| MESURER, verbe I. − Emploi trans. A. − [Le compl. désigne une quantité, une grandeur, l'intensité d'un phénomène] 1. Déterminer, évaluer (d'après un étalon, à l'aide d'un instrument). Mesurer un angle; mesurer l'espace, l'étendue, la largeur, la longueur de qqc.; mesurer du drap, une étoffe. Ainsi l'essai au laboratoire a permis (...) de mesurer le temps nécessaire pour exécuter ces travaux fragmentaires (Péthoud,Organ. industr. et comm.,1931, p.58).Tout en parlant, il mesurait sur la carte les distances à parcourir (Peisson,Parti Liverpool,1932, p.156).W. Bragg qui mesura les longueurs d'onde des spectres de rayons X fournis par divers métaux (Hist. gén. sc.,t.3, vol.2, 1964, p.468). ♦ Au part. passé. L'intensité énergétique mesurée en calories (Maurain,Météor.,1950, p.216). ♦ Emploi pronom. à sens passif. Toutes les denrées qui se mesurent au poids (Say,Écon. pol.,1832, p.293).La force se mesure et se calcule (Cl. Bernard, Princ. méd. exp.,1878, p.200). − Mesurer (qqc.) à, avec (+ subst. désignant l'instrument de mesure).Mesurer (qqc.) au compas (v. ce mot I A). L'empereur a gardé de nouveau le silence, mesurant avec un compas des distances sur la carte (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène,t.2, 1823, p.277).N'est-ce pas comme si l'on voulait mesurer avec un gramme ou peser avec un mètre? (H. Poincaré,Valeur sc.,1905, p.37).Duhem, à propos de la notion de pression, observe (...) «qu'on peut la mesurer avec un manomètre à air libre...» (Ruyer,Esq. philos. struct.,1930, p.236). ♦ Au part. passé. Le charbon, l'eau, l'énergie électrique, le froid seront pesés ou mesurés avec les appareils appropriés (Brunerie,Industr. alim.,1949, p.225). − En partic. a) [Le suj. désigne l'instrument même qui sert à évaluer] Un pyromètre destiné à mesurer les hautes températures d'un four à poteries [doit être] d'un emploi facile (Al. Brongniart, Arts céram.,t.1, 1844, p.232). b) [Pour déterminer les dimensions caractéristiques du corps] Mesurer le tour de taille. Synon. prendre* le tour de taille.Monsieur (...) Vous mesurez votre encolure, votre tour de taille (...) Le tableau ci-dessous vous indique la coupe à préférer (...) Tour de poitrine: vous le mesurez bien horizontalement (Catal. La Redoute, printemps-été 1982, p.959). ♦ Mesurer qqn.Déterminer sa taille. Ce qui la préoccupe, c'est de grandir. Je la mesure tous les quinze jours: elle voudrait tant rester petite! (Colette,Music-hall,1913, p.188). c) Loc. vieillie, littér. Mesurer la terre. Tomber. Ses blessures le rendent boîteux et pesant (...) et presque à chaque pas il va mesurer la terre (Chateaubr.,Natchez,1826, p.298). 2. P. anal. Évaluer approximativement. a) [Le moyen d'appréciation est un objet] Mesurer (qqc.) à (qqc.).Lantier, lui non plus, ne dépérissait pas. Il se soignait beaucoup, mesurait son ventre à la ceinture de son pantalon, avec la continuelle crainte d'avoir à resserrer ou à desserrer la boucle (Zola,Assommoir,1877, p.647). b) [Le moyen d'appréciation est la main; le compl. désigne l'aspect, la qualité de qqc.] V. dépérissement A ex. de Martin du Gard. ♦ Mesurer de ses doigts. Elle fit exprès de se tenir le ventre en avant, pour lui faire croire qu'il enflait. Maintenant, dès qu'il l'empoignait, elle le sentait qui la tâtait là, qui la mesurait de ses gros doigts (Zola,Terre,1887, p.310).Tâter la croûte, mesurer l'élasticité de la pâte, deviner un fromage (Colette,Pays. et portr.,1954, p.175). c) [Le moyen d'appréciation est l'œil; le compl. désigne une surface] D'énormes bâtiments au-dessus desquels s'élevaient les douze cylindres de ciment armé accolés deux à deux, hauts de vingt mètres, d'un silo à blé particulier. J'ai mesuré du regard les champs immenses et puis cette fausse cathédrale (Giono,Poids du ciel, 1938, p.288): 1. Ayant bâti, sur la virginité du sable, mon campement triangulaire, je montai sur une éminence pour attendre que la nuit se fît, et, mesurant des yeux la tache noire à peine plus grande qu'une place de village où j'avais parqué mes guerriers, mes montures et mes armes, je méditai d'abord sur leur fragilité.
Saint-Exup.,Citad.,1944, p.534. 3. [Le compl. désigne la durée, un élément temporel, rythmique] a) Marquer le temps, scander, rythmer: 2. Quelle que soit néanmoins la dignité de l'architecture, elle est en un sens inférieure à la musique. L'architecte, en effet, s'adjuge l'espace, qui est une perception de la vue, le musicien mesure le temps, qui est une conception de l'esprit.
Ch. Blanc, Gramm. arts dessin,1876, p.58. ♦ Au part. passé. Et puis, voici Vicence. Ici, les journées tournent sur elles-mêmes, depuis l'éveil du jour gonflé du cri des poules jusqu'à ce soir sans égal, doucereux et tendre, soyeux derrière les cyprès et mesuré longuement par le chant des cigales (Camus,Exil et Roy.,1957, p.96). − [Le suj. désigne l'instrument qui sert à marquer le temps] Qqc. mesure (qqc.) à (qqn).Deux bonnes soeurs enfoncées sous la cornette égrenant de longs chapelets qui leur mesuraient l'attente (A. Daudet, Nabab,1877, p.141).Le jour gris que, durant trois quarts d'heure, filtraient les vitres du hall, tombait sur elle comme les grains d'un sablier immense qui lui mesurait les minutes perdues pour le bonheur (A. France,Lys rouge,1894, p.284). b) Mesurer (qqc.) sur (qqc.).Rythmer, régler (quelque chose) d'après, par rapport à (quelque chose). Tous les deux, côte à côte, ils marchaient doucement, elle s'appuyant sur lui, et lui retenant son pas qu'il mesurait sur les siens (Flaub.,MmeBovary,t.1, 1857, p.105). B. − Au fig. 1. [Le compl. désigne un caractère, une qualité, l'expression, un jugement de valeur, la valeur morale de quelqu'un, de quelque chose] a) Évaluer. Ma force fut toujours de mesurer exactement ma faiblesse (Mauriac,Du côté de chez Proust,1947, p.86). − En partic. [Avec une idée de prévision, de conséquences possibles] Je me demande, mon petit, si tu mesures la gravité de cette visite. On ne le dirait pas (Cocteau,Parents,1938, ii, 6, p.244).Jean-Jacques se résigna à «laisser tout aller comme il pourrait». Il mesurait mal le péril dans lequel il entrait (Guéhenno,Jean-Jacques,1952, p.95). − Mesurer la portée (de qqc.). Prévoir les conséquences (de quelque chose): 3. Pour les plus récentes [données nouvelles de la médecine] (...) un recul suffisant fait encore défaut pour permettre à l'historien d'en mesurer la portée générale réelle et de distinguer celles qui marquent une étape, une date.
Bariéty, Coury,Hist. méd.,1963, p.607. ♦ [Avec une idée de retenue; l'obj. désigne des paroles] Mesurer son élan, ses gestes. Il faut mesurer ses termes et chercher à ne pas blesser notre Leuwen, se disait le ministre. Et voilà à quoi nous en sommes réduits avec nos subalternes! (Stendhal,L. Leuwen,t.3, 1835, p.39).Au part. passé. Le ton mesuré, décent, poli, souvent timide des jeunes princes (...) faisait comprendre une éducation compassée (...) et dont les heures (...) de plaisirs même, sont comptées sur la pendule (Vigny,Mém. inéd.,1863, p.101).Il lui faisait des questions mesurées dans les termes, mais précises, serrées, gênantes (A. France,Dieux ont soif,1912, p.63).Bondino retomba sur terre. Il expédia une charge de commandant avec une lettre affectueuse mais mesurée (Giono,Bonh. fou,1957, p.52). SYNT. Mesurer le courage, la force; mesurer des faits; mesurer l'ampleur, l'étendue d'un phénomène; mesurer le danger, des risques encourus; mesurer qqc. avec justesse. b) [Avec une idée de comparaison]
α) Déterminer l'importance (d'une chose) proportionnellement à (une autre chose); juger (quelque chose) d'après (quelque chose). Mesurer (qqn, qqc.) à, d'après, sur (qqn, qqc.). Ne mesurez pas mon affection à la rareté de mes lettres; n'accusez que les encombrements de la vie parisienne, la publication de mon volume et les études archéologiques auxquelles je me livre maintenant (Flaub.,Corresp.,1857, p.180).Je les mesure [mes sentiments] à ma souffrance (Montherl.,Démon bien,1937, p.1313). − Emploi pronom. passif. La beauté ne se mesure pas sur un type immuable (...). Elle varie suivant les temps, suivant les peuples, et suivant la culture des esprits (About,Roi mont.,1857, p.57).Le mérite d'une oeuvre d'art ne se mesure pas tant à la puissance avec laquelle le sentiment suggéré s'empare de nous qu'à la richesse de ce sentiment lui-même (Bergson,Essai donn. imm.,1889, p.26).Un puissant écrivain se mesure à ceci que dans sa manière d'écrire il n'y a point d'apparences, j'entends qu'il faut le comprendre parfaitement ou ne rien comprendre du tout (Alain,Beaux-arts,1920, p.334). ♦ En partic. Être réglé sur, être proportionné à. Dubreuilh est si totalement engagé dans ce qu'il fait que sa sympathie pour les gens se mesure à leur utilité, ni plus ni moins (Beauvoir,Mandarins,1954, p.188).
β) [Le moyen d'appréciation est l'œil; le compl. désigne une pers.] Regarder (quelqu'un) avec insistance de la tête aux pieds pour se faire une opinion sur (lui). Il lui arrivait quelquefois, lorsque son père accablait de sa froide et profonde colère un de ses subordonnés, de se croiser les bras, et de le mesurer involontairement des yeux (Sand,Péché de M. Antoine,1845, p.236).Je m'apercevais bien qu'on nous observait, qu'on nous mesurait de l'œil, qu'on se tâtait en particulier (Sainte-Beuve,Nouv. lundis,t.3, 1862, p.223). − Emploi pronom. récipr. Ils [Déroulède et Clemenceau] se mesurèrent d'un regard chargé de haine (Jaurès,Paix menacée,1914, p.276).Toutes deux se sont mesurées du regard à son entrée dans le salon (Butor,Modif.,1957, p.154): 4. − Inutile, chère madame, de vous cacher que je trouve ce mariage absurde. − Comment l'entendez-vous, madame? fit posément notre mère. Il y eut un froid profond. Les deux dames se mesuraient du regard.
Duhamel,Terre promise,1934, p.110.
γ) Loc. Mesurer les autres à son aune (v. ce mot D); p. ext. mesurer (qqc.) à l'aune de. Juger (quelque chose) d'après: 5. Le vieux homme se concentre dans le dialogue avec soi-même. Qui veut entrer dans la confidence de cette profonde confession, doit se garder de la mesurer à l'aune pédagogique, dont un maître comme Vincent d'Indy, pourtant bien fait pour la comprendre, use pour ses écoliers.
Rolland,Beethoven,t.1, 1937, p.260. − Mesurer (qqc.) à l'échelle, à la toise de (vieilli). Vous savez que j'aime assez à raisonner avec vous sur la politique; mais vous mesurez tout à votre toise, et vous avez tort (Vigny,Chatterton,1835, i, 2, p.253).Tant de critiques, incapables de juger une oeuvre en soi sans la mesurer à la toise d'une autre oeuvre (Rolland,Beethoven,t.1, 1937p.290).Or cette grande ville, (...) on ne peut la considérer comme grande qu'à condition de la mesurer à l'échelle de ce temps-là (Faral,Vie temps st Louis,1942, p.9). 2. [Avec l'idée d'un combat, notamment en escrime] Loc. vieillie. Mesurer son épée avec qqn, avec celle de qqn. Se battre contre lui (d'apr. Ac. 1798-1878). − P. anal. Mesurer ses bâtons, ses griffes. Combattre. Car une fois que nous aurons mesuré nos griffes, ta belle-mère et moi, nous verrons qu'il n'y a rien à gagner quand on se trouve diable contre diable (Balzac,Contrat mar.,1835, p.355).J'irai savoir à l'Opéra quels sont les journalistes qui conspirent pour Baudoyer, et nous mesurerons nos bâtons (Balzac,Employés,1837, p.197). − [P. méton.] Emploi pronom. Se mesurer (avec qqn).Se battre (avec quelqu'un). J'allai trouver Roger, le maître d'armes et, de but en blanc, je lui déclarai ma résolution de me mesurer avec le marquis (A. Daudet,Pt Chose,1868, p.111). ♦ Se mesurer à, avec (qqn, qqc.).Se battre, entrer en concurrence avec (quelqu'un, quelque chose). Van Dyck n'avait pas cette fougueuse audace qui portait Rubens à se mesurer avec les sujets les plus terribles, avec les mouvements les plus impétueux (Ménard,Hist. Beaux-Arts,1882, p.207).Clémenti (...) eut l'occasion de se mesurer avec Mozart, dans un mémorable concours qui eut lieu à Vienne, en décembre 1781 (D'Indy,Compos. mus.,t.2, 1, 1897-1900, p.392).Mais un homme serait insensé qui prétendrait se mesurer avec dix de mes guerriers (A. France,Voie glor.,1915, p.65).[Avec l'idée d'un effort, d'une lutte qui révèle en même temps la valeur de qqn] Mais un homme qui se mesure à soi-même et se refait selon ses clartés me semble une oeuvre supérieure qui me touche plus que toute autre (Valéry,Variété III,1936, p.22).Il est bon cependant que l'homme, en se mesurant à la difficulté, se juge quelquefois. Il est seul à pouvoir le faire (Camus,Sisyphe,1942, p.89).P. métaph. [Descartes] s'est mesuré avec le scepticisme, et il l'a renversé (Cousin,Hist. gén. philos.,1861, p.407). 3. Accorder, distribuer avec parcimonie, avec réserve, par quantités limitées, bien définies. Il [Chateaubriand] mesure même les larmes, et son but n'est point de trop éplorer son héroïne ni d'amollir son lecteur (Sainte-Beuve,Chateaubr.,t.1, 1860, p.192). − Restreindre, limiter. Le maintien en place (...) de certains ministres directement responsables de la stagnation gouvernementale (...) nous a contraints de mesurer une confiance que nous aurions voulu entière (L'Œuvre,7 mars 1941). − Mesurer (qqc.) à (qqn).Les jours qui suivirent mesurèrent à Julie des doses égales de déceptions et de griserie (Colette,J. de Carneilhan,1941, p.143). − Déterminer avec sagesse, maintenir dans des limites modérées. V. clair ex. 20. II. − Emploi intrans. Avoir pour mesure. Il mesure combien? Tympan, qui mesure environ un tiers de centimètre carré (Piéron,Sensation,1945, p.48). − Mesurer (une certaine quantité) de large, de long... Son bec noir, large, conique, à bout très pointu, mesurait dix-huit pouces de longueur (Verne,Enf. cap. Grant,t.2, 1868, p.102).Un peigne particulier, plat, fait de rangées de pointes d'acier carrées et aiguisées. Il mesure 10 centimètres de large sur 18 de long (Pesquidoux,Chez nous,1923, p.253).Une vaste couche, qui pourra mesurer jusqu'à quatre mètres de large, se dressera sur une estrade à une ou deux marches, sous un dais à colonnes (Faral,Vie temps st Louis,1942, p.158). ♦ En partic. Avoir pour taille. Olivier Blévigne mesurait un mètre cinquante-trois. On raillait sa petite taille (Sartre,Nausée,1938, p.122). Prononc. et Orth.: [məzyʀe], (il) mesure [məzy:ʀ]. Éventuellement, après voyelle [mzy:ʀ], ex. tu mesures [tymzy:ʀ]. Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1100 «trouver la mesure de» (Roland, éd. J. Bédier, 1218: Grant demi pied mesurer i pout hom); b) ca 1190 fig. (Sermon Saint Bernard, éd. W. Foerster, p.159, 19: en cele mesure ke nos auerons mesuriet reserat mesuriet a nos) ; 2. ca 1220 «estimer, juger, évaluer» (Gui de Cambrai, Barlaam et Josaphat, 5267 ds T.-L., s.v. desmesurer); 3. ca 1570 cela ne se mesure pas à ce boisseau (Régnier de La Planche, Le Livre des Marchands, II, 304 ds Hug., s.v. boisseau); 4. 1597 «proportionner quelque chose à quelque chose» (Malherbe,
Œuvres compl., éd. L. Lalanne, t.1, p.30); 5. 1636 (Corneille, Le Cid, II, 2 ds
Œuvres, éd. Ch. Marty-Laveaux, t.3, p.129: Te mesurer à moi! qui t'a rendu si vain); 6. 1671 «vendre à la mesure» (Pomey); 1674 se mesurer des yeux «se jauger mutuellement» (Boileau, Lutrin, V, éd. Ch.-H. Boudhors, p.155). B. 1. a) Ca 1180 mesuré «qui agit avec modération» (Proverbe au vilain, éd. A. Tobler, 85, p.37: sages hon mesurez); b) 1611 «régler avec sagesse» (Cotgr.); 2. 1erquart xiiies. mesurer qqc. «distribuer» (Reclus de Molliens, Miserere, 267, 11, 12 ds T.-L.); 3. a) 1377 mus. «distribuer selon la mesure» (Gace de La Buigne, Roman des deduis, éd. Å. Blomqvist, 10607: chans de divers accors, Mesurés par proporcïons); b) 1674 versif. (Boileau, Art poét., éd. Ch.-H. Boudhors, p.91). Du b. lat. mensurare «mesurer, estimer, évaluer», dér. tardif de mensura «mesure», bien att. à partir du ives., qui a évincé le class. metiri (subsistant dans esp. port. medir, logoudorien medire). Fréq. abs. littér.: 2441. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3024, b) 2960; xxes.: a) 2805, b) 4525. |