p.390).Le moi remplit le monde et l'égoïsme est roi (Pommier,Colères, 1844, p.30): 14. On n'en finirait pas d'énumérer les ravages de l'affectation ou de l'insincérité dans la littérature du xixesiècle... Dans ces prairies du moi-moi-moi, le temps fauche impitoyablement...
L. Daudet, Idées esthét., 1939, p.18. 3. PSYCHANAL. ,,Partie de la personnalité consciente et préconsciente, distincte du ça et du surmoi`` (Méd. Psychanal. 1971). Le moi normal est souple, flexible; il n'a pas de mécanismes de défense rigides. Le moi névrotique est faible, craintif devant la force des pulsions ou la sévérité du sur-moi (Sill.Psychol.1980). REM. 1. Moé, moué, var,pop. ou région. (Ouest, Canada). Elle prononçait ,,moué``, pour moi (La Varende,Caval. seul, 1956, p.249).Moé, j'ai travaillé tous les jours que le Bon Dieu m'a donnés: de la noirceur du matin à la noirceur du soir (R. Carrier,Floralie, 1974, p.11 ds Richesses Québec 1982). 2. Moiïté, subst. fém.[P. anal. avec eccéité ou ipséité] Caractère individuel et irréductible du moi. Il serait absurde de dire que le monde en tant qu'il est connu, est connu comme mien. Et pourtant cette «moiïté» du monde est une structure fugitive et toujours présente que je vis (Sartre,Être et Néant, 1943, p.149). 3. Moitrinaire, subst. masc.,plais. et péj. [P. anal. avec poitrinaire] Égotiste, poète dont la principale source d'inspiration est son moi. [Chateaubriand] est le grand-père de tout le «moi, moi, moi», de tous les moitrinaires qui se regardent pâlir et vieillir dans leurs miroirs ternis et écaillés (L. Daudet,Stup. XIXes., 1922, p.88). Prononc. et Orth.: [mwa], [mwɑ]. Att. ds Ac. dep. 1740. Graph. plaisantes descriptives d'un accent ou d'une affectation, moa (Renard, Journal, 1893, p.174); moâ (Arts et litt., 1936, p.30-4). Étymol. et Hist. Pron. pers. de la 1repers., cas régime tonique I. A. Placé avant le verbe 1. 842 souligne une opposition mi (Serments de Strasbourg ds Henry Chrestomathie, p.2, 6 [v. E. Koschwitz, Commentar zur den ältesten frz. Denkmälern, p.41]: si salvarai [Louis le Germanique] eo cist meon fradre Karlo... in o quid il mi altresi fazet); 2.placé en initiale absolue, met en relief, exprime une insistance, une emphase ca 1100 (Roland, éd. J. Bédier, 2834: Mei ai perdut e tute ma gent); ca 1160 (Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 1752: Mesfis vos ge onques de rien? − Moi n'avez vos fait el que bien); ca 1170 (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 2694: ,,Biaus filz`` fet il, ,,que viax tu fere? Moi doiz tu dire ton afere``); 1170-80 (Narcisse, éd. M.Thiry-Stassin et M. Tyssens, 545: Moi a il escondite, moi!); 3. placé devant un verbe unipersonnel sans sujet exprimé, mis en début de phrase ou immédiatement auprès une conj. de subordination a) ca 1100 (Roland, 456: mei l'avent a suffrir); b) id. (ibid., 659: Mei est vis que trop targe); c) id. (ibid., 2858: Kar mei meïsme estoet avant aler); d) ca 1170 (Chrétien de Troyes, op. cit., 1551: se moi pleüst); e) id. (Id., op. cit., 4157: Moi poise molt); f) 1remoitié xiiies. (Aucassin et Nicolette, éd. M. Roques, 12: Moi ne caut); 4. placé devant les formes nominales du verbe a) 1130-40 forme en -ant (Wace, Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 645, ms. A anno 1267: Se feme est en traval d'enfant Et par besoig moi reclamant); b) ca 1170 infinitif amené par un verbe auxiliaire (Béroul, Tristan, éd. E. Muret, 168: Je ne vuel pas encore morir Ne moi de tot en tot perir); id. (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Eliduc, 420: Veut il mei par amurs amer?) 5. en coordination avec un autre pronom ou un substantif ca 1165 (Guillaume d'Angleterre, éd. M. Wilmotte, 2487: Se doinst Diex moi et vos joïr). B. Placé après le verbe 1. après l'impératif ca 1050 (Alexis, éd. Chr.Storey, 66: Oz mei, pulcele; 281: Quer mei, bel frere, ed enca e parcamin); ca 1100 (Roland, 20: Cunseilez mei; 337: dunez mei le cungied; 877: Eslisez mei. XII. de vos baruns [datif éthique]); ca 1200 (Jean Bodel, Jeu de St Nicolas, éd. A. Henry, 242: Va moi partout semonre Gaians et Quenellieus [id.]); 2. coordonné à un autre pron. ou à un subst. ca 1100 (Roland, 221: Ja mar ne crerez bricun, Ne mei ne altre); 1176-81 (Chrétien de Troyes, Chevalier au lion, éd. M.Roques, 4143: De nos deus covenra lasser Ou moi ou lui, ne sai le quel); xiiies. pronom atone de la 1 personne me, repris par mei auquel est coordonné un autre régime (Mort Artu, éd. J. Frappier, §104, 44: quant Lancelos m'en gita et moi et mes autres compaignons); 3. marque une opposition, une mise en relief a) ca 1170 (Rois, éd. E. R. Curtius, I, VIII, 8, p.16: Nen ont pas degeté tei mais mei que je ne regne sur els); 1176-81 (Chrétien de Troyes, Chevalier au lion, 1003: Et sachiez bien, se je pooie, Servise et enor vos feroie, Que vos la feïstes ja moi); b) ca 1170 avec ellipse du verbe (Béroul, op. cit. 2688: Ge vos dorrai ma druërie Vos moi la vostre, bele amie). II En autonomie: après préposition fin xes. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 262: Per me non vos est obs plorer; 295: De me t membres per ta mercet; 300: ab me venras in paradis); ca 1170 (Marie de France, op. cit., Fresne, 470 Vers mei meismes). III. Emplois ressortissant à la fonction sujet 1. ca 1135 en coordination (Couronnement de Louis, éd. E.Langlois, 536: Et mei et Deu n'avons mais que plaidier); ca 1150 (Charroi de Nîmes, éd. D. McMillan, 39: Moi et vos, oncle, i somes oublïé); 1174-87 (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 3617: Alons an, moi et vos ansanble!); 2. 1174-87 en proposition elliptique (Id., op. cit., éd. A. Hilka, 4776, leçon du ms. M, fin xiiies.: Frere, ja nus hon Ne m'an desfandra se moi non); ca 1190 (Renart, éd. M.Roques, 12156: A il dont nul part, se moi non?); 2equart xiiies. (Queste du Graal, éd. A. Pauphilet, p.176, 27: Et s'il l'eust fet, il fust mors del pechié... et moi desennoree a toz jorz mes); 3. ca 1210 en fonction d'attribut du sujet (Raoul de Houdenc, Meraugis, éd. M.Friedwagner, 4888: C'est ma main destre, c'est ma dame, C'est moi meïsmes, car c'est m'ame) [−Moi-Même −v. supra, I A 3 c; II; III 3]. − Subst. − A. 1. 1581 «ce qui constitue l'individualité, la personnalité d'un être humain» (Desportes, Epitaphes, Complainte, éd. V.E.Graham, Cartels et épitaphes, p.107: La seule mort a causé ma tristesse, La seule mort y pourra mettre cesse, Ne m'empeschant plus longuement de suivre Cêt autre moy, pour qui j'aimois à vivre); 2. av. 1662 «la personnalité s'affirmant par rapport aux autres, ne considérant que soi» (Pascal, Pensées, Irepart., V, 2, § 136, éd. J. Chevalier p.1126: Le moi est haïssable... le moi a deux qualités: il est injuste en soi, en ce qu'il se fait centre de tout; il est incommode aux autres en ce qu'il les peut asservir: car chaque moi est l'ennemi et voudroit être le tyran de tous les autres). B. 1. 1640 philos. «le sujet pensant» (Descartes, Lettre à ***, nov., éd. Ch. Adam et I. Tannery, t.3, p.247: vous m'avez obligé de m'avertir du passage de St Augustin auquel mon Je pense, donc je suis a quelque rapport... je m'en sers pour faire connaître que ce moi, qui pense, est une substance immatérielle); av. 1662 (Pascal, op. cit., IIepart., II, 1, § 443, p.1211: Je sens que je puis n'avoir point été: car le moi consiste dans ma pensée; donc moi qui pense n'aurais point été, si ma mère eût été tuée avant que j'eusse été animé); 2. 1948 psychanal. (S. Freud, Essai de psychanal., p.172: le Moi et le Soi). Du lat. me «moi» en position accentuée; v. aussi me; pour l'emploi de moi comme pron. suj. par suite de l'évolution faisant des pron. pers. suj. des pron. conjoints, v. lui. Moi subst. B 2 traduit l'all. Ich (S. Freud, Das Ich und das Es, 1923), v. aussi ça (cela*) et je*. Fréq. abs. littér.: 152582. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 211927, b) 218285; xxes.: a) 210662, b) 224428. Bbg. Bourgeacq (J.A.). Moi, je ou c'est moi qui? Fr. R. 1970, t.43, pp.452-458. _ Foulet (L.). L'Ext. de la forme oblique du pron. pers. en anc. fr. Romania. 1935, t.61, pp.403-419, 453-463. _ Hatcher (A.G.). From Ce suis-je to c'est moi... PMLA. 1948, t.63, pp.1053-1100. _ Jacob (L.). De ce suis je à c'est moi. B. de la Soc. roum. de ling. rom. 1970, t.7, pp.91-96. _ Quem. DDL t.18. |